Préface du Nouveau Testament

Considérations générales sur la Religion Chrétienne pour servir de préface au Nouveau testament

I. Qu’il y a un Dieu.

II. Que s’il y a un Dieu, il doit y avoir une religion.

III. Que nous ne pouvons pas de nous-mêmes former une Religion.

IV. Que le Religion est l’ouvrage de Dieu.

V. Que Dieu s’est révélé aux hommes.

VI. Que l’Écriture sainte est la parole de Dieu.

VII. Que l’Écriture étant divine, il faut croire ce qu’elle dit.

VIII. Que le grand objet de l’Écriture a toujours été le Messie : et que le Messie est venu.

IX. Que Jésus-Christ est le Messie.

X. Que Jésus-Christ est vrai Dieu.


I. Qu’il y a un Dieu

La première et la plus auguste des toutes les vérités, et qui est la base de la Religion, c’est qu’il y a un Dieu. Cette vérité se présente à notre esprit de tous les côtés, et elle naît du fond même de notre cœur. Il nous est presque aussi naturel de croire un Dieu, qu’il nous est naturel d’être hommes ; c’est pourquoi il n’y a jamais eu de peuple, qui, selon la sage remarque d’un Païen célèbre, n’ait reconnu et adoré une Divinité ; jusque-là qu’il semble que les Gentils n’aient voulu voir plusieurs dieux, que pour éviter d’en manquer absolument. Ce n’est pas que l’homme, esclave comme il est de sa corruption, ne fut souvent bien aise de se dérober à lui-même la connaissance d’une vérité qui l’incommode, et qui tient son cœur sous le joug, mais l’impression en est trop vive et trop profonde pour pouvoir jamais être entièrement effacée. Si donc la langue ose quelque fois dire qu’il n’y a point de Dieu, ou elle trahit absolument la pensée de l’esprit, ou elle est entraînée par les mouvements déréglés du cœur, qui marque par là ses désirs, plutôt que ce qu’il sent effectivement en lui-même. Peut-on, en effet, s’empêcher de reconnaître qu’un monde aussi beau et aussi et aussi parfait qu’est celui que nous voyons, et dont nous faisons nous-mêmes une partie si considérable, ne soit pas l’ouvrage d’une Intelligence suprême ? Mais peut-on aussi remarquer tant d’imperfections dans un monde qui n’est que matière, et qui ne consiste que dans l’assemblage d’une multitude innombrable de parties différentes, et dont chacune est si imparfaite, sans être convaincu que ce monde n’existe pas par lui-même, soit dans son tout, soit dans ses parties ? Car exister par soi-même, et indépendamment d’un premier Principe, c’est avoir dans son propre fonds la première de toutes les perfections, dans laquelle toutes les autres se trouvent en quelque sorte réunies : or la matière dont l’Univers est composé peut-elle avoir cette perfection, elle qui est comme le centre de toutes les imperfections ? Joint à cela, que si le monde n’était pas la production d’un être éternel, et infiniment sage et puissant, et qu’il fût éternel lui-même, comme il n’a jamais été sans jours et sans nuits, il faudrait nécessairement que les nuits et les jours n’eussent jamais eu de commencement ; mais comme ils ne peuvent pas être tous deux ensemble, et qu’ils se suivent l’un l’autre de fort près, il faut de toute nécessité que l’un ait précédé l’autre ; or cela ruine absolument leur éternité ; car ni celui qui aura commencé, et qui n’aura précédé l’autre que de quelques moments, ne saurait être éternel, puis que ce qui est éternel n’a jamais eu de commencement, et précède par une durée infinie tout ce qui a commencé d’être : ni celui qui aura été précédé ne saurait non plus être éternel ; car qu’est-ce qu’il y a avant l’éternité ? Il est donc certain qu’il y a un premier Être, qui existe par lui-même, qui était avant le monde, et par lequel le monde a été produit. Or ce premier Être n’est ni corps ni matière, puisque la matière ne peut, comme nous avons dit, exister par elle-même, et qu’elle n’a ni intelligence, ni sagesse, ni force ; toutes choses qui ont dû nécessairement se trouver ensemble, et agir, de concert pour la production de l’Univers. Ce premier Être n’est pas non plus un Esprit borné et fini, car de faire de rien une chose, et un monde entier sans matière, ce n’est pas là certainement l’ouvrage d’un Être fini. C’est donc un Esprit infini que le premier Être, qui avec l’éternité de son existence possède toutes les perfections imaginables, et chacune sans aucun mélange d’imperfection. Il possède, par exemple : 1. l’unité et la singularité, car l’idée de premier Principe est incompatible avec la pluralité ; et puis, ce serait un Être bien imparfait, qui ne serait pas supérieur à tous les autres : 2. la puissance, pour faire tout ce qu’il veut : 3. la sagesse, pour ne rien vouloir, et ne rien faire que de convenable à une Intelligence infinie : 4. la bonté, pour se communiquer à ses créatures, et ainsi des autres. Or cet Être souverainement parfait, c’est Dieu.

II. Que s’il y a un Dieu, il doit y avoir une religion.

Cette première vérité conduit naturellement à une seconde, savoir, qu’y ayant un Dieu, il doit y avoir une religion. L’idée de premier Être et de premier Principe met tous les autres dans la dépendance, et elle absorbe d’une telle manière toutes idées qu’une créature peut avoir de sa propre existence, et de ses perfections, que quand de la contemplation de Dieu nous venons à descendre jusqu’à nous-mêmes, à peine nous retrouvons-nous, et nous reconnaissons que nous ne sommes qu’un néant. L’éclat des perfections divines unies ensemble produit en nous l’admiration, et épuise toutes nos pensées. Chacune en particulier forme dans notre âme un sentiment de religion : sa puissance imprime le respect, la soumission, et l’obéissance : sa bonté fait naître l’amour ; sa justice nous attache à l’observation de ses lois par ses menaces et par ses rigueurs : sa miséricorde nous rempli de paix et de joie : sa vérité nous engage à une éternelle fidélité, et trouvant en lui tous les biens dont nous pouvons nous former l’idée, tous nos désirs se portent vers lui, et nous faisons de sa possession toute la matière de notre bonheur.

III. Que nous ne pouvons pas de nous-mêmes former une Religion.

Mais si la nature de Dieu, et ses perfections divines, porte ainsi d’elle-même à la religion, et si nous avons naturellement en nous-mêmes les facultés nécessaires pour cela, un entendement pour connaître Dieu, et un cœur pour l’aimer, un cœur même, qui tout étroit et borné qu’il est, ne peut se remplir et se satisfaire que par la possession d’un bien infini et éternel, il y a d’ailleurs tant de ténèbres dans notre esprit, et de désordre dans notre cœur, que nous ne saurions nous former nous-mêmes le plan d’une religion qui mérite d’être à Dieu, et qui ne soit plutôt une injure à sa grandeur, qu’un service dont il puisse être content. Naissants tous avec des inclinations vicieuses, et accoutumés à ne voir rien que de terrestre, nous transportons jusques sur Dieu ces grossières idées dont notre esprit est rempli, et au lieu de donner à nos pensées une grandeur qui les approche en quelque sorte de Dieu, nous diminuons au contraire l’idée de Dieu, et nous l’approchons tellement de nous, que d’un Dieu nous faisons un homme. Nous aurions, peut-être, de la peine à croire que notre esprit fut capable d’un si prodigieux égarement, mais l’expérience la plus universelle ne nous permet pas d’en douter. Quelle a été, en effet, la religion que se sont faite elles-mêmes les nations de la terre les plus polies, et les plus savantes ; les Assyriens, les Égyptiens, les Grecs, les Romains, et plusieurs autres dont les noms sont célèbres dans les Histoires ? On est surpris d’y voir tant d’absurdités, et à chaque moment on a lieu de se demander, si ce n’a pas été pour déshonorer la Divinité, plutôt que pour lui faire hommage, que ces peuples ont inventé une telle religion ? Ils ont fait grand bruit de leurs dévotions et de leur zèle, et puis il s’est trouvé que c’était à de misérables créatures qu’aboutissaient leurs adorations, et que se terminait leur culte. Tout a été Dieu chez eux, excepté Dieu même, et comme si ce n’eut pas été assez que de transformer des oiseaux, des bœufs, des reptiles, et des plantes de leurs jardins en autant de divinités, ils ont consacré leurs propres passions et leurs vices, et ils ont fait des idoles publiques de leur religion, après en avoir fait secrètement l’idole du cœur.

