Histoire

Energétique de l'Atmosphère

Motivations

La motivation première de ce travail consistait à l'évaluation des échanges énergétiques qui se produisent au sein des différents éléments de la mousson africaine (stage de recherche effectué au sein du L.M.D., à l'école Polytechnique de Paris, pendant la période 1988-90 correspondant à la formation par la recherche qui a suivi la scolarité des Ingénieurs de la Météorologie 1986-88).

La recherche menée au sein du L.M.D.-X a débouché sur la problématique plus générale d'une meilleure compréhension des échanges d'énergies qui opèrent entre les différentes composantes du système "Terre", constitué par l'atmosphère, les océans, les continents, la végétation, les fleuves, les glaces de mer, ...

Parmi ces différents acteurs du système Terre, on peut mettre de côté l'énergie créée au sein du noyau terrestre, qui fait peu évoluer ce système, sinon à travers des manifestations ponctuelles telles que le volcanisme, les sources thermales, avec il est vrai des mouvements convectifs internes qui provoquent aussi les dérives à grande échelle des plaques à la surface de la terre, étant donc indirectement responsable des tremblements de terre et des soulèvements montagneux dont la constante de temps est l'échelle géologique.

La croûte terrestre (y compris le fond des océans) forme un bon isolant et la seule forme d'énergie qui influe sur ce qu'on appelle la géophysique externe est le flux radiatif en provenance du soleil, flux radiatif qui est à l'origine de tous les phénomènes intéressants l'environnement où vivent les animaux et les végétaux, à la surface de la terre ou dans les océans.

Venons en à l'essentiel, constitué de ce flux radiatif incident en provenance du soleil, qui se décompose en deux composantes, avec une bande "infra-rouge" et une bande "visible"?

Ce flux radiatif incident joue à travers deux contraintes :

- (1) un équilibre énergétique entre le rayonnement arrivant dans le système Terre (principalement dans le visible, à faible entropie) et celui qui en sort (principalement dans l'infra-rouge, à forte entropie). On se réfère ici au premier principe de la thermodynamique.

- (2) un déficit de flux d'entropie associé à ces flux radiatifs, contre-balancé par une création qui doit se produire au même rythme au sein du système terre (par tous les phénomènes dissipatifs et toutes les transformations irréversibles, sources constantes d'entropie). On se réfère ici au deuxième principe de la thermodynamique.

Ces contraintes énergétiques et entropiques sont au centre des préoccupations des climatologues et des chercheurs. On doit en effet se reposer sur ces grandes contraintes dès que l'on veut essayer de comprendre les "pourquoi" et les "comment" de la circulation générale de l'atmosphère, telle qu'elle est observée et telle qu'elle pourrait être modifiée lors d'un changement climatique.

Une première remarque : il est frappant de constater que la partie "énergie cinétique" liées aux mouvements de l'atmosphère Ecin est toute petite par rapport aux énergies telles que l'énergie potentielle de pesanteur Epot, l'énergie interne Eint, ou de l'énergie latente Elat, liée aux changements de phase du cycle de l'eau.

La bonne idée est de rechercher s'il existe une "petite" sous-partie de l'énergie Epot + Eint + Elat qui pourrait être mis en relation avec Ecin, tout en étant du même ordre de grandeur. C'est la notion d'énergie "utilisable", par opposition à la vaste partie "inutilisable" des réservoirs énergétiques qui sont des énergies "constitutives", servant à créer et maintenir le système en l'état, mais sans pouvoir être transformées en vent et en énergie cinétique, par exemple.

Dans le domaine quantique, on peut mentionner l'analogie avec la "mer de Dirac", vaste réservoir d'énergie négative dont seul l'excès crée le monde matériel observé.

Dans le domaine relativiste, l'energie cinétique en "m v2/2 " n'est que l'approximation au premier orde, quadratique, de la différence entre l'énergie qui dépend de la vitesse (v ), en E = m c2/(1-v2/c2)1/2, avec l'énergie au repos qui vaut "E0 = m c2". On obtient alors : E - E0 = m c2 [ (1-v2/c2)-1/2-1] m c2 [ (1+0.5 v2/c2) -1 ] = m v2/2 = Ecin.

Dans le domaine mécanique, l'énergie d'un pendule oscille entre son énergie cinétique m v2/2 et son énergie de pesanteur m g z. C'est en prenant pour "référence" le point le plus bas du pendule qu'il est possible de relier de manière parlante l'excès d'énergie potentielle à l'énergie cinétique, avec une formulation approchée au premier orde qui est quadratique pour l'excès d'énergie potentielle de pesanteur en m g [ 1 - cos(Θ) ], si on l'exprime en fonction de l'angle que le pendule fait avec la verticale soit m g Θ2/2.

