L’Enfant et les Sortilèges


NOTE: The sections of the libretto corresponding to parts 1, 2, 3, 4, and 5 of the vidéos posted on WEEK 9 are identified below, so that you may find your way between Colette's text, the music, and the choreography.


In brown italics are Colette's stage directions.


PART 1 (from vidéo week 9)


Une pièce à la campagne (plafond très bas), donnant sur un jardin

Une maison normande, ancienne, ou mieux: démodée; de

grands fauteuils, houssés ; une haute horloge en bois, à cadran fleuri. Une tenture à petits personnages, bergerie.

Une cage ronde à écureuil, pendue près de la fenêtre. Grande

cheminée à hotte, un reste de feu paisible ; une bouilloire qui

ronronne, Le Chat aussi, C’est l’après-midi.


(L’Enfant, six ou sept ans, est assis devant un devoir commencé. Il est en pleine crise de paresse, il mord son porte-plume, se gratte la tête et chantonne à demi-voix.)


L’ENFANT

J’ai pas envie de faire ma page,

J’ai envie d’aller me promener.

J’ai envie de manger tous les gâteaux.

J’ai envie de tirer la queue du chat

Et de couper celle de l’écureuil.

J’ai envie de gronder tout le monde !

J’ai envie de mettre Maman en pénitence...

(La porte s’ouvre. Entre Maman, ou plutôt ce qu’en laissent

voir le plafond très bas et l’échelle de tout le décor où tous les

objets assument des dimensions exagérées, pour rendre

frappante la petitesse de l’Enfant, c’est-à-dire une jupe, le bas

d’un tablier de soie, la chaîne d’acier où pend une paire de

ciseaux, et une main. Cette main se lève, interroge de l’index.)


MAMAN

Bébé a été sage ? Il a fini sa page ?


(L’Enfant ne répond rien et se laisse glisser, boudeur, en bas

de sa chaise. La robe s’avance sur la scène, un main tendue

au-dessus du cahier. L’autre main, plus haute, soutient un

plateau portant la théière et la tasse du goûter.)


Oh ! Tu n’as rien fait ! Tu as éclaboussé d’encre le

tapis ! Regrettes-tu ta paresse ?

(silence de l’Enfant)

Promettez-moi, Bébé, de travailler ?

(silence)

Voulez-vous me demander pardon ?

(Pour toute réponse, Bébé lève la tête vers Maman et tire la

langue.)

Oh !!!...

(La jupe recule un peu. La seconde main dépose sur la table le

plateau du goûter.)

(sévère)

Voice le goûter d’un méchant enfant : du thé sans

sucre, du pain sec.

Restez tout seul jusqu’au dîner !

Et songez à votre faute !

Et songez à vos devoirs !

Songez, songez surtout au chagrin de Maman !...

(La porte se rouvre, la robe s’en va. L’Enfant, resté seul, est

pris d’une frénésie de perversité. Il trépigne et crie à pleins

poumons vers la porte.)


L’ENFANT

Ça m’est égal !

Justement j’ai pas faim !

Justement j’aime beaucoup mieux rester tout seul !

Je n’aime personne !

Je suis très méchant !

Méchant ! méchant ! méchant !

(Il balaie d’un revers de main la théière et la tasse, en mille

morceaux. Puis, il grimpe sur la fenêtre, ouvre la cage de

l’écureuil, et veut piquer la petite bête avec sa plume de fer.

L’écureuil, blessé, crie et s’enfuit par l’imposte ouvert de la

croisée. L’Enfant saute à bas de la fenêtre et tire la queue du

chat, qui jure et se cache sous un fauteuil.)


(hors de lui)

Hourrah!

(Il brandit le tisonnier, fourgonne le feu, y renverse d’un coup

de pied la bouilloire: flots de cendre et de fumée.)


Hourrah! Hourrah!

(Il se sert du tisonnier comme d’une épée pour attaquer les

petits personnages de la tenture, qu’il lacère : de grands

lambeaux de tenture se détachent du mur et pendent. Il ouvre la boîte de la grande horloge, se pend au balancier de cuivre, qui lui reste entre les mains. Puis, avisant sur la table les cahiers

et les livres, il les met en pièces, en riant aux éclats.)


