LA TRIBUNE DU QUOTIDIEN
Le Monde.fr   du 7 Février 2023

L’Amazonie française est menacée par le développement
de l’industrie biomasse et des fausses énergies renouvelables

Tribune à lire aussi en anglais. 

Maiouri Nature Guyane et les signataires de cette tribune alertent sur les dérives du développement de la biomasse et des fausses énergies vertes en Amazonie française. 


Alors que de très nombreux scientifiques demandent depuis des années à l'Union européenne et à ses États membres de ne plus classer la biomasse primaire (bois directement issu de forêts) comme une énergie renouvelable neutre pour le climat et de ne plus la subventionner pour ne pas encourager la destruction des surfaces forestières, un amendement glissé par des députés français dans le projet de révision de la directive sur les énergies renouvelables (RED III) menace directement la forêt amazonienne de Guyane française. 

La forêt de Guyane, seule forêt amazonienne tropicale humide rattachée à l’Europe, couvre 96% de la superficie du territoire et représente à elle seule 50% de la biodiversité française. Cette forêt est à la fois l’une des plus riches et des moins fragmentée, reconnue comme l'une des 15 zones de forêts tropicales humides les mieux préservées de la planète. Au sein de cet espace géographique exceptionnel, la Guyane abrite 1.700 espèces d'arbres, 6.000 espèces de plantes vasculaires qui sont indispensables à la vie de milliers d’espèces d’animaux. 

La forêt amazonienne et la biodiversité jouent un rôle essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique et dans la prévention d’événements climatiques extrêmes qui menacent l’équilibre du monde. 

Et pourtant, des députés européens français, dont un député de la France Insoumise et des élus de la majorité présidentielle, sous l’impulsion de représentants de la collectivité territoriale de Guyane, ont formé une alliance contre nature, introduisant une dérogation dans la directive européenne sur les énergies renouvelables. 

Cette dérogation doit permettre de maintenir et accentuer un régime dérogatoire aux  standards européens en matière de durabilité et de réduction des émissions de gaz à effet de serre afin d’augmenter la production de biomasse solide ou liquide en Guyane. Hasard du calendrier ou non, un projet de décret révèle plus précisément les intentions du gouvernement français, en affichant clairement la volonté de pérenniser un modèle de production d’électricité qui a l’utilisation de biomasse forestière ajoute la combustion de bois de défriche agricole et de plantations à vocation énergétique amputant le couvert forestier. Au lieu d’un mix vertueux à base de déchets de l’industrie du bois, des milliers  d’hectares de forêts pourraient ainsi être transformés en monocultures destinées à la production de combustible.

Le comble est que la France, sous couvert de développer cette énergie qui n’a de verte que la couleur des arbres qu’elle consume, entend, notamment, verdir le secteur spatial, une activité qui représente à elle seule 18% de l’électricité produite en Guyane et lancer des projets de production locale de nouveaux agrocarburants sur ces terres déboisées. Envoyer dans l'espace des fusées repeintes en vert grâce aux agrocarburants semble être une priorité, là où la préservation des conditions d’habitabilité de notre planète ne l’est pas.

En Guyane, cette exception permettrait à cette biomasse non durable de bénéficier du statut d'énergie verte et donc de profiter d'aides publiques, générant un appel d'air sans précédent.

L’exemple du Brésil voisin est pourtant sans appel. L’agriculture intensive, l’élevage de bétail et la production d’agrocarburants faits à base de canne à sucre, de maïs et de soja, deuxième production mondiale d’éthanol, conduisent à la conversion des terres et à une disparition inexorable de la forêt amazonienne. Alors que Jair Bolsonaro quitte à peine le pouvoir remplacé par Lula qui s’est engagé à mettre un terme à la déforestation,  Il est impensable que la France, responsable d’une partie encore préservée d'Amazonie, s'engage dans une direction rétrograde. 


A quoi sert de promettre la plantation d’un milliard d’arbres, si nous ne sommes pas capables de protéger convenablement la forêt amazonienne de Guyane et ses cimes centenaires ?


De plus, ces projets menacent concrètement les droits des peuples autochtones de Guyane, dont les terres et les zones de droits d’usage collectifs pourraient être menacées par l’implantation de ces projets de plantations à vocation énergétique, en violation de leur droit à la consultation libre, préalable et éclairée. 


