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Video avec Thierry et Jean-Pierre Salmona : Bartok-Arma Suite paysanne hongroise :

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A la demande des personnes présentes, voici le texte de Reine Prost lu par Hugues Pollet :

Article consacré au terreau (l’époque) qui vit se développer les œuvres de Bartok, Prokofiev, Debussy, Ravel

1) Tout va bien

a. L’époque

Abordons maintenant la période comprise entre 1880 et la guerre de 14/18, la « belle époque » nous dit-on avec un certain optimisme. Certes, tandis que perdurent autour d’elle des monarchies, la France a stabilisé une république un brin tumultueuse, mais finalement durable. Certes la science avance à la découverte des structures de l’univers et de l’homme, l’industrie progresse, la colonisation est considérée comme acquise et profitable, le commerce prospère. En témoigne l’exposition universelle de 1900 à Paris. Les arts, par ailleurs, recherchent, souvent dans la contestation, des expressions nouvelles et de nouveaux matériaux.

b. Les artistes

En effet les artistes s’efforcent de vaincre le conservatisme ambiant. Ils renouvellent la représentation traditionnelle de l’espace, par exemple. Ils élargissent, par ailleurs, leurs domaines et leurs compétences sous la forme d’échanges fructueux et de collaborations, comme en témoignent les soirées dites « familiales et artistiques » à Montmartre, puis à Montparnasse. On y rencontre Apollinaire, Alfred Jarry, Max Jacob, Jules Romain, Francis Carco, Maurice Ravel… on se réunit chez Serge Ferrat et Hélène d’Oettingen, chez Gertrude Stein, mais aussi à la Closerie des Lilas ou dans les « Cités du Génie », par exemple la Cité du Maine nommée « La Riche », reliquat des constructeurs d’Eiffel, achetée par le sculpteur Alfred Boucher. Il mit ce lieu à la disposition des artistes pour une somme modique qui s’avéra souvent égale à zéro. Apollinaire y venait voir Chagall, car à côté d’artistes français comme Fernand Léger s’y installèrent des russes des polonais, des chiliens, des italiens, des japonais, tous légers d’argent mais que de rencontres ! Noces des arts donc et noces également de l’art et de l’industrie avec Gallé et ses verriers, l’ébéniste Majorelle, les architectes du béton et de la fonte tels Hector Guimard qui conçut, en 1898, le cartel Béranger et Auguste Perret, le Théâtre des Champs Elysées.

Dans son « Atlas de la Grande France » Onésime Reclus affirme alors que ce pays est « la seconde patrie de tous les esprits d’élite, le foyer le plus vivace d’idéalisme, l’école la plus avancée de la civilisation ». Un âge d’or, dirait-on, ou prétendu tel…

2) Ce n’est qu’une apparence

Or, un regard plus attentif met en lumière une contestation politique et sociale, un substrat fragile de codes récusés. La « belle époque » est un mythe confortable, reconstruit après la déflagration de 14/18. Nostalgie d’un monde d’avant la tempête, « le monde d’hier », pour reprendre l’expression de Stefan Zweig qui titra ainsi l’une de ses œuvres. Tant il est vrai qu’après le pire, le moins pire devient le meilleur. L’expression s’enkysta plus encore après la seconde guerre mondiale, survenue 21 ans seulement après la première.

a. En France

En fait, en France, l’époque en question est inquiète, les mutations et leurs conséquences font peur. Ce XIXème siècle qui s’effiloche, ce sont sept gouvernements successifs, la gloire puis l’effondrement de l’empire napoléonien, l’occupation étrangère et les pénalités financières, la guerre de 1870, l’industrialisation et son cortège de problèmes sociaux et, bientôt, le scandale de Panama, l’affaire Dreyfus, les poussées nationalistes de la droite extrême, la baisse démographique, une société inégalitaire, donc des mouvements ouvriers, des attentats anarchistes et une Eglise qui cherche maladroitement un second souffle. Les questions sociales et religieuses sont tout particulièrement le focus des inquiétudes.

b. En Europe

Par ailleurs en Europe le XIXème est agité. C’est l’explosion des revendications nationales à l’indépendance. Songeons, entre autres, à l’Italie, la Hongrie, la Pologne. Ces exigences furent souvent les conséquences de partages artificiels concoctés par le Congrès de Vienne en 1814/1815, préfiguration, des maladresses aux lourdes conséquences du traité de Versailles (1919) qui ne furent pas étrangères au déclenchement de la seconde guerre mondiale.

Les problèmes politiques et économiques appelaient aux solutions. L’analyse du rôle du capital par Karl Marx engendra un communisme qui passa bientôt de la théorie à la pratique active en 1917, lorsque Lénine rentra en Russie, avec toutes les conséquences que connut le XXème siècle. C’est donc un monde en ébullition que cette soi-disant « belle époque » !

3) L’art est un thermomètre

Or l’art étant, sous ses formes les plus diverses, un thermomètre mis au derrière de l’histoire, ne nous étonnons pas de trouver Bartok, Prokofiev, Debussy et Ravel au carrefour des courants qui agitèrent ces temps-là.

a. Sursauts nationalistes

Ainsi nous retrouvons le sursaut nationaliste chez Bartok et Prokofiev

• Bela Bartok

Le Hongrois Bela Bartok, né en 1881 (et mort en 1945), soucieux d’échapper à la pédagogie allemande qui nivelait les conservatoires d’Europe Centrale, souhaite créer un style musical enraciné dans les traditions folkloriques du monde paysan – musique ardente, comme en témoignent « les chants hongrois et roumains » et souci d’assurer la suprématie des cultures nationales.

