AU SUJET D'UNE CRITIQUE DE LA TRIBUNE DE LAUSANNE
"[...] Je t'adresse une critique de la "Tribune de Lausanne" sur "La Voie Lactée". J'ai fait un certain scandale avec mes chœurs qui ont fait très bon effet malgré que, en raison de la difficulté, "La Mutuelle" ait eu quelques vacillements d'intonation sans grande importance du reste. Hug qui dirigeait cette société m'a du reste dit que ces troubles étaient accidentels. La salle était surchauffée. Il y avait 1000 auditeurs environ et puis c'était une atmosphère de combat, chargée d'électricité. "Le Coup de Joran" a eu pour lui le suffrage du public. Il a été très applaudi. Émile Lauper, le compositeur, m'a chaudement félicité. Il en a trouvé l'exécution très intéressante. Pour moi cette expérience est excellente. J'ai bien retrouvé dans "La Voie lactée" tous les effets de sonorité que j'ai désirés en la composant. Je suis en passe de devenir célèbre dans le pays, avec une certaine teinte de bolchéviste musical. Je suis enchanté de tout le tapage que je fais et des discussions passionnées que ma musique provoque dans le monde des chanteurs qui sont de "grands enfants" pas bien méchants. Comme tu le vois, la "tribune de Lausanne" me lance l'excommunication majeure. [...]"
(Mai 1924)
LE GRAND JULES MARMIER
"[...] J'ai connu Jules Marmier sur le tard et de vue, surtout. Je le vois grand et mince, avec sa canne, et le regard déjà fixé sur l'Au-Delà. Il menait de front plusieurs professions et je me demande comment il trouvait encore le temps de se promener chaque jour, toujours à la même heure,[...].
J'ai sous les yeux son manuscrit d'"Alcool et Petite ville" ou "Alcool vu du Clocher", œuvre écrite à la plume à bec, de sa petite écriture sûre et rapide. C'est beau, c'est wagnérien. Et quel travail! [...]
Bien avant l'âge scolaire, je chantais cette merveilleuse chanson extraite de "Jésus et le Centenier" de mon grand-papa, que Jules Marmier avait mise en musique et qui commence ainsi: "Est-il vrai que des voix d'anges te berçaient, Jésus petit?". Cette chanson est tellement géniale que je l'ai enseignée à des milliers de petits élèves lors de mes cours de rythmique dans les écoles, et qu'ils en étaient enthousiasmés. Par cette seule mélodie Jules Marmier aurait pu devenir célèbre. Il est vrai qu'au surplus, il était un organiste de tout premier ordre. Ah! que souvent Maman nous a parlé de l'instant solennel des sorties de grand'messes, quand le Maître Marmier faisait retentir les voûtes de la collégiales de la fameuse "Toccata et fugue en ré mineur" de Jean-Sébastien Bach! C'était comme un tonnerre, et les gens ne se décidaient plus à partir. [...]"
(Jacqueline Thévoz, petite-fille de Louis Thurler, in "Le Républicain" du 19 octobre 1989).
à l'occasion de l'inauguration de la plaque commémorative
"[...] Le chœur mixte St-Laurent! Aucun ensemble vocal ne fut aussi proche de mon père, pendant les 23 années durant lesquelles - de 1915 à 1938 - il tint les orgues de la Collégiale, avant qu'il en remette les clefs à M. Bernard Chenaux, son prestigieux successeur [...]
Et les enfants d'Estavayer! Souvent mon père les a fait chanter jadis. N'était-il pas un disciple fervent du grand musicien romand d'alors, Emile Jaques-Dalcroze [...].
La carrière de compositeur de mon père, elle, a été - on l'a rappelé - étroitement liée à celle de dramaturge du Docteur Louis Thurler, le médecin au diagnostic très sûr et au dévouement sans limite, qui était aussi un écrivain au stye chatoyant et un poète délicieux. La chance de mon père, son ami, fut d'être son collaborateur musical dans cinq pièces populaires, dont quatre furent montées au "Casino-théâtre" d'Estavayer avec le concours enthousiaste de la population staviacoise toute entière.
Durant la guerre 1914-1918, et au delà, cette amicale collaboration continua, mais sous une forme un peu différente: Cantate, rhapsodie, ballade et chœur succédèrent aux œuvres scéniques. A cette époque remontent mes souvenirs de la musique paternelle, associée aux étincelantes périodes du Docteur Thurler:
"La Cantate" de 1915, pour le jubilé du Doyen Joseph-Alfred Dévaud, dont le baryton solo était le Président Jospeh Kaelin.
"La Rhapsodie staviacoise", en 1920, à l'occasion d'une fête cantonale de chant, où trois solistes staviacois furent très remarqués [...].
Dès 1930, mon père renonça à la composition d’œuvres d'envergure et à l'enseignement. Il consacra son temps libre à son piano et à ses violoncelles. Sous ses doigts agiles, le romantisme de Chopin, de Schumann, de Liszt - et d'autres - s'échappait souvent, par la fenêtre entr'ouverte, se mêlant aux bruits familiers de la Rue de la Gare.
Enfin vint le temps de "la longue patience". Privé de la vue dès 1954, mon père en fut réduit à la seule audition, par la radio et par le disque. Durant les vingt années de sa cécité, et jusqu'à son dernier souffle, il garda, avec l'oreille parfaite, le grand amour de la Musique. Il y puisa le réconfort. Jamais exclusif, il ne cessa de les écouter tous, de les admirer, les anciens comme les modernes, sans être rebuté jamais par les audaces de ces derniers quand elles étaient "de valeur".
[...] La Musique fut pour mon père, une grande raison de vivre et d'espérer.[...]
(Discours prononcé par Jean Marmier, fils de Jules, à l'occasion de l'inauguration de la plaque commémorative, le 21 octobre 1989)