Hourrah ! Plus de leçons ! Plus de devoirs ! Je suis

libre, libre, méchant et libre !

(Saoûl de dévastation, il va tomber essoufflé entre les bras du

grand fauteuil couvert d’une housse à fleurs. Mais, ô surprise !

les bras du fauteuil s’écartent, le siège se dérobe, et le Fauteuil,

clopinant lourdement comme un énorme crapaud, s’éloigne.)

(saisi)

Ah !...

(Ayant fait trois pas en arrière, le Fauteuil revient, lourd et

goguenard, et s’en va saluer une petite bergère Louis XV, qu’il

emmène avec lui pour une danse compassée et grotesque.)


Le Fauteuil

Votre serviteur humble, Bergère.


La Bergère

(avec révérence)

Votre servante, Fauteuil.


Le Fauteuil

Nous voilà donc débarrassés

A jamais de cet Enfant

Aux talons méchants.


La Bergère

Vous m’en voyez, vous m’en voyez aise !


Le Fauteuil

Plus de coussins pour son sommeil,

Plus de sièges pour sa rêverie,

Plus de repos pour lui que sur la terre nue.

Et encore ... qui sait ?


La Bergère

Et encore ... qui sait ?


La Fauteuil, La bergère

Nous voilà donc débarrassés, etc.


Le Fauteuil

Le Banc, ...


La Bergère

... le Canapé, ...


Le Fauteuil

... le Pouf...


La Bergère

... et la Chaise de paille...


Le Fauteuil

Ne voudront plus de l’Enfant.


Les Meubles

(que viennent de nommer le Fauteuil et la Bergère lèvent, qui

les bras, qui les pieds, et répètent en chœur)

Plus de l’Enfant !

(Immobile de stupeur, l’Enfant, adossé au mur, écoute et regarde.)


L’HORLOGE COMTOISE

(sonnant et chantant)

Ding, ding, ding, ding ;

Et encore ding, ding, ding !

Je ne peux plus m’arrêter de sonner!

Je ne sais plus l’here qu’il est !

Il m’a ôté mon balancier !

J’ai d’affreuses douleurs de ventre !

J’ai un courant d’air dans mon centre !

Et je commence à divaguer !

(Sur deux pieds. qui dépassent sous sa chemise de bois,

l’Horloge avance. Elle a une ronde petite figure rose á la place

de son cadran, et deux bras courts gesticulant.)


L’ENFANT

(effrayé)

Ah ! L’Horloge marche.


L’HORLOGE

(marchant et sonnant)

Ding, ding. ding...

Laissez-moi au moins passer,

Que j’aille cacher ma honte !

Sonner ainsi á mon âge !

Moi, moi qui sonnais de douces heures,

Heure de dormir, heure de veiller,

Heure qui ramène celui qu’on attend,

Heure bénie où naquit le méchant Enfant !

Peut-être que, s’il ne m’eût mutilée.

Rien n’aurait jamais changé

Dans cette demeure.

Peut-être qu’aucun n'y fût jamais mort...

Si j’avais pu continuer de sonner,

Toutes pareilles les unes aux autres.

Les heures !

Ah ! Laissez-moi cacher ma honte et ma douleur

Le nez contre le mur !

Ding, ding, ding...

(Sonnant lamentablement, elle traverse la scène et s’en va à

l’autre bout de la pièce, face au mur et redevient immobile. On

entend deux vois nasillardes au ras du sol.)


LA THÉIÉRE

(Wedgwood noir)

How’s your mug ?


LA TASSE

(chinoise)

Rotten!


LA THÉIÈRE

… better had…


LA TASSE

Come on!


LA THÉIÈRE

(á l’Enfant, avec une menace doucereuse et des manières de

champion de boxe)

Black and costaud,

Black and chic, jolly fellow,

I punch, Sir, I punch your nose,

I knock you out, stupid chose!

