Le billet d'André-Yves Portnoff

II. Transparence et mobilité du travail

La transparence, facteur de compétitivité

Les entreprises ne pourront non plus gérer leur fonctionnement interne comme avant ; elles devront, notamment, tenir compte de la porosité accrue de leurs frontières légales. Les personnels confinés ont considérablement élargi leurs contacts sur les réseaux, mixant professionnel et privé. Ils vont continuer à le faire et l'on pourra, encore moins qu'hier, avoir des communications internes et externes différentes, voire contradictoires. Les marques devront réviser leur présence sur les réseaux sociaux, vérifier qu'elles apportent du sens aussi bien à leurs consommateurs, collaborateurs et fournisseurs. Si, outré par le message promotionnel d'une société, un consommateur interpelle son parent ou ami travaillant chez celle-ci, l'enthousiasme du salarié sera entamé et sa productivité s'en ressentira. Davantage de transparence fidélise à la fois clients, collaborateurs, partenaires et devient facteur de compétitivité pour accroître les synergies gagnants-gagnants entre acteurs pratiquant le réussir ensemble.


Autre facteur de compétitivité, la proximité physique. Employés et clients ont découvert l'importance de la proximité en matière de production, de masques mais pas seulement. La proximité de production sera un facteur d'attractivité des offres, un atout de compétitivité, de résilience. La rapidité de réaction est un atout compétitif. Ainsi, Sori et ses 38 salariés en Isère, seul survivant français des fabricants de rangements pour les outils, est-il compétitif, quoique 3 % plus cher que les Chinois, parce capable de livrer en une semaine des servantes d'atelier sur mesure. Les entreprises qui intégreront la relation entre proximité, agilité et attractivité dans leurs stratégies en sortiront renforcées. Cela aussi plaide pour un renforcement des synergies entre proximités physiques et virtuelles.

Ce qui précède pourrait inquiéter les entreprises situées au sud de la Méditerranée et appelle deux remarques. La première est qu'il convient de ne pas faire d'un niveau de vie inférieur un atout durable, l'un des objectifs devant être justement de relever le niveau de vie dans son territoire. Il y a d'autres atouts à valoriser, notamment par plus de synergies entre acteurs locaux. Deuxième remarque, le télétravail ouvre la voie à des télé-offres planétaires de service. Un médecin, un expert peuvent rester dans leur pays en Afrique et proposer leurs compétences à la fois sur place et à grande distance. Ainsi, les fuites des diplômés pourraient se réduire, au bénéfice de leurs pays d'origine. À ces pays de reconnaître et respecter leurs talents, dans un cadre assurant la liberté d'expression nécessaire à la créativité. J'ai cité l'Afrique mais ces remarques valent pour toute l'Europe qui n'est pas encore capable d'éviter que les talents qu'elle forme aillent renforcer ses concurrents, notamment américains.

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Le travail n'est plus ce qu'il était

Beaucoup de salariés, ayant pris l’habitude de mieux concilier vie privée et vie professionnelle, souhaitent continuer à le faire et pouvoir rester chez eux un ou deux jours par semaine à télé-travailler. Selon des études menées dans différents pays, ils craignent de se voir refuser ce droit par leur employeur public ou privé, en raison d'un manque de confiance, de la volonté des petits chefs de tout contrôler, d'une religion de la présence confondue avec le travail. Cela fait plus de deux décennies, qu'Hervé Sérieyx et moi, dénonçons un retour, dans la majorité des grandes organisations des pays occidentaux, du taylorisme, du management autoritaire, hyper hiérarchique, par la méfiance[1]. C'est complètement néfaste pour la compétitivité à long terme des entreprises, des administrations, de nos pays. Car, depuis la Révolution de l'immatériel, le travail producteur de valeur n'est plus physique pour l'essentiel.[2]

Ce travail se répartit en trois temps : celui classique de la présence sur le lieu légal de travail aux heures convenues ; celui où l'on accepte de communiquer par Internet et téléphone avec des collègues, des clients ; où l'on intervient, éventuellement à distance, sur les équipements de l'entreprise, voire de ses clients. Pour cela, l'on peut se trouver n'importe où, n'importe quand, à condition d'être connecté.

[1] André-Yves Portnoff et Hervé Sérieyx. préface Jérôme Lefèvre, exergue Edgar Morin. Alarme, citoyens. Sinon, Aux larmes ! et aussi Manifeste pour une France vénitienne EMS, 2019 (accessible gratuitement).[2] André-Yves Portnoff, Le Pari de l'intelligence (bilingue, français-anglais), Futuribles, 2004.

Le troisième temps, le plus important, c'est celui où nous viennent les idées nécessaires aux innovations grandes ou petites, aux améliorations de toutes sortes. Contrairement à ce que croient encore beaucoup de dirigeants et de cadres, ils ne sont pas seuls concernés et déjà, il y a un demi-siècle, le patronat japonais édictait que ne recueillir les idées que des cadres supérieurs constituait une faute professionnelle car c'était se priver de 80 % de l'expérience de l'entreprise ! On sait que les idées jaillissent souvent lors de rencontres non programmées, en dehors des réunions de travail formelles. C'est pour cela, par exemple, que Sylvain Breuzard, ancien président national du CJD et PDG de la société Norsys près de Lille, a invité son personnel à collaborer avec l'architecte de ses nouveaux locaux. Ceux-ci ont été organisés en trois branches convergeant en un espace avec machines à café pour y provoquer des rencontres. Cette importance de l'architecture des lieux, dans la stimulation des coopérations, a depuis été théorisée par des études du MIT et exploitée, en particulier, dans le nouveau centre de Thalès près de Toulouse. Mais les idées nous viennent à toute heure, en tout lieu, notamment hors de l'entreprise, durant nos transports, nos courses, notre vie familiale chez nous, nos vacances. Les idées ne se programment pas !

Toutes les entreprises devront prendre cela en considération et recourir au télétravail aussi bien à partir du domicile que de n'importe où, à tout heure. L'Internet mobile est un atout indispensable. Les principaux obstacles ne sont plus techniques mais humains, organisationnels, psychologiques. Il devient vital de réformer des organisations en majorité hiérarchiques, cloisonnées et avec des contrôles à chaque étape. Cela implique un management fondé sur la confiance et l'évaluation a posteriori des résultats du travail, et non sur le contrôle bureaucratique du respect des procédures. Tout le monde en tirera des bénéfices. C'est pourquoi, j'ai conclu mon étude sur le télétravail en appelant à une Révolution de la confiance fondée sur le réussir ensemble !

A.-Y. Portnoff - 29 mai 2020

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