IV. Que le Religion est l’ouvrage de Dieu.

Il est donc certain que l’homme n’est nullement propre pour se faire lui-même une religion : ses lumières sont trop courtes pour atteindre si haut, et il se cherche trop lui-même en tout ce qu’il fait, pour ne pas se retrouver incessamment dans une religion où il ne doit chercher que Dieu, et ne se voir jamais lui-même que pour s’humilier et s’anéantir. Or comme il n’y a que Dieu qui se connaisse parfaitement, et qui voie tout le fond de notre ignorance, et de notre corruption, il n’y a aussi que Dieu qui puisse nous donner une forme de religion, telle qu’il faut pour sa gloire, et qu’il est convenable à nos véritables intérêts. D’autant plus encore que c’est une des parties les plus essentielles de la religion, de dépouiller l’homme de sa propre volonté, et de le faire renoncer à ses sentiments et à ses pensées, pour les soumettre à celles de Dieu, et pour faire de la volonté de Dieu l’unique règle de la sienne. Les païens eux-mêmes, tout fiers et superbes qu’ils ont été de leur prétendue sagesse, n’ont pas laissé d’entrer de temps en temps là-dessus dans une grande défiance de leurs lumières, et de sentir la nécessité qu’il y a d’apprendre de la Divinité le véritable moyen de l’honorer et de le servir. C’est pourquoi les plus sages de leurs Législateurs, comme un solon, par exemple, parmi les Grecs, un Numa Pompilius parmi les Latins, et quelques autres, pour donner plus d’autorité à leurs lois, et leur attirer davantage l’estime et le respect des peuples, ont feint qu’ils avaient reçues de quelqu’une de leurs divinités, avec laquelle ils avaient un commerce étroit, et des liaisons particulières. Mais si ces sortes de fictions ont été fondées sur une opinion générale où les hommes se portent naturellement, que la religion est l’ouvrage d’un Dieu, et non pas d’un homme, elle a eu aussi pour principe cette autre notion générale, qui est naturellement renfermée dans l’idée de Dieu, il aime à se communiquer à ses créatures, et à ne laisser pas tout le genre humain dans des préjuges et dans des erreurs qui ne pourraient que lui être fatales. C’est donc pour cela que Dieu se révèle aux hommes, et qu’ayant laissé dans leurs cœurs, après tous les ravages que le péché y a fait, une inclination générale pour la religion, il vient la leur apprendre lui-même, et leur donner la connaissance des vérités qu’il tire de ses trésors. Il est vrai qu’il ne fait pas la même grâce à tous les hommes, parce que Dieu, en qualité de premier Être, ne pouvant être obligé à aucun autre, et étant souverainement libre dans toutes ses actions, il se cache à qui il lui plait, et il se manifeste à qui il lui plait, sans que cela obscurcisse le moins du monde l’idée d’une bonté infinie, puisque quand Dieu ne se serait jamais révélé qu’à un seul pécheur, l’éloignement est si grand de Dieu à l’homme, qu’il ne faut pas moins que d’une bonté infinie pour le rechercher, et se communiquer à lui.

V. Que Dieu s’est révélé aux hommes.

Or c’est là précisément ce que Dieu a fait. Les lumières qu’il avait mises dans l’âme du premier homme étant éteintes par le péché, et ce qui pouvait lui en être resté étant incapable de le ramener jusqu’à Dieu, Dieu prend pitié de lui, et en place de ce que peut très justement appeler la Religion naturelle, qui seule suffisait à l’homme dans l’état d’innocence, Dieu lui révèle une autre religion, toute conforme à l’état d’un homme pécheur, en lui promettant un Sauveur, qui seul pouvait faire toute sa consolation, et relever ses espérances. Dieu continua ainsi dans la suite à se révéler à quelques hommes choisis, qu’il préférait à tous les autres, pour en faire les dépositaires de ses divines vérités. Enfin, s’étant comme fixé à la famille d’Abraham, il rassembla en un corps de lois et de religion tous les mystères du salut, et tout le culte qu’il voulait qui lui fut rendu, et il mit ces lois entre les mains du peuple Juif, dont il fit son peuple élu, et sa nation bien-aimée. Moïse fut le premier qui mit les lois de Dieu par écrit, il fut bientôt après suivi en cela des autres Prophètes, à qui Dieu se révélait miraculeusement, et par des vies extraordinaires. Ainsi peu à peu, et siècle après siècle, l’Église a vu le corps des divines Écritures, se former sous la main et la plume des hommes divinement inspirés, les Prophètes, le Évangélistes, et les Apôtres.

VI. Que l’Écriture sainte est la parole de Dieu.

Il faut ou n'avoir jamais lu avec un peu d'attention les Livres sacrés, ou n'avoir aucun goût des choses du Ciel, pour ne pas reconnaître que c'est Dieu, et non pas un homme, qui parle dans ces Écritures, et qui en est le premier et le vrai Auteur. On y sent d'abord une majesté et une grandeur qui surprend, et qui donne à l'âme une élévation qu'elle ne trouve nulle part ailleurs; et on y voit en même temps cette majesté tempérée de douceur, et accommodée à notre faiblesse; de manière qu'on s'aperçoit aisément que c'est Dieu qui parle à des hommes, et qui sans rien perdre de sa grandeur, vient se mettre à notre portée.

Trois caractères de la divinité de l’Écriture.

Trois caractères, entre tous les autres qui sont propres à l’Écriture, rendent sensible cette vérité, et doivent convaincre les esprits les plus obstinés, de la divinité de son origine. Le premier, c’est la connaissance que l’Écriture nous donne de Dieu : le second, ce qu’elle apprend à l’homme de l’homme lui-même, et les instructions qu’elle lui donne pour le porter à une parfaite sainteté : et le troisième, les prédictions dont elle est remplie, qui toutes ont été suivies de l’évènement. Reprenons un peu ces trois caractères de l’Écriture, et sans nous y étendre plus que ne le permet le dessein de cette Préface, mettons-les chacun dans un plus grand jour.

1er caractère.

Pour le premier, l’Écriture nous donne partout une si grande idée de Dieu ; que quand on rassemblerait tout ce qu’en on dit les Sages et les Philosophes les plus estimés dans l’Antiquité, et qu’on séparerai leurs plus pures méditations d’un tas affreux de fictions et de rêveries dont ils les ont souillés, on ne verrait rien en tout cela qui approcha de la connaissance que l’Écriture nous donne de Dieu. Que se peut-il, en effet, concevoir de plus magnifique, et qui donne une plus haute idée de la Puissance de Dieu, que la manière dont Moïse a fait l’histoire de la Création, par laquelle commencent nos Écritures ? On y voit un Dieu qui existant par lui-même, avant le monde, et de toute éternité, tire du sein de sa Puissance des êtres sans nombre, qui n’étaient avant cela qu’un pur néant. Il ne lui en coûte qu’une parole pour faire une chose de rien ; Que la lumière soit, dit-il, et la lumière est incontinent ; Qu’il y ait une étendue, ou un ciel, dont l’immensité ne se peut mesurer même par notre imagination ; et à cette parole le Ciel est produit, Avec quatre autres paroles qu’il ajoute successivement à ces deux premières, les astres se forment dans le Firmament, la terre et la mer reçoivent leur être ; les oiseaux sont produits dans l’air ; la mer se remplit de poissons ; la terre est couverte de plantes, d’arbres, et d’animaux ; elle voit enfin, se former de sa poudre et de son limon sous les ordres même de Dieu, un homme qui doit être son maître, et qui est le Chef-d’œuvre de la Création. Mais si l’Écriture nous découvre ainsi les merveilles de la Puissance de Dieu dans la création de l’Univers, elle ne fit pas paraître avec moins d’éclat la sagesse infinie de Dieu dans le gouvernement du monde. Selon l’Écriture c’est Dieu qui tient en sa main toutes les créatures, qui s’en sert, comme bon lui semble, pour l’exécution de sa volonté, qui est le maître absolu de tous les évènements, et qui les dispense et les dirige tous pour l’avancement de sa gloire. Or cela même est si essentiel à Dieu, que de concevoir un Dieu sans une semblable Providence, comme ont fait presque tous les Païens, c’est faire avec l’École d’Épicure un Dieu, ou peu sage, ou impuissant, qui abandonne le monde à lui-même : ou avec l’École de Zénon, et presque de toutes les Sectes, un Dieu dépendant de je ne sais quel destin aveugle, et qui ne pouvant rompre l’enchaînement des causes secondes, en est emporté et entraîné contre sa propre volonté. Les autres perfections de la Nature divine, comme sont sa sainteté, sa bonté, sa miséricorde, sa justice, sa vérité, ne paraissent pas dans l’Écriture avec moins d’éclat que sa Puissance, et sa Providence, mais il serait trop long d’en parler ici, et la chose est assez connue. Nous ferons donc là-dessus deux ou trois demandes à ceux qui nient la divinité de nos Écritures. Croient-ils que Dieu ne puisse pas se révéler intérieurement à ceux d’entre les hommes qu’il lui plait d’honorer de cette faveur ? S’ils en doutent, il vaudrait autant qu’ils ne crussent point de Dieu, et s’ils croient que Dieu le puisse, quel inconvénient trouvent-ils à croire qu’un Dieu qui est infiniment bon, et communicatif, comme c’est le propre du Souverain bien, s’est effectivement révélé ? Il leur tombe là-dessus entre les mains un Livre qui depuis près de quatre mille ans passe publiquement dans le monde pour un Livre où sont contenues les choses qui en divers temps, et en divers lieux, ont été révélées de Dieu à plusieurs personnes. Ce Livre parle de Dieu de la manière qu’on aurait pu attendre que Dieu en eût parlé, en supposant qu’il eût voulu le faire connaître par sa révélation, et par sa parole, c’est une vérité sensible, et que personne ne peut contester : pourquoi donc refuserait-on de mettre au rang des caractères de la divinité de l’Écriture l’idée grande et sublime de Dieu qui s’y voit marquée partout ?

