Les Ecrits d’Etty Hillesum - Extrait du Cahier neuf
On peut nous rendre la vie assez dure, nous dépouiller de certains biens matériels, nous enlever une certaine liberté de mouvement tout extérieure, mais c’est nous-mêmes qui nous dépouillons de nos meilleures forces par une mauvaise disposition d’esprit. En nous sentant persécutés, humiliés, opprimés. En éprouvant de la haine. En crânant pour cacher notre peur. On a bien le droit d’être triste et abattu, de temps en temps, par ce qu’on nous fait subir ; c’est humain et compréhensible. Et pourtant, la vraie spoliation c’est nous-mêmes qui nous l’infligeons. Je trouve la vie belle et je me sens libre. En moi des cieux se déploient aussi vastes que le firmament au-dessus de moi. Je crois en Dieu et je crois en l’homme, j’ose peu à peu le dire sincèrement, sans fausse honte. La vie est difficile mais ce n’est pas grave. Il faut commencer par prendre au sérieux son propre sérieux, le reste vient tout naturellement. « Travailler à soi-même », ce n’est pas faire preuve d’individualisme morbide. Si la paix s’installe un jour, elle ne pourra être authentique que si chaque individu fait d’abord la paix en soi-même, extirpe tout sentiment de haine pour son prochain, pour quelque race ou quelque peuple que ce soit, ou bien domine cette haine et la change en autre chose, qui n’est plus de la haine, peut-être même à la longue en amour – ou est-ce trop demander ? C’est pourtant la seule solution.
(La lecture des écrits d'Etty Hillesum a beaucoup compté pour Jean-Pierre. Il est retourné à ce livre dans les derniers jours de sa vie.)