Éléments en faveur d'une réforme de l’enseignement supérieur en France (le 1er décembre 2018)
La “massification” de l’enseignement qui s’est opérée depuis les années 1980 est certainement une bonne chose, à terme profitable à la société dans son ensemble. Cependant, la transition entre le secondaire et le supérieur pose toujours des problèmes récurrents. Elle correspond, dans l’état, à une période excessivement - et inutilement - anxiogène, aussi bien pour les familles que pour les futurs étudiants eux-mêmes. Il suffit de constater le nombre de débats, de toute nature, associés aux ex-APB, dorénavant ParcourSup de l’année 2018. Se posent alors diverses questions liées (i) à l’élaboration d’un parcours de formation, (ii) à la diversité de l’offre, pas forcément bien “lisible”, aussi bien par les parents que par les futurs étudiants, (iii) aux possibilités de modifications de parcours, ainsi que (iv) aux mécanismes de sélection, et à leur pertinence. La énième réforme du bac qui se mettra en place dès la rentrée 2019 apporte déjà son lot d’incertitudes et d’émoi, aussi bien dans le secondaire que dans les filières qui devraient accueillir ces futurs bacheliers.
Notre premier souhait est celui d’un “lycée apaisé” qui se concentre sur la médiation des “savoirs fondamentaux” sur une palette large, des “humanités” aux sciences et technologies, tout en permettant de continuer à s’épanouir aussi, en parallèle, dans les arts, les sports, les activités associatives et autres formes d’“engagements citoyens”. Il doit fondamentalement aider les 15-18 ans à rentrer progressivement dans l’âge adulte, tout en leur permettant de commencer à élaborer leur parcours de façon sereine et mûrie.
Compte tenu de la massification de l’enseignement jusqu’au bac, au moins, il est aussi permis d’envisager que, mécaniquement, il soit légitime de décaler dans le temps le moment crucial d’un choix de parcours pour qu’il soit, in fine, suffisamment réfléchi, et en adéquation à la fois avec ses aspirations et ses capacités à l’étude, en terme d’engagement et d’endurance. Ce sont des données qui sont certainement mal maîtrisées par la plupart des lycéens, voire même par la grande majorité des étudiants déjà dans les premières années du supérieur - voire même aussi au sein des filières les plus sélectives !
La poursuite d’études que peut revendiquer légitimement tout bachelier peut certainement se mettre en œuvre en adoptant un schéma unique, tout en préservant les filières les plus sélectives, nécessitant un fort engagement et conduisant à l’acquisition de compétences, indispensables, de (très) haut niveau et spécialisation, au-delà du L et ce jusqu’au doctorat. Il est aussi légitime de se poser la question de quand et comment procéder à ces sélections, au-delà des schémas traditionnels, toujours à l’œuvre et qui n’ont que peu évolué, tandis que la massification de l’enseignement s’est inexorablement installée durant ces trente dernières années.
Notre stratégie consiste à mettre les universités au cœur du dispositif, en s’appuyant sur les licences (L) qui constituent, depuis 2003, les trois premières années de l’enseignement supérieur.
Nous proposons aussi de reporter l’accès aux filières sélectives au-delà du L, soit à bac+3.
L’accès en L sera non-sélectif et basé sur un choix initial, large, effectué par les lycéens : lettres, droit, sciences politiques et/ou économiques, sciences fondamentales ou appliquées, ingénierie, professions de santé etc. Les années de “L0” seront maintenues, voire encore développées, pour faciliter aux plus fragiles et/ou indécis la transition du secondaire au supérieur, aussi bien du point de vue de l’“affinage” de leurs choix thématiques que des attendus de l’enseignement supérieur.
En plus d’un support à l’élaboration plus approfondie d’un parcours, les années de L constitueront aussi une période de montée en puissance graduelle et raisonnée en ce qui concerne le “volume de travail” à y développer, ainsi que les méthodologies et l'autonomie à acquérir.
Les choix cruciaux concernant l’élaboration de leur parcours seront alors demandés à une population ayant la vingtaine, plus de maturité, et ayant bénéficié de plus de temps, voire d’expériences, pour se déterminer dans de meilleures conditions qu’à l’issue du lycée.
Il s’agira alors, nécessairement, de renforcer très significativement l’encadrement et les moyens des universités au moins durant les années L1 et L2.
Notre nouveau dispositif prévoit aussi l’extinction des CPGE compte tenu de l’utilisation exclusive des L des universités au-delà du lycée et de la très petite population de ces classes. Les enseignants des CPGE se verront proposer un emploi de type PRAG au sein des L des universités, avec des possibilités d’évolution vers des activités de recherche, l’accès au doctorat, voire la possibilité d’enseigner en M.