2ème caractère

Venons au second caractère de la divinité de l’Écriture, qui est, ce qu’elle apprend à l’homme de l’homme lui-même, et les instructions qu’elle lui donne, pour le porter à une parfaite sainteté. L’homme ne s’est jamais bien connu lui-même, et il s’est toujours crû infiniment moins corrompu et moins malheureux qu’il n’est en effet. L’Écriture lui découvre l’origine de ses ténèbres, et le fond de sa corruption. Elle lui apprend ce qu’il a été, et lui fait sentir ce qu’il est, et mettant ainsi en opposition le premier état de l’homme avec le second, elle dissipe les illusions qu’il se fait sans cesse à lui-même et l’empêche de s’applaudir de sa condition et de ses qualités, le confond, l’humilie, le fait gémir, et arrache de son cœur ces tristes complaintes, Hélas ! misérable que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Elle lui parle du péché d’une manière à en inspirer de l’horreur à quiconque y fait attention, elle montre que le péché provoque la colère de Dieu contre le coupable, que sa justice en poursuit la condamnation, que sa bouche prononce l’arrêt de mort, qu’à ce jugement l’enfer s’ouvre, et que le pécheur y est jeté pour souffrir éternellement les peines qu’un Dieu tout puissant est capable de faire souffrir dans l’ardeur de sa colère et de sa vengeance. A cette idée mortifiante que l’Écriture donne du péché pour en éloigner les hommes, elle oppose la beauté et l’excellence de la sainteté, elle en fait voir par tout le prix, la nécessité, l’utilité, et elle est si étendue, et en même temps si vive, et si touchante, dans les instructions qu’elle donne sur toute cette grande matière de la vertu, de la piété, et du zèle, qu’on voit bien que tout cela ne peut venir que d’un Dieu infiniment saint, et qui cherche le bonheur de sa créature. L’esprit de l’homme est trop d’accord avec son cœur pour lui imposer des lois si sévères, qui ne lui souffrent pas le moindre défaut, et ne lui laissent pas même la liberté de retenir en secret des inclinations où il se complaît, et qui le flattent par ses endroits les plus sensibles, la cupidité, et l’orgueil. Les philosophes les plus rigides ne sont jamais allés jusque-là, et toute la nature n’y saurait atteindre. Quel peut être donc ce Livre qui mène si loin, et de quelle source peuvent être venues des lumières si pures, et des instructions si saintes ? Cela n’est-il pas digne d’un Dieu ? Or en supposant encore une fois que Dieu ait voulu se révéler, et donner aux hommes des lois et des préceptes, comme nous avons montré que sa bonté et sa sagesse l’y ont sollicité, n’est-ce pas ainsi qu’il devait parler ?

3ème caractère.

Si l’esprit d’incrédulité ne le rend pas à l’évidence de ces deux premiers caractères de la divinité de l’Écriture, et qu’il faille pour achever de le confondre, et pour dissiper tous les nuages qu’il forme autour de cette grande vérité, dont il redoute la lumière, tirer encore du fond même de l’Écriture un troisième caractère de la divinité de son origine, cela ne sera pas difficile. Il n’y a qu’à lire, et partout on y verra des prédictions de tout ordre et de toute espèce, excepté seulement de celles que l’on pourrait attribuer à la pénétration de l’esprit humain dans les choses qui regardent la politique, ou à sa science, dans celles qui sont purement naturelles, et qui ont des causes certaines et réglées dans la Nature, comme sont les éclipses du Soleil, et de la Lune, et quelques autres semblables. Les Livres de Moïse sont pleins de ces prédictions dont l’évènement est si caché dans l’avenir qu’il n’y a que Dieu, à qui l’avenir le plus reculé est toujours présent, qui ait été capable de l’y découvrir, et qui ait pu le tirer d’une obscurité si profonde, pour l’exposer aux yeux des hommes dans une prophétie. On voit dans le Livre de la Genèse un Noé qui menace la terre d’un déluge universel dont les eaux devaient changer toute la face, et n’y laisser pas un seul homme, et six vingt ans après une prédiction si étrange, si inouïe, si peu croyable, à ne regarder pas plus haut que des principes naturels, l’évènement vient vérifier la prophétie. Un vieillard âgé de cent ans, et une femme stérile, accablée d’années, reçoivent une promesse qui leur dit, qu’au bout d’un an ils auront un fils, que de ce fils sortira un peuple puissant, et nombreux comme les étoiles du Ciel ; que ce peuple sera premièrement dans l’esclavage durant plusieurs siècles ; qu’au bout de quatre cents ans il sera mis en liberté, et qu’il possédera le pays de Canaan. Tout cela arrive, Isaac naît d’Abraham et de Sara, d’Isaac naissent les Patriarches, des Patriarches se forme en Égypte une nombreuse nation, elle y est longtemps traitée en esclave, ses maux prennent fin, et elle se voit maîtresse de tous les pays des Cananéens. Jacob dans son lit de mort marque à chacun de ses enfants ce qui devait arriver à leurs Descendants et à leurs familles dans cinq à six cents ans de là, et encore beaucoup plus loin, et comme s’il avait lu en un Livre d’évènements déjà arrivés, il dit à Juda, que de sa race sortiraient des Rois, et que le sceptre serait longtemps dans sa famille : il dit à Zabulon que sa postérité habiterai le long de la mer, et au voisinage de Sidon. Arrêtons ici les prédictions de ce Patriarche, et demandons à ceux qui nous contestent le divinité de nos Écritures, d’où avait pris ce vieillard, dont toute la vie s’était passée à paître des troupeaux et à camper sous des tentes, que sa race allait devenir un grand peuple, que les enfants de Juda, qui n’était que le quatrième de ses fils, seraient élevés sur le trône, et que la Tribu de Zabulon sortant un jour avec les autres du pays d’Égypte, où Jacob tenait ces discours, irait se transplanter dans la Palestine, se saisirait des environs de la mer de Galilée, et posséderait les terres voisines de l’ancienne et fameuse ville de Sidon ? Il n’y a rien d’humain, et tout y est divin. Ces prophéties, et beaucoup d’autres semblables, qui avaient regardé l’établissement des Juifs dans le pays de Canaan, n’eurent pas plutôt été accomplies, que ce peuple abusant de tant de prospérité, Dieu s’irrita contre lui, et pour le punir de son ingratitude il résolut de le livrer au Roi de Babylone, et de le transporter en captivité. Les Prophètes lui prédirent longtemps par avance cette fatale révolution : leurs prédictions s’accomplirent jusques aux moindres circonstances, et Babylone vit venir ce peuple captif, et son Roi et ses Princes chargés de chaînes, selon la parole des Prophètes. Cependant, Dieu avait dit qu’il avait dit qu’il ne laisserait pas longtemps son peuple sous le joug des Babyloniens, que précisément au bout de soixante-dix années les Juifs seraient mis en liberté, et rétablis dans leurs anciens héritages, et tout cela s’est accompli. Les Livres d’Esaïe, de Jérémie, d’Ézéchiel, sont pleins de semblables prédictions ; et celui de Daniel entre autres contient des prophéties si expresses de la naissance, de l’accroissement, et de la chute des célèbres Monarchies des Perses et des Mèdes, des Grecs, et des Romains, avec mille circonstances notables, qu’il faut ou faire profession de nier les faits les plus constants, et de s’affermir dans l’incrédulité contre toute sorte de preuves, ou reconnaître que c’est Dieu qui parle dans un Livre où sont contenues toutes ces choses.

Disons un mot des prédictions qui ont regardé le Messie : les Livres du Vieux Testament en sont tout remplis, et on les y trouve à chaque page. Il devait naître, ce Messie, de la Tribu de Juda, et dans la famille de David, et il ne devait venir au monde que dans le temps où les Juifs seraient assujettis à une domination étrangère, 490 ans après leur retour de la captivité de Babylone. Ce sont des prophéties anciennes, dans la foi desquelles toute un Nation a vécue durant plusieurs siècles, cela est certain, et ne saurait être contesté. Jérusalem devait être démolie peu de temps après la venue du Messie, et le peuple Juif devait être consumé par la colère du Ciel. Daniel et Malachie, deux de leurs Prophètes, y étaient formels, l’un dans le chap. 9 de ses Révélations, et l’autre à la fin des siennes. On voit tout cela accompli. Mais qui est-ce qui l’avait pu marquer de si loin, que celui qui est le Maître absolu des événements, et qui ne se peut tromper dans ce qu’il prédit, parce qu’il ne prédit jamais que ce qu’il a résolu de faire, ou de permettre qui arrive ? C’est donc véritablement le Livre de Dieu que celui où se trouvent ces prédictions, comme ce sont les effets de sa puissance et de la sagesse que les événements dont les causes sont toutes en sa main, et lesquelles n’ont ni être, ni mouvement, ni action, que par le concours perpétuel de sa Providence.

