Sites et monuments : la Pâture des Hacots et la grotte de saint Hubert
La pâture des Hacots
Il existe à Sablonnières (section C, parcelles n° 6, 7, 8 et 10) un espace d'un peu plus de cinq hectares dont les habitants de la Noue et des Hacots ont la possession depuis plus de trois siècles. Cette ancienne pâture appartenait au XVIIe siècle à un nommé Gervais Braillet mort sans postérité et avait été annexée à la seigneurie de Sablonnières en vertu du droit d'aubaine. Sans doute pour en retirer quelque revenu, Théophile de Catelan, alors seigneur de Sablonnières, en concéda la jouissance perpétuelle à la communauté des habitants de la Noue et des Hacots, par acte du 26 mars 1696 passé devant le notaire Troche : chacun d’eux s'est vu ainsi accorder le droit d’y faire paître son bétail moyennant une rente de 20 sols l’an pour chaque bœuf ou vache mis en pâturage, payables à la Saint Rémi, outre une paire de poulets gras, vifs et en plumes, par ménage ayant des bêtes à cornes, payable à la Saint Martin d'hiver.
Ce droit de communauté a été plusieurs fois contesté mais toujours confirmé. Le 16 décembre 1727, Louis Closier laboureur, Jean Joseph Chérier aussi laboureur, Pierre Reignier, Pierre Prévôt, Charles Fontaine, demeurant à la Noue, Jacques François Fauvet tisserand demeurant aux Hacots, Jean Desbordes l’aîné et Jean Turlot demeurant à la Noue, reconnurent être débiteurs de cette redevance et s’obligèrent à continuer de la payer à René de Maupeou, alors seigneur des lieux (1). L'acte précise que 24 vaches appartenant à 16 ménages étaient mises au pâturage.
Il apparaît que la redevance ne fut pas toujours payée par la suite, puisque le 3 août 1776, René-Théophile de Maupeou fit assigner la veuve de Jean Chérier devant le lieutenant du bailliage de Meaux, pour voir déclarer exécutoires les actes de reconnaissance que son époux avait donnés les 24 avril 1770 et 7 mars 1773 et se voir condamner à passer devant notaire un nouvel acte de reconnaissance, à payer 29 années d’arrérages, à fournir chaque année une déclaration exacte de la quantité de bestiaux qu’elle possédera, à payer l’intérêt des sommes dues et les dépens :
Le 1er septembre 1776, le droit de jouissance fut confirmé par ses bénéficiaires et par Maupeou, devant Maître Bocquillon, notaire à Villeneuve-sur-Bellot (2). Le seigneur des lieux fit valoir ses droits jusqu’en 1789, date à laquelle la féodalité et tout ce qui en découlait fut aboli.
Après le départ du marquis de Sablonnières, quelques habitants de La Noue continuèrent d’utiliser la pâture. En 1793, la pâture a été considérée comme un bien national puis, le 30 août 1814, en application de la loi du 30 mars 2013 qui attribuait les terrains incultes des communes à une caisse d'amortissement, le receveur des Domaines en prit possession afin qu'ils puissent être estimés et mis en vente. Toutefois, la loi de 1813 exceptait les pâtures dont certains habitants jouissaient en commun et les réservait aux communes. Le sous-préfet de Coulommiers, destinataire du procès-verbal de prise de possession, invita alors le maire à présenter dans l'intérêt de ses administrés une réclamation indiquant la date depuis laquelle il avait cet usage commun.
Moutenot prit l'affaire en mains et obtint, le 1er août 1815 un arrêté préfectoral déclarant cette prise de possession non avenue et accordant définitivement la possession de la pâture aux habitants des deux hameaux. (3)
Vingt ans plus tard, leurs droits fut mis en cause par les héritiers des Maupeou et par un particulier qui avait acquis une partie des biens relevant de l'ancienne seigneurie. Au terme d'un procès qui s'acheva par un jugement du tribunal civil de Coulommiers du 23 août 1835, ils obtinrent une fois de plus la confirmation de leur possession.
Un arrêté préfectoral du 28 février 1860 prescrivit la constitution, par les habitants ou propriétaires concernés, d’une commission syndicale composée de cinq membres et chargée de gérer la pâture (notamment en fixant les conditions de pâture et les dépenses d’entretien) et dont le président avait le pouvoir de contracter au nom de la section de commune. (4)
Puis, en application de la de la loi du 28 juillet 1860 qui prévoyait la mise en état d'être cultivées ou la plantation en bois des terrains incultes appartenant aux sections de communes et dont la mise en valeur apparaissait utile, l’administration envisagea de louer et planter en bois la pâture. Toutefois, les habitants luttèrent pour pouvoir continuer d'y faire paître leurs vaches.
