Destins de Malgré-Nous 

Charles Alphonse Minni (2/08/1924 à Steinbourg - 21/05/1991 à Perpignan).

Le 8 septembre 1940, les Jeunesses hitlériennes sont créées à Strasbourg. Organisées par classe d'âge, le Jungvolk regroupe les garçons de 10 à 14 ans tandis que la Hitlerjugend les encadre de 14 à 18 ans. Le passage de la Jungvolk à la HJ est marqué par une grande cérémonie dite Jugendverplichtung (serment prêté par la jeunesse) destinée à remplacer la communion solennelle des catholiques ou la confimation des protestants. Le BDM, Bund Deutscher Mädel est le pendant féminin des jeunesses hitlériennes.

Dès la rentrée, des pressions sont exercées sur les élèves afin qu'ils s'affilient sous la menace de ne plus pouvoir suivre les cours d'une école secondaire s'ils ne participent régulièrement aux activités. Charles Minni, Karl en ce temps-là, se fait remarquer par les autorités pour son manque de zèle. Il est nommément désigné comme le meneur de ces jeunes qui ne fréquentent la HJ que pour jouer au football, dans un courrier du Bannführer de Saverne au Ortsgruppenleiter du parti nazi. 

Cette attitude non coopérative dans les HJ va le desservir. 

Il termine brillamment ses études secondaires en 1941 et est embauché comme secrétaire de mairie. Précisons qu'à ce moment ses deux frères aînés sont déjà sous-officiers de l'armée française d'Afrique. Charles vit avec sa mère et ses deux jeunes sœurs.

En août 1942 l'Allemagne décide d'incorporer de force les classes 1920 à 1924. Il est mobilisé à sa grande surprise à l'âge de 18 ans, après un conseil de révision qui se dissimulait encore sous le prétexte d'un recensement de la jeune population adulte. Après de courtes classes, il est désigné de par ses aptitudes intellectuelles et physiques comme élève officier, ce qu'il refuse. En représailles il est immédiatement versé sur le front russe comme servant d'une arme collective. Le poste très convoité de secrétaire de mairie sera attribué à la fille du maire. 

Début 1943, c'est la débâcle et la retraite pour son unité. Avec un camarade, Charles se tapit dans un fossé  pendant que les chars russes roulent au-dessus de lui. Ils se rendent aux premiers fantassins en vue, qui leur assènent des coups de crosse, et de pied dans le derrière. Ballottés d'une unité à l'autre ils arrivent en soirée devant un général qui comprend le français. Charles est dirigé vers un camp de prisonniers français où il passera 11 mois. Il sera déclaré mort au combat le 4 août 1943.

A Steinbourg c'est la consternation. C'est le premier Malgré-Nous décédé. Une messe a lieu a son intention et une large partie du village y assiste, solidaire de la famille. Mais Charles est encore vivant lorsqu'il fait l'objet d'un échange de prisonniers français et russes sous l'égide de la Croix-Rouge, un des premiers convois qui quittera la Russie. Il pèse encore 40 kilos et souffre d'une pleurésie lorsqu'il arrive à Téhéran. Après des soins il embarque dans un avion à destination du Caire, puis prend la route vers Alger via Tunis où il arrive épuisé à l'hôpital Maillot fin janvier 1944. 

En mai 1944 est constitué à Staouëli à l'image des SAS britanniques le groupe des commandos de France, unité parachutiste de l'armée de terre (futur 3ème bataillon de choc, puis 1er régt d'infanterie de choc aéroporté) destinée aux missions d'infiltration en territoire ennemi, d'attaques surprises et de coups de main par petites unités. Une fois rétabli Charles s'engage, puis débarque en septembre en Provence. Les commandos de France participent aux combats qui ouvrent la route de Belfort où ils subissent de lourdes pertes. Aux portes de l'Alsace, Charles y retrouve par hasard son frère aîné enrôlé dans la 1ère Armée, puis participe à la bataille de la poche de Colmar, dernière bataille sur le sol français. En février 1945 il rejoint Steinbourg lors d'une permission et retrouve sa mère et ses soeurs qui le croyaient mort au front. Surprise au village. 