Les trois caractères de la divinité de l’Écriture appliqués aux Livres du Nouveau Testament.

Les preuves de la vérité des Livres du Vieux Testament servent à ceux du Nouveau, parce que c’est partout la même doctrine, et qu’il y a entre eux le même rapport, qu’est celui que les événements ont aux prophéties, et les prophéties, et les prophéties aux événements : de sorte que si l’événement réfléchit sa lumière sur la prophétie, et en fait voir toute la vérité, la prophétie renvoie sa lumière sur l’événement, et y fait voir le doigt de Dieu. Mais outre cette conformité parfaite des Livres du Nouveau Testament avec ceux du Vieux, qui fait qu’ils doivent être regardés comme un même ouvrage, ces derniers ont aussi les mêmes caractères de la divinité de leur origine, que les premiers, et ces caractères n’y sont pas moins sensibles. 1. Dieu s’y fait connaître, comme dans les Livres des Prophètes, par tous les endroits qui peuvent nous donner une véritable idée de sa grandeur, et de ses perfections infinies, et il s’y fait même connaître d’une manière encore plus vive, plus lumineuse, et plus étendue qu’il ne l’avait fait sous l’ancienne Dispensation. 2. L’homme s’y connaît mieux lui-même qu’il n’avait jamais fait, et il y apprend à avoir un si parfait renoncement à soi-même, un si grand éloignement de toute sorte de vices et de péchés, des sentiments si affectueux pour la sainteté, et un amour pour Dieu si vif, et si universel, que le cœur n’a pas besoin de se demander si c’est là la voix de Dieu, ou la voix de l’homme. Enfin, le Nouveau Testament a ses prophéties, comme le Vieux a eu les siennes, et des prophéties si claires, et si marquées, qu’on ne sait quelque fois si c’est une prophétie qu’on lit, ou bien une histoire. Le chapitre 24e. de saint Matthieu, et les 17. 18. 19. et 21e. de saint Luc sont une preuve incontestable de cette vérité, mais nous n’en produirons pas d’autres exemples, pour ne pas retenir ici nos Lecteurs après des choses si connues.

VII. Que l’Écriture étant divine, il faut croire ce qu’elle dit.

Il est donc certain que l’Écriture est le Livre de Dieu, que c’est Dieu qui l’a dicté aux Prophètes, et aux Apôtres, et que c’est Dieu qui y parle. Cela étant, nous sommes indispensablement obligés de faire attention à ce qu’elle dit, et de croire tout ce qu’elle dit, quelques difficultés que l’esprit y trouve, parce que c’est la première loi et la première notion de la Raison elle-même, que de soumettre ses lumières à celles de Dieu, et d’étouffer sous l’autorité de la foi tous ses doutes et tous ses scrupules. Quand un homme nous dit une chose, nous ne devons croire cette chose-là, qu’autant qu’elle nous paraît croyable, parce qu’un homme peut nous tromper, et être trompé lui-même : mais il n’en est pas ainsi de Dieu, qui est essentiellement la vérité et la bonté. Tout ce que la Raison demande dans ces occasions, c’est qu’on ne prenne pas pour parole de Dieu ce qui ne l’est pas, mais qu’on examine soigneusement si les termes de l’Écriture ont par eux-mêmes, et indépendamment de nos préjugés, un tel, ou un tel sens. Mais si après cet examen il paraît que l’Écriture enseigne un dogme qui surprend notre raison pour ne pas le croire, et ce n’est alors qu’entêtement, que fierté, et que révolte contre Dieu. L’Écriture sainte, par exemple, nous dit avec la raison, qu’il n’y a qu’un Dieu, mais elle nous enseigne outre cela, qu’il y a trois Personnes dans l’unité de l’Essence divine. Dieu qui, pour ainsi dire, ne se fait voir qu’à demi dans la nature, qui est le Livre de la Raison, ne s’y est montré que du côté de sa puissance, de sa sagesse, de sa bonté, et par quelques autres endroits semblables, mais il n’y découvre pas que sa Divinité, qui est l’unité et la simplicité même, substitue en trois Personnes, dont l’une est le Père, l’autre, le Fils, et la troisième, le St. Esprit : c’est dans l’Écriture que Dieu nous apprend une vérité si profonde, et que se tirant comme de derrière le voile, il expose aux yeux de notre foi la Trinité des Personnes dans l’unité la plus simple et la plus parfaite d’une Nature. Les Textes où cette mystérieuse vérité nous est enseignée, se trouvent partout, et on les lit depuis le premier chapitre de la Genèse, jusqu’au dernier de l’Apocalypse. Quand Dieu veut créer l’homme on l’entend qui dit en termes de pluriel, faisons l’homme à notre image: et un peu après insultant à la folle témérité de cet homme, qui s’était figuré qu’en mangeant du fruit de l’Arbre de science, il serait comme Dieu, on entend Dieu qui dit dans le Ciel, Adam est devenu comme l’un de nous. Le Juif incrédule, et l’hérétique Antitrinitaire ont beau s’agiter pour éluder la force de ces passages, où l’idée de la pluralité se présente si naturellement à l’esprit, ils n’en viendront jamais à bout. Cette pluralité ainsi marquée d’abord, et dès la création du monde, en des termes un peu vague et généraux, se trouve dans la suite des Livres divins restreinte au nombre de trois, qui sont le Père, le Fils, et le St. Esprit. Pour ce qui regarde le Père, il n’y a point de difficulté, puisque l’incrédulité réduit à cette première Personne toute l’unité et la simplicité de la Nature divine. A l’égard du Fils, les preuves s’en trouvent aussi partout dans les Livres mêmes du Vieux Testament, comme on le va voir un peu plus bas, et les Livres du Nouveau Testament en sont remplis. Pour ce qui est du St. Esprit, on trouve une preuve incontestable de sa divinité, aussi bien que de toute la Trinité, dans la vision d’Esaïe, ch. 6 v. 3 conférée avec le verset 25 du ch.28 du Livre des Actes ; au ch. 5vers. 3. 4 du même Livre : dans la 1. Épître aux Cor. Ch. 2. 10. Apoc. 1. 4. Etc. On voit encore des passages formels de la Trinité dans le commandement qui nous est fait de baptiser au Nom du Père, du Fils, et du St. Esprit, et dans le fameux passage du ch. 5 de la 1. Epit. De saint Jean, où il est dit qu’il y en a trois dans le Ciel qui rendent témoignage, le Père, la Parole, et le St. Esprit, et que ces trois ne font qu’un.

En fallait-il tant à notre esprit pour se pouvoir assurer que cette vérité est enseignée dans l’Écriture, et n’aurait-il pas pu en croire ses yeux, quand elle ne lui aurait pas été montrée partout ? L’y trouvant donc en tant d’endroits, et révélée en tant de manières, toutes les difficultés à la croire s’aplanissent sous le poids et l’autorité de la Révélation, et quelque répugnance que l’esprit, naturellement fier et superbe, ait à y acquiescer, la Raison lui dit qu’il en doit croire Dieu, plutôt que lui-même, et que Dieu se connaissant infiniment mieux lui-même que nous ne le pouvons connaître par nos faibles lumières, ce serait une présomption, et une extravagance dont il n’y a point d’exemple, de vouloir que Dieu ne soit pas ce qu’il dit lui-même qu’il est, et qu’il ne soit précisément que ce que notre imagination nous dit qu’il doit être.

Il en est de même des autres mystères contre lesquels on a vu, et qu’on voit encore se soulever l’incrédulité : un Dieu-homme, par exemple, et cet homme-Dieu rachetant le monde par sa mort, et lavant dans son sang les péchés des hommes. Il n’est pas possible de comprendre, dit l’hérétique qui veut que toutes les vérités soient au niveau de sa Raison, et qui dégrade celles qui la passent, il n’est pas possible qu’un Dieu soit un homme, et que la Divinité, qui est une Essence infinie, et dont la gloire et la majesté engloutissent toutes nos pensées, soit unie avec une nature comme la notre, abjecte, passible, et mortelle, en sorte que les deux ensemble ne fassent qu’une seule et même Personne. Mais que la Raison le comprenne, ou qu’elle ne le comprenne pas, ce n’est pas de quoi il s’agit, ni ce qu’on lui demande. Dieu a dit que la chose était, et il l’a dit en tant d’endroits des Écritures, et avec tant de précision et de netteté, qu’il n’y a rien dans toute l’Écriture sainte de plus clair et de plus formel. [1]La Parole, qui est Dieu, dit un Apôtre, [2]a été faite chair, et elle a habité parmi nous : Dieu, dit un autre, a racheté l’Église par son propre sang: et ailleurs, [3]Celui qui était en forme de Dieu, et qui n’a point réputé rapine d’être égal à Dieu, s’est anéanti lui-même, ayant pris la forme d’un serviteur, fait à la ressemblance des hommes, et il a été trouvé dans la figure d’un homme; et encore en un autre endroit, [4]Le mystère de la piété est grand, Dieu manifesté en chair.