• Serge Prokofiev

Le russe Sergeï Prokofiev (1891 – 1953) fit un long séjour à Paris. Il y fut fort apprécié pour sa musique de chambre, des opéras commandés par Diaghilev (c’est l’époque des ballets russes). Il décide de tourner le dos à l’occident, à sa musique, regagne Moscou, et affirme concrètement le désir de s’inspirer du folklore national – comme le firent d’autres musiciens russes de la même génération : Moussorgski (né en 1839), Mossolov (né en 1900), Katchatourian en 1904, et Chostakovitch en 1905. Prokofiev alla très loin, justifiant l’obédience des artistes à l’état, ce qui lui valut l’étiquette de « musicien stalinien ». Rappelons qu’il sera chargé plus tard, en 1938, de composer la partition de l’étonnant film épique d’Eisenstein consacré à « Alexandre Nievski », prince du XIIIème siècle, qui bouta hors de Russie les chevaliers teutoniques ; voyez le symbole…

b. Contestation des codes

Par ailleurs, en France, ni la peinture, ni la musique ne se retiennent de bousculer les modes et les codes. Ce sont des accouchements lents, difficiles, finalement fructueux.

• Les peintres impressionnistes

Les peintres impressionnistes Corot, Manet, Monet sont peu à peu considérés ; Van Gogh est enfin exposé en 1901 ; Klee et Picasso parlent de rendre visible la nature, pas de la reproduire. Ils se réclament de Cézanne, qui traitait la nature, disent-ils, « par le cylindre, la sphère, le cône, le trait mis en perspective ».

Le fauvisme, avec Matisse (le fauve des fauves d’après Apollinaire), Derain, Le Douanier Rousseau, Gauguin, Vlaminck, rend homage à la couleur pure, éclatante.

Mais la grande rupture, c’est Picasso qui la provoque avec ses « Demoiselles d’Avignon » en 1907. Il a 26 ans. Le Cubisme fait irruption. On refuse pourtant Bracque au salon, on se méfie de Juan Gris parce qu’il évolue du cubisme à l’abstraction, comme Francis Picabia, comme Marcel Duchamp qui décompose le mouvement dans sa célèbre toile « nu descendant l’escalier ». Le développement de la photo, des affiches, des cartes postales rend caduques les œuvres « réalistes ». On doit trouver des chemins inconnus ; on les trouve.

• La musique

La musique ne peut rester indifférente à cet appel baudelairien. La plongée « au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau ». Certes le public affiche une fidélité sans faille à Beethoven (une œuvre jouée sur dix est de lui), ainsi qu’à Chopin, Schuman, bientôt Wagner et les russes Rimsky Korsakov, Rachmaninov. Car la palette du goût s’élargit ; C’est alors que surgit « la brillante trinité » : l’organiste Gabriel Fauré, né en 1845, et ses élèves Debussy (né en 1862) et Ravel (né en 1875).

Claude Debussy, lauréat de la Villa Médicis, est un solitaire, un insoumis, un voyageur aussi qui découvre à Moscou Borodine, Tchaikowski, RImsi-Korsakov, Moussorgski et Stravinski dont « l’oiseau de feu » le subjugue. Il déteste Wagner et se veut avant tout musicien français mais libre de ses modèles.

Maurice Ravel, surnommé le « petit basque », jeune homme sec, élégant, mondain, mais anticonformiste frondeur aime à partager la gaîté tumultueuse des « Apaches », un groupe d’artistes réunis chez son ami Maurice Delage. Ce cercle, séduit par la musique russe, l’est tout autant par la poésie (c’est ainsi que Ravel mettra en musique des poèmes de Mallarmé). La danse le passionne, d’où ces pavanes, menuets, rigaudons, boléros, fox-trots et valses composés avec une rigueur technique et une audace dans l’orchestration qui lui valurent d’être traité d’ « horloger russe » par Stravinski.

La nouveauté de leur musique réside dans la conviction que le contrepoint a atteint son point de perfection avec Back et doit céder la place à l’ « harmonie » ainsi définie : « elle doit s’attacher à souligner le sentiment profond que ne font qu’esquisser les mots ». Voilà pour l’intention. Se fondre dans l’univers, le reflet de l’eau et comme l’écrivait Debussy, « n’écoutez les conseils de personne sinon du vent qui passe et vous raconte l’histoire du monde ». Impressionnisme sonore, sensualité légère, mélancolie qui le conduisent à illustrer musicalement comme un écho de sa propre âme les poèmes d’Apollinaire, ceux de Charles d’Orléans, ceux enfin de Verlaine qui réclamait dans son recueil de « Jadis et Naguère » « de la musique avant toute chose ».

Ainsi s’accomplit une révolution, une montée de la subjectivité qui sent son Lamartine, l’approche d’un rêve évanescent, fragile, car même au cours des périodes turbulentes, le créateur artistique roule sa vague et s’affirme un jour ou l’autre. Ecouter leur musique c’est illustrer ce qu’écrivait Byron dans son « Don Juan » :

Il y a de la musique dans le soupir d’un roseau

Il y a de la musique dans le bouillonnement du ruisseau

Il y a de la musique en tout. Si les hommes pouvaient l’entendre…

Leur terre n’est que l’écho des astres