Les animaux sont classés en deux groupes distincts: domestiques et non domestiques. Le législateur souligne qu'un animal non domestique est un animal qui n'a pas subi de modifications par sélection de la part de l'Homme. Ces animaux peuvent appartenir à la faune sauvage indigène (et donc locale) ou exotique. Ni le lieu de naissance (dans la nature ou en captivité), ni le temps que l'animal a passé en captivité ne peuvent influer sur son caractère non domestique. Un animal domestique, en revanche, a subi des modifications suite à la sélection effectuée par l'Homme.
Le statut d'animal domestique et sa définition a été source de nombreux débats. Ainsi, Denis (2004) fixe les trois conditions paraissant nécessaires pour la caractérisation de l'animal dit domestique:
* en premier lieu un certain degré d'apprivoisement: l'animal doit entretenir un minium d’interactions sociales avec l'Homme
* un contrôle de la reproduction: par cela, Denis suppose un procédé de sélection dans l'élevage des animaux dans le but de les "améliorer"
* enfin une utilité des animaux: selon Denis, un animal inutile ne sera pas domestiqué ou sa domestication sera rapidement abandonnée.
Cependant, des études proposent d'ajouter d'autres facteurs à la domestication, ainsi par exemple la survenue de traits morphologiques différents ou uniques: coloration du pelage ou changement de taille -par exemple- seraient des symptômes de domestication... Il en serait de même pour le facteur écologique: la protection météorologique et environnementale ainsi que l'apport en nourriture et en eau par l'humain. Des recherches ont ainsi révélé que l'une des premières mutations génétiques subies par le chien lors de sa domestication a été son adaptation à l'alimentation: contrairement aux loups carnivores, les chiens ont très rapidement appris à prospérer avec un régime riche en amidon. Cette étape s'est révélée cruciale dans la domestication du canidé.
Notons que le législateur n'accorde pas facilement le statut domestique à une espèce animale. Il en est ainsi pour l'autruche. Cet animal a vu sa fertilité et son gabarit modifiés par la sélection: l'autruche d'élevage est plus petite que l'autruche sauvage et ponds presque 10 fois plus d’œufs que cette dernière. L'élevage d'autruche existe depuis 1992 en France, en premier lieu pour sa viande. Hors, cet animal est toujours considéré comme non domestique, le législateur arguant qu'elle resterait émotive en présence de l'homme.
Une part importante des recherches sur la domestication par la sélection ont été effectuées en Sibérie. Le chercheur Dmitriy Belyaev a débuté en 1959 à Novosibirsk à l'Institut de cytologie et de génétique russe une tentative de domestication du renard en commençant avec 130 animaux. Cette expérience a été reprise à son décès par son élève Lyudmila N. Trut et a duré plusieurs dizaines d'années (une vingtaine de générations de renards, environ). Belyaev ne sélectionnait ses renards que selon un seul et unique critère: la tolérance à la présence humaine, la docilité semblant bien être un trait de caractère transmissible. Un effort a cependant été fait pour éviter la consanguinité durant toute la durée de l'expérience: elle n'a jamais dépassé le taux de 7%. Notons que Belyaev a aussi conduit l'expérience inverse en sélectionnant des renards pour leur agressivité, conduisant à une souche de renards hyper-agressive.
Belyaev pensait que le comportement était d'ordre biologique, il a donc sélectionné selon le degré d'apprivoisement en supposant par ce biais une sélection hormonale et neurochimique. Son étude tend à prouver qu'environ 35% des variations dans la réponse défensive des renards envers l'humain serait génétiquement déterminé.
Pour son expérimentation, et pour s'assurer que l'apprivoisement résultait bien de la sélection, Belyav a limité les contacts des expérimentateurs au seul critère "posologique", c'est--à-dire pour nourrir ou nettoyer les cages des animaux. Il a donc commencé avec 130 renards dont 30 mâles et 100 femelles. Une sélection stricte a été effectuée: les renards étaient sélectionnés pour leur docilité uniquement: seul 4 ou 5% des mâles issus de cette progéniture et environ 20% des femelles ont été sélectionnés pour la reproduction.
L'évaluation du comportement des renards s'effectuait par une série de tests.
Durant le sevrage, l'expérimentateur offrait au renard de la nourriture dans sa main, essayait de le caresser puis de le manipuler. Ce test était effectué deux fois: une fois dans la cage et une fois dans un grand enclos en compagnie d'autres jeunes renards: il pouvait ainsi choisir de prendre contact avec l'homme ou avec d'autres renards. Ce test fut ensuite répété mensuellement jusqu'à la maturité sexuelle de l'animal. Là, le renard était classé selon 3 catégories:
* catégorie 3: les renards fuyant la main humaine ou tentant de mordre. Apprivoisement moindre.
* catégorie 2: les renards se laissant caresser et manipuler mais ne montrant pas de réponse amicale face à l'humain.
* catégorie 1: cette catégorie a été créée seulement à partie de la 6e génération de renards. Il s'agissait de "l'élite domestiquée" de Belyaev. Les renards désiraient établir le contact avec l'expérimentateur avant même l'âge du sevrage atteint.