En 1863, les habitants constitués en syndicat demandèrent que la pâture soit allotie entre les différents chefs de famille. Le préfet, quoique favorable à sa mise en valeur, se prononça contre le partage. A son tour, le conseil municipal décida le 28 février 1864 que la pâture resterait en l'état, sa mise en valeur étant impossible en raison des roches qui la couvrent et de l'ombre causée par le bois de la Tuilerie qu'il était trop onéreux de défricher. Consulté par le préfet sur le sort de ce terrain, le Conseil Général fut d'avis que la loi ne lui était pas applicable dans la mesure où, quoique non cultivé, il n'était pas improductif puisque affecté au pâturage (5). Le 20 août 1865, la municipalité confirma sa position : la pâture resterait en jouissance commune entre les habitants des trois hameaux qui purent continuer d'y faire paître leurs vaches. (6)
Par délibération du 19 février 1893, le conseil municipal approuva un projet de règlement en date du 11 décembre 1892 laissant aux habitants de la section de commune le soin d’administrer leur possession collective.
A la suite d’une visite le 14 novembre 1974, le sous-préfet interrogea le maire sur l’existence à Sablonnières de terrains disponibles en vue de l’édification d’un lotissement et lui demanda de réunir les propriétaires de la section des habitants de La Noue, des Hacots et de La Tuilerie pour savoir s’ils seraient disposés à aliéner une partie de leurs biens. La section réunie le 18 février 1975 refusa à une large majorité (7). Informé de cette décision le 22 février, le sous-préfet écrivit au maire le 11 mars qu’il était dès lors préférable de laisser les choses en l’état et de ne pas procéder à l’élection de la nouvelle commission syndicale qui pourrait émettre un avis contraire !
Le sort de la section de commune revint sur la sellette après qu'une loi de 1985 ait dispensé les sections dont le revenu cadastral était inférieur à un seuil minimum de constituer une commission syndicale, sauf volonté contraire du conseil municipal ou des deux tiers des électeurs inscrits sur les listes électorales de la commune et résidant sur le territoire de la section (8). Sachant que le revenu cadastral de la section des habitants de La Noue et des Hacots était inférieur au seuil et que le conseil municipal ne souhaitait pas son rattachement (9), les électeurs de la section furent consultés par le maire en 1988 sur leur intention d’élire une commission syndicale. La réponse ayant été majoritairement négative, la commune devint, en application de la nouvelle législation, gestionnaire de la pâture à compter du 1er janvier 1989. Le maire en informa les membres de la section, qui demeuraient prioritaires pour la jouissance de ce bien, et leur demanda s’ils souhaitaient signer un bail avec la commune. Sous réserve de cette priorité, la commune pouvait également contracter avec des tiers et c’est ainsi que des conventions furent conclues avec la société de chasse pour la concession du droit de chasser sur la pâture ou avec des particuliers pour des coupes de bois situées dans son périmètre.
Les habitants se réunirent une nouvelle fois le 13 avril 1996, sur convocation du maire, pour l’élection éventuelle d’une commission. Trois possibilités leur étaient alors offertes : soit désigner une commission en charge de la gestion de pâture des Hacots, soit transférer la propriété de ce bien à la commune (cette décision requerrait elle aussi l’accord des deux tiers des électeurs et aurait mis fin à l’existence de la section de commune), soit conserver le statu quo. C’est la troisième voie qui fut choisie le 13 avril 1996. (10)
La pâture des Hacots est aujourd'hui encore régie sous le régime des sections de commune. De pâture, elle ne conserve que le nom car elle a perdu depuis bien longtemps sa vocation première, l'unique utilisateur ayant cessé d’élever du bétail en 1988. La « comptabilité des Hacots » des années 1989, 1991 et 1992 montre ensuite que les recettes provenaient des ventes de coupes de bois et des redevances (taxe de pâturage et location du droit de chasse) tandis que que les dépenses comprenaient essentiellement des frais afférents aux bois et forêts et la taxe foncière.
Pour les habitants, les promeneurs et la vie locale, elle représente surtout une belle clairière qui abrite la grotte de Saint Hubert.