C’est un fait que cela, et un fait constant par le témoignage de ces Apôtres, or on ne raisonne pas sur un fait, mais on le croit sur le témoignage qui lui est rendu, ou bien on rejette le témoignage. L’hérétique n’ose prononcer contre l’Écriture, il la croit, ou fait semblant de la croire divine, et ni le Païen, ni le Juif, ni ce qu’on appelle Esprit fort, ne peuvent ébranler son autorité, après les preuves que nous en avons données dans les articles 6 et 7 de ce Discours. Il ne reste donc plus qu’à croire l’Incarnation sur la parole expresse de Dieu, sans qu’il soit nécessaire pour la croire avec raison, d’avoir approfondi cet abyme, puisque le meilleur usage que nous puissions faire de la Raison, c’est de ne nous en servir jamais contre Dieu, pour révoquer en doute la vérité de sa parole. Car, comme a dit excellemment saint Augustin, [5]Si la Raison est contraire à l’autorité des divines Écritures, quelque subtile qu’elle soit, elle nous trompe par des vraisemblances, et dès lors elle ne saurait être véritable.

VIII. Que le grand objet de l’Écriture a toujours été le Messie : et que le Messie est venu.

Le grand objet de cette parole divine a toujours été le Messie, et si l’on ne craignait ici la longueur, on ferait voir que depuis la chute et la transgression d’Adam Dieu l’a toujours eu devant les yeux, et que tous les plus grands évènements qui se lisent dans l’Écriture, principalement cette conduite envers les Patriarches, et l’ancien peuple d’Israël, y avait un rapport tout sensible. Mais il faut se souvenir que ce n’est pas ici un Livre, ou un Traité que l’on fait sur ces matières, mais une Préface, qui doit servir seulement d’introduction à l’intelligence de l’Écriture. Laissant donc à part tout ce qui pourrait nous écarter trop de notre dessein, nous nous arrêtons uniquement aux oracles où Dieu a parlé du Messie, et encore ne sera-ce que dans des vues générales, pour remarquer la nature, les suites, et les progrès de la révélation que Dieu en a faite, et non pas pour approfondir ces oracles. Le premier de tous, et qui est aussi ancien que la chute de l’homme, (car Dieu a voulu en son amour et en sa sagesse, que le remède ait ainsi suivi de fort près le mal) fut celui où Dieu assurait à nos premiers parents, que la semence de la femme briserait la tête du Serpent, mais que le Serpent lui briserait le talon. Tout le mystère de la Rédemption était dans cet oracle, mais il y était, à peu près de la même manière qu’une plante est dans la semence, et un grand arbre dans son pépin, ou dans son noyau. Mais comme avec le temps cette matière confuse et indistincte que la sage Nature a rassemblée dans les semences, se développe, s’étend, et prend la forme d’une plante, avec le temps tout de même les salutaires vérités que la Grâce avait rassemblées dans cette première prophétie, sont devenues plus distinctes, et se sont heureusement développées. Dieu donc en ajoutant dans la suite à ce premier oracle, qui avait marqué en des termes si généraux la naissance du Messie et du Rédempteur, de nouvelles prédictions, transporte dans la famille particulière d’Abraham l’honneur de cette naissance. Le Sauveur qui avait été promis à Adam sous le nom général de Semence d’une femme, est promis à Abraham comme devant naître de lui, et il lui est dit qu’en sa semence seraient bénies toutes les Nations de la terre. D’Isaac, le fils unique de ce Patriarche, naquirent Ésaü et Jacob, deux frères jumeaux ; et Ésaü, qui était l’aîné, vit passer tous les droits et les privilèges de sa famille dans les mains de son cadet, et la bénédiction Patriarcale s’aller poser, par une dispensation expresse de Dieu, sur la tête de Jacob. A Jacob naquirent douze fils, qui furent les douze Patriarches, et Dieu dans sa liberté souveraine choisit le quatrième d’entre eux pour en faire naître le Messie, et il fut révélé à Jacob que le Libérateur naîtrait de Juda. Environ six cents ans après Dieu nomme dans cette Tribu la famille d’où le Messie devait naître et sa sage et puissante main ayant mis David sur le trône, il lui fut dit que le Messie naîtrait de ses reins. La petite ville de Bethlehem est destinée pour le lieu de sa naissance. Divers oracles marquent le temps d’un événement sur lequel Dieu tenait toujours ses yeux arrêtés. Suivant la parole[6] d’un Prophète le Sceptre devait s’être départi de Juda, et toute la Nation d’Israël avait perdu la puissance souveraine. Suivant la prédiction[7] d’un autre, Jérusalem devait être tombée sous le pouvoir d’un Vainqueur, qui mettrai le siège contre elle. Suivant les prophéties[8] de quelques autres, le second Temple devait subsister encore quand le Messie paraîtrait au monde. Et un autre, enfin, en avait marqué le temps précis, et avait dit[9] qu’il viendrait septante semaines après la captivité de Babylone : Dieu entretenant ainsi toujours son Église de cette grande promesse, qui seule faisait toute sa consolation, et qui aussi lui arrachait ces profonds soupirs, et ces vœux ardents après la venue du Messie[10] ; O Cieux envoyez la rosée d’en-haut, et que les nuées fassent distiller la justice, ou, comme portent d’autres Versions, qu’elles fassent pleuvoir le Juste : que la terre s’ouvre, et produise le salut ; et que la justice germe ensemble ! A tous ces oracles, qui ont été la semence de la foi des premiers siècles du monde, les Prophètes joignaient de vives descriptions de la personne du Messie : les Psaumes de David en sont pleins ; Esaïe en parle comme s’il l’eut vu de ses yeux ; et les autres Prophètes l’ont aussi tous marqué par quelque trait qui le rendait fort reconnaissable. Ils se sont tous principalement attachés à le faire connaître par ces deux endroits, celui de son abaissement et de ses souffrances, et celui de son élévation et de son Règne. Ils ont même souvent eu le soin d’exposer tout à la fois, et de faire voir comme d’une seule vue, ces deux états différents, et en apparence opposés, du Messie. Le Pse.2, le 8 , le 16, le22, le 69, le 102, et le 110 sont des preuves formelles de la vérité de cette remarque, le chapitre 53 d’Esaïe en fait voir aussi la solidité : on y pourrait joindre le vers. 9 du ch. 9 de Zacharie, où le Messie est représenté tout ensemble dans sa bassesse, et dans sa qualité de Roi et de Sauveur, mais quand est-ce qu’on aurait achevé si on voulait tout dire ? Dieu s’était proposé, sans doute, en cela de rendre plus ferme et plus solide le fondement de la foi des Anciens, qui portait toute sur le Messie, et de former ainsi en faveur de l’Église de ces temps-là un Évangile anticipé. Mais c’était bien aussi pour ceux qui vivraient dans les siècles à venir, et dans le temps de l’accomplissement des promesses, qu’il multipliait en cette manière les oracles du Messie, et qu’il le montrait, pour ainsi dire, par tous ses côtés. Il fallait que quand Dieu enverrait ce riche présent à la terre, ont pu s’assurer que c’était là véritablement le don de Dieu, et que l’Église des derniers siècles put dire en le voyant, et le considérant, Voilà l’homme, c’est lui qui est le Saint de Dieu, le Messie qui devait venir, et nous ne devons point en attendre d’autre.

