Dimanche de la Joie et Jeudi-Saint

Date de publication : Apr 02, 2013 9:31:26 AM

Homélie du Père Zanotti-Zorkine

Homélie prononcée par le Très Révérend Père Dom Jean PATEAU

Abbé de Notre-Dame de Fontgombault

(Fontgombault, le 28 mars 2013).

Chers Frères et Soeurs,

mes très chers Fils,

Qui conduit l’Église ? Alors que depuis quelques jours l’Esprit-Saint a établi sur la chaire de saint Pierre un nouveau “doux Christ en terre”, selon l’expression de sainte Catherine de Sienne, un nouveau Pape, alors qu’avec Jésus et les apôtres, nous entrons dans le Triduum pascal, sommet de l’année liturgique, la question mérite réflexion.

Une première constatation peut être tirée de l’Évangile. Depuis le recouvrement au Temple jusqu’à l’Ascension, Jésus, semble-t-il, mène le cours des événements. « Pourquoi donc me cherchiez-vous ? » répond-il à l’âge de douze ans à ses parents qui le retrouvent au milieu des docteurs. « Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ? » (Lc 2,49) Au jour de l’Ascension, il dit à ses apôtres : « Allez dans le monde

entier, proclamez l'Évangile à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé; celui qui ne croira pas, sera condamné.» (Mc 16 , 15-16) Les apôtres « s'en allèrent prêcher en tout lieu, le Seigneur agissant avec eux et confirmant la Parole par les signes qui l'accompagnaient » (id.,.20). Le Seigneur, monté aux cieux, guide et secourt ses apôtres ainsi que leurs successeurs, le Pape et les évêques, dans l’oeuvre de transmission de la Révélation, d’évangélisation et dans le gouvernement de l’Église.

Cette réponse assez évidente doit se doubler d’une constatation tout aussi établie. En face des choix et des actes de Jésus, les apôtres, et nous avec eux, ne comprennent pas toujours. Oui, le plan de Dieu n’est pas notre plan, les voies de Dieu ne sont pas nos voies. Marie et Joseph se sont inquiétés de la disparition de leur enfant et, comme le font naturellement des parents, ils lui ont manifesté l’angoisse qui les habitait depuis le constat de sa disparition et leur émotion de le retrouver au milieu des docteurs.

Saint Pierre, qui avait un sens inné de l’autorité, ne peut admettre que son rabbi, son maître lui lave les pieds. Peut-être d’ailleurs a-t-il laissé le Seigneur laver les pieds d’autres disciples qui eux se sont laissés faire. Pierre, quant à lui, voit clair : « Seigneur, toi, me laver les pieds ? » (Jn 13 ,6) Jésus lui répond : « Ce que je fais, tu ne le sais pas à présent ; par la suite tu comprendras ». Le secret du plan divin n’est pas encore dévoilé à l’homme et Jésus demande à Pierre l’obéissance de la foi. Mais Pierre, mesurant l’incongruité de l’acte du Seigneur, péremptoire, affirme :

« Non, tu ne me laveras pas les pieds, jamais ! » La réponse du Seigneur se fait alors cinglante : « Si je ne te lave pas, tu n'as pas de part avec moi ». Pour Pierre, l’enjeu n’est plus le fait d’avoir ou non les pieds lavés par Jésus, mais de prendre ou non sa part au mystère du don divin que le Seigneur est en train de faire à la terre. Il devient alors évident pour Pierre que les pieds ne suffisent plus. Pour les autres apôtres, cela suffirait, mais pour lui, il faut maintenant et les mains et la tête !

Pierre est tantôt en retrait, tantôt en avance sur le plan divin ; est-il avec Dieu ? Aux limites d’une intelligence créée, aux exigences d’un raisonnement parfaitement logique, le chrétien ne peut qu’opposer l’obéissance à Dieu, conséquence de sa foi. Parfois, les exigences de Dieu sont grandes.

Les jours dans lesquels nous entrons semblent de fait vouloir nous faire accomplir un pas supplémentaire, le pas de l’absurde, nous enfoncer davantage dans l’incompréhension du plan de Dieu. Jésus, qui jusque-là était le rabbi, le maître, semble désormais livré au pouvoir du mal. Les événements le conduisent plutôt qu’il ne semble lui-même les conduire. Ecce Homo ! (Jn 19, 5)

Voici l’homme, voici celui qui n’est qu’un homme. Même les apôtres, même les disciples aimés, Pierre, Jacques et Jean, ceux sur qui il comptait pour affermir les autres, ne comprenaient plus. Pierre, l’homme de foi, qui avait confessé sa divinité :

« Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16) ; Jean, l’Apôtre vierge : « Bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu » (Mt 5, 8) ; et Jacques, qui va être le premier martyr du Collège apostolique, les meilleurs, de nature ardente et enthousiaste, tous, cette nuit, ils abandonneront Jésus à son agonie, à son mystère.