Black and thick, and vrai beau gosse,

I boxe you, I marm’lad’you…


LA TASSE

(en "chinois" à l’Enfant, en le menaçant de ses doigts pointus et dorés)

Keng-ça-fou, Mah-jong,

Keng-ça-fou, puis’-kong-kong-pran-pa,

Ça-oh-râ. Ça-oh-râ, Ça-oh-râ,

Ça-oh-râ, Cas-ka-ra, harakiri, Sessue Hayakawa.

Ha! Ça-oh-râ toujours l’air chinoâ.


LA TASSE, LA THÉIÈRE

Ha ! Ça-oh-râ toujour l’air chinoâ.


LA THÈIÉRE

I boxe you.


LA TASSE

Ping, pong, ping…


LA TASSE, LA THÉIÈRE

Ping, pong, ping, pong, ping.

Ah! Kek-ta fouhtuh d’mon Kaoua?

(La Théière et la Tasse disparaissent en dansant.)


PART 2 (from vidéo week 9)


L’ENFANT

(atterré)

Oh ! Ma belle tasse chinoise !

(Le soleil a baissé. Ses rayons horizontaux deviennent

rouges. L’Enfant frissonne de peur et de solitude ; il se

rapproche du Feu qui lui crache au visage une fusée étincelante.)


LE FEU

(bondissant hors de la cheminée, mince, pailleté, éblouissant)

Arrière ! Je réchauffe les bons, mais je brûle les méchants !

Petit barbare imprudent, tu as insulté à tous

les Dieux bienveillants, qui tendaient entre le malheur

et toi la fragile barrière !

Ah ! Tu as brandi le tisonnier, renversé la bouilloire, éparpillé les allumettes, gare ! Gare au Feu dansant !

Tu fondrais comme un flocon sur sa langue écarlate !

Ah ! Gare ! Je réchauffe les bons ! Gare !

Je brûle les méchants ! Gare ! Gare ! Ah ! Gare à toi !


(Le Feu s’élance, et poursuit d’abord l’Enfant qui s’abrite

derrière le meubles. Derrière le Feu, née sous ses pas, monte la

Cendre. Elle est grise, onduleuse, muette, et le Feu ne la voit

pas d’abord. Puis, l’ayant vue, il joue avec elle.)


Ah !

(Elle joue avec lui. Elle tente, sous ses longs voiles gris, de

maîtriser le Feu. Il rit, s’échappe et danse. Le jeu continue

jusqu’au moment où, las de lutter, le Feu se laisse étreindre. Il

tente un dernier sursaut pour se libérer, brille encore un

instant, puis s’endort, roulé dans les longs bras et les longs

voiles.)


Ah !

(Au moment où il cesse de briller, l’ombre envahit la chambre,

le crépuscule est venu, il étoile déjà les vitres et la couleur du

ciel présage le lever de la pleine lune.)


L’ENFANT

(à demi-voix)

J’ai peur, j’ai peur...

(Des rires menus lui répondent. Il cherche, et voit se soulever

les lambeaux déchirés de la tenture. Tout un cortège des

petits personnages peints sur le papier s’avance, un peu ridicules et très touchant.

Il y a la Pastourelle, le Pâtre, les moutons, le chien, la chèvre, etc...

Une musique naïve de pipeaux et de tambourins les accompagne.)


LES PÂTRES

Adieu, pastourelles !


LES PASTOURELLES

Pastoureaux, adieu !


LES PÂTRES, LES PASTOURELLES

Nous n’irons plus sur l’herbe mauve

Paître nos verts moutons !


LES PÂTRES

Las, notre chèvre amarante !


LES PASTOURELLES

Las, nos agneaux rose tendre !


LES PÂTRES

Las, nos cerises zinzolin !


LES PASTOURELLES, LES PÂTRES

Notre chien bleu !


LES PÂTRES

Le bras tendu, pastourelles,

Nos amours semblaient éternelles,

Nos pipeaux.


LES PASTOURELLES

La bouche en coeur, pastoureaux,

Éternels semblaient nos pipeaux.

(Ballet des petits personnages, qui expriment, en dansant, le

chagrin de ne pouvoir plus se joindre.)