Mais de quoi n’est point capable la prévention de l’esprit, jointe à la corruption du cœur ? Elle appelle, comme disait Esaïe, le mal bien, et le bien mal, et elle fait que la lumière est ténèbres. Ces Juifs qui depuis tant de siècles soupiraient après la venue du Messie, le rejettent dès qu’il paraît. Il leur crie en arrivant, Me voici, me voici, et ils lui disent fièrement, Nous ne savons qui tu es. L’erreur, comme les maladies, s’enracine en vieillissant, et devient plus incurable : l’incrédulité du Juif a passé du Père à l’enfant, et c’est chez eux un second péché d’origine, qui accompagne la naissance. Ce peuple attend encore le Messie, et par un aveuglement et une fureur qui n’a jamais eu d’exemple, et qui n’en aura jamais, il l’attend sur la foi des anciens oracles, et cependant il renverse lui-même tous ces oracles, et n’en laisse pas un d’entier. Je ne sais même si, réduit comme il est à ne dire que des absurdités, et ennuyé de ses rêveries, il ne renonce pas dans son cœur à l’espérance de voir paraître jamais le Messie, ou s’il ne le croit plus que parce s’il le croit, sans oser s’assurer sur aucun Texte précis de l’Écriture, et mettre sa foi à l’abri d’un seul de tous ses oracles. Autrefois leur Nation trouvait le Messie dans cette fameuse prédiction de Jacob, Le Sceptre ne se départira point de Juda, ni le Législateur d’entre ses pieds, jusqu’à ce que le Silo vienne, et non seulement les Juifs d’aujourd’hui ne l’y voient plus, mais il n’est sorte de subtilité et d’artifice de Grammaire qu’ils n’inventent, pour détourner ailleurs le sens de l’oracle. Le Psaume deuxième (qui le croirait ?) tout pompeux et brillant qu’il est de la gloire du Messie et de son Règne, ne fait pas pour eux, ils y trouvent des choses qui les incommodent, et ils aiment mieux nous l’abandonner, que d’en faire un des fondements de leur foi. Ils s’épuisent à inventer des explications au Psaume 110 pour s’empêcher d’y reconnaître le Messie. Il n’y a point de Texte dans Esaïe sur lequel ils osassent dire, Le voila. Si ce Prophète prédit dans le chap. 7 qu’une vierge sera enceinte, et qu’elle enfantera un fils, qui sera appelé Emmanuel, ils y voient toute autre chose que le Messie. Ils ne sont guères plus contents de la description qu’il en a faite dans le chap. 9 vers. 5 et 6 quoi qu’il n’y ait, peut-être, rien dans toute l’Écriture sainte, dont ils pussent plus facilement flatter leur imagination prévenue de la magnificence du Messie, que les expressions dont Esaïe s’est servies en cet endroit. Le surgeon qui, selon la prédiction du même Prophète au ch. 11 devait naître du tronc d’Isaï, semble à quelques-uns de leurs Rabbins être, comme il l’est en effet, une prédiction du Messie, mais d’autres, craignant qu’on ne leur demande, Où est aujourd’hui ce tronc d’Isaï qui ne parait plus depuis 16 siècles ? et ne sachant que répondre de raisonnable, ils abandonnent ce Texte aux Chrétiens. Ce Roi Sauveur et Libérateur que Zacharie montrait à Sion dans le ch. 9 de ses prophéties, comme le plus grand sujet de sa joie, plairait bien aux Juifs, s’il n’y avait que cela, mais ces noms de Roi débonnaire, et de Roi pauvre dont le Prophète le qualifie, rebutent le Juif, et l’empêchent absolument de chercher le Messie dans cet oracle.

Mais le Juif n’en sera pas quitte pour fermer ainsi les yeux à la lumière de tant de prophéties, et il faut qu’il traite d’erreur populaire la créance générale dans laquelle sa Nation a toujours été touchant le Messie, et qu’il dise que les Prophètes n’en ont jamais parlé, ou qu’il avoue que le Messie est venu depuis plus de seize cents ans. Qu’il chicane tant qu’il voudra sur l’explication du silo dont Jacob a prophétisé la venue, il demeure clair comme le jour que ce silo, à qui le Patriarche avait donné ce caractère remarquable, qu’i assemblerait les Nations, devait venir dans un temps où l’État civil et politique du peuple Juif subsisterait encore, mais fort diminué, et affaibli, sans Sceptre, et sans autorité souveraine. Or il y a seize ans cents ans passés que les Juifs ne sont plus un corps de peuple, et qu’ils ne sont plus dans l’état qui avait été marqué par l’oracle, il faut donc que le Silo soit venu il y a plus de seize cents ans. La même chose avait été prédite d’une autre manière par Aggée et par Malachie, qui avaient dit que le Messie viendrait avant la ruine du second Temple, qui se bâtissait de leurs temps, comme on l’a pu voir dans les prophéties que nous avons rapportées plus haut, le second Temple n’est plus depuis seize siècles, où sera donc le Messie, s’il n’est pas venu avant la ruine de cet Édifice ? Enfin, Daniel avait assuré qu’au bout de septante semaines d’années, qui font 490 ans, après l’Édit portant que la muraille et les brèches seraient rebâties, le Messie viendrait : ces 490 années expirent au temps qui avait été désigné par la prédiction de Jacob, et par les prophéties d’Agée et de Malachie, c’est-à-dire, il y a un peu plus de seize cents ans, et le Messie ne serait pas encore venu ! A quoi donc bon des prophéties, qui toutes s’accordent à prédire qu’une chose arriverait au temps qu’elles marquent, si cette chose n’arrive pas en ce même temps ? Les Juifs en sont bien en peine, mais rien ne montre tant leur confusion, et leur embarras que les réponses qu’ils y font. Notre impénitence, disent-ils, retarde la venue du Messie, et il y a longtemps que Dieu nous l’aurait donné, si nous avions été dignes de le recevoir. Cette raison est spécieuse, et comme on aime naturellement à voir des gens qui s’humilient, et qui se confessent pécheurs, il est certain que les Juifs ne sauraient cacher leur incrédulité sous un voile plus favorable. Mais c’est une illusion qu’ils se font, et qu’ils veulent bien se faire pour n’être pas obligés de renoncer à une erreur qui les tient depuis si longtemps fascinés, et dont ils ne peuvent se déprendre. Car enfin, quand Dieu faisait prédire par ses Prophètes que le Messie viendrait au temps qu’il marquait, ne voyait-il pas, lui dont les regards percent si loin dans l’avenir, que les Juifs de ce temps-là seraient extrêmement corrompus ? Certainement il le voyait, et il en a même coulé plusieurs traits dans les prédictions de ses Prophètes. Daniel a dit que ce serait un temps de déloyauté[11] ; Zacharie[12] l’a comparé au temps où une personne demeurait séparée à cause de sa souillure ; et Malachie en avait fait une description fort étendue dans le chap. 3 de ses prophéties. Cependant, Dieu ne laissait pas de faire dire par ces mêmes Prophètes que le Messie entrerait dans le second Temple, et qu’il y entrerait 70 semaines après le retour de la captivité de Babylone. Il n’est donc pas vrai que l’impénitence et la corruption de ce peuple empêche la venue du Messie, cette raison est décisive, et le Juif n’a rien à répliquer. C’est encore en lui un préjugé de naissance et d’éducation que de s’imaginer que le Messie ne dût venir que pour le seul peuple d’Israël, et qu’ainsi le temps de sa venue puisse être retardé 15 ou 16 siècles, et beaucoup plus même s’il le faut, par l’impénitence de ce peuple. Car le Messie était aussi promis aux Gentils, et pour appeler dans l’alliance de Dieu les nations les plus éloignées comme il parait par cent oracles du Vieux Testament. Aurait-il donc fallu que les Gentils eussent été privés de cet avantage par l’impénitence des Juifs, et qu’ils fussent demeurés hors de l’Église, et hors du salut, sans espérance, et sans Dieu au monde, jusqu’à ce qu’il eût plu aux Juifs de se convertir, et de renoncer à leurs vices ? Il faut certes bien ignorer les voies de Dieu, et n’avoir guère de commerce avec les Livres des Prophètes, pour s’entêter d’une pensée, qui sous le semblant de faire honneur à la justice et à la sainteté de Dieu, renverse la vérité de ses prophéties, et ferme la porte à la conversion et au salut d’une infinité d’âmes que la venue du Messie devait sauver. Les Juifs ne savent que dire à toutes ces choses, ils succombent sous le poids de tant de difficultés, et toute ressource est de fermer les yeux sur les oracles de Jacob, de Daniel, d’Agée, de Malachie, et de plusieurs autres, qui avaient tous marqué pour la venue du Messie une même période de temps. Ils n’osent regarder si loin derrière eux, de peur de voir naître à Bethlehem un Surgeon du tronc d’Isaï, sur lequel vienne se reposer l’Esprit de l’Éternel, et de voir le Messie entrant dans son Temple, et remplissant de sa doctrine et de ses miracles toutes les villes d’Israël. Ils défendent même de parler du temps que les Prophètes avaient marqué pour la venue du Messie, et comme ce peuple est toujours extrême dans son entêtement et dans ses caprices, il prononce malheur à celui qui fait le calcul des temps.

