Un des intérêts de l'équipe porte sur le rôle de l'olfaction dans les premiers comportements du nouveau-né. Nous faisons plus particulièrement l'hypothèse que le foetus en fin de gestation commence à développer un certain nombre de compétences, notamment des compétences olfactives. Ces premières compétences vont l'aider et le guider dans ses "premiers pas" après la naissance, lorsqu'il doit appréhender l'environnement aérien.
L'objectif de cette étude était de voir si le fœtus apprend les odeurs à partir de ce que sa mère mange alors qu'elle l'attend. Deux groupes de nouveau-nés ont été étudiés. Pour l'un, leur mère avait consommé des produits anisées durant les 15 derniers jours de leur grossesse (sous forme de pastilles, de gâteaux ou de sirop). Pour l'autre groupe de nouveau-nés, ce n'était pas le cas. Après leur naissance, ces nouveau-nés ont été exposé à l'odeur d'anis dans les 8 heures suivant la naissance, puis une nouvelle fois dans les 4 jours suivants. Leur réaction a alors été étudiée.
Les résultats de cette étude ont montré plusieurs choses. D'abord, les nouveau-nés dont la mère avait consommé de l'anis ont présenté moins de réactions faciales négatives à cette odeur, notamment quelques jours après être venus au monde; nous l'illustrons dans les deux figures ci-dessous. Ensuite, l'odeur de l'anis en déclenché plus fréquemment des réactions de succions. Finalement, ils restaient plus longtemps à sentir l'anis avant de détourner la tête que les nouveau-nés qui découvraient cette odeur.
Cette étude met en évidence deux choses fondamentales. D'abord, l'enfant commence à apprendre des odeurs dans les semaines qui précèdent sa naissance. Il peut alors les reconnaître après. Ensuite, cet apprentissage influence et oriente ses premiers comportements. Ainsi, sa familiarité avec l'anis diminue les réactions négatives, mais aussi augmente les comportements de succion alimentaire et d'orientation de la tête en direction de la source odorante. Les apprentissages olfactifs intra-utérins constituent donc un socle sur lequel le nouveau-né s'appuie lors de ses premières appréhension de son environnement post-natal.
Une partie importante des recherches de l'équipe porte sur l'enfant de moins d'un an, étudié grâce à une salle spécialement aménagée à cet effet au sein du Centre des Sciences du Goût et de l'Alimentation. De nombreux bébés viennent régulièrement participer à nos études, et nous les en remercions chaleureusement ainsi que leurs parents. Nous présentons une partie des études qui ont été réalisées grâce à eux ci-dessous.
Dans cette étude réalisée en collaboration avec Adélaïde de Heering et Valérie Goffaux (Université de Louvain-la-Neuve, Belgique), l'objectif était de voir si dès 3 mois les enfants présentent une sensibilité particulière aux informations horizontales, comme cela à été montré chez l'adulte par Valérie Goffaux. Nous avons donc présenté à des bébés de 3 mois, côte-à-côte, un visage et une voiture. Nous savions qu'à cet âge les enfants préfèrent les visages; ils les regardent plus longtemps que d'autres objets. Pour déterminer le type d'information utilisée à cet âge, les deux "objets" étaient (1) non modifiés, (2) filtrés de sorte à ce que seules les informations verticales apparaissent, (3) filtrés de sorte à ne laisser apparaître que les informations horizontales, ou (4) les informations verticales et horizontales étaient combinées. Le résultat de ces manipulations est illustré ci-dessous.
Les résultats ont d'abord confirmé qu'à trois mois les enfants préfèrent bien les visages aux voitures, mais uniquement s'ils sont à l'endroit. Cependant, dans ce dernier cas, ils ne préfèrent le visage que si les informations horizontales sont présentes, soit seules, soit en combinaison avec les autres informations (dans le visage non filtré ou qui comprend les informations horizontales et verticales). Ils ne le font plus si seules les informations verticales sont présentes.
Nous pouvons donc conclure que ce qui attire particulièrement l'attention des enfants de cet âge est contenu dans les informations horizontales. Reste à savoir en quoi consistent précisément ces informations.
Dans cette étude, nous avons voulu savoir dans quelle mesure l'odeur de la mère influence les comportements d'exploration visuelle de son enfant. Les enfants avaient 4 mois. Avant qu'elles viennent au laboratoire, nous avons demandé aux mères de dormir avec un T-shirt que nous leur avions envoyé. Une fois au laboratoire, nous avons montré à leur enfant deux photographies l'une à côté de l'autre - l'une représentait un visage féminin, l'autre une voiture. Nous avons enregistré la direction de son regard par le biais d'un système de poursuite oculaire. Lorsque l'enfant regardait les images, nous disposions sur lui soit le T-shirt que sa mère avait porté, soit un T-shirt propre.