Mais c’est également l’accès à la terre pour les agriculteurs locaux et donc l’autonomie alimentaire de ce territoire qui pourrait se retrouver en concurrence directe avec la production industrielle de biomasse. Le projet de décret du gouvernement français fait mention de 15% de terres agricoles qui pourraient être destinées aux centrales biomasse, soit des milliers d’hectares de forêt amazonienne. A titre de comparaison, en France hexagonale, c'est 3% de la surface agricole qui est consacrée aux agrocarburants de première génération, causant la disparition de cultures vivrières et augmentation des prix des denrées alimentaires.


Cette dérogation est en totale contradiction avec les ambitions européennes alors que la Commission et le Parlement ont proposé d’exclure les forêts primaires et anciennes, riches en biodiversité et les zones humides des zones où la production de biomasse peut être subventionnée, en raison de l’impact disproportionné de leur destruction en termes de climat et de biodiversité. 


Par ailleurs, cette dérogation est en contradiction flagrante avec l’adoption du récent règlement européen relatif à la lutte contre la déforestation importée qui inclut le bois-énergie. La France, alors qu’elle a été moteur de cette nouvelle réglementation doit en respecter les obligations et ne pas en amoindrir les effets sur le territoire de Guyane française.

Cet amendement dérogatoire controversé à la Directive RED III fait actuellement l’objet de négociations entre le Parlement, la Commission et le Conseil des ministres de l’UE (trilogue). Alors que doivent encore se tenir deux réunions déterminantes entre les institutions européennes, les 7 février et 6 mars prochain, le gouvernement français continue à encourager le développement aveugle du bois-énergie au sein de ces négociations, qui concernent non seulement la Guyane mais aussi toute la France et l’UE  


Nous défendons la forêt de Guyane, riche d’une biodiversité encore bien loin d’avoir été inventoriée par les scientifiques et nous nous opposons à cette dérogation aveugle aux enjeux actuels, à rebours des ambitions européennes en matière d’énergies renouvelables, d’efficacité énergétique, et plus généralement en matière de protection du climat, de la biodiversité et du respect des droits des peuples premiers de Guyane. 


Nous demandons au gouvernement et aux élus de Guyane et du Parlement européen de renoncer à cette dérive, à rebours des ambitions de l’UE sur la protection du climat et de la lutte contre la déforestation, et de réorienter les considérables aides publiques consacrées au bois-énergie vers les économies d’énergie et une gestion moins destructrice des forêts.


Tribune à lire aussi en français sur le site du Monde  (Abonnés) 


Les Signataire à ce jour : 


Sylvain Angerand, fondateur Canopée Forêt Vivantes

Philippe Boré, président association Maiouri Nature Guyane

Marine Calmet, présidente association Wild Legal

Camille Etienne, militante pour la justice sociale et climatique

Francis Hallé, botaniste, écologue des forêts tropicales

Sylvain Harmat de l’ONG Sauvons la forêt

Kadi Eleonore Johannes, Collectif des Premières nations de Guyane

Magali Payen, Fondatrice On est prêt

Christophe Pierre, réalisateur et militant pour les peuples autochtones

Martin Pigeon, association Fern 


Dominique Bourg, philosophe professeur honoraire de l'université de Lausanne 

Thomas Brail, fondateur du Groupe national de surveillance des arbres

Gert Peter Bruch, réalisateur fondateur Planète Amazone

Denis Cheissoux, producteur Radio France

Jean-Marc Civière, président de la communauté all4trees

Gilles Clément, ingénieur agronome, botaniste, architecte paysagiste

Almuth Ernsting, Codirectrice de l’ONG Biofuelwatch

Galitt Kenan, Directrice Jane Goodall Institute France

Fabrice Nicolino, Ecrivain, chroniqueur Environnement à Charlie Hebdo

Vincent Vérzat, Blogueur de Partagez c’est Sympa !

Sarah Valente, présidente et fondatrice de Greenline Foundation


© P. PANTEL - Association Nationale pour la Biodiversité)

Signez la Pétition 

© Philippe Boré - MNG

Consulter le Dossier Biomasse