UN PÂTRE

L’Enfant méchant a déchiré

Notre tendre histoire,

Pâtre de ci, pastourelle de là,

L’Enfant méchant qui nous doit

Son premier sourire.


UNE PASTOURELLE, UN PÂTRE

Pâtre de ci, pastourelle de là, etc.


UNE PASTOURELLE

L’Enfant ingrat qui dormait sous la garde

De notre chien bleu.

Las, notre chèvre amarante !


UN PÂTRE

Las, nos roses et vert moutons !


LES PÂTRES

Adieu, pastourelles !


LES PASTOURELLES

Pastoureaux, adieu !

(Ils s’en vont, et avec eux la musique de cornemuses et de

tambourins. L’Enfant s’est laissé glisser tout de son long à

terre, la figure sur ses bras croisés. Il pleure. Il est couché sur

les feuillets lacérés des livres, et c’est l’un des grands feuillets

sur lequel il est étendu qui se soulève comme une dalle, pour

laisser passer d’abord une main langoureuse, puis une chevelure

d’or, puis toute une Princesse adorable de conte de Fées,

qui semble à peine éveillée, et étire ses bras chargés de

joyaux.)


L’ENFANT

(émerveillé)

Ah ! C’est Elle ! C’est Elle !


LA PRINCESSE

Ah ! Oui, c’est Elle, ta Princesse enchantée,

Celle que tu appelais dans ton songe,

La nuit passée.

Celle dont l’histoire, commencée hier,

Te tint éveillé si longtemps.

Tu te chantais à toi-même : « Elle est blonde

Avec des yeux couleur du temps. »

Tu me cherchais dans le cœur de la rose

Et dans le parfum du lys blanc.

Tu me cherchais, tout petit amoureux,

Et j’étais, depuis hier, ta première bien-aimée !


L’ENFANT

Ah ! C’est Elle ! C’est Elle !


LA PRINCESSE

Mais tu as déchiré le livre,

Que va-t-il arriver de moi ?

Qui sait si le malin enchanteur

Ne va pas me rendre au sommeil de la mort,

Ou bien me dissoudre en nuée ?

Dis, n’as-tu pas regret d’ignorer à jamais

Le sort de ta première bien-aimée ?...


L’ENFANT

(tremblant)

Oh ! Ne t’en va pas ! Reste ! Dis-moi...

Et l’arbre où chantait l’Oiseau bleu ?


LA PRINCESSE

(désignant les feuillets épars)

Vois ses branches, vois ses fruits, hélas...


L’ENFANT

(anxieux)

Et ton collier, ton collier magique ?


LA PRINCESSE

(de même)

Vois ses anneaux rompus, hélas...


L’ENFANT

Ton Chevalier ? Le Prince au Cimier couleur

d’aurore ? Ah ! qu’il vienne, avec son épée...

Si j’avais une épée ! Une épée ! Ah ! dans mes bras,

dans mes bras !

Viens, je saurai te défendre !


PART 3 (from vidéo week 9)


LA PRINCESSE

(se tordant les bras)

Hélas, petit ami trop faible,

Que peux-tu pour moi ?

Sait-on la durée d’un rêve ?

Mon songe était si long, si long,

Que peut-être, à la fin du songe,

C’eût été toi, le Prince au Cimier d’aurore !...

(Le sol bouge et s’ouvre au-dessous d’elle ; elle appelle.)

A l’aide ! A l’aide ! Le Sommeil et la Nuit veulent me

reprendre ! A l’aide !


L’ENFANT

(la retenant en vain par sa chevelure d’or, par ses voiles, par

ses longues mains blanches)

Mon épée ! Mon épée ! Mon épée !

(Mais une force invisible aspire la Princesse qui disparaît sous

la terre.)


L’ENFANT (Sweet love song)

(seul et désolé, à mi-voix)

Toi, le coeur de la rose,

Toi, le parfum du lys blanc.

Toi, tes mains et ta couronne,

Tes yeux bleus et tes joyaux...

Tu ne m’as laissé, comme un rayon de lune,

Qu’un cheveu d’or sur mon épaule,

Un cheveu d’or ... et les débris d’un rêve...

