la Chanson de CRAONNE

3

C'est malheureux d'voir sur les grands boul'vards

Tous ces gros qui font leur foire ;

Si pour eux la vie est rose,

Pour nous c'est pas la mêm' chose.

Au lieu d'se cacher, tous ces embusqués,

F'raient mieux d'monter aux tranchées

Pour défendr' leurs biens, car nous n'avons rien,

Nous autr's, les pauvr's puretins.

Tous les camarades sont enterrés là,

Pour défendr' les biens de ces messieurs-là.

1

Quand au bout d'huit jours, le r'pos terminé,

On va r'prendre les tranchées,

Notre place est si utile

Que sans nous on prend la pile.

Mais c'est bien fini, on en a assez,

Personn' ne veut plus marcher,

Et le cœur bien gros, comm' dans un sanglot

On dit adieu aux civ'lots.

Même sans tambour, même sans trompette,

On s'en va là haut en baissant la tête.

2

Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance,

Pourtant on a l'espérance

Que ce soir viendra la r'lève

Que nous attendons sans trêve.

Soudain, dans la nuit et dans le silence,

On voit quelqu'un qui s'avance,

C'est un officier de chasseurs à pied,

Qui vient pour nous remplacer.

Doucement dans l'ombre, sous la pluie qui tombe

Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes.

Adieu la vie, adieu l'amour,

Adieu toutes les femmes.

C'est bien fini, c'est pour toujours,

De cette guerre infâme.

C'est à Craonne, sur le plateau,

Qu'on doit laisser sa peau

Car nous sommes tous condamnés

Nous sommes les sacrifiés !

Adieu la vie, adieu l'amour,

Adieu toutes les femmes.

C'est bien fini, c'est pour toujours,

De cette guerre infâme.

C'est à Craonne, sur le plateau,

Qu'on doit laisser sa peau

Car nous sommes tous condamnés

Nous sommes les sacrifiés !

Ceux qu'ont l'pognon, ceux-là r'viendront,

Car c'est pour eux qu'on crève.

Mais c'est fini, car les trouffions

Vont tous se mettre en grève.

Ce s'ra votre tour, messieurs les gros,

D'monter sur le plateau,

Car si vous voulez faire la guerre,

Payez-la de votre peau !