Dans cette situation, les enfants ont été plus intéressés par le visage que par la voiture ; ceci était vrai qu'ils portent le T-shirt de leur mère ou non. Par contre, les enfants qui portaient le T-shirt de leur mère étaient plus engagés dans une interaction avec le visage féminin : ils ont passé encore plus de temps sur ce dernier que sur la voiture, plus particulièrement en regardant les yeux du visage féminin.
Cette observation nous permet de conclure que l'enfant s'engage plus dans l'interaction sociale avec un visage lorsqu'il est dans le contexte de l'odeur de sa mère. Pourquoi il le fait - et que fait-il exactement - reste à étudier.
Dans une première étude, nous avons montré que l’odeur maternelle aide le nourrisson à percevoir les visages. Nous avons demandé à des mères de bébés de 4 mois de porter un t-shirt quelques jours avant le début de l’étude pour recueillir leur odeur. A l’aide d’un bonnet EEG (voir nos méthodes d’observation), nous avons mesuré la réponse du cerveau à la présentation d’images sur un écran pendant que le nourrisson était bordé d’un t-shirt : soit celui porté par sa mère, soit un t-shirt non porté. Nous avons observé que la réponse du cerveau à la présentation de visages par rapport à d’autres objets est plus forte lorsque le t-shirt est celui porté par la mère (voir illustration). Cette réponse, localisée principalement dans les régions postérieures droites du cerveau, témoigne d’une facilitation de la perception des visages en présence de l’odeur maternelle.
Dans une seconde étude, nous avons présenté des images de voitures à la place des visages et observé que la réponse cérébrale à ces images n’est pas modifiée par la présence de l’odeur maternelle. Nous avons ainsi vérifié que l’effet de l’odeur résulte de l’association entre l’odeur corporelle de la mère et les visages.
Ces résultats montrent que l’odeur maternelle a une influence sur la perception visuelle à 4 mois, et que cette influence est observable spécifiquement pour les visages.
Il s'agissait dans cette étude de voir si des enfants de moins d'un an parviennent à associer une expression particulière (un sourire ou une mimique de dégoût) avec une odeur plaisante ou non (fraise ou fromage) et, si oui, à partir de quelle âge. Trois groupes d'enfants âgés de 3, 5 ou 7 mois ont été exposés au visage d'une même personne qui produisait les expressions différentes de manière dynamique et répétée. Les deux expressions étaient présentés simultanément et côte-à-côte pendant des périodes de 30 secondes. En même temps, nous diffusion dans l'environnement immédiat de l'enfant un flux d'air qui contenait (1) une odeur de fraise, (2) une odeur de fromage bien fait, ou (3) rien. Nous avons enregistré le temps passé à regarder chaque expression en fonction de l'odeur environnante.
Les résultats ont montré que, globalement, les enfants de tout âge regardaient plus longtemps la mimique de dégoût. A une exception notable: les enfants de 3 mois exposés à l'odeur de fraise se sont mis à regarder plus longtemps le visage souriant.
Ce résultat indique que dès trois mois les enfants sont capables d'associer une expression positive (la joie) avec une odeur plaisante (la fraise). Pourquoi il ne le font pas pour le dégoût et les odeurs aversives, mais aussi pourquoi les enfants plus âgés ne le font plus, sont les prochaines questions auxquelles l'équipe tente de répondre actuellement.
Dans cette étude, nous avons montré que les nourrissons de 3,5 mois sont capables de discriminer différentes expressions faciales, et que cette capacité évolue entre 3,5 et 7 mois.
A l’aide d’un bonnet EEG (voir nos méthodes d’observation), nous avons mesuré la réponse du cerveau des nourrissons à la présentation de photographies d'expressions faciales. Nous avons observé une réponse cérébrale reflétant la perception d’un changement d'expression dès l'âge de 3,5 mois, pour les expressions de dégoût, de joie et de neutralité (voir illustration). Cette réponse, localisée principalement au niveau des régions postérieures du cerveau, diffère entre expressions et selon l'âge du nourrisson, notamment pour l'expression de joie. Ce développement suggère que l’émotion de joie acquière une signification particulière pour le bébé entre 3,5 et 7 mois.
Actuellement, des études sont en cours pour évaluer l'influence d'odeurs dans le développement de la perception des expressions faciales émotionnelles chez le nourrisson.