IX. Que Jésus-Christ est le Messie.

S’ils voulaient, en effet, remonter plus haut, et jusqu’à la dernière période de leur République, et de la durée du Temple, au temps où s’accomplissait le 70 semaines de Daniel, ils verraient paraître dans la Judée en Jésus, fils de Marie, de la famille de David, né à Bethlehem, qui se fait admirer par sa sainteté, par son zèle, et par ses prédictions ; un Jésus qui est un modèle de douceur, de patience, et d’humilité, et qui toujours occupé du soin d’avancer la gloire de Dieu, et de procurer le salut des hommes, ne se donne aucune relâche, passe d’un lieu à l’autre, parcourt toutes le villes d’Israël, et laisse partout des marques éclatantes de sa bonté et de sa puissance. Ici il guérit un lépreux, là il délivre un démoniaque, ailleurs il rend la vue aux aveugles, et dans une autre occasion il la donne à un aveugle né. Tantôt c’est une paralysie de trente-huit ans qu’il guérit avec une seule parole : Lève-toi, dit-il au malade, et cet homme immobile, et étendu dans son lit, se lève, marche, et toute la ville de Jérusalem est témoin de cette merveille. Une autre fois il rencontre dans les rues d’une ville appelée Naïm, un convoi funèbre, c’était un jeune homme, fils unique d’une femme veuve, qu’on portait au tombeau : sa tendresse s’émeut à la vue de cet objet, Arrêtez, dit-il à ceux qui portaient la bière, et s’étant approché du mort, Jeune homme, lui dit-il, lève-toi. Aussitôt le mort se met sur son séant, parle, et se lève. Il meurt à quelque de là dans le bourg de Béthanie un homme appelé Lazare, Jésus était alors en Galilée, et quatre jours après il arrive à la maison de Lazare, où il avait souvent logé en allant et revenant de Jérusalem. Il trouve les sœurs du défunt pénétrées de douleur, et fondant en larmes, il se fait mener au sépulcre où était le mort : c’était une grotte, couverte d’une grande pierre, Jésus parle, et sa voix pénètre dans le tombeau, il commande au mort, et le mort, qui n’était déjà qu’un puant cadavre, recouvre la vie, et sort du tombeau.

Quel est donc cet homme qui opère tant de merveilles, et qui le fait par tant d’endroits une réputation extraordinaire dans la Judée ? Partout on l’admire, tout Israël a les yeux sur lui, et on entend ce pauvre peuple, dont l’esprit était encore plus esclave de ses Docteurs, que le corps ne l’était des Romains, se disant les uns aux autres à la vue de tant de prodiges, Ne serait-ce point ici le Messie ? et quand le Messie sera venu, fera-t-il plus de miracles que celui-ci n’a faits ? On voit bien ce qu’ils veulent dire, et on entend assez ce langage, mais des respects humains font tenir à la langue des discours douteux, et étouffent la persuasion du cœur. Jésus supplée à leur timidité et à leur faiblesse, et il dit lui-même ce qu’il est, Je suis le Messie, et si vous ne m’en voulez pas croire, croyez à mes miracles. Les Prophètes avaient marqué le Messie par cet endroit, et ils avaient dit qu’il ferait marcher les boiteux, ouïr les sourds, et voir les aveugles : mais les Prophètes n’avaient pas encore tout dit, et le silence mystérieux dont ils avaient couvert le reste, laissait à Jésus la gloire de porter infiniment plus loin la grandeur et le nombre de ses miracles, que les expressions des Prophètes, si riches partout ailleurs, et si abondantes, ne les avaient représentés. Pour attirer encore d’avantage l’attention des Juifs sur les miracles de Jésus-Christ, la Sagesse de Dieu avait voulu mettre un intervalle de plus de cinq cents ans entre ceux que quelques Prophètes faisaient autrefois, et ceux de Jésus. Ce fut même pour cette raison que Jean Baptiste, cet homme rare, et envoyé du Ciel, après lequel courait toute la Judée, ne fit aucun miracle, c’eut été trop pour un serviteur qui était si près de son maître, l’ignorance aurait pu les confondre. Les Apôtres en ont fait après Jésus-Christ, plutôt que les leurs, et ils lui en ont eux-mêmes toujours référé la gloire, disant hautement que c’était au Nom de Jésus, et par sa puissance qu’ils les faisaient. Dieu aurait-il donc voulu faire rencontrer tout à la fois en un même homme tant de caractères du vrai Messie, et que cet homme ne fut pas le Messie ? Le temps, la naissance, la sainteté, la science, les miracles, rien de ce que les Prophètes avaient prédit, ne lui a manqué, et encore ce ne sera pas celui qui devait venir ? Jésus déclare qu’il est le Messie, il l’assure, et pour en convaincre l’incrédulité, il fait des miracles où la fraude et l’illusion ne sauraient avoir de part, qui ont autant de témoins que la Judée, la Galilée, et les pays circonvoisins ont d’habitants, et cet homme n’en sera pas encore cru ? Certainement Dieu est trop jaloux de sa gloire pour prêter sa main à un séducteur, et pour sceller lui-même de ses miracles la plus insigne de toutes les impostures, telle qu’aurait été celle de Jésus, s’il n’eut pas été véritablement le Messie. Moïse s’est fait connaître à toute l’Égypte par ses miracles pour être l’Envoyé de Dieu, et son vrai Ministre, et tout le peuple d’Israël l’a reconnu à cette marque comme tel, et l’a reconnu à cette comme tel, et l’a révéré comme son Prophète. On a rendu la même justice aux autres Prophètes que Dieu envoyait de temps en temps à cette nation, sans qu’il nous paraisse par l’Écriture qu’ils aient tous confirmé par des miracles la vérité de leur ministère, il n’y a donc que Jésus qui n’en soit pas cru ? Il faut avouer que le Juif est bien malheureux de ne pouvoir faire cette injustice à notre Jésus, sans exposer ouvertement l’honneur de ses propres Prophètes, et sans exposer ouvertement l’honneur de ses propres Prophètes, et sans que le refus opiniâtre qu’il fait de croire, après cette multitude innombrable de prodiges, que Jésus est le Messie, soit une accusation formelle contre leurs pères, et contre toute l’Église d’Israël, d’avoir cru légèrement, et sur l’autorité de quelques miracles, que Moïse, Josué, Samuel, et quantité d’autres, étaient immédiatement envoyés de Dieu, et ses véritables Ministres. Mais c’est un grand avantage pour la vérité dont nous soutenons ici les droits, que Dieu l’ait mise à couvert derrière l’autorité de tous les Prophètes, et que Judaïsme lui-même devienne ainsi comme le rempart de la foi chrétienne. Il est étrange que les Juifs qui voyaient tous ces miracles, n’aient pas fait cette réflexion qui vient si naturellement dans l’esprit ; mais les hommes sont ainsi faits, quand une passion les agite, et qu’à cette passion se joint un grand intérêt qui les pousse, tous leurs mouvements sont si violents, que le cœur ne laisse plus à l’esprit la liberté de réfléchir. Les Juifs voulaient un Messie riche, puissant, belliqueux, qui se mit à la tête d’une grande armée, qui délivrât leur pays du joug des Romains, et qui de victoire en victoire portât si haut la gloire de leur Nation, qu’elle se rendit redoutable à toute la terre. Et Jésus est, au contraire, un homme pauvre et abject, qui jusqu’à l’âge de trente ans mène une vie obscure dans la maison d’un charpentier, et qui ne se montre aux yeux de public, que dans la compagnie de quelques pêcheurs, qu’il a ramassés sur les rivages du Lac de Génésareth, et avec lesquels il parcourt toute la Judée et la Galilée. Il est même si doux et si humble qu’il ne fait point entendre sa voix dans les rues, et que lorsqu’une grande troupe, ravie en admiration de l’entendre parler, et de lui voir faire divers miracles, veut le déclarer Roi, il se dérobe aux yeux de la multitude, et va se cacher dans les déserts. Sa doctrine même déplait, et ses prédications importunent, il veut que tout le monde soit doux et humble comme lui, il ne recommande rien tant que le désintéressement, et que le renoncement à soi-même, il prêche incessamment la paix, l’union, la concorde, et l’amour de ses ennemis, il attaque l’ambition, le faste, et le luxe des Têtes les plus élevées de la Synagogue. On doit l’avouer, le cœur s’irrite souvent à moins, et l’esprit, naturellement amoureux de ses préjugés, ne renonce pas aisément à des pensées qui le flattent, en faveur d’un objet où tout lui déplait, et où tout le choque. Cependant, c’était là le portrait que les Prophètes avaient fait du Messie. [13]Ils avaient dit qu’il serait plus défait de visage que de tout le reste des hommes, qu’il n’aurait nul extérieur, rien qui le fit désirer, qu’il serait le méprisé, le rejeté des hommes, un homme plein de douleurs, et sachant ce que c’est de la langueur : [14]affligé et pauvre ; [15]un ver, enfin, plutôt qu’un homme. Les juifs lisaient tout cela dans leurs Prophètes, mais ils n’ont pas voulu le voir en Jésus-Christ. Il faut bien donc qu’il y ait eu en eux un fond extraordinaire de fierté et d’entêtement, pour vouloir que Dieu leur envoya un Messie formé sur le plan qu’il leur avait semblé bon de s’en faire eux-mêmes, plutôt que sur celui qu’il en avait fait.

