INFINITISME

BK - 2014

{Introduction}

Le lien entre l'art et l'immatérialité n'a vraisemblablement pas d'âge, mais au cours du XXème siècle, il a considérablement été approfondi. Particulièrement, avec l'art conceptuel, selon lequel le concept d'une œuvre prévaut sur sa réification, l'art s'ancra irrémédiablement dans l'immatérialité qui revient aux concepts, notions ou idées. Cependant, ce progrès ne fut pas sans provoquer une certaine tension, ou dissonance, entre matérialité et immatérialité. Et celle-ci est encore vive aujourd'hui. Elle se concentre sur la notion de forme et on peut la résumer ainsi : les objets matériels sont généralement, sinon nécessairement, dotés d'une forme déterminée, tandis que les entités immatérielles, elles, ne possèdent aucune forme déterminée. En art conceptuel, cela se traduit par le fait que tout objet matériel apparaît finalement comme inadéquat pour manifester un concept.

Pour apaiser cette tension, l'émancipation vis-à-vis de la forme elle-même peut être envisagée au niveau des oeuvres, mais cela conduit inexorablement à un rejet total de la matérialité. Le rejet total de la matérialité s'est illustrée notamment chez Malévitch dont le suprématisme, qui exprime un monde sans objets, et donc sans formes, le conduisit, après le Carré blanc sur fond blanc, à ne plus exposer que des cadres vides. Également, en art conceptuel, des expositions sans aucun objet exposé, ou encore les Zones de Sensibilité Picturale Immatérielle de Klein se revendiquent uniquement de l'immatérialité.

En ayant réalisé une pleine émancipation vis-à-vis de la forme, l'art atteignit un niveau théorique remarquable. Cependant, c'est un niveau qui lui est difficile de tenir car, à la lumière des exemples précédents, cette émancipation et le rejet total de la matérialité apparaissent comme non viables à long terme. Or, par ailleurs, le niveau théorique atteint est tel qu'il suggère que toute nouvelle œuvre matérielle, victime de ses formes, ne pourra se situer qu'à un niveau théorique inférieur. C'est pourquoi, finalement, des progrès issus de l'art conceptuel à ce propos, il résulte un dilemme ontologi que considérable ; d'une part, l'art est parvenu à s'émanciper des formes matérielles, et ainsi des limites qu'elles imposent, mais d'autre part, afin de ne pas disparaître définitivement dans l'immatérialité, il ne peut faire autrement que de rappeler l'usage de ces formes, et ainsi de se maintenir à un niveau théorique inférieur à celui qui est réellement le sien.

Afin d'évoluer, il convient alors de déterminer un cadre artistique théorique qui permette d'éliminer la dissonance ontologique que nous avons mentionnée, et cela tout en conservant l'usage des formes. C'est l'objet de la conception proposée ici. Celle-ci nous ramène aux fondements pour conférer une portée nouvelle aux formes les plus élémentaires. Ainsi, nous caractériserons d'abord les Occurrances- objets artistiques les plus répandus - dont la forme, appelée Forme Finie, entretient une tension avec l'immatérialité. Puis, nous caractériserons des objets artistiques plus élaborés, les Apparances - très répandus également - dont la structure peut être matérielle, mais dont la forme, appelée Forme Infinie, reste immatérielle en toute circonstance. À travers cette propriété, ces formes n'entretiennent alors aucune tension avec l'immatérialité. Le cadre artistique qui en résulte, que nous appelons Infinitisme, nous invitera ensuite à approfondir le champ de l'abstraction en général.