En avril son unité repart en Allemagne, participe à la prise de Karlsruhe, Pforzheim, Bregenz. A la fin de la guerre sa compagnie devient le socle de la 25ème division aéroportée, Charles fait son stage de parachutiste à Pau avant de rejoindre l'Indochine en janvier 1947 avec le 1er bataillon parachutiste de Choc qui interviendra au Laos, au Cambodge, en Cochinchine et au Tonkin jusqu'en juin 1948. Il revient en France en 1949, se marie. En 1954 Charles devient officier trésorier du 9ème RCP avec lequel il fera deux séjours en Algérie entre 1957 et 1961.

La fin déplorable de l'Algérie française l'affecte profondément et il démissionne après 20 ans d'armée, 3 croix de guerre, la Médaille Militaire et celle des évadés. Il s'établira à Colombes dans le civil, où il exercera 17 ans comme Directeur d'un foyer d'immigrés, avant de revenir dans le sud lors de sa retraite. Il décède à Perpignan à l'âge de 66 ans.

Charles Alphonse Minni figure par erreur sur le monument aux morts de Steinbourg.

Gabriel Charles Diss - Propos rapportés par André Weckmann (Splitter)

Saverne, septembre 1942. Gabriel Charles Diss, 20 ans et ses 8 camarades de la classe 1922. Nus devant l'officier recruteur qui veut leur faire signer le livret matricule (Wehrpass). En première ligne Gaby, le plus costaud de sa classe d'âge, un physique avenant. 

Signez ! 

Non.

Vous irez en prison si vous ne signez pas. Signez !

Non.

Le mieux est qu'on vous mette dans un camp de rééducation. Vous signez !

Non.

Wir werden Ihnen dort die Hammelbeine langziehen (littéralement on vous étirera vos jambes de mouton)

Alors vous signez ?

Non.

Et après vous avoir rendu docile, vous serez apte à vous battre pour notre grand Reich. Alors, vous singez ? Ce n'est qu'une formalité.

Non.

Rraus ! Rompez ! Qu'on l'emmène. Au suivant !

Aucun ne signa. Ils furent tous internés 3 mois à Schirmeck. Il savaient ce qui les y attendait, des villageois  étaient déjà passés par là qui avaient chanté la Marseillaise le 14 juillet 1941 devant le monument aux morts, ainsi que les trois de la bande à Tarass qui avaient mené la révolte lors de l'abattage de l'arbre de la liberté le 1.09.1940.

« On s'était dit à Schirmeck, qu'on aura droit à une perme avant de rejoindre la caserne. J'avais décidé de m'enfuir. Mais il n'y eût pas de perme. On s'est fait avoir. Alors, est-ce que cela valait bien le coup, Schirmeck ? »

Gaby Diss mourut en Finlande le 21.10.1944 grade de sergent.

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Charles OTT - - Propos rapportés par André Weckmann (Splitter)

Un soir au bistrot. « Moi, j'ai signé », dit Charles. « Nous, ceux de la classe 1924, nous avons tous signé. Que nous restait-il d'autre à faire ? Fuir en France ? Elle est occupée. En Suisse ? C'est trop loin d'ici. Et puis ils s'en prendraient à nos parents, nos familles. Le village est déjà sur liste noire. Alors nous avons signé, la mort dans l'âme. Advienne que pourra. » Il faisait partie de la bande de Tarass. C'était un garçon doux. Lorsqu'il partit, on se dit : Que va-t-il faire dans cet enfer, la machine inhumaine l'écrasera. Il secouera sa tête, ouvrira grand les yeux baignés de larmes. "La Russie, dit Charles. Nos pères déjà y étaient en 14-18. Qu'est-ce qu'on va foutre en Russie. Est-ce le destin des Alsaciens, la Russie ?" Tarass (Minni Marcel) qui était revenu du camp de Schirmeck, lui tappa sur l'épaule : "T'en fais pas, les comme-nous trouveront toujours la sortie".

