Pau, le lundi 12 juin 2017, par Marion Leclercq
Partons à la rencontre de Jean-Pierre, maraîcher, qui pratique une agriculture raisonnée. Son exploitation agricole existe depuis trois générations : sa grand-mère, originaire de Meillon, un fief maraîcher, a épousé un paysan d’Assat, éleveur de bêtes. C’est de cette union qu’est né le maraîchage à Assat, une activité qui a permis au couple de vivre de sa terre. Aujourd’hui, Jean-Pierre possède 7 hectares de terre sur lesquelles il travaille, soutenu en semaine par quatre salariés et un salarié le samedi. Il y cultive des fraises, des petits pois, des fèves, des tomates, des salades et encore d’autres légumes que nous allons découvrir ensemble. Alléchés par ces légumes de qualité, vous serez sans doute curieux de connaître ses points de vente, et vous pourrez ainsi soutenir son activité.
Commençons par les fraises, qui arrivent avec le soleil. Chaque année, Jean-Pierre plante des fraisiers en septembre. La majorité des fruits seront ramassés en mai, avec quelques retardataires en juin. L’année suivante, les fraisiers donneront davantage de fruits, mais ils seront moins jolis. Ensuite, les fraisiers seront arrachés et remplacés. En effet, après deux ans de production, les pieds sont vieux et fatigués et donnent des fruits dégénérés et moins bons. Il faut donc toujours s’occuper de deux plants, l’un âgé d’un an, l’autre de deux ans. Il possède aussi quelques pieds de fraises remontantes, comme la mara des bois, qui donnent des fruits tout l’été.
Les fraises, comme la plupart des autres cultures, sont plantées sur des planches (rectangle de terre) recouvertes de bâches en plastique qui font office de paillage. Cela permet de conserver l’humidité de la terre et d’empêcher les mauvaises herbes de pousser. Il n’y a donc aucun produit chimique déposé sur ces fruits. Certaines bâches sont en plastique, il faudra alors les recycler. Les autres sont fabriquées dans une matière biodégradable qui sera alors broyée et enfouie dans le sol. Chaque planche est équipée d’un tunnel : des arceaux placés au-dessus des cultures et recouverts d’une bâche. Ainsi, si le froid revient ou si des intempéries surviennent, les cultures pourront être protégées. Le mois de mai est une saison stressante et compliquée, nous ne sommes pas à l’abri d’une gelée tardive. Jusqu’à fin juillet, il faut pouvoir se protéger en cas de grêles ou de fortes pluies.
Les planches de fraises, comme toutes les autres cultures de Jean-Pierre sont équipées de tuyaux micro perforés installés sous les bâches et reliés à des puits qui permettent de récupérer l’eau de la nappe phréatique. Celle-ci n’est pas très profonde dans la plaine et on trouve de l’eau à moins de 3m de profondeur. Un système de minuterie permet de donner aux plantes juste ce dont elles ont besoin pour ne pas gâcher cette ressource.
Pour trouver l’eau, Jean-Pierre fait appel à un sourcier. Muni d’une baguette de noisetier ou d’un pendule, il trouve les nappes alimentées par la fonte du manteau neigeux. Et ça marche à 100% ! La plaine d’Assat est très riche en eau, ressource indispensable pour le maraîchage. D’ailleurs, en cas de sécheresse, les restrictions ne s’appliquent qu’aux grands exploitants, alors que les petits producteurs peuvent continuer à irriguer.
Je demande à Jean-Pierre s’il a observé une diminution des quantités d’eau ces dernières années. Non, les montagnes sont encore généreuses. Pourtant, les experts ont malheureusement observé une forte diminution du manteau neigeux. Ils estiment qu’en 2045 le manteau neigeux aura totalement disparu à 1500m d’altitude et sera divisé par deux au-delà de 2000m. Est-ce que cela finira par affecter l’activité de Jean-Pierre.
Nous quittons maintenant le pré de ces fruits qui annoncent l’été pour la serre où se trouvent les plantes qui ont besoin de chaleur : piments, pieds de courgettes, de pastèques, de melon, de butternut. Il va falloir attendre encore un peu avant de pouvoir les replanter en plein champ. Ils auront alors toute la place qui leur faut pour s’exprimer ! Devant la serre, Jean-Pierre me montre ses pieds de salades. Des centaines de petites mottes de quelques centimètres cube qui seront bientôt plantées dans le champ que nous allons maintenant visiter.