(Il se penche, et cherche parmi les feuillets épars la fin du

conte de Fées, mais en vain ... il cherche ...)

Rien ... Tous ceux-ci sont des livres arides,

(Il les pousse du pied.)

D’amères et sèches leçons.

(Mais de petites voix aigres sortent d’entre les pages, qui se

soulèvent et laissent voir les malicieuses et grimaçantes petites

figures des chiffres. D’un grand album, plié en forme de

toit, sort un petit vieillard bossu, crochu, barbu, vêtu de chiffres,

coiffé d’un π, ceinturé d’un mètre de couturière et armé

d’une équerre. Il tient un livre de bois qui claque en mesure, et

il marche à tout petits pas dansés, en récitant des bribes de

problèmes.)


LE PETIT VIEILLARD

Deux robinets coulent dans un réservoir !

Deux trains omnibus quittent une gare

A vingt minutes d’intervalle,

Valle, valle, valle !

Une paysanne,

Zanne, zanne, zanne,

Porte tous ses œufs au marché !

Un marchand d’étoffe,

Toffe, toffe, toffe,

A vendu six mètre de drap !

(Il aperçoit l’Enfant et se dirige vers lui de plus malveillante

manière.)


L’ENFANT

(affolé)

Mon Dieu ! C’est Arithmétique !


LE PETIT VIEILLARD

(acquiesçant)

Tique, tique, tique !


LES CHIFFRES

(soulevant les feuillets et piaillant)

Tique, tique, tique !

(Le Petit Vieillard danse autour de l’Enfant en multipliant les

passes maléfiques.)


LE PETIT VIEILLARD

(en se pinçant le nez)

Quatre et quat’ dix-huit,

Onze et six vingt-cinq,

Quatre et quat’ dix-huit,

Sept fois neuf trent’-trois.


L’ENFANT

(surpris)

Sept fois neuf trent’-trois ?


LES CHIFFRES

Sept fois neuf trent’-trois.

(Ils sortent de dessours les feuillets.)


L’ENFANT

(égaré)

Quatre et quat’ ?


LE PETIT VIEILLARD

(soufflant)

Dix-huit !


L’ENFANT

Onze et six ?


LE PETIT VIEILLARD

(même jeu)

Vingt-cinq !


L’ENFANT

Quatre et quat’ ?


LE PETIT VIEILLARD

Dix-huit !


L’ENFANT

(exagérant résolument)

Trois fois neuf quat’cent !


LE PETIT VIEILLARD

(Il se balance, pour prendre le mouvement de la ronde)

Millimètre,

Centimètre,

Décimètre,

Décamètre,

Hectomètre,

Kilomètre,

Myriamètre,

Faut t’y mettre

Quelle fête!

Des millions,

Des billions,

Des trillions,

Et des frac-cillions !


LES CHIFFRES

(entraînent l’Enfant dans leur danse)

Deux robinets coulent dans un réservoir !

Deux trains omnibus, quittent une gare

A vingt minutes d’inter...


LE PETIT VIEILLARD

Une paysanne,

Zanne, zanne, zanne,

Porte tous ses...


LES CHIFFRES

Un marchand d’étoffe,

Toffe, toffe, toffe,

A vendu six...


LE PETIT VIEILLARD

Deux robinets coulent dans un réservoir !


LES CHIFFRES

Une paysanne,

Zanne, zanne, zanne,

S’en va-t’au marché...


LE PETIT VIEILLARD, LES CHIFFRES

(Ronde folle)

Trois fois neuf ? Trent’-trois.

Deux fois six ? Vingt-sept.

Quatre et quat’ ? Quatre et quat’ ?...

Deux fois six trente et un !

Quatre et sept cinquant’-neuf !

Cinq fois cinq quarant’-trois !

Sept et quat’ cinquant’-cinq !

Quatre et quat’ ! Cinq et sept !

Vingt-cinq ! Trent’-sept !

Ah !

(L’Enfant tombe, étourdi, tout de son long. Le Petit Vieillard et

les Chiffres s’éloignent.)


