C’est mon histoire, l’histoire d’une femme européenne, et tout d’abord d’une petite fille née dans la Hongrie communiste des années 80. Fille de deux chercheurs qui (non-affiliés) au parti ne pouvaient pas continuer leurs recherches là-bas. C’était la perestroïka, avec ma famille on a pu partir vivre en Autriche quand j’avais 3 ans, de là on est partis en Allemagne puis 2 ans après à Bruxelles. On pouvait partir légalement mais je me souviens de longues heures que nous avons passées aux différents consulats et autres offices de la population pour obtenir les visas nécessaires puis des heures d’attente à la frontière.
En 1989, j’étais à Bruxelles, dans une école allemande en classe équivalent CE1 au moment où la Hongrie a ouvert sa frontière pour laisser passer les Allemands de l’Est vers l’Ouest. C'est à ce moment qu'on entendra parler pour la première fois d'un certain jeune homme fougueux et téméraire, qui a été le premier à scander « les Russes dehors » sur la tombe d’un martyr de la révolution de 1956 en Hongrie, il s’appelait Viktor Orbàn. Il était jeune, intelligent et faisait de très beaux discours puis il est parti en Angleterre étudier avec une bourse payée par Soros, ensuite il a formé son parti, les jeunes démocrates (le FIDESZ, qu’il dirige toujours aujourd’hui).
Mais revenons-en à moi, à Bruxelles en 1989, siège de la CEE, l’effervescence était énorme, à mon école on chantait l’ode à l’Europe tous les matins pendant un mois, et j’ai appris un poème hongrois sur la liberté des peuples que j’ai récité devant les quelques 200 élèves, c’est un des souvenirs les plus marquants de mon enfance.
Le mur est tombé, un vent de liberté soufflait sur l’Europe, avec mes parents nous avons déménagé à Strasbourg où j’ai habité encore 2 ans, j’étais à l’école internationale Robert Schumann dans un cycle franco-allemand, j’y ai appris le français. Puis on est rentré, mes parents pleins d’espoirs en Hongrie, j’avais 10 ans. J’y ai passé toute mon adolescence au lycée français de Budapest, la ville changeait à vitesse grand V. Des centres commerciaux ont ouvert, les infrastructures se sont modernisées, les touristes se sont démultipliés. C’est juste les wagons du métro qui sont toujours les mêmes que ceux de Moscou.
Puis après mon bac je suis revenue en France pour mes études supérieures, c’était l’an 2000, j’avais une carte de séjour à renouveler tous les ans, cela ne prenait pas une demi-journée mais quand même un certain temps. Une fois sur deux les gens à qui j’expliquais ma situation me demandaient, mais la Hongrie n’est pas dans l’Europe ? Et je leur répondis : si la Hongrie est bien en Europe mais ne fait pas partie de l’Union Européenne.
J’ai intégré l’ENS, une école prestigieuse en 2002 où les élèves reçoivent un salaire, or je ne pouvais pas en recevoir, car je n’étais pas européenne, je trouvais cela un peu injuste, j’avais le droit de passer le concours (intégralement en langue française bien entendu) et d’être acceptée mais pas de recevoir le même traitement que les autres. J’avais une bourse, mais de montant inférieur et pas le même statut que mes collègues.
Finalement en 2004, à 22 ans, la Hongrie entre dans l’Union européenne et je deviens européenne, plus de carte de séjour, un salaire les choses se normalisent en France pour moi, je continue mes études et commence ma thèse en neurosciences, en collaboration entre un laboratoire parisien et un laboratoire londonien.
Mais à partir de 2008 et du krach boursier c’est en Hongrie que les choses se compliquent, beaucoup de personnes ont tout perdu, car ils avaient acheté leur logement en prêts en devises (en CHF) et le Forint, la monnaie locale, s’écroule et ils se retrouvent fortement endettés, devant rembourser bien plus que le montant emprunté initialement. Puis en 2010, un certain Viktor Orbàn est réélu. En parallèle, je termine ma thèse au Collège de France et commence mon travail de chercheur à l’Université de Genève, j’habite en Haute-Savoie depuis 2010. Je me suis mariée avec un citoyen français fin 2012 et nous avons deux enfants.
La politique hongroise prend un tournant autoritaire inquiétant, le gouvernement modifie les circonscriptions électorales pour augmenter leurs chances de réélection, puis progressivement la politique nationaliste se durcit depuis 2015 et l’afflux des migrants (qui après la Serbie entrent en Hongrie et depuis le règlement de Dublin III ils doivent déposer leur demande d’asile dans le premier pays européen dont ils franchissent les frontières, hors Grèce). Orban se retourne contre l’Europe qui ne protège pas assez la Hongrie et impose trop de règlementations à ce pays. Il est réélu en 2014 puis en 2018 et a toujours plus du 2/3 des sièges au parlement hongrois.
Petit à petit le régime durcit sa politique nationaliste et pas toujours démocratique et certains journaux d’opposition sont fermés sans préavis, le gouvernement contrôle maintenant une partie des médias. Ils s’attaquent même aux universités et depuis janvier 2019 à l’académie des sciences, lentement et méthodiquement qui menace maintenant de toucher ma famille proche directement, qui réside toujours à Budapest.
Et c’est là que moi, vivant en France, voyant cela de loin me dis qu’il est temps que je m’investisse en politique et pour l’Europe, pour cette union qui m’a construite au cours de ma vie, j’ai habité parfois dedans, parfois à côté, pendant un temps souffrant de ne pas en faire partie, puis en en faisant partie mais souffrant de la politique de mon pays… C’est pour cela que je m’engage maintenant, pour une politique européenne forte, inclusive, sociale et écologique : en tant que scientifique la lutte contre le réchauffement climatique est une problématique essentielle pour moi. et laissez-moi juste terminer en disant que la Hongrie n’est pas que Orbàn, la Pologne n’est pas que les frères Kaczyński. Même si l’opposition n’est pas toujours bien structurée dans ces pays, pour le connaitre de l’intérieur et connaitre beaucoup de monde qui y habite, beaucoup, beaucoup sont contre le système actuel et pour l’Europe et que l’Europe a aussi une part de responsabilité dans la situation actuelle de ces pays.
Je m'engage pour préserver et développer une Union Européenne démocratique, sociale et progressiste pour tous les européens.