Les “grandes écoles” actuelles deviendront alors des “masters professionnels” (MP) formant des ingénieurs techniques et/ou commerciaux à L+2. Ils recruteront (sur dossier et entretiens) compte tenu de la qualité du parcours en L des candidats, ainsi que de la validation de requis spécifiques proposés entre L1 et L3. Leur volume de recrutement devra être en adéquation avec les besoins périodiquement exprimés par les filières concernées (aéronautique, informatique, génie civil, commerce international, etc.). Les MP auront la possibilité de développer une année “MP+” (à L+3) pour apporter, le cas échéant, plus de spécialisation à certains. On encouragera aussi ces étudiants, à l’issue de leur MP (à L+2), à étudier une année supplémentaire en M2, pour s'initier aux méthodologies de la recherche, et éventuellement accéder au doctorat.
Les études de santé (médecine, pharmacie, dentaire, vétérinaire) s’appuieront également sur un vivier d’étudiants qui auront suivi des L à coloration “professions de santé” et proposant, en plus de la formation académique indispensable - en relation étroite avec les filières “sciences de la vie” plus générales - de 6 à 12 mois de stages pratiques en milieu hospitalier répartis sur le cycle. En plus des 8 ans de LMD, les professions de santé bénéficieront également d’une offre de prolongation d’études à D+2 ou 3, permettant les spécialisations de très haut niveau.
Les universités veilleront à ce que le maximum de passerelles soient disponibles entre années et filières au sein de leurs L, ainsi que vers les licences professionnelles (LP), pour ceux qui ne souhaiteraient finalement pas se projeter vers des études trop longues.
Il est envisageable, dans un premier temps, de conserver les filières professionnalisantes courtes de type IUT et BTS existantes, mais avec un objectif de “dissolution” de ces dernières dans des “licences professionnelles” (LP) basées sur un cursus à bac+3 également (de fait ~ 50% des BTS poursuivent leurs études, ainsi que la plupart des DUT). L’accès à ces filières sera cependant donné en priorité aux bacheliers “pro” et “techno”, avec une capacité d’accueil en adéquation avec le volume de ces derniers ainsi qu’avec les besoins des filières professionnelles concernées. Ces bacheliers seront aussi potentiellement éligibles aux L plus généraux, via les passerelles “L0”.
Des citoyens du savoir et du savoir-faire : la (relative) "détente" amenée par l’utilisation de ce cycle de 3 ans devrait aussi permettre de demander à chacun un véritable “engagement citoyen” en parallèle à ses études (au sein des armées, de la protection civile, dans les centres de soins, milieux associatifs, fédérations diverses, etc.).
Au-delà du L, l’Université conservera, via son offre de “M” son identité comme lieu de tous les enseignements fondamentaux et de lieu privilégié pour accéder à la recherche, dès le cycle “D”. L’éventuelle sélection pour l’accès aux M sera sous la responsabilité de chaque filière, compte tenu de ses “requis” et des besoins de formation exprimés par les acteurs concernés.
La délivrance des doctorats restera à la seule Université ; nous suggérons, par ailleurs, que l’accès aux “grands corps de l’État” et à la “haute fonction publique” soit assujettie à l’obtention d’un doctorat dans une discipline directement liée aux activités du candidat.
En résumé
La licence (L) au sein des seules universités brassant l’ensemble des 18-20 ans issus des bacs, devient le dispositif central et “universel” permettant d’élaborer un parcours à la fois sereinement et sérieusement, sur un cycle de 3 ans et aux alentours de la vingtaine.
cf. draft d'un schéma d'organisation
Contact : enssupl3@gmail.com
Quelques chiffres (source : MEN/DEPP)
675 600 nouveaux bacheliers en 2018
bacheliers généraux : 359 100 (53%)
52% en S
33% en ES
15% en L
bacheliers “pro” : 178 400 (26%)
bacheliers “techno” : 138 100 (21%)
Répartition des “nouveaux entrants” post-bac (rentrée 2017-2018) :
Universités : 340 000 (81% généraux, 12% techno, 4% pro)
BTS : 134 000 (35% techno, 30% pro, 17% généraux)
IUT : 52 200 (65% généraux, 30% techno, 2% pro)
CPGE scientifiques et commerciales : 42 700 (70% S, 14% ES, 8% L, 6% techno.)
autres (privé, autres “écoles”...)
total 1+2+3+4 ~ 84% des nouveaux bacheliers.
Autres références
Le choc démographique dans l'enseignement supérieur (Terra Nova)
Une tribune intéressante de M. Andler