Témoignage d'un Malgré-Nous

Témoignage d'un déporté et Malgré-Nous

Marcel Hausser n'avait pu réprimer sa fibre patriotique le 14 juillet 1941 et avait entonné la Marseillaise avec quelques copains suite à quoi il avait été dénoncé puis interné à l'âge de 18 ans à Schirmeck, où il passera six mois. Six mois à devoir supporter les brimades des gardes et de leur sadique tortionnaire en chef, Karl Buck, sinistre personnage qui sera condamné à mort deux fois par les Britanniques et les Français mais que la République Fédérale allemande s'empressera de libérer lorsqu'il leur sera remis en 1955. Un jour celui-ci croisant le chemin de Marcel Hausser qui revenait du coiffeur, le gifla tellement violemment parce qu'il n'avait pas la coupe de cheveux réglementaire (le crâne rasé), qu'il tomba parterre. Schirmeck était un camp spécialement créé pour les Alsaciens récalcitrants, ceux qui écoutaient Radio-Londres, refusaient la germanisation de leur prénom, ou encore portaient un béret basque. On essayait de vous briser moralement (endoctrinement tous les dimanches dans la salle des fêtes du camp qui pouvait contenir 2000 personnes) et physiquement (comme seule nourriture : un extrait de chicorée infect le matin, un morceau de pain noir avec un fromage ou une rondelle de saucisse à midi, une louche de soupe maigre le soir, ce régime amena Marcel Hausser à manger l'herbe qui poussait à côté de son baraquement pour tenir). Tout le monde avait droit au même traitement y compris les personnes âgées de 80 ans ; sa jeunesse et une forte résistance physique lui permettront de résister. Il sera témoin de l'explosion démographique du camp qui passera de 600 à plus d'un millier de déportés dans les six derniers mois de 1941 à mesure que la répression nazie s'accentua en Alsace.

Rentré à la maison et après avoir effectué 5 mois de service de travail obligatoire dans le R.A.D. il sera incorporé de force en octobre 1942. Affecté en pays annexé sudète avec un passage en Pologne pendant l'hiver 1942-43 où régnaient des températures de - 30 degrés, il est condamné à deux mois de prison par le tribunal militaire de Dresde pour propagande défaitiste anti-nazie en février 1943. Ré-affecté au régiment du 9ème Panzer-Grenadier (infanterie mécanisée de soutien des chars de combat) qui opérait sur la côte adriatique, il le rejoint début décembre 1943. Le 22 janvier 1944 les Alliés débarquent à Anzio près de Rome, le bataillon de Marcel Hausser est envoyé de toute urgence vers cette région. Les combats sont très violents et les Allemands bombardés par l'artillerie lourde de la marine et de l'armée de l'air du 6ème corps américain essuient de lourdes pertes. Après 3 jours de combat il ne reste plus que 26 hommes valides sur 120 dans le bataillon de l'Alsacien, lui-même échappe de peu à la mort à moitié enterré par une explosion. En infériorité numérique les Allemands se retirent sur les sommets des Apennins où ils se retranchent sur les hauteurs. Ses supérieurs réclament des civils pour faire des tranchées mais les hommes du village se cachent dans les montagnes. Pour éviter une fusillade il intervient auprès du curé du village qui heureusement parlait français, ayant fréquenté le séminaire de Strasbourg avant-guerre, et le met au courant de la situation. Celui-ci fait sonner les cloches. Immédiatement les femmes et les enfants coururent vers l'église, quelques heures après les hommes se présentaient. Le lendemain, nouveau déplacement dans la région proche de Cisterna-Aprilia. Installé sur une colline comme 1er tireur de mitrailleuse sol-air assisté d'un second alsacien incorporé de force de Rothau. Une vingtaine d'officiers apparaissent, leur général demande à Marcel Hausser de l'accompagner. Il refuse prétextant ne pouvoir abandonner l'arme au deuxième servant celui-ci ne parlant pas allemand. Le général le prend à l'écart et le questionne d'où il vient et lorsqu'il apprend qu'ils sont tous deux alsaciens il l'interroge : « vous êtes donc nés Français, vous pensez devenir quoi après la guerre ? » Marcel Hausser a des convictions, il répond qu'il espère que l'Alsace redevienne française. Il s'attend à être fusillé sur place, le général lui tend alors la main en disant : « je vous félicite pour votre courage ! ». Les officiers de la Wehrmacht n'étaient pas tous d'accord avec le viol de la personnalité alsacienne qui échappait au sens commun.

Quelques jours plus tard Marcel Hausser est blessé à l'avant bras par un éclat d'obus. Il obtient 15 jours de convalescence à Steinbourg après sa sortie d'hôpital. Nous sommes le 7 juin, il apprend le débarquement de Normandie à la radio. Sa permission arrivée à son terme Marcel décide de déserter son unité toujours stationnée en Italie. Il réussit à franchir le front à sa 3ème tentative en brandissant le petit drapeau bleu-blanc-rouge que les incorporés de force portaient secrètement dans leur poche. Il passe quelques semaines dans le camp américain de Pagnidi-Astiana avant d'être remis aux autorités françaises près de Naples. C'est là qu'il s'engage dans les forces françaises libres. Il débarquera avec la 1ère armée du général De Lattre de Tassigny à Saint Tropez en août 1944, ce qui le mènera jusqu'en Allemagne avec une dizaine d'autres Steinbourgeois libérés de l'emprise allemande. Il sera de retour dans son foyer pour Noël 1945. Il aura connu l'enfer des camps de concentration, celui de la guerre, la connivence de certains soldats qui savaient la défaite irrémédiable ; un gradé avisé lui conseilla de refuser la proposition qu'on lui a fait de devenir tireur d'élite, paraît-il les Alsaciens étaient très doués à cet exercice, en se faisant faire des lunettes factices chez un opticien.

Marcel Hausser s'est confié à moi en octobre 2010. Je lui en suis reconnaissant au nom de tous ceux qui n'ont pas parlé après-guerre pour des motifs divers notamment cette incompréhension française du drame des Malgré-Nous et de la mise au pas d'une région entièrement incorporée de force. Le traumatisme du retour à une mère-patrie qui les a injustement traités après les avoir abandonné à leur sort a été tellement profond qu'il a fallu deux générations avant qu'« une écriture individuelle prenne en charge le destin collectif » cf. André Weckmann.