LE RITE INFRA-ORDINAIRE

Date de publication : Mar 22, 2012 8:39:14 AM

" C’est dimanche: le jour du rite infraordinaire dans la plupart des paroisses. C’est un rite tellement peu romain, qu’il ne mérite plus que ce nom. C’est le rite infraordinaire tout court.

On devrait écrire les rubriques de ce rite infraordinaire.

Tout d’abord, il se caractérise par une très grande diversité et liberté qui ont surtout en commun d’être en réaction permanente au rite romain.

La décoration du choeur de ce rite se caractérise par beaucoup de papier: des posters, des grands slogans, des écrans, des panneaux, des banderoles, des photos, des dessins, des reportages, des bricolages, des ballons gonflables... et donc gonflés.

Ce qui se dispose sur l'autel doit à tout prix être asymétrique: des bougies (souvent une seule) sur un côté, des fleurs de l’autre. Si possible pas de croix sur l'autel. A quoi bon centrer le regard sur l’essentiel et le détourner ainsi du célébrant? Par contre la sonorisation des papiers du célébrant est d’une importance extrême pour toute participation consciente et active à ce qu'il fait: si on peut trouver un vieux micro qui amplifie le bruit des pages qui se tournent ou quand le prêtre s’y frotte au moment de ses mouvements, c’est le “top” absolu du rite infraordinaire.

A propos de papiers sur d’autel, il en faut le plus possible et de toutes sortes: chants, mots de commentaires, prières inventées, déroulement de la messe, pense-bête, intention de la messe... Le mieux c’est quand il y en a tellement que le célébrant s’y perd. Il y a des petits missels carrés jetables pour contenir éventuellement tous ces papiers.

Devant l’autel, une profusion de fleurs, ou de lumignons qu’emmènent les enfants en procession maladroite, ou des paperasses dont j’ai parlé plus haut. C’est pour empêcher à qui que ce soit de faire le tour de l’autel par devant, ou de se poser devant l’autel.

Pour ne pas perdre de temps au moment de l’offertoire, à moins qu’on ait prévu une procession d’offrande, c’est bien d’avoir prévu et déposé tous les calices, patènes et le linge liturgique dès avant la messe sur l’autel. Le corporal se déploie de préférence avant ou tout au début de la messe. Mélanger l’eau au vin dans le calice dès avant la messe vous fait gagner le temps de cette opération plus tard.

Le chant d’entrée, si possible un tout vieux que tout le monde connaît et braille, ou un tout nouveau, que ne braille que l’animateur, seul au micro, est en français, contre-rythmé, entraînant, simple. De préférence il n’a aucun rapport avec les Lectures. Pour les grandes fêtes, les enterrements et les mariages, il est très bien vu de passer de la musique pré-enregistrée. Si l’on peut éviter l’orgue comme instrument d’accompagnement, on l’évite. On préférera toujours un “orgue” électronique à un orgue à tuyaux. Le meilleur instrument d’accompagnement, c’est la guitare, l’accordéon ou - surtout dans certaines communautés religieuses - la cithare. Ces instruments sont amplifiés s’il le faut. Les percussions sont un peu passées de mode, mais pour les messes avec enfants, il faut au moins les remplacer par des applaudissements, des claquements de doigts, des instruments improvisés qu'on agite...

Le prêtre, en aube-sac qui arrive aux mollets et étole pendouillante négligemment jetée sur les épaules, évite de mettre la chasuble, et surtout pas d’amict: il faut qu’il puisse afficher son orientation pastorale au niveau de son col (col romain strict ou col décontracté de polo ou col de chemise à carreaux).

Il faut remplacer systématiquement le “Gloire à Dieu” et le “Je crois en Dieu” par un refrain simple qui présente un tout autre texte. Pareil pour le “Saint, saint, saint le Seigneur” et l’ “Agneau de Dieu”. Les anamnèses doivent emprunter aux mélodies les plus romantiques possibles, de préférence être mal imitées de celles de grands opéras italiens... on y adaptera un texte quelconque.

Toute parole latine est interdite ou à éviter à tout prix dans le rite infraordinaire. Le chant grégorien est passé dans les enceintes acoustiques... avant et après la messe, pour meubler le bâtiment.

Le “Notre Père” doit être gestué par des enfants sous le regard embué des mamans catéchistes admiratives.

Le plus grand moment de ces célébrations, c’est le geste de paix, juste avant la communion (laquelle est bien moins importante): le célébrant doit parcourir la nef à ce moment-là et serrer un maximum de mains avec un sourire affiché de maire en campagne électorale. C’est un signe d’ouverture et de convivialité.