Les études de l'équipe s'étendent au delà des premiers mois, pour remonter jusque dans l'adolescence. Les études sont alors réalisés en milieu scolaire ou dans des crèches, avec l'aimable participation des personnels. Il s'agit pour nous de voir comment le rôle de l'olfaction évolue entre les premiers mois et l'âge adulte. Cette question se pose d'autant plus quand l'olfaction est apparue jouer un rôle important en début de vie, alors qu'elle semble moins importante chez les adultes (voir cependant nos "quelques études chez l'adulte"). Un intérêt particulier est aussi porté au développement de la cognition sociale, et notamment la capacité des enfants à décrypter les signaux émotionnels dans l'expression d'un visage.
L'exploration des objets est un sujet souvent étudié chez le jeune enfant, mais nous ne savions pas si les odeurs des objets influencent leur manipulation.
Dans cette étude, des jeunes enfant de 7 à 15 mois ont été observés lors de phase de manipulation de jouets odorisés : deux jouets identiques étaient présentés simultanément pendant 5 min, seul l'un d'eux sentait la violette.
Nous avons montré que la présence d’une odeur influençait le manipulation de l'objet par les enfants : ils ont manipulé plus longtemps et mis plus de fois à la bouche le jouet non odorisé. Ces observations ne sont pas apparu immédiatement, mais seulement après 2 minutes de manipulation.
En conclusion, nous avons pu montrer que les jeunes enfants détectent et réagissent à l'odeur des objets et sont capables de les discriminés par leur odeur même dans le cas d'objets visuellement identiques.
Les études chez le bébé suggèrent qu'à la fin de la première année, les enfants ne distinguent pas encore très bien l'ensemble du panel des expressions faciales émotionnelles que les adultes arrivent à différencier. Dans cette étude, nous nous sommes intéressés au développement de cette capacité chez des enfants âgés de 5 à 10 ans. Nous avons demandé à des enfants scolarisés en écoles primaires et élémentaires de réaliser une tâche où ils devaient reconnaître l'émotion de visages avec 6 possibilités : la joie, la colère, le dégoût, la peur, la tristesse et neutre. Les visages étaient soient à l'endroit, soit à l'envers, ce qui rend la tâche beaucoup plus compliquée.
Cette étude nous a permis de montrer que :
Effectivement, les enfants les plus jeunes éprouvent quelques difficultés pour reconnaître les expressions d'émotion, cette capacité s'améliorant progressivement au cours de la première décennie.
Les difficultés ne sont pas équivalentes pour toutes les expressions. Dès 5 ans, les enfants sont bons pour la joie, la colère et la tristesse. Ils ont des difficultés pour la peur, mais surtout pour la neutralité et le dégoût.
Les enfants les plus jeunes n'utilisent pas la même stratégie que les adultes. Alors que les adultes, lorsqu'ils hésitent (par exemple, quand les visages sont à l'envers) se rabattent sur la réponse "joie" et la réponse "neutre", les enfants les plus jeunes se rabattent sur les réponses "joie" et ... "tristesse", deux expressions qu'ils reconnaissent bien. D'une manière générale, les enfants les plus jeunes ont tendance à partitionner les expressions en deux catégories : "content" et "pas content", cette dernière catégorie englobant toutes les expressions négatives (colère, dégoût, peur et tristesse) mais aussi la neutralité.
En conclusion, il faut plus de 10 ans aux enfants pour arriver à distinguer les expressions des émotions aussi finement que le font les adultes. Cependant, cela ne concerne pas toutes les émotions, certaines étant déjà bien comprises très tôt. Surtout, ce développement ne correspond pas au fait que les jeunes enfants éprouvent des difficultés, mais plutôt qu'ils interprètent les signaux émotionnels dans un cadre autre que les adultes. Cadre qui a un sens pour eux : le fait qu'un adulte regarde un enfant avec une expression impassible n'est pas forcément "neutre" pour un enfant.
Nous réalisons aussi des recherches chez l'adulte pour voir si l'influence précoce de l'olfaction (que nous observons par ailleurs sur les comportements du très jeune enfant) perdure toujours à l'âge adulte. Et si oui, avec quelles conséquences. Comme chez le très jeune enfant, nous nous intéressons essentiellement à (1) la manière dont l'odeur est perçue et influence la perception visuelle, et (2) dans quelle mesure les odeurs (corporelles ou non) influencent la cognition sociale, notamment la perception des visages.