Dans le domaine de la themodynamique - plus qu'une analogie - il faut bien comprendre que la "puissance motrice du feu" de Carnot est le premier exemple de ce qu'on peut appeler "énergie utilisable". Pour Carnot (1824), c'est bien la différence entre les sources froide à T0-dT/2 et chaude à T0+dT/2 qui peut créer du travail, alors que l'énergie moyenne (correspondant à la température T0 ), même forte, ne peut pas créer du travail. Seule la différence de température dT compte.

Méthodologie

Les chercheurs ont déjà obtenu des réponses positives aux questions précédentes, concernant la recherche d'une partie "utilisable" de l'énergie de l'atmosphère. Les deux premières études ont été publiées par Margules (1905) et E.N. Lorenz (J.A.S. en 1955), le même Lorenz qui a publié en 1963 l'article sur le chaos et l'effet papillon...

Margules est mort dans un grand anonymat, méconnu, déprimé de voir à quel point ses travaux étaient négligés et incompris...

Et il a fallu attendre 50 ans et les travaux de E.N. Lorenz en 1955 pour que le concept d'énergie potentielle totale, introduit par Margules pour une colonne d'atmosphère, soit généralisée à l'ensemble de l'atmosphère et popularisée sous la forme de la notion "d'énergie potentielle utilisable" (ou APE en anglais, pour Available Potential Energy), avec un cycle énergétique associé (article du J.A.S. en 1955 et monographie du WMO en 1967).

Toute la difficulté pour Margules et Lorenz pour définir un concept d'énergie utilisable à l'atmosphère était la prise en compte du fait que l'atmosphère est constituée de gaz compressibles et que les analogies précédentes (mer d'énergie mécanique de Dirac, énergie relativiste, pendule) ne peuvent pas s'appliquer directement.

La réussite de l'approche de Lorenz provient de son application idéale aux cas de modèles simplifiés (modèle à deux couches, modèle Quasi-Géostrophique). Mais il semble bien que de nombreuses approximations empêchent de pouvoir appliquer en toute rigueur l'APE de 1955 et le cycle associé de 1967 aux équations primitives de l'atmosphère. Il y a de plus l'impossibilité de prendre en compte l'impact de l'humidité, malgré les tentatives menées par Lorenz lui-même (1978, 79).

Pour dépasser les travaux de Lorenz et de Margules, d'autres réponses doivent être apportées, en explorant des vois nouvelles, novatrices. Il faut prendre en compte, appliquer, ou revisiter les autres travaux entrepris en thermodynamique et dépassant le domaine étroit de la science atmosphérique.

On peut choisir de s'intéresser et de faire référence aux tout premiers travaux de Lord Kelvin (W. Thomson, 1853 et 1879, pdf / 9 Mo), puis de Maxwell en Angleterre, de Gibbs aux USA, de Gouy en France, de Stodola en Allemagne... tous ces travaux ayant été fait entre 1853 et 1935, donc bien avant que lorenz ait publié son papier fondateur de 1955 et, pour une bonne part, avant même que Margules ne publie ses travaux...

Les travaux menés au CNRM concernant ces approches sont donc plus en phase avec les fonctions introduites en thermodynamique, et souvent appelée "exergie" depuis Rant (1956, pdf / 4 Mo), le mot "exergie" pouvant se traduire par "travail extractible". On y trouve la notion d'énergie utilisable, assez similaire à celle redécouverte par Margules et Lorenz. On y trouve aussi la notion d'enthalpie utilisable, valable pour un domaine ouvert avec des flux aux frontières. Il apparaît que cette approche en "enthalpie utilisable" est proche des travaux menés en météorologie par Dutton (1973) ou Pearce (1978), travaux bien moins connus que ceux de Lorenz.

Comme espéré, les fonctions d'exergie réunissent dans une formulation unique les informations en provenance des deux principes de la thermodynamique : le premier à travers l'enthalpie ou l'énergie interne, le deuxième à travers l'entropie. Le lien se fait à travers les température Tr et pression pr dites de "référence".