Statistiques de l'évolution de la domestication des renards selon l'expérience de Belyaev:
6e génération: création de l'élite domestiquée, dite catégorie 1.
10e génération: 18% des renards étaient extrêmement apprivoisés et classés en catégorie 1.
20e génération: 35% des renards étaient classés en catégorie 1.
La même expérience a été réalisée sur des loutres fluviales ainsi que sur des rats bruns. Sur les 50 loutres sauvages capturées, seules 8 d'entre-elles ont montré un comportement défensif faible et ont été sélectionnées pour la reproduction. Pour le rat, seul 14% de la progéniture a été reproduite.
Concernant les rats, deux souches ont été créées: l'une sélectionnée pour sa docilité et l'autre pour son agressivité. Si les rats dociles collaient leurs museaux contre les grilles des cages pour se faire caresser au passage des expérimentateurs, dans la colonie sélectionnée pour l'agressivité les rats se lançaient en hurlant contre les barreaux pour tenter de mordre.
La domestication d'une espèce animale sauvage via l'élevage sélectif est un objectif complexe et long. Pour maximiser les chances de succès, une certaine rigueur sera nécessaire.
Tout d'abord, il est utile de savoir que les espèces dites "invasives" ont une tolérance plus importante aux différentes conditions de vie: elles se reproduiront aisément et efficacement quelque soit l'écosystème (Gido et al., 2003). Il est donc de ce fait à priori plus évident de domestiquer une espèce de rats que d'ours. De plus, il est important de préciser que les animaux domestiqués (ou ayant subi une pression de sélection dans le but d'une tentative de domestication) ne doivent en aucun cas être relâchés dans la nature même s'ils en sont indigènes. La domestication entraîne une diminution des caractéristiques de survie telles que les comportements antiprédateurs ou reproducteurs. Relâcher dans la nature ces animaux pourrait être néfaste pour la population sauvage de cette espèce (Lynch et O'Hely, 2001. Zaporozhets et Zaporozhets, 2004).
Pour ce qui est de la consanguinité, il semble que le choix de Belyaev visant à en contrôler drastiquement le taux soit une méthode fiable pour limiter la réduction de la variabilité génétique, et donc le potentiel de sélection (Porta et al., 2007). Il est donc préférable d'utiliser l'outcrossing ou le linebreeding à faible taux.
L'élevage d'aulacodes en Afrique a débuté par la capture d'individus sauvages. Pour ce faire, les cages étaient petites et remplies d'herbes indigènes pour empêcher l'animal de se blesser en se débattant dans un mouvement de frayeur. Les cages étaient isolées, maintenues dans la pénombre (mais pas dans l'obscurité: l'animal devant pouvoir voir son éleveur) et les animaux nourris à heure fixe. Des friandises comme la canne à sucre étaient proposées aux animaux pour améliorer leur apprivoisement. L'heure du nourrissage ou la personne chargée de nourrir les animaux et nettoyer les cages n'ont pas changé pour donner aux animaux une routine simple. Les premières reproductions ont été effectuées en accouplant les mâles naturellement plus agressifs avec les femelles les plus dociles. Bien sûr, ces informations sont données à titre purement informatif: il est tout à fait interdit et dangereux de capturer des animaux sauvages pour les ramener chez soi (voir notre article :"Rats sauvages et risques de leptospirose") !
Une bonne gestion du cheptel nécessite deux critères: la capacité pour l'éleveur de reconnaître les individus d'une part, et la tenue d'un registre complet et mis à jour d'autre part. Dans le cas d'animaux vivant dans des cages individuelles, la reconnaissance des spécimens se fait pas le biais de pancartes accolées à chaque cage comprenant les informations de base de l'animal (son nom et/ou son numéro, sa date de naissance, son sexe, ses parents). Mais dans le cas d'animaux grégaires ayant besoin de vivre en groupes, la situation devient plus complexe.
En fonction de l'espèce animale choisie, plusieurs solutions d'identification sont possibles: le baguage (généralement utilisé sur les aviaires), le puçage, le tatouage ou même l'étiquetage. Toutes ces solutions supposent que l'animal est d'une espèce suffisamment grande. Lorsqu'il est question d'un animal de tout petit gabarit, comme un petit rongeur, il est possible de ruser: raser une partie du corps de l'animal selon une forme ou un emplacement unique pour chacun, utiliser du colorant (ces deux techniques ne durent pas et doivent être entretenues régulièrement: solution peu adaptée dans le cas d'animaux peu dociles), prendre en photo les particularités physiques de l'animal (marquage particulier, par exemple)... Les souris de laboratoire sont ainsi identifiées par le biais de bagues d'oreilles, de tatouages sur la queue ou de poinçons aux oreilles, comme le montre cette illustration issue de l'Université Johns Hopkins.
