Le Pacte pour un Enseignement d'Excellence propose un ensemble de réformes qui visent l'amélioration de l'enseignement. Cinq grands axes projettent cette perspective ambitieuse (Pacte d'Excellence - Avis N° 3 du Groupe central : http://enseignement.be/index.php?page=23827&do_id=14928&do_check=RRGYKNCGHJ).
Ce projet de recherche met le focus sur l’axe numéro 2 : “mobiliser les acteurs de l’éducation dans un cadre d’autonomie et de responsabilisation accrues en renforçant et en contractualisant le pilotage du système éducatif et des écoles, en augmentant le leadership du directeur et en valorisant le rôle des enseignants au sein de la dynamique collective de l’établissement”.
L’objectif lié au renforcement du leadership du directeur s’appuie notamment sur l’idée de «la mise en place de mécanismes de « leadership distribué » reposant essentiellement sur le principe d’une « dynamique collective forte au sein de l’équipe éducative dans un cadre participatif » (Cf. Pacte d'Excellence - Avis N° 3 du Groupe central). Ce leadership conçu étroitement avec l’idée du développement d’une dynamique collaborative au sein des établissements vise à tendre vers une école conçue comme une « organisation apprenante ». Cette perspective invite à interroger la nature même du leadership exercé par les directeurs des établissements scolaires.
La question de leadership est aussi la clé de voûte de nombreux problèmes que nous pouvons observer sur le terrain, à la fois au sujet des incidents qui se produisent au sein de certains établissements et au regard de l’amélioration du climat et des résultats scolaires. La question centrale de ce projet vise à interroger le leadership dans les écoles de la FWB face aux mutations liées à la nouvelle gouvernance scolaire. Le leadership des chefs d’établissement sera interrogé dans la mise en œuvre d’une recherche-action collaborative ayant un intérêt formatif et un intérêt majeur pour l’enseignement de la FWB en formant autrement les directeurs. La question de leadership, et plus largement le processus de transformation et de mise en œuvre du Pacte, interroge la substance même de la politique d’accompagnement et de formation des directeurs. De la même façon, le renforcement de ce leadership pédagogique s’avère aujourd’hui nécessaire à la bonne gestion des équipes et à l’amélioration de l’efficacité et de l’efficience des enseignements prodigués dans nos établissements.
Le présent projet de recherche-action-formation vise à exploiter les résultats de la recherche scientifique dans l’analyse et le développement des modes de gouvernance des établissements scolaires et, indirectement, à améliorer l’efficience, l’efficacité et l’équité de ces établissements. Il s’agit, dès lors, d'un projet qui aura pour terrain d'observation et de recherche-action des établissements scolaires relevant de l’enseignement organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles (Wallonie-Bruxelles Enseignement) qui le souhaitent. Il nous semble totalement pertinent que WBE constitue un partenaire incontournable pour la construction de ce projet de recherche-action en visant la valorisation des résultats de cette recherche sur le terrain avec une dimension appliquée. Le leadership tel qu’il est examiné ici correspond à l’activation des collectifs et des équipes pour définir les moyens d’atteindre les objectifs d’amélioration du système éducatif. Ce leadership est déterminant du mode du pilotage de l'établissement. Ce pilotage peut recouvrir « les évolutions qui tendent à valoriser l’autonomie et la responsabilisation des établissements, [...] à privilégier une régulation générale du système par les résultats (ou par les objectifs) plutôt que par les logiques bureaucratiques ou professionnelles traditionnelles ». Il s’agit donc du principe même de la « gestion par objectifs » : poser un diagnostic partagé, définir des objectifs, identifier les stratégies et les actions et les évaluer à la lumière d’indicateurs précis.
Problématique
Dans la lignée des travaux de Spillane, Halverson & Diamond (2008), le présent projet sur le leadership vise à interroger les conditions de structuration de l’action collective au sein de l’établissement scolaire de manière à susciter l’engagement des acteurs dans une dynamique collective au sein d’une communauté d’apprentissage professionnelle.
Plusieurs modèles théoriques permettent d’interroger la diversité des modes de leadership. La problématique que nous aimerions examiner porte sur les formes de leadership exercées par les directions des établissements scolaires dans le cadre de transformation actuelle vécue par le système scolaire en Belgique francophone. Nous interrogerons la distinction véhiculée dans une certaine littérature scientifique entre « dirigeants leaders, qui savent ce qu’il faut faire et produisent du changement » et « dirigeants managers, qui savent ce qu’ils doivent faire et maintiennent la stabilité, en particulier, à travers la gestion économique et matérielle » (Bennis et Nanus, 1985 ; Zaleznik, 1978 cités par Letor et al..). Dans ce sens, nous aimerions interroger les modes de leadership observés suivant la distinction de certains auteurs (Hallinger, 2003) entre leadership instructionnel (que nous considérons comme dirigeants managers) et leadership transformationnel (que nous considérons comme dirigeants leaders). Le premier est tourné vers les tâches et vise à l'optimisation des modes de gestion et d’affectation des ressources et à actualiser les structures. Quant au leadership transformationnel, en partant de la définition d’une vision commune et de l’élaboration d’un projet éducatif collectif, celui-ci vise le développement du travail collaboratif, le changement de la culture de l’établissement et la quête d’une évolution durable du travail.