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(1) Déclaration reçue par Lamy, notaire à Sablonnières, et contrôlée à Villeneuve-sur-Bellot le 27 décembre 1727, mentionnée dans l'acte de concession du 1er sept. 1776 (Archives départementales de Seine-et-Marne, 3-Q-S).(2) Archives départementales de Seine-et-Marne, 6 Q 6 (extrait délivré le 2 septembre 1894 par Me Gaillet, notaire à Villeneuve-sur-Bellot). Les bénéficiaires étaient : François Baron, manouvrier demeurant à Hautefeuille ; Charlotte Fontaine veuve Turlot, manouvrière demeurant à La Noue ; Marie-Madeleine Fortin veuve Cherrier et ses enfants demeurant à La Noue ; Mathieu Hugrel, manouvrier demeurant à La Noue ; Denis Hébert, manouvrier demeurant à La Noue ; Jean-Baptiste Perrin, laboureur demeurant à La Noue ; Louis Fontaine, manouvrier demeurant à La Noue et ses frères mineurs ; Louis Couesnon, charbonnier demeurant à La Noue ; Anne Marguerite Berthelot veuve Maréchal, demeurant à La Noue ; Nicolas Baudouin, manouvrier demeurant aux Hacots ; Jean Baudouin, manouvrier demeurant à La Noue ; Nicolas Goutte, sabotier demeurant à Thiercelieux ; Joseph Chérier, laboureur demeurant aux Fans ; Pierre Brézillon, laboureur demeurant à Boitron ; Jacques Fauvet, cabaretier demeurant à Sablonnières ; Nicolas Henry Baudoin, manouvrier demeurant aux Hacots.(3) Archives départementales de Seine-et-Marne, K-arrêtés préfet, 1815.(4) Cette commission fut créée à cette date et s’est tenue plus ou moins régulièrement jusqu’en 1963 : Après 1900, les réunions eurent lieu les 19 mars 1905, 15 mars 1908, 26 mars 1911, 13 juin 1912, 23 janvier 1913, 1er mai 1919 (après une interruption durant la guerre), 25 janvier 1923, 22 mars 1925, 27 février 1927, 16 février 1928, 13 mai 1932, 27 mai 1944 (après une interruption de douze années), 11 mars 1945, 15 juin 1946, 22 février 1948, 28 avril 1949, 19 avril 1951, 6 avril 1952, 20 mars 1955, 24 octobre 1955, 27 octobre 1963 (après une interruption de sept années), 31 mars 1968, 18 février 1975, 1er mars 1988, 19 décembre 1989, 13 avril 1996. Un renouvellement triennal des membres était prévu. (5) Session du 22 août 1864, Paris, Dupont, 1864.(6) En 1886, treize habitants mirent cinquante-deux bêtes dans la pâture (Rôle du 5 décembre 1886, Archives communales). En 1892, on en comptait encore trente-et-une appartenant à huit habitants (Rôle du 19 mars 1894, Archives communales). A cette époque, le tarif du droit de pâture était fixé à deux francs par tête.(7) Extrait du procès-verbal de l’assemblée générale du 18 février 1975 (Archives communales).(8) Loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 et Décret n° 88-31 du 8 janvier 1988.(9) Séance du 20 juin 1988 ; lettre du maire au préfet du 13 septembre 1988 (Archives communales).(10) Compte rendu (Archives communales).La grotte de saint Hubert ou grotte des Hacots
Dans les bois de La Noue, au centre d'une clairière, jaillit une source qui, selon la tradition, aurait été bénie par saint Hubert au VIIe siècle et dont les eaux auraient le pouvoir de guérir la rage. Il s'agit naturellement d'une légende, que l'abbé Ferrand, curé de la paroisse de 1851 à 1869, ne manqua pas d'exploiter pour donner un nouvel élan au culte local du saint patron. Alors que la paroisse venait de recevoir de l'évêque de Meaux, au mois de février 1862, une relique authentifiée de saint Hubert, le prêtre entreprit sans tarder de faire édifier en son honneur une fontaine sur les lieux de la source miraculeuse.
En qualité d'administrateur de la Confrérie de Saint-Hubert établie dans la paroisse depuis le milieu du XVIIIe siècle, il parvint à convaincre les habitants du hameau de La Noue de concéder gratuitement et à perpétuité à ladite confrérie un emplacement d'un are environ sur la rive méridionale de la pâture des Hacots dont ils étaient copropriétaires pour y ériger le monument, ainsi que le droit de capter les sources environnantes et celui de planter des arbres à haut vent autour et d'en conserver le produit. L'acte de concession fut signé par les propriétaires et habitants de La Noue le 1er septembre 1862 et reçu par Mignard, notaire à Rebais.
Le 17 septembre, les travaux débutèrent. Ils furent exécutés suivant le plan dressé minutieusement par le curé et grâce à la ferveur des villageois : quarante hommes (1) se chargèrent gratuitement du terrassement (qui nécessita 50 journées de travail au total), le carrier Jules Rignot creusa gracieusement la pierre servant de bassin à la fontaine, le tuilier François Honoré Thomas offrit le sable nécessaire, le maire Honoré Barbier et quatre cultivateurs (2) assurèrent le transport de la chaux et des matériaux avec cheval et voiture. Pour la construction de la grotte artificielle en pierres meulières qui abrite la fontaine, sept maçons de la commune (3) fournirent chacun une journée de travail gratuite et trois d'entre eux (4) poursuivirent moyennant salaire, tous les membres de la confrérie ayant concouru pécuniairement au projet.