Les spécialistes de l'élevage d'aulacodes suggèrent de maintenir dans le registre une fiche pour chaque saillie effectuée comprenant certaines informations telles que:
* l'âge minimum et le poids de la femelle au premier accouplement
* l'age minimum et le poids du mâle au premier accouplement
* le taux de fertilité du couple
* la durée de la gestation
* l'âge de la femelle à la première mise-bas
* le nombre de bébés par portées
* le nombre de bébés morts-nés
* le poids moyen des bébés nouveaux-nés
* le poids moyen au sevrage des petits
* le taux de mortalité des petits jusqu'au sevrage
Helen Dean king (1913) présente sa technique d'identification des rats. Son expérience a débuté en 1909 avec deux femelles nommées A et B. Ainsi, à titre d'exemple, une rate nommée:
"6B" signifie que cet animal représente la 6e génération issue de la femelle B. Le petit "2" au-dessus signifie qu'il s'agit de la seconde portée de la mère, si ce chiffre est absent on en déduit qu'il s'agit d'une primipare. Le petit "57" en-dessous révèle qu'il s'agit du 57e rat né d'une seconde portée de génération 6.
Belyaev, nous l'avons vu, n'avait qu'un seul critère de sélection: la tolérance à l'humain. Cependant, il a débuté son expérience avec 130 individus. Lorsque le cheptel de départ est réduit, il est important d'adapter aussi les critères de sélection et de rationaliser ses objectifs. Ainsi, la sélection doit s'opérer sur la docilité bien sûr, mais aussi sur la bonne santé et la fertilité des animaux.
Les expérimentateurs de l'élevage d'aulacodes suggéraient de mettre l'accent sur la docilité des mâles ainsi que sur leur poids à l'âge de la maturité sexuelle. Des tests de docilité étaient effectués au sevrage sur leur tolérance à l'humain et leur sociabilité avec les congénères. Les mâles ne répondant pas à ces critères étant éliminés de la sélection. Pour les femelles, l'élevage d'aulacodes prônait la mise en avant de la bonne fertilité: une femelle était considéré infertile et écartée de la sélection au bout de 3 saillies infructueuses.
Les aulacodes étaient reconnus domestiqués lorsqu'ils montraient certaines caractéristiques:
* ils n'étaient plus effrayés et mangeaient en présence de l'humain
* ils étaient manipulables par la main de l'homme et mangeaient dans sa main
* ils se reproduisaient en captivité avec un certain succès reproductif
Comme nous l'avons vu, la domestication suppose des traits morphologiques, physiologiques et comportementaux uniques à l'animal domestiqué en comparaison avec le même animal sauvage. Ainsi, les moutons et les chèvres domestiques ont subi des modifications dues à la sélection par rapport à leurs ancêtres sauvages: diminution du dimorphisme sexuel, diminution de la taille du cerveau, diminution de la taille du corps et des cornes et changement de forme de celles-ci ainsi que des changements dans la couleur du pelage.
Morey identifie ainsi des sous-produits de la sélection comme la pédomorphose: la conservation des traits juvéniles par des adultes, plus facilement visibles dans le cas d'animaux issus d'élevages d'agrément.
Dans le cas de l'expérience de Belyaev avec ses renards, il a pu constater des changements morphologiques et physiologiques apparus entre la 8e et la 10e génération de renards sélectionnés: notamment l'apparition de spécimens nains ou au contraire géants, le changement de couleur du pelage (apparition du marquage "pie") et l'apparition de marquages blancs (à commencer par une étoile sur le front) probablement dus à la perte de la nécessité de camouflage. Les poils sont devenus ondulés, voire même plus longs (angora). Enfin, les queues et les oreilles ont aussi évolué: les queues ont rétréci suite à une diminution du nombre de vertèbres et elles se sont "enroulées". Les oreilles quant à elles se sont penchées sur le côté de la tête.
Après 15 à 20 générations, les pattes se sont raccourcies et les mâchoires ont évolué vers un nombre croissant de prognathisme ou de brachygnathisme. Mais ces malformations restaient tout de même assez rares. Enfin, le répertoire vocal des renards a changé, comme s'il restait certaines survivances des appels de bébés chez des adultes.
Physiologiquement, Belyaev a pu constater la disparition du rythme saisonnier de la reproduction des renards ainsi qu'un nombre de bébés par portées plus élevé. Les bébés domestiqués répondaient aux stimulus auditifs plus tôt et ouvraient les yeux plus tôt que leurs homologues sauvages. Leur réponse au stress et à la peur était aussi plus tardive.
Sources:
Agrodok: "L'élevage familial d'aulacodes"
Department of Animal Sciences, Université de l'Illinois: Kukekoa Lab
New-York Times: "Mice and rats: maybe it's all in the genes"
"Early canid domestication: the farm-fox experiment" par Lyudmila N. Trut
Revue Nature: "The genomic signature of dog domestication reveals adaptation to a starch-rich diet"
Journal of Zoology, Cambridge: "The role of unconscious selection in the domestication of sheep and goats"
Iserm: "Définition de l'animal de laboratoire"
"Animal certifié conforme: déchiffrer nos relations avec le vivant", par Bernadette Lizet et Jacqueline Milliet
Supagro: "Des espèces sauvages aux races et lignées"
Cahiers agricoles: "Domestication de nouvelles espèces et développement durable de la pisciculture"
"Some anomalies in the gestation of the albino rat (mus norvegicus albinus)"