LE PETIT VIEILLARD

(paraissant d’un côté de la scène)

Quatre et quat’ dix-huit !


LES CHIFFRES

(même jeu)

Onze et six vingt-cinq !

Trent’-trois !


LE PETIT VIEILLARD

(même jeu)

Z’huit !

(L’Enfant se relève péniblement sur son séant. La lune est levée,

elle éclaire la pièce. Le Chat noir sort lentement de dessouls

le fauteuil. Il s’étire, bâille et fait sa toilette. L’Enfant ne le

voit pas d’abord et s’étend, harassé, la tête sur un coussin de

pieds.)


L’ENFANT

Oh ! ma tête !

(Le Chat joue et roule un balle de laine. Il arrive auprès de

l’Enfant, et veut jouer avec la tête blonde comme avec une

pelote.)

Oh ! ma tête ! ma tête !

(Il se relève a demi et voit le Chat.)

C’est toi, Chat ? Que tu es grand et terrible ! Tu parles

aussi, sans doute ?

(Le Chat fait signe que non, jure et se détourne de l’Enfant, Il

joue avec sa pelote. La Chatte blanche paraît dans le jardin. Le

Chat interrompt son jeu.)


DUO MIAULé

(Le Chat va rejoindre la Chatte. L’Enfant le suit peureusement,

attiré par le jardin. A ce moment, les parois s’écartent, le

plafond s’envole et l’Enfant se trouve, avec le Chat et la

Chatte, transporté dans le jardin éclairé par la pleine lune et la

lueur rose du couchant.)


PART 4 (from vidéo week 9)


Des arbres, des fleurs, une toute petite mare verte,

un gros tronc vêtu de lierre.


INCREDIBLE NATURE MUSIC.....


Musique d’insectes, de rainettes (tree frog), de crapauds (toad),

de rires de chouettes (owl), de murmures de

brise (breeze), et de rossignols (nightingales).


L’ENFANT

(ouvrant les bras)

Ah ! Quelle joie de te retrouver, Jardin !

(Il s’appuie au gros tronc d’arbre qui gémit.)

(effrayé de nouveau)

Quoi ?


L’ARBRE (the tree)

(gémissant)

Ma blessure... ma blessure...


L’ENFANT

Quelle blessure ?


L’ARBRE

Celle que tu fis aujourd’hui à mon flanc, avec le

couteau dérobé... Hélas ! Elle saigne encore de

sève...


LES AUTRES ARBRES (the other trees)

(gémissant et se balançant)

Nos blessures... nos blessures... Elles sont

fraîches, et saignent encore de sève... ô méchant !


(L’Enfant, apitoyé, appuie sa joue contre l’écorce du gros

arbre. Une libellule passe, grésillante, et disparaît. Elle repasse,

repasse encore. D’autres la suivent. Un sphinx (hawk moth) du laurier rose (pink laurel) l’imite. D’autres sphinx, d’autre libellules.)


LA LIBELLULE (Dragonfly) A "valse chantée"

(Celle qui a passé la première, chante en volant.)

Où es-tu ?

Je te cherche...

Le filet...

Il t’a prise...

O toi, chère,

Longue et frêle,

Tes turquoises,

Tes topazes,

L’air qui t’aime

Les regrette

Moins que moi...


LE ROSSIGNOL (Nightingale)

Aa !...

(On entend la musique d’insectes, de rainettes, etc.)


LA LIBELLULE (Dragonfly)

Seule, seule,

Je languis...

Je te cherche...

(à l’Enfant, en tournoyant au-dessus de sa tête)

Rends-la moi !

Où est-elle ?

Ma compagne,

Rends-la moi !


L’ENFANT

Je ne peux pas ! Je ne peux pas !


LA LIBELLULE

(pressante)

Où est-elle ?


L’ENFANT

(se détournant)

Je ne puis...

(à part)

La libellule que j’ai prise... Percée d’une

épingle... contre le mur.

(horrifié)

Ah !...


