Bande dessinée, Samuel Neilson, Québec, 17 juin 1792
Texte accompagnant la source:
LE deffein de ce Tableau est de déterminer lequel des deux, le Marchand ou l’Avocat, eft le plus propre à vous repréfenter? – Le Marchand acquiert fon bien par l’harmonie qui règne entre les Citoyens, par l’induftrie des Cultivateurs ; -- l’Avocat au contraire n’acquiert le fien qu’en fufcitant et entretenant les méfintelligences entre les Citoyens, en séparant le père du fils, en divifant la sœur et le frère, la fille et la mère. – Le Marchand augmente fes richeffes en foutenant le Citoyen et le Laboureur. – L’Avocat haraffe de cour en cour le Citoyen, le Laboureur et l’Ouvrier. Son intérêt eft d’entretenir entr’eux la diffention. La question à décider eft donc, O Citoyens! Lequel le marchand ou l’avocat (doit être préféré dans le choix des Représentants pour la Haute Ville Lundi prochain?)
La mise en place de l'Acte constitutionnel en 1791 permet aux Canadiens français d'obtenir pour la première fois un parlement. C'est donc une chance de faire valoir les droits des francophones et de reprendre un peu du pouvoir perdu en 1763. Cela entraîne également une confrontation avec les anglophones, de plus en plus présents au Bas-Canada.
Les toutes premières élections au Bas-Canada sont l’occasion de défendre enfin les intérêts francophones. Bien sûr, les britanniques y voient également une bonne façon de pallier l’écart dont ils souffrent depuis la division des colonies (il ne représente que 10% de la population, mais contrôle une grande partie des échanges commerciaux et des richesses immobilières. Ils parviendront donc à obtenir 30% des sièges).
En 1792, lors des premières élections, les avocats francophones s'opposent aux marchands anglophones. Les deux candidats, Jean-Antoine Panet et William Grant, seront élus dans la première cohorte de députés du Bas-Canada.
Les francophones ont vu leur culture, leur langue et leur tradition bafouées lors de la prise en main de la colonie par l'Angleterre, en 1763. Depuis 1774, ils peuvent atteindre des postes administratifs grâce à l'abolition du serment du test lors de l'Acte de Québec. Cependant, la plupart des postes sont comblés par des anglophones, en particulier au sein des conseils, réservés à l'élite anglophone. En 1791, l'Acte constitutionnel entraîne la création du premier parlement au Bas-Canada, ce qui donne le droit de vote aux Canadiens français et leur permet de reprendre en main leur politique en vue d'assurer la survie des francophones.
Louis-Joseph Papineau (1849):
La première garantie d'un bon gouvernement est une sage représentation; et ici, il n'y a que l'homme riche qui puisse être envoyé en parlement par ses concitoyens; un homme sans propriété, eût-il toute l'énergie, tous les talents, tout le patriotisme possible, ne peut jouir du même droit. Ne vaudrait-il donc pas mieux que cet homme de talent, sans qualifications pécuniaires, occupât une place dans cette Chambre, plutôt qu'un mauvais citoyen, une personne incapable, avec cinq cents louis? Source.
Samuel Neilson est imprimeur. Il obtient le financement pour la réalisation et la publication de cette affiche par des marchands anglophones.
Pour décider du choix du représentant pour la ville de Québec, la bande dessinée oppose un avocat francophone à un marchand anglophone. Il s’agit non seulement d’une opposition de métier, mais également d’une opposition de langue et de nationalité, puisque le premier est un Canadien francophone, alors que le second est un Britannique anglophone. L’attaque des marchands envers l’avocat vient directement de la peur des candidats britanniques de voir la population canadienne ne voter que pour des représentants canadiens, qui n’auraient pas à cœur les intérêts de la minorité protestante.
L’artiste oppose les deux corps de métier, affirmant que les marchands sont là pour soutenir la population, alors que les avocats doivent être soutenus par leurs clients.
À tous les électeurs est la toute première bande dessinée imprimée au Québec, par l’imprimeur Samuel Neilson en juin 1792. Ce feuillet fait partie d’une série de dessins placardés dans les rues de Québec en 1792 à l’occasion de la première campagne électorale. Cette pancarte est commanditée par les marchands anglophones de la capitale.
Le Bas-Canada
La bande dessinée a été réalisée le 17 juin 1792. Les premières élections ont lieu du 24 mai au 10 juillet 1792.
Samuel Neilson, imprimeur, espérait donc discréditer l’avocat en réfutant tous les arguments utilisés pour attaquer les marchands anglais et en illustrant l’attitude des marchands et des avocats envers la population, avantageant les premiers au détriment des seconds.
L’œuvre « associe le marchand à l’harmonie, à l’industrie et à la richesse ; [à l’inverse], l’avocat est dépeint comme le chantre de la dissension entre le citoyen, le laboureur et l’ouvrier ». Dans la case de gauche, on illustre divers marchands de la ville de Québec qui discutent de liberté, du bon soutien de la ville, de « bons règlements » pour administrer le commerce et on mentionne que les « marchands n’ont aucun intérêt » à taxer les cultivateurs. Dans la case de droite, on illustre l’avocat empressé d’obtenir son argent en générant des conflits familiaux et les colons se plaignant d’être misérables et d’être traités comme les esclaves des avocats.