Du haut de son grand camion, nous avons un très beau point de vue sur ces milliers de touffes homogènes et régulières. Des salades brunes, blondes, vertes, blanches ; on peut même jouer sur la couleur des feuilles en déposant des cloches au dessus des frisées et des scaroles. Cela les empêchent de verdir au soleil et leur évitent de devenir amères. Certaines de ces salades sont plantées à la machine, une imposante machine sur laquelle peuvent s’installer deux personnes devant un grand plateau rempli de mottes. Les agriculteurs déposent les salades dans des conduites et, par un système de pinces, la machine se charge de les déposer dans les sillons tracés par des roues. La terre est ensuite tassée par une seconde paire de roues. Une planche de salades mesure 4.8m sur 80m. Grâce à la machine, on peut y planter 7000 salades en deux heures. Certaines planches sont recouvertes d’un paillage en plastique, comme celui des fraises. Il faut alors y planté les salades à la main ; un débutant pourra planter 300 mottes en une heure (soit une salade toutes les 12 secondes), une personne expérimentée ira trois fois plus vite ! Mi mai, il faut planter des salades tous les quinze jours, mi-juin, toutes les semaines. Un travail titanesque, sans compter qu’il faut ensuite ramasser ces milliers de salades à la main !
C’est dans ce même champ que, l’hiver, poussent les épinards, le persil, les pommes de terre, au printemps, les fèves et les petits pois, puis viennent les choux verts, le fenouil, le basilic, les betteraves, les poireaux et les oignons. Ces derniers sont semés à la main et repiquer une fois qu’ils sont assez grands. Jean-Pierre doit planifier ses plantations longtemps à l’avance : les pommes de terre sont déjà plantées pour l’hiver 2017. Il faut aussi bien échelonner les plants dans le temps afin de ne pas avoir tous les légumes en même temps, erreur souvent commise par les jardiniers du dimanche qui plantent toutes leurs salades le même jour et en font ensuite une overdose. De plus, cette scrupuleuse planification varie selon les saisons. Plus les journées sont longues et ensoleillées (c’est à dire au printemps), plus les plantes poussent rapidement.
Sur ses planches de légumes, Jean-Pierre pratique une agriculture raisonnée. C’est à dire qu’il peut utiliser un produit chimique s’il est victime d’une attaque. En particulier, pendant le printemps et l’hiver, les limaces peuvent être assez voraces.
Rendons-nous maintenant dans les grandes serres où poussent les tomates et les courgettes.
Dès les premiers rayons de soleil, les consommateurs sont friands de salades tomates mozzarella. Néanmoins, il est encore trop tôt et les premiers pieds doivent être plantés sous serre, tout comme les courgettes. Chaque serre est d’ailleurs équipée d’un système de chauffage en cas de gelée tardive.
Les pieds de tomates et de courgettes ont besoin d’être pollinisées pour produire des fruits. Le vent remplit cette tache pour les courgettes, mais les tomates ont besoin d’insectes pour faire le travail. C’est pourquoi Jean-Pierre achète des petites ruches en carton, pleines de bourdons. Pourquoi des bourdons ? Tout d’abord parce que ca ne pique pas ! Ensuite parce que les bourdons aiment les tomates, alors que les abeilles s’en iraient butiner ailleurs.
Dans ses serres, aucun produit chimique. Jean-Pierre achète des petites boites d’insectes prédateurs (mouches, punaises et autres bestioles) qui s’attaquent aux ravageurs tels que les pucerons. On appelle cette pratique la lutte intégrée. C’est meilleur pour la terre et notre santé, et on remercie Jean-Pierre pour ses efforts. Malheureusement, ce n’est pas totalement efficace et je peux voir quelques plants de courgettes infestés de pucerons. Les fruits recouverts de miellat collent et les futures courgettes ont de forte chance d’être dégénérées : déformées et moins jolies. Mais ne préférez-vous pas mille fois nettoyer ces fruits déformés avant de les manger plutôt que de manger des pesticides ?
Les tomates sont autant chouchoutées: aucun produit chimique mais des petites bestioles. Tout cela a un coût, environ 1500euros par an, un budget plus élevé que les pesticides, mais c’est un autre état d’esprit et c’est ce qui compte pour Jean-Pierre.
