Louis Dorlac

ou l'itinéraire d'un héros ordinaire...

Fils d’Anne Clapasson, cuisinière et de Louis Dorlac, cocher, Louis naît le 22 novembre 1900 à Marigny en Auxois dans l’Aisne. Garagiste puis directeur de cinéma à La Ferté sous Jouarre à partir de 1926, c’est dans cette ville que Louis rencontre l’amour sous les traits de Jeanne, de 8 ans sa cadette, venue assister à une séance cinématographique. Il a 26 ans, elle en a 18. Ils se marient et donnent naissance à une petite Jacqueline, le 2 juillet 1928.

Farouchement gaulliste, Louis entre en résistance le 1er juillet 1941, « ne pouvant pas accepter ça ».

Chef de la résistance de la Ferté sous Jouarre, affilié au réseau Hector des FFC (Forces Françaises Combattantes), Louis, avec l’aide de ses compagnons de résistance, réceptionne les parachutages, cache des juifs et les réfractaires au STO dans les fermes avoisinantes, et leur fournit des faux papiers. Ceux-ci sont fabriqués par un gendarme de leur réseau.

Dénoncé, il est arrêté le 15 mars 1943, torturé rue Lauritson avant d’être interné à Compiègne.

En date du 23 mars, il écrit à sa famille :

« Chères Jeanne, Jacqueline et Maman,

Je suis interné à Compiègne. Envoyez-moi le plus tôt possible chaussures, rasoir mécanique, savon à barbe, du tabac. Déposez le colis chez Toubon, 3 rue de Beauvais à Compiègne. Attendez d’autres nouvelles. Pour l’instant, il nous est interdit de recevoir du courrier ou des visites.

Bons baisers, à bientôt, tout va bien. Bonjour à André et aux amis. »

Déporté ensuite au camp de Mauthausen sous le numéro de matricule 27985, il y reste du 22 avril au 2 juin 1943. A cette date il est transféré dans un camp annexe de Mauthausen qui a été créé ce même mois de juin : le Loibl Pass.

Ce camp est en réalité composé de deux camps situés de part et d’autre du massif du Karawanken. L’objectif des Allemands est de creuser un tunnel entre les deux camps, reliant ainsi l’Autriche à la Yougoslavie / Slovénie pour faciliter l’avancée et le transport des militaires. Les déportés détenus dans ces camps creusaient ce tunnel routier pour le compte de l’entreprise Universale Hoch-und Tiefbau.

Le 7 mai 1945, ordre leur est donné par les SS de traverser le tunnel pour rejoindre leurs camarades de l’autre camp. Terrifiés, Louis et les autres déportés obtempèrent, persuadés que la mort les attend à la sortie du tunnel. Le chef de camp a reçu la consigne de se débarrasser de ces détenus devenus gênants…mais voyant la défaite allemande et souhaitant porter à son crédit le « sauvetage » des déportés du camp, il ne donne pas l’ordre d’exécution. Le 8 mai 1945, le camps est libéré.

Récupéré par l’armée anglaise, Louis est emmené en train en Italie, où il est soigné par des sœurs moniales. Le 19 mai, il écrit pour donner de ses nouvelles :

« Mes chers enfants,

Enfin sur le chemin du retour. J’espère que dans une quinzaine de jours je serai à La Ferté sous Jouarre. Je suis en ce moment en Italie à Rome dans un camp et nous allons prendre le bateau pour Marseille. Enfin j’espère que Maman, Jacqueline et toi vous êtes en bonne santé. Quant à moi je suis bien portant, un peu fatigué par le voyage en camion, par le train et à pied. Quand je serai à Marseille je te téléphonerai si je peux.

A bientôt, des grosses bises à tous. »

Le rapatriement est cependant plus long que prévu. Le 1er juin, il rédige la lettre suivante :

« Ma chère femme, ma petite Jacqueline et ma mère adorée,

Je pensais comme je t’avais écrit de Rome être à La Ferté sous Jouarre pour le début de juin, mais pour le moment nous sommes à Naples dans un camp de rapatriement pour Marseille mais il n’y a pas de bateau. Pour le moment, nous attendons. Le premier bateau paraît-il est pour nous. J’espère que dans une quinzaine de jours nous serons en France pour mieux nous expliquer de vive voix et de vous embrasser et de vous tenir enfin dans mes bras depuis 2 ans et demi sans savoir, enfin, presque rien. J’espère que vous êtes toutes les trois en bonne santé.

A bientôt. De grosses bises et gros baisers à toutes les trois. »

Acheminé par bateau jusqu’en France, il ne rentrera rejoindre sa femme Jeanne et sa fille Jacqueline qu’en juillet 1945. Avertissant de son retour, c’est au bar du quartier pourvu d’un téléphone que Jeanne et Jacqueline l’entendent dire « et bah on les a eus !». Mesurant 1 mètre 74, Louis rentrera en France pesant 39 kilos…

Le général de Gaulle, président du gouvernement provisoire de la république française, par le biais du général Juin, signe le papier suivant :

« Louis Dorlac, FFC, Organisateur dès 1941 de la Résistance à La Ferté sous Jouarre, fut arrêté et déporté en 1943. N’a jamais parlé malgré les coups et les tortures».

Il reçoit la croix de guerre 1939 avec Etoile de Bronze en 1946.

Ce tunnel creusé par Louis et ses compagnons est toujours en fonction, la société Universale Hoch-und Tiefbau existe encore et sur le site du camp du Loibl Pass a été construit un hôtel dans les années d'après-guerre. Aujourd'hui détruit, on trouve sur son emplacement une aire de repos.

Jacqueline, mariée à Roger, met au monde deux fils qu’elle prénomme : Patrice (Patrie) et Françis (France), rappelant ainsi le combat de son père.

Louis Dorlac meurt le 25 décembre 1963. Sur sa tombe figure la mention délivrée par l’administration française :

« Mort pour la France ».

Louis Dorlac lors d'une réunion d'anciens déportés.

Jeanne écrit à son petit-fils Patrice :

"Mon Patrice,

Etant l’aîné, je te laisse les papiers en garde, tu pourras les consulter et tu verras que ton pépère avait fait son devoir de français. J’espère qu’un jour si tu as un fils tu lui laisseras ce dépôt en garde, et qu’il y aura toujours dans la famille un enfant pour les conserver en souvenir.

Au cas où Dieu t’appellerait à d’autres devoirs que de fonder une famille, j’espère que Françis prendrait la relève, et garderait ces reliques.

Si je me sens le courage, un jour, je rédigerai un résumé de l’arrestation et de la détention de ton pépère ; non pas pour t’apprendre la haine, car si justement l’on pratiquait le pardon des offenses, peut-être n’y aurait-il plus de guerres. Il est sûr que les premiers temps après son retour, je ne t’aurais pas parlé ainsi ; d’abord, tu étais trop jeune pour comprendre et mes idées n’avaient pas assez évolué.

Mais aujourd’hui, l’âge m’ayant assagie, je n’oublie pas toutes les souffrances inhumaines qui ont été infligées à ton pépère et à beaucoup d’autres hommes, mais je ne ressens plus aucune idée de vengeance ou de représailles.

Je souhaite seulement que jamais plus cela soit possible, malgré tout ce qui se passe encore dans le monde.

Ta mamie "

Louis DORLAC était mon arrière-grand-père

Audrey LONGPRES-RAILLOT