L'eau fut amenée jusqu'à la fontaine grâce à des tuyaux enterrés dans des tranchées.
Achevée le 25 octobre, la fontaine fut bénite le mardi 4 novembre 1862 par l'abbé Ferrand, en présence des curés de plusieurs paroisses voisines, des sapeurs-pompiers de Sablonnières et d'un grand nombre de fidèles.
En 1865, une clôture fut posée par le menuisier Delambre et un tronc fut installé à la grotte. L'une comme l'autre ont été retirés depuis longtemps. Une statue du saint-patron fut placée dans une niche située au-dessus de l'entrée et protégée par une grille de fer.
La grotte est alors devenue la destination d'une procession lors de la fête de la Saint-Hubert.
Le culte du saint patron déclina à la fin du XIXe siècle et la confrérie disparut vers 1908. Laissée à l'abandon jusqu'en 1951 et à nouveau délaissée en 1975, la grotte fut privée de son eau par détournement de la source et vandalisée. En 1998, les habitants de La Noue qui venaient de restaurer leur lavoir entreprirent de faire de même pour la grotte en 1997. Après débroussaillage et remise en eau de la fontaine par les cantonniers de la commune, ils effectuèrent les travaux nécessaires. Parallèlement, une souscription auprès de la population permit de collecter les fonds nécessaires à l’achat d’une statue en pierre polychrome et d’une vitre blindée pour protéger la niche destinée à recevoir la statue. Cette dernière fut bénite solennellement le 26 octobre 1997 à la fin de la messe de saint Hubert, en présence de plusieurs officiels, des sonneurs de trompes, de 35 chasseurs en tenue et d’une nombreuse assistance, avant d'être scellée dans son réceptacle.
Chaque année, les fidèles s'y rendent encore en procession après la messe de Saint-Hubert célébrée à l’église du village.
Peu avant le pèlerinage de 2009, la grotte a été la cible de projectiles qui ont endommagé la vitre et l'ont rendue en grande partie opaque. Remplacée, elle a été à nouveau cassée au mois d'août 2016. La statue a donc été retirée.
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(1) Leurs noms figurent dans le procès verbal d'érection de la fontaine dressé sur le Registre de la Confrérie de Saint Hubert conservé à la mairie : Alexandre Davenne (une journée), Pierre Joseph Desessard (deux journées), l'instituteur Paul Adrien (une journée), Jean-Louis Adrien (une journée), François Noël Desgranges (deux journées), Mathieu Rousselet (une journée), Pierre Ambroise Mathieu Fontaine (deux journées), Isidore Boyer (une journée), Victor Rousselet (une journée), Constant Magloire Mayeur (une journée), Tranquille Bourdin (deux journées), Louis Camus (une journée), Joseph Juvinel (une journée), Achille Juvinel (une journée), Alexandre Juvinel (une journée), Auguste Ferrand (une journée), Jean-Baptiste Perrin (deux journées), Alexandre Scoupe (deux journées), Antoine Nicolas Bellissant (deux journées), Antoine Griffaut de La Noue (une journée), Pierre Joseph Delambre (une journée), Jean Alexandre Delambre (une journée), Alexis André Gontier (une journée), Louis Marie Perrin (une journée), Prince Napoléon Chérier (deux journées), Jean Pierre Adnot (une journée), Joseph Désiré Adnot (une journée), Alexandre Renard (une demi-journée), Eugène Davenne (une demi-journée), Anatole Bourguignon (une journée), Alexandre Rousselet du Flageot (une journée), Pierre Griffaut du Flageol (une journée), Didier Rigot (trois journées), Claude Prince (une journée et demie), Romain Boulon (une journée), Théodore Rousselet (une journée), François Souard (une journée), Joseph Rousselet (une journée), Philippe Thierry (une journée), Louis Francisce Thomas (une journée).(2) Charles Désiré Houdry cultivateur à La Noue, Joseph Élisée Jolly cultivateur à La Noue, Joseph Arsène Biberon cultivateur à La Chenée, Alexandre Gutel cultivateur à Sablonnières.(3) Joseph Alphonse Fontaine, Joseph Victoire Fontaine, Armand Fontaine, Ambroise François Philibert Fontaine, François Eugène Bourguignon, Jules Garnier et Victor Lefort.(4) Les trois premiers susnommés.