Ceux qui s’agenouillent lors de ces célébrations, ou qui insistent pour recevoir la communion dans la bouche, doivent être regardés comme de pauvres attardés mentaux qui se sont trompés de rite. Mais il faut tout faire pour les accueillir décemment, discrètement, compassionnément... L’ouverture à l’autre l’exige.

Le célébrant ne chante rien de ce qu’il devrait assurer tout seul: aucune oraison, surtout pas la préface, ni les dialogues. Mais il participe au maximum aux refrains simples avec la foule; si possible, il chante plus fort et plus faux dans son micro que l’animateur lui-même. C'est du meilleur effet. S’il est un grand musicien, il chante éventuellement les intentions de prière pénitentielle sur une mélodie toute personnelle ou improvisée dans une autre tonalité que le “Seigneur prends pitié” prévu par l’équipe liturgique... Observer la réaction de l’animateur et de celui qui accompagne égaie toujours l’assemblée.

Les lecteurs doivent être choisis au hasard en dernière minute. Il ne faut pas avoir peur des gens qui ne savent pas se servir d’un micro. Il faut annoncer haut et fort toutes les pages des chants et refrains dans le livre de cantiques. A défaut, on peut les afficher sur un grand écran blanc dans le choeur. Le dernier cri, c'est d'y afficher carrément les paroles grâce à un programme d’ordinateur. C’est la “messe-karaoké”.

Pour la disposition de l’autel, il faut que le tabernacle soit dans le dos du célébrant, de manière à ce que le prêtre, pendant toute la célébration, tourne le dos au Seigneur. C’est une revanche des fidèles envers le Seigneur, de toute cette période où il obligeait le célébrant de leur tourner le dos. Le “top”, c’est d’installer deux autels dans le choeur: l’ancien pour le Seigneur, et un nouveau pour le célébrant et la foule. Si le choeur est assez vaste, il est bon d’ajouter un troisième autel pour les éventuelles messes de semaine.

Le choix des lectures doit se faire dans une liberté absolue: une seule première lecture dès que l’occasion se présente. On peut prévoir d’autres textes non bibliques. Les oraisons sont formulés librement par le célébrant, seul moyen pour être sûr qu’elles viennent vraiment du coeur.

La prière eucharistique est la plus libre possible, adressée au maximum aux fidèles. Pour les célébrants en manque d’inspiration, il y a les oraisons nouvelles et des prières eucharistiques pour toutes circonstances.

La tenue dans le choeur doit être la plus désinvolte possible: bras pendouillants, ou croisés, maintenant le menton quand on est assis pour écouter les Lectures. Jamais les mains jointes en prière. Jamais à genoux. Surtout pas de génuflexions: mieux vaut faire une “inclination profonde”, en pointant bien son arrière-train dans la direction de ceux qui se trouvent derrière vous, quand vous croyez vraiment devoir vénérer indifféremment ou le tabernacle ou l’autel. Quand le célébrant s’assoit, il croise les jambes ou il les étire devant lui, s’adossant avec un léger mouvement de proéminence du ventre dû tout le poids de son dos sur le dossier de sa chaise. Se sentir à l’aise est le mot d’ordre.

Si vraiment on ne peut pas éviter d’avoir des enfants de choeur, il faut qu’il y ait au moins autant de filles que de garçons, et les laisser le plus désoeuvrés possible. Les fillettes doivent avoir du temps pour minauder.

Pas de clochettes, pas de lavabo, pas d’agenouillement ni de génuflexions. Il faut que tout le monde s’ennuie au moins autant que le célébrant qui donne l’impression de se sentir en trop.

Sauter l’embolisme après le “Notre Père” c’est possible et conseillé: ça permet d’enchaîner tout de suite “Car c'est à toi...”

A la consécration, il est bien de briser l’hostie et de montrer à l’assistance les morceaux en disant les mots “il prit le pain... le rompit...” Il serait bon d’envisager de donner tout de suite la communion en disant “prenez en mangez-en tous...” Ça ferait gagner un temps précieux. Faire distribuer la communion par le plus de laïcs possibles, de préférence par des gens peu habitués à venir à la messe. Il faut impliquer, justement, ceux qui viennent moins souvent, ou qui ont des problèmes avec les enseignements de l’Eglise. Il faut les familiariser...

Ne surtout jamais oublier de dire “bonjour” à toute l'assemblée au début de la célébration et “au revoir et bon dimanche à toutes et à tous” à la fin.

Ouf! Effectivement, ce dimanche sera bon, ne pouvant pas être pire que l’obligation d’assister à de telles célébration infraordinaires."

(d’après Jean von ROESGEN)

Texte envoyé en mars 2009 par le curé d'une cathédrale française.

ab. L.