Ronde des chauves-souris


LA CHAUVE-SOURIS (the bat)

(en l’air)

Rends-la moi... tsk, tsk... Rends-la moi...

tsk... Ma compagne... La Chauve-Souris... tu

sais ?


L’ENFANT

(baissant la tête)

Je sais !


LA CHAUVE-SOURIS

(volant)

Le bâton... tsk, tsk... la poursuite... hier soir...

tsk... Ta victoire... Et la petite bête, la, morte à tes

pieds...


L’ENFANT

Grâce !


LA CHAUVE-SOURIS

Le nid plein... Les petits... sans leur mère. Il

faut... tsk, tsk, qu’on les nourrisse...


L’ENFANT

Sans mère !


LA CHAUVE-SOURIS

Alors, nous... tsk, tsk... Nous volons, nous

chassons... Nous tournons... nous chassons...

Nous happons... tsk... tsk... C’est ta faute...

(Au-dessous, une petite rainette - a tree frog - émerge de la mare, s’appuie des deux mains au bord. Une autre fait de même, puis une

autre, et la mare se trouve couronnée de rainettes, bien

serrées l’une contre l’autre, et coassantes. En coassant, elle

sortent, et se mettent à jouer à la manière des rainettes.)


Dance of the tree frogs. Atmospheric Instrumental Interlude.


(L’une des rainettes, ayant dansé, s’appuie de la main au

genou de l’Enfant.)


Waltz of the bats and the tree frogs.


L’ÉCUREUIL

(sèchement, du haut de l’arbre, parmi un bruit de noisettes

éclatées)

Sauve-toi, sotte ! Et la cage ? La cage ?


LA RAINETTE

Kekekekecekça ?


L’ÉCUREUIL (the squirrel)

(à la fourche des deux basses branches, et toussant à la

manière des écureuils)

La prison. Heu heu. La prison. Le fer qui pique, entre

deux barreaux. Heu, heu. J’ai pu fuir, mais tes quatre

petites mains mouillées ne valent pas les miennes.


LA RAINETTE

Que-que-que-que-dis-tu ? Je ne connais pas la

ca-ca-ca-cage. Je connais la mouche qu’on me jette.

(Elle saute.)

Ploc ! Et le chiffon rouge.

(Elle saute.)

Ploc ! L’appât vient, je bondis, on me prend, je

m’échappe, je reviens. Ploc !


L’ÉCUREUIL

Sans-cervelle ! Tu auras mon sort !


L’ENFANT

(à l’Ecureuil)

La cage, c’était pour mieux voir ta prestesse, tes

quatre petites mains, tes beaux yeux...


L’ÉCUREUIL

(sarcastique)

Oui, c’était pour mes beaux yeux !

(Pendant qu’il parle, le jardin se peuple d’écureuils bondissants.

Leurs jeux, leurs caresses, suspendus en l’air, n’inquiètent pas

ceux des rainette, au-dessous. Un couple de sphinx du laurier-rose

les imite. D’autre groupes se nouent, se défont. Le jardin, palpitant

d’ailes, rutilant d’écureuils, est un paradis de tendresse

et de joie animales.)


Sais-tu ce qu’ils reflétaient, mes beaux yeux ? Le ciel

libre, le vent libre, mes libres frères, au bond sûr

comme un vol... Regarde donc ce qu’ils reflétaient,

mes beaux yeux tout miroitants de larmes !


L’ENFANT

Ils s’aiment. Ils sont heureux. Ils m’oublient...

(Le Chat noir et la Chatte blanche paraissent au faîte d’un mur.

Le Chat lèche amicalement les oreilles de la Chatte, joue avec

elle ; ils s’éloignent, l’un suivant l’autre, sur le faîte étroit du

mur.)


Ils s’aiment... Ils m’oublient... Je suis seul...


(Malgré lui il appelle.)

Maman !...


PART 5


(A ce cri, toutes les bêtes se dressent, se séparent, les unes

fuient, les autres accourent menaçantes, mêlent leurs voix à

celles des arbres, s’écrient)


LES BÊTES, LES ARBRES (The animals, the trees)

Ah ! C’est l’Enfant au couteau !

C’est l’Enfant au bâton !