Revenons-en à ces tomates ! Des cœurs de bœuf et une seconde variété de tomates très anciennes. Celles-ci sont greffées sur une autre espèces de tomates plus résistantes afin d’avoir des racines plus profondes et plus robustes. En voyant les pieds, je suis impressionnée par le diamètre des tiges qui sont vraiment épaisses. Toutes les ramifications ont été coupées afin de renforcer le tronc principal et les tomates. Encore un travail extrêmement minutieux, parfois saccagé par des attaques. Dans le fond de la serre, on découvre quelques pieds qui ont été attaqués par un champignon au niveau du collet. Il a fallu les arracher afin que la maladie ne se propage pas.
Ces tomates sont fragiles. En effet, dans les supermarchés, on trouve surtout des tomates très jolies et très dures qui peuvent voyager pendant des semaines et supporter d’être touchées par des dizaines de clients. En contrepartie, elles n’ont pas de goût. Ces tomates industrielles sont beaucoup moins chères et l’acheteur non averti les favorisera à celles de Jean-Pierre, à moins qu’il ne brade sa production. C’est pourquoi, il les réserve à la vente directe.
Maintenant que je vous ai décrit la plupart de la production de Jean-Pierre, je suis sûre qu’une question vous taraude : mais d’où viennent toutes ses plantes ? Faire ses semences demande du temps, de la place et de l’énergie. Il faut disposer de grandes serres chauffées à 18°. Ce n’est pas rentable et Jean-Pierre préfère acheter la majorité de ses plants auprès d’un professionnel dans le Lot et Garonne.
Aujourd’hui, Jean-Pierre rêve de se mettre au bio. Mais il a plus de quatre salariés et n’a plus la fougue d’un jeune de vingt ans. En agriculture conventionnelle, il peut efficacement agir contre une attaque et s’assure donc de ne pas mettre en péril sont exploitation. Certes, il pourrait bénéficier d’aides de l’état pour se reconvertir, mais l’expérience de ses collègues le refroidit : il faut attendre entre un et deux ans avant de recevoir les maigres subventions.
Cette situation m’attriste. Comme vous pouvez le constater, les techniques utilisées par Jean-Pierre sont presque toutes naturelles. Il ne lui manque pas grand chose pour passer au bio, mais ces quelques détails pourraient tuer cette exploitation familiale qui dure depuis trois générations. Et pourtant, cela ferait le plus grand bien à notre eau et à notre terre qui s’appauvrit de plus en plus. La vie de nos vers de terre en dépend et pourtant ils sont extrêmement utiles puisque ceux sont eux qui aèrent la terre et permettent à l’eau de s’écouler jusqu’aux racines des plantes.
Je lui demande ce qu’il pense des techniques de permaculture. Mais si pour lui passer au bio c’est se rapprocher d’un précipice, la permaculture, c’est avoir un pied dans le vide. Selon lui, c’est une vraie science qu’il faut étudier pendant plusieurs années, afin de connaître tous les échanges chimiques entre les plantes. Il faut être jeune et extrêmement motivé pour se lancer dans un tel projet.
Mais, comme vous l’avez remarqué, créer une exploitation agricole demande beaucoup de temps et d’investissement. Un jeune qui s’installe devra attendre au moins cinq ans avant que son entreprise soit rentable, à condition qu’il fasse de la vente directe.
Vous l’aurez compris, la vente directe, le système des AMAPs, la promotion des produits locaux, c’est le meilleur moyen d’aider les exploitants à se mettre au bio et promouvoir l’agriculture biologique.
Vous pourrez trouver les produits de Jean-Pierre au marché d’Artix le mercredi matin ainsi qu’au marché d’Idron le samedi matin. Quelques supermarchés (Super U et Intermarchés) revendent ses produits dans les rayons « production locale ». Enfin, vous pouvez rejoindre l’AMAP du Grand Cèdre à Pau. Vous vous engagerez alors pour six mois, en échange, vous ne recevrez que des produits de qualité. Jean-Pierre aura des revenus assurés pendant six mois et pourra plus facilement planifier ses cultures.
Un dernier conseil, préférez les produits locaux aux produits « bio » bon marché venant de loin. A l’étranger, les normes ne sont pas aussi strictes qu’en France et cela fait une très mauvaise concurrence aux produits « bio » locaux. De plus, moins vos produits voyagent, meilleur est leur bilan carbone !