Il faut toutefois bien différencier ces valeurs "de référence" d'une part de l'état de référence de Lorenz, d'autre part :

    • pour Margules et Lorenz, l'état de référence est un état réel de l'atmosphère, obtenu à partir de n'importe quel état donné par une redistribution adiabatique de la masse, avec des règles de constructions plus ou moins complexe qu'il faut vérifier ;

  • pour l'exergie, il n'y a pas d'état de référence au sens de Lorenz ou de Margules. Il s'agit plutôt d'introduire des valeurs carractéristiques, sous la forme d'une moyenne harmonique de la température pour Tr, d'une moyenne logarithmique de la pression pour pr.

Concrètement, si on note par H l'enthalpie, par S l'entropie, avec l'indice "r " pour indiquer les valeurs carractéristiques accociées, l'enthalpie utilisable Ah vaut :

Ah = ( H - Tr S ) - ( Hr - Tr Sr ),

ou encore :

Ah = ( H - Hr ) - Tr ( S - Sr ).

Pour un gaz parfait, on a

H - Hr = cp (T - Tr )

S - Sr = cp ln ( T / Tr )

Dans ces conditions, Ah s'écrit comme la somme de deux composantes Ah = AT + Ap, où AT ne dépend que de la température et Ap ne dépend que de la pression :

AT = cp Tr [ (T / Tr -1) - ln ( T / Tr )] = cp Tr F( T / Tr -1 ) ,

Ap = R Tr ln ( p / pr ) ,

où on a posé F(X) = X - ln (1+X).

Au premier ordre et pour les petites valeurs de "X = (T - Tr ) /Tr", on a l'approximation suivante : F(X) ≈ X2/2 . C'est bien le cas pour l'atmosphère, où pour Tr valant 250 K et pour T compris entre 200 K et 320 K, alors X varie entre -0.2 et +0.3. On obtient finalement l'expression quadratique suivante pour la composante AT de l'enthalpie utilisable :

AT ≈ cp ( T - Tr )2 / (2 Tr ) .

C'est l'expression obtenue par Pearce (1978).

Les deux définitions pour Tr et pr correspondent à la propriété qu'un chauffage uniforme de l'atmosphère doit avoir une tendance globale nulle pour les fonctons d'exergie. C'est vrai avec 1 / Tr = < 1 / T > et l'invariance de la partie de l'exergie AT qui ne dépend que de la température (les machines de Carnot ne marchent pas mieux si on chauffe également les sources froide et chaude). C'est vrai avec ln(pr ) = < ln(p) > et l'invariance de la partie de l'exergie Ap qui ne dépend que de la pression, avec un lien direct récemment établi entre cette invariance et la conservation de la masse globale de l'atmosphère.

Applications

Elles sont nombreuses et prometteuses, mais sans doute trop novatrices et/ou délicates à populariser, d'où une utilisation encore massive d'approches basées sur les méthodes décrites par Lorenz.

Tout l'intérêt des méthodes basées sur les fonctions d'exergie consiste pourtant dans leurs applications locales, chose qui n'est pas possible avec l'approche fondamentalement globale de la théorie de Lorenz, ni pour l'approche de Margules, basée sur une méthode de redistribution de la masse au sein d'une colonne d'atmosphère.

Les fonctions d'exergie sont définies mathématiquement pour une parcelle fluide, avec dès ce stade l'apparition de fonctions de type convexes et quadratiques. Les fonctions locales d'exergie vérifient par exemple des équations de type de celle de Bernoulli, où la somme des énergies cinétique, potentielle de pesanteur et d'exergie est constante pour un fluide stationnaire, isentrope et sans frottement. La seule différence par rapport à l'équation de Bernoulli classique est l'apparition, en facteur du terme de chauffage, d'un terme de Carnot en 1-T/Tr .

A partir des équations locales de bilan ainsi obtenues, il est possible de les intégrer sur un niveau, sur une couche, sur une colonne, jusqu'aux integrations gobales étendue à l'ensemble de l'atmosphère. Pour chacunes de ces applications à des domaines spatiaux qui dépendent des études à entreprendre, des terme de bord apparaissent, nouveaux par rapport aux études antérieures basées sur l'approche de type Lorenz, représentant l'influence des flux aux frontières latérales, supérieures ou inférieures.

Limitations

Il serait très intéressant de pouvoir ne pas être limité, comme actuellement, à un cycle énergétique "sec", qui n'inclue pas vraiment le cycle de l'eau atmosphérique.

Des avancées ont pourtant été obtenues en 1993 (voir à la fin de pdf / 37 Mo), avec la définition d'une enthalpie utilisable humide, et plus récemment sur ce point avec la définition d'une norme quadratique humide... à suivre donc !

Modifié le 10 octobre 2008