Le méchant à la cage !

Le méchant au filet !

Celui qui n’aime personne

Et que personne n’aime !

Faut-il fuir ?

Non ! Il faut châtier.

J’ai mes griffes !

J’ai mes dents !

J’ai mes ailes onglées !

Unissons-nous, unissons-nous ! Ah !

(Toutes les bêtes fondent à la fois sur l’Enfant, le cernent, le

poussent, le tirent. C’est une frénésie, qui devient lutte, car

chaque bête veut être seule à châtier l’Enfant, et les bêtes

commencent à s’entre-déchirer. L’Enfant, pris, délivré, repris,

passe de pattes en pattes. Au plus fort de la lutte, il est projeté

dans un coin de la scène, et les bêtes l’oublient, dans leur

ivresse de combattre. Presque en même temps, un petit écureuil,

blessé, vient choir auprès de l’Enfant, avec un cri aigu.

Les bêtes, honteuses, s’immobilisent, se séparent, entourent

de loin l’écureuil qu’elles ont meurtri... Arrachant un ruban

de son cou, l’Enfant lie la patte blessée de l’écureuil, puis

retombe sans force. Profond silence, stupeur parmi les bêtes.)


UNE BÊTE

(dans le grand silence)

Il a pansé la plaie...


UNE AUTRE BÊTE

Il a pansé la plaie... Il a lié la patte... étanché le

sang.


D’AUTRES BÊTES

Il a pansé la plaie...


LES BÊTES

(entre elles)

Il souffre... Il est blessé... Il saigne... Il a pansé

la plaie... Il faut lier la main... étanche le sang...

Que fair ? Il sait, lui, guérir le mal... Que faire ?

Nous l’avons blessé... Que faire ?


UNE BÊTE

Il appelait, tout à l’heure...


LES BÊTES

Il appelait...


UNE BÊTE

Il a crié un mot, un seul mot : «Maman ! »


LES BÊTES

« Maman... »

(Elles se sont rapprochées, elles entourent l’Enfant, gisant.

Les écureuils se suspendent aux branches au-dessus de lui,

les libellules l’éventent de leurs ailes.)


UNE BÊTE

Il se tait... Va-t-il mourir ?


LES BÊTES

Nous ne savons pas lier la main... étancher le

sang


UNE BÊTE

(désignant la maison)

C’est là qu’est le secours ! Ramenons-le au nid ! Il faut

que l’on entende, là-bas, le mot qu’il a crié tout à

l’heure... Essayons de crier le mot...

(Les bêtes, toutes ensemble, soulèvent l’Enfant inerte et pâle,

et l’emportent, pas à pas, vers la maison.)


LES BÊTES

(hésitantes, en sourdine)

« Ma... man... »

(plus haut)

« Ma-man ! »

(L’Enfant ouvre les yeux, essaie de se tenir debout. De la

patte, de l’aile, de la tête, des reins, les bêtes le soutiennent

encore...)

(toujours plus haut)

«Maman ! »


(Une lumière parait aux vitres, dans la maison. En même

temps, la lune, dévoilée, l’aube, rose et d’or, inondent le jardin

d’une clarté pure. Chant de rossignols, murmures d’arbres et

de bêtes. Les bêtes, une à une, retirent à l’Enfant leur aide qui

devient inutile, défont harmonieusement, à regret, leur

groupe serré contre l’Enfant, mais elles l’escortent d’un peu

plus loin, le fêtent de battements d’ailes, de culbutes de joie,

puis, limitant à l’ombre des arbres leur bienveillant cortège,

laissent l’Enfant seul. Droit, lumineux et blond, dans un halo

de lune et d’aube, il tend ses bras vers celle que les bêtes ont

appelée : « Maman ! »)


LES BÊTES Beautiful final chorus

Il est bon, l’Enfant, il est sage, bien sage, il est si

sage, si bon.

Il a pansé la plaie, étanché le sang.

Il est sage, si sage, si doux.

Il est bon, l’Enfant, il est sage, bien sage.

Il est si doux.


L’ENFANT

(tendant les bras)

Maman !