Le leadership transformationnel traduit la dynamique de changement dans une organisation. Ce leadership semble correspondre aux mutations et aux changements auxquels sont confrontés les établissements scolaires dans le sillage de la mise en œuvre du Pacte pour un Enseignement d’Excellence. Cette forme de leadership mérite d’être particulièrement interrogée. Pour Leithwood et Jantzi (2000), “leadership transformationnel” signifie :
1) construire une vision ;
2) fournir une stimulation intellectuelle ;
3) offrir un soutien individualisé ;
4) symboliser les pratiques et les valeurs professionnelles ;
5) démontrer des attentes de haute performance ;
6) favoriser la participation aux décisions.
Ce leadership transformationnel peut être aussi mis en lien avec le « leadership distribué », prôné par les travaux du Pacte pour un Enseignement d’Excellence, lequel peut se caractériser par “la distribution de la responsabilité, le travail en équipe et la responsabilité collective” (Harris, 2004). Au-delà de la définition des axes de pilotage stratégique et de gestion (définis par Spillane et al. (2004) comme macro-fonctions inhérentes à ce leadership distribué (construction d’une vision, développement et gestion d’une culture scolaire, recherche et distribution des ressources, etc.), une attention particulière est portée aux actions concrètes quotidiennes, appelées par Spillane et al. (2004) ‘micro-fonctions’ (constitution d’horaires, attribution de locaux, organisation de l’espace, rédaction de documents de référence...), et qui permettent de réaliser effectivement les macro-fonctions précitées (Letor et al, 2010: 72). L’articulation de ces deux niveaux, macro-fonctions et micro-fonctions est également prise en considération dans l’analyse de ce mode de leadership et la manière dont il est compris par les collaborateurs.
Le concept de leadership distribué (Bolden, 2011 ; Spillane, 2006 ; Spillane, Halverson & Diamond, 2008 ; Spillane & Healey, 2010) articule un leader « formel » et une dimension « informelle » que peuvent exercer les membres du personnel. Le leader formel dans cette perspective distribuée instaure une organisation du travail qui permet de conjuguer les apports de chacun. Il s’agit donc d’une perspective d’élargissement des capacités d’action du directeur.
Notre projet ambitionne donc d’explorer le leadership tel qu’il est déployé à la lumière des dynamiques engendrées au sein des établissements et au regard des transformations qu’il peut produire en termes de mise en œuvre des communautés d’apprentissage professionnelles. Il faut entendre par “communauté d'apprentissage professionnelle” la dynamique de construction des savoirs et des connaissances des équipes éducatives et pédagogiques visant à développer leurs pratiques professionnelles “source”. Cette communauté d’apprentissage est fortement liée au mode de leadership en vigueur. Les questions à investiguer portent d’une part, sur les pratiques et les méthodes spécifiques qui en découlent et d’autre part, sur la posture adoptée. Cela afin d’apprécier la pertinence pour ce mode de leadership exercé. Deux questions se dégagent :
1. Quelles sont les pratiques qui peuvent découler de ces deux principales formes de leadership ?
2. Dans quelle mesure ces formes de leadership permettent-elles de faciliter le déploiement d’une communauté d’apprentissage professionnelle ?
Le projet de recherche que nous proposons s’inscrit dans le champ théorique amorcé par Chris Argyris (1974), à partir du concept “d'organisation apprenante”. Dans la vision d’Argyris, la communauté professionnelle et particulièrement, chaque travailleur, au sein de l’organisation, doit être mis en condition, via des nouvelles formes de leadership démocratiques, de devenir un “agent d'apprentissage organisationnel”. Cela signifie qu’il doit être capable d’identifier et d’interroger en temps réel les problématiques rencontrées, afin de concourir progressivement à un changement dans la culture organisationnelle (carte cognitive). Ce processus ascendant, qui part de l'individu, est qualifié par Argyris “d’apprentissage organisationnel” (double-loop learning) et se caractérise par une logique de-hiérarchisée et horizontale. Sa visée est de repenser les dispositifs institutionnels pour qu’ils soient le plus possible en résonance avec une réalité changeante. Dans cette perspective, le leadership transformationnel serait propice aux communautés d’apprentissage professionnelles « en raison de ses composantes axées sur le soutien, la collaboration et la transformation ».
Dans un premier temps, cette recherche-action vise à matérialiser ce lien entre ce leadership transformationnel et ces communautés d’apprentissage professionnelles. En effet, Labelle J. & Jacquin P. (2018) s’accordent pour dire que « trop peu de recherches ont été effectuées à l’heure actuelle pour fournir une base empirique à ces assertions », et c’est justement cet aspect que notre recherche-action vise à explorer en matérialisant cette base empirique. Notre objectif est, en effet, d’identifier les éléments constitutifs de ce leadership transformationnel. Dans un deuxième temps, cette recherche-action vise à identifier les méthodes, les techniques et les outils qui seraient favorables à l’exercice de ce leadership transformationnel dont les résultats seront observables à travers la mise en place graduelle de communautés d’apprentissage professionnelles. Il est fort probable que nous puissions observer des transformations contextuelles relevant de cette forme de leadership transformationnel.