Enfin, leur propre incrédulité témoigne contre eux, et par un effet admirable de la sagesse de Dieu, elle sert de preuve à la vérité du Messie. Les Prophètes l’avaient marquée en termes exprès, cette incrédulité. Moïse l’avait vue au travers de quinze à seize siècles, et prédite dans le verset 19 du ch. 18 du Deutéronome, et plus au long encore dans le ch. 32 du même livre. David s’en était souvent plaint, comme on le peut voir au commencement du Psaume second, dans le 22 presque tout entier, dans le 102, 109 et 118. Esaïe est plein de semblables prédictions, on les lit dans les ch. 8, 49, 52 et 53. Enfin, on ne trouve presque autre chose dans les Prophètes. Si les Juifs ne se voient pas dans tous ces oracles, assurément ils n’ont point d’yeux : et s’ils s’y voient, et qu’encore après cela ils refusent d’avouer que ce Jésus qu’ils ont rejeté, persécuté, et fait mourir, était le Messie, ils n’ont ni pudeur, ni bonne foi.

Ils sont même en cela d’autant plus coupables, qu’il est arrivé depuis la mort de Jésus-Christ des évènements qui sont des preuves sensibles de la vérité qu’ils rejettent, et sur lesquels ils devraient bien avoir ouvert les yeux. Le Seigneur Jésus avait menacé les Juifs que pour les punir de leur incrédulité il les livrerait à l’épée de l’ennemi, que la Judée allait devenir un théâtre affreux de toutes les horreurs de la guerre, que Jérusalem serait assiégée, prise, saccagée, et démolie de fond en comble, que le Temple même serait renversé jusques dans ses fondements, et mille autres choses semblables, qui s’accomplirent environ quarante ans après la mort de Jésus-Christ, ou qui s’accomplissent encore tous les jours dans la colère de Dieu, qui ne peut se lasser de poursuivre ce malheureux peuple. Cependant Jésus-Christ règne par toute la terre, et son nom est adoré depuis le soleil levant jusqu’au soleil couchant. Son Évangile s’est fait jour partout depuis un bout du monde jusqu’à l’autre, les Idoles des Païens ont été confuses, les Gentils se sont convertis, et tandis que la Synagogue seule s’obstine, selon les prédictions de ses Prophètes, à refuser de reconnaître notre Jésus pour le Messie, la Gentilité lui rend ses hommages, et réserve son autorité, selon les oracles des mêmes Prophètes.

Que diront à cela les Juifs ? Nieront-ils que ces grands événements de la conversion des Gentils, et de la chute des idoles et du Paganisme aient été marqués dans les prophéties comme un caractère propre au Messie ? Qu’ils se souviennent que Dieu avait dit à Abraham, qu’en sa semence seraient bénies toutes les nations de la terre, et cette semence, ils le savent bien, c’était le Messie. Qu’ils fassent attention à ces paroles si remarquables de Jacob, A lui appartient l’assemblée des peuples. Qu’ils lisent dans le Deutéronome cette menace de Moïse, je les émouvrai à jalousie par un peuple qui n’est point peuple, et je les provoquerai à la colère par une nation folle. Qu’ils consultent le livre des Psaumes, et ils trouveront à l’ouverture de ce Livre saint, et dès le Psaume second, ces paroles de Dieu au Messie, Demande-moi, et je te donnerai pour ton héritage les nations, et pour ta possession les bouts de la terre. Ils liront dans le 22 Tous les bouts de la terre se convertiront à l’Éternel, et toutes les familles des nations se prosterneront devant toi, et dans le Psaume 102 Les peuples seront assemblés, et les Royaumes aussi pour servir l’Éternel. S’ils consultent Esaïe, il leur dira dans le chap. 2 Aux derniers jours la montagne de la Maison de l’Éternel sera affermie, et toutes les nations y aborderont, et quant aux idoles elles s’en iront toutes, et en ces jours-là on jettera les idoles aux taupes et aux chauves-souris.. Ils entendront dans le ch. 42 et dans le 49 l’Éternel parlant au Messie en ces termes : moi l’Éternel, t’ai appelé en justice, et je prendrai ta main, et te garderai, et te ferai être l’alliance du Peuple, et la Lumière des Nations, pour ouvrir les yeux Qui ne voient point Etc. C’est peu de chose que tu me sois Serviteur pour rétablir les Tribus de Jacob, et pour restaurer les désolations d’Israël, c’est pourquoi je t’ai donné pour lumière aux Nations, afin que tu sois mon salut jusques aux bouts de la terre. Et dans le chap. 52 Voici, mon Serviteur adressera bien ; il sera exalté, et élevé, et surhaussé bien-fort. Plusieurs ont été étonnés de toi, parce que tu étais défait de visage plus que pas un autre, et de forme, plus qu’aucun des enfants des hommes. O Juifs ne vous reconnaissez-vous pas là-dedans, et n’y trouvez-vous pas ce Jésus pauvre et humilié, dont l’extérieur vous a tant déplu ? Mais achevons d’entendre ce que Dieu en avait dit ; Il fera saillir le sang de plusieurs Nations, les Rois fermeront la bouche sur toi, car ceux à qui on n’en avait rien raconté, le verront, et ceux qui n’en avaient rien ouï, l’entendront. Sur quoi le Messie lui-même s’écrie en ces termes, dans le chap. 65 Je me suis fait chercher à ceux qui ne me demandaient point, et je me suis fait trouver à ceux qui ne me cherchaient point ; j’ai dit à la nation qui ne s’appelait point de mon nom, Me voici, me voici. On lasserai le Lecteur si on voulait rapporter ici toutes les prédictions qui se trouvent dans Esaïe, et dans les autres Prophètes,, concernant la vocation des Gentils, et la chute du Paganisme. Mais que dit aujourd’hui le Juif qui se trouve entre cette foule de prophéties sont trop claires, trop précises, et en trop grand nombre, pour les pouvoir éluder par quelques subtilités de Grammaire ou de Chronologie, et l’évènement se montrant de tous côtés, il est impossible de ne pas croire ses yeux. Jésus est donc le Messie, et après des preuves si évidentes, dont chacune séparément fait une véritable démonstration, et qui toutes ensemble forment une conviction dont il est impossible à l’esprit de se défendre, il n’y peut y avoir plus que le cœur qui résiste, et dont la malice et l’obstination serve de rempart à l’incrédulité. Mais il n’y a que Dieu qui puisse la poursuivre jusques dans ce Fort, et la tirer d’une si profonde cachette.

X. Que Jésus-Christ est vrai Dieu.

De cette première vérité nous passons à une seconde, qui est essentiellement liée avec la première, savoir, que Jésus est le Fils de Dieu. Nous aurons encore ici les mêmes ennemis à combattre, renforcés d’une foule d’hérétiques, qui sous divers noms, et par des routes différentes ont fait effort de ravir à Jésus-Christ sa Divinité, mais par la grâce de Dieu elle est trop solidement établie dans l’Écriture, pour devoir craindre qu’elle souffre le moindre dommage, et que l’enfer puisse jamais enlever à l’Église cette grande consolation.

Dieu a prononcé là-dessus dans le Psaume second, où il parle ainsi du Messie, Tu es mon Fils, je t’ai aujourd’hui engendré, et le messie dit lui-même sous le nom de la sapience, dans le ch. 8 du Livre des Proverbes, J’ai été engendrée lorsqu’il n’y avait point encore d’abymes, ni de fontaines chargées d’eau ; j’ai été engendrée avant que les montagnes fussent posées, et avant les coteaux. [16]Michée disait dans les mêmes vues, que les issues (c’est-à-dire dans le style Hébraïque, la génération) les Issues du Messie, étaient dès les temps éternel, et [17]Esaïe à cause de cela l’avait appelé par excellence le Fils. Les Livres du nouveau Testament sont remplis de la même doctrine, et il n’y a rien de plus répandu dans les Écrits des Évangélistes et des Apôtres que le titre de Fils de Dieu, donné au Messie. Les rives du Jourdain en ont retenti dans le Baptême de Jésus-Christ, et les Juifs, qui étaient versés dans l’intelligence de l’Écriture, l’avaient souvent à la bouche, et le confondaient avec celui de Messie, comme on le recueille clairement du témoignage que Jean Baptiste rend à Jésus-Christ dans le v. 34 du 1 chap. de saint Jean, et de la réponse de Nathanaël qui se voit au v. 49 du même chapitre. Le Juif et l’hérétique comptent tous ces Textes pour rien, et sous prétexte que le titre de Fils de Dieu est donné quelques fois aux Anges, souvent aux Fidèles, dans des significations impropres et figurées, il s’imaginent pouvoir aisément échapper de tous ces passages, en disant que c’est tout de même improprement et par métaphore que le Messie est appelé le Fils de Dieu. Il l’est à cause de sa dignité et de ses charges, disent le Juif et l’hérétique tous de concert, et l’hérétique qui reconnaît Jésus-Christ pour le Messie, ajoute de son chef, que sa naissance d’une Vierge par l’opération immédiate de l’Esprit de Dieu, les dons extraordinaires dont Jésus-Christ a été rempli, sa résurrection, et son ascension dans le Ciel lui ont mérité ce glorieux titre de Fils de Dieu dans une signification qui le met entièrement hors de pair avec les Fidèles, les rois, et les Anges mêmes, mais pourtant en un sens métaphorique, qui laisse entre