Dans cette étude, nous voulions savoir si une odeur plaisante ou aversive influence l'intensité à partir de laquelle nous sommes capables de reconnaître une expression faciale. Nous avons présentés à des sujets adultes une série de photographies de personnes qui exprimaient une expression émotionnelle de joie, de dégoût, de colère, de peur ou de tristesse. Pour faire varier l'intensité, ces expressions étaient mélangées avec une expression neutre avec un logiciel de morphing qui permet d'ajouter au neutre différents pourcentages de l'expression ; de 10% à 100% du sourire, par exemple. Les sujets devaient deviner l'expression des différentes intensités, en choisissant parmi 6 modèles (un pour chaque expression et un pour la neutralité) celui du quel l'expression en question se rapprochait le plus. Nous illustrons la procédure dans la figure ci-dessous. Pour la moitié des sujets, le choix se faisait par un numéro alors que nous fournissions le nom de l'expression à l'autre moitié. Les sujets devaient répondre dans un casque micro en donnant soit le numéro (s'ils n'avaient pas le nom) soit le nom de l'expression. En fait, le micro contenait parfois un odorant, qui était soit de la fraise, soit de l'acide butyrique (odeur de fromage bien fait).
Les résultats ont été les suivants :
le seuil à partir du quel les sujets ont perçu l'expression de joie a été abaissé (la détection est plus facile) par l'odeur de fraise, alors que l'odeur de fromage a abaissé le seuil pour le dégoût mais aussi pour la colère.
l'odeur a aussi influencé les intrusions, c'est à dire la perception d'une expression qui n'était pas présente (par exemple, percevoir de la tristesse dans un visage qui comprend en fait 40% de... dégoût). L'effet dépendait cependant de la disponibilité ou non du nom des expressions.
L'équipe ne s'intéresse pas seulement aux enfants dont le développement se déroule sans problème particulier, mais aussi à ceux dont l'histoire de vie est marquée par un accident dans leur développement. Les études réalisées dans l'équipe peuvent concerner différents types de problèmes, le fil conducteur des études étant le rôle de l'olfaction et la cognition sociale. Dans ce cadre, plusieurs programmes de recherche ont été ou sont réalisés sur la prématurité, l'autisme ou des maladies génétiques telles que le syndrome de délétion 22q11.2 ou le syndrome de Williams et Beuren. Certains des résultats obtenus sont présentés ci-dessous.
Dans une étude réalisée avec Caroline Demily (Centre de dépistage et de prises en charge des troubles psychiatriques d’origine génétique, Centre Hospitalier Le Vinatier, Bron), nous avons voulu savoir si les enfants et adolescents de 9 à 19 ans qui présentent une délétion 22q11.2 parvenaient à reconnaître les expressions faciales à partir d'une intensité similaire aux personnes qui ne présentent pas cette délétion. Cette étude à été réalisée grâce à la participation complémentaire de Guillaume Saucourt, Caroline Rigard, Gabrielle Chesnoy, Massimiliano Rossi, Patrick Edery et Nicolas Franck.
Le principe de notre étude était le suivant : les enfants et adolescents voyaient un visage au centre de l'écran, qui exprimaient une expression d'intensité variable (de très peu intense à très intense). Il devait dire quelle expression il percevait en choisissant parmi plusieurs modèles - présentés en plus petits sur les côtés de l'écran. Ces modèles, au nombre de 6, représentaient la joie, la colère, le dégoût, la peur, la tristesse, ou la neutralité. Les résultats, illustrés ci-dessous, ont montré plusieurs choses:
D'abord, les personnes qui présentaient la délétion ont eu besoin d'une intensité plus importante pour reconnaître correctement les expressions. Ce problème concernait, globalement, toutes les expressions à l'exception notable du dégoût.
Ensuite, des analyses plus poussées ont permis de mettre en évidence que les différences entre les catégories d'émotions sont moins nettes chez ces personnes, mais surtout que leurs difficultés les amènent plus fréquemment à commettre des "intrusions". En d'autres termes, ils ont eu tendance à percevoir une émotion qui n'était pas réellement présente.
Finalement, les difficultés observés dans notre tâche étaient fortement liées aux difficultés que rencontrent ces personnes, par ailleurs, dans des tâches "classiques" de cognition visuelle.
Les résultats de cette étude confortent l'hypothèse de difficultés perceptives de reconnaissance des expressions faciales dans le syndrome de délétion 22q11.2. Ils indiquent de plus que ces difficultés sont particulièrement évidentes lorsque les expressions sont peu intenses. De plus, elles s'accompagnent d'une tendance à percevoir des expressions qui sont en réalité absentes, ce qui peut provoquer des interprétations et des réactions inappropriées dans un contexte d'interaction sociale.