Charles survécut à la Russie et vint en permission un an plus tard. Attendant au restaurant Weckmann le train qui allait l'emmener il leva d'une main tremblante son verre de vin. Quelques gouttes tombèrent sur la table. Il y trempa son doigt et le porta à ses lèvres. "Il ne faut pas en perdre une goutte, dit-il. Qui sait si j'en reboirai chez toi, Güscht (Auguste Weckmann). Peut-être que oui. Jusqu'à présent je m'en suis bien sorti. Mon unité est en Italie. Là-bas, m'a dit un copain alsacien, on trouvera bien une occasion pour filer. C'est pas des Russes, en face. Les Russes ne savent pas ce qu'est un Alsacien, en Italie il y a les Anglais et les Américains. Eux ils doivent savoir".

Charles, grade de caporal, fut tué à Coriano, le 13.09.1944 lors du déclenchement de la bataille de Rimini.

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La classe 1926 sera intégralement versée dans les Waffen-SS en mal de chair à canon en 1943, pour combler les vides de la campagne de Russie. C'est un drame dans le drame, un cran de plus dans l'horreur de l'incorporation de force. Les Alsaciens auront leur groupe sanguin tatoué sous le bras comme tout Waffen-SS. Officiellement pour être secouru en premier, en fait pour ne pas qu'ils désertent, les Russes ne leur faisant pas de cadeau. 

Marcel Heinrich (28 juin 1926 - 1er juillet 2002) est pris dans la nasse. Répondant aux critères physiques, il est incorporé de force dans la sinistre division Totenkopf à l'âge de 17 ans. Mais la Totenkopf s'étant fait décimer sur le front russe durant ses classes en Pologne, il est reversé dans la SS Reichsführer qui va être envoyée sur le front italien en défense de la Gothenstellung, qui va de Pise à Rimini en s'appuyant sur les Apennins. Comme Charles Ott, mais du côté ouest. On ignore s'il assista à l'exécution de Jean-Pierre Zimmermann et Charles Kreutter, les Alsaciens qui avaient exprimé ouvertement leur regret de l'attentat raté sur Hitler. Dénoncés, ils furent condamnés à mort et pendus publiquement le 18 août 1944 devant leurs camarades. 

Marcel Heinrich déserte avec un collègue le 9 septembre de la garnison de Langhirano 30 kms au sud de la ville de Parme et rejoint le maquis. Il ne sera pas éclaboussé par le massacre de Marzabotto, au sud de Bologne,  perpétré le 29 septembre 1944 par une compagnie de la SS Reichsführer. C'est le massacre de civils le plus meurtrier du front ouest où femmes et enfants succomberont sous la barbarie des hommes du major Reder, qui comme nombre de criminels nazis, mourra dans son lit, grâcié par l'Allemagne en 1985 ; en 2007, suite au procès de La Spezia, l'Allemagne refusera d'extrader les dix derniers survivants condamnés par contumace. 

Revêtu d'un uniforme anglais, Marcel épaulera les partisans italiens attaquant l'arrière des lignes allemandes durant l'automne, à Tizzano, Cissana Valpano et dans les collines au sud de Parme. A la mi-novembre il échappe à une rafle allemande et à une mort certaine car en tant que déserteur il n'aurait pas échappé au peloton d'exécution. Marcel Heinrich se battra avec les partisans tout l'hiver jusqu'à fin avril, dirigeant une unité de 50 hommes au grade de sous-lieutenant. Le 9 mai, son détachement déposera les armes à Parme, et avec son camarade de désertion il rentre en Alsace. 

Le 10 février 1986 il déposera à la mairie de Steinbourg son témoignage.