Le catastrophisme illuminé de Nuna B.

Connaissez-vous Nuna Birntoe ? Probablement pas : hors de milieux très fermés, les écrits de cette poétesse britannique n'ont que peu circulé. Le personnage lui-même reste mystérieux : aucune donnée biographique ou presque, aucune photographie, et ses textes ne sont connus en France que par des copies clandestines, jamais regroupées sous forme de recueil et souvent maladroitement traduites.

En cause : le choix radical de Nuna B. de ne pas « se donner au public », de limiter la diffusion de ses œuvres, de cacher identité et visage. Ce qui lui a valu, d'une part, d'être associée à « l'art brut » (l'art des outsiders du monde artistique), et d'autre part, de jouir d'une certaine réputation mystérieuse.

L'œuvre vaut pourtant qu'on en parle. Prophétesse de notre temps, Nuna Birntoe écrit dès les années 1970 sur l'apocalypse climatique et la dégénérescence politique des sociétés occidentales, dans un style illuminé et une syntaxe désarticulée. Ainsi de « Requiem for the World », écrit cinquante ans avant Greta Thunberg et la fonte du permafrost par cette modeste artisane des mots.

Et malgré les restrictions qui entourent la diffusion de l'œuvre, celle-ci circule. Comme si dans notre monde markettisé où chacun court à l'audience, la volonté de rester inconnu·e pouvait être un passeport pour une (certes modeste) célébrité. La pertinence de son propos fait écouter sa voix, et ce n'est pas hasard si de nombreux artistes (écrivains, mais aussi plasticiens, philosophes ou musiciens) se sont réclamés de son influence.

Renouant ainsi avec l'œuvre des anciens, dont les copies multiples et parfois contadictoires ont circulé jusqu'à nous (sans l'aide de l'imprimerie et de l'édition) – par leur seule valeur artistique, Nuna Birntoe s'est ainsi fait un nom sur de l'anonymat. Peut-être moins connu que celui de bien des artistes largement diffusés, mais, qui sait, peut-être pour plus longtemps ?


Voir aussi :
Nuna Birntoe (fiche personne)
Nuna B. et l'art brut


Et pour plus d'informations
Guy Debord, Correspondance, volume VII