Lors de la Transfiguration, Pierre disait : « Il est bon pour nous d’être ici ! » (Mt 17, 4) Mais Jésus ne voulait pas rester ici. La Transfiguration était le don d’une lumière censée les affermir lors des ténèbres du vendredi-saint. La leçon eut peu d’effets. L’homme a la mémoire courte quand l’émotion et l’orgueil l’aveuglent.

« D’où l’homme puise-t-il cette ouverture du coeur et de l’esprit pour croire dans le Dieu qui s’est rendu visible en Jésus Christ mort et ressuscité, pour accueillir son salut, de sorte que Lui et son Évangile soient le guide et la lumière de l’existence ? » s’interrogeait Sa Sainteté Benoît XVI. Réponse : « nous pouvons croire en Dieu parce qu’il s’approche de nous et nous touche, parce que l’Esprit Saint, don du Ressuscité, nous rend capables d’accueillir le Dieu vivant. La foi est donc avant tout un don surnaturel, un don de Dieu. » (audience du 24 octobre 2012) Don de Dieu reçu dans l’humilité, l’acte de foi n’est contraire ni à l’intelligence de l’homme, ni à sa liberté. Cet acte doit embraser toute la vie de la lumière du Ressuscité. Il place l’âme au milieu du feu pascal, du feu de la charité. « Je suis venu jeter un feu sur la terre, et comme je voudrais que déjà il fût

allumé ! » (Lc 12, 49)

« La foi n’est pas un simple accord intellectuel de l’homme avec des vérités particulières sur Dieu ; c’est un acte à travers lequel on s’en remet librement à un Dieu qui est Père et qui m’aime ; c’est l’adhésion à un ‘Toi’ qui me donne espérance et confiance », enseignait également Sa Sainteté Benoît XVI (ib).

Comme notre regard pourrait être transfiguré si nous avions la foi comme un grain de sénevé ! (cf. Mt 17, 20) Jésus aujourd’hui a uni le don de l’Eucharistie et la pratique de l’amour mutuel, le commandement nouveau. Que ceux qui partagent le même Pain et boivent à la même coupe soient un dans le Christ selon sa volonté. Prions en ce jour pour l’Église, pour le Pape, pour les évêques et les prêtres. Le monde et le prince de la division

qu’est le diable, les détestent.

François Mauriac écrivait en 1931 : « Vous dites qu’on manque de prêtres ?... En vérité, quel mystère adorable qu’il y ait encore des prêtres ! Plus aucun avantage humain : la chasteté, la solitude, la haine, très souvent la dérision, surtout l’indifférence d’un monde où il semble ne plus y avoir place pour eux, telle est la part qu’ils ont choisie !

Aucune grandeur apparente, une besogne qui parfois semble matérielle, et qui, aux yeux de la foule, les identifie avec le personnel des mairies et des pompes funèbres. Une atmosphère païenne les baigne de toute part. Le monde rirait de leur vertu, s’il y croyait, mais il n’y croit pas. On les épie. Mille voix dénoncent ceux qui tombent. Les autres, le plus grand nombre, nul ne s’étonne de les voir besogner obscurément, sans salaire appréciable, se pencher sur les corps qui agonisent, patauger dans les cours de patronage.

Qui dira la solitude du prêtre à la campagne, au milieu de paysans si souvent fermés, sinon hostiles à l’esprit du Christ ? On entre dans l’église d’un village : personne qu’un vieux curé, agenouillé dans le choeur, et qui veille seul avec son Maître.

Les paroles du Christ à leur sujet se réalisent chaque jour : “je vous envoie comme des brebis au milieu des loups… Vous serez en haine à tous à cause de mon nom.” Depuis des siècles, il se trouve des hommes pour choisir d’être haïs, de n’être pas humainement consolés. Ils choisissent de perdre leur vie parce que, une fois, quelqu’un leur aura fait cette promesse, qui paraît folle :

“celui qui sauvera sa vie la perdra ; et celui qui perdra sa vie à cause de Moi la retrouvera.” » (Le Jeudi saint).

Avec Marie, la Bienheureuse parce qu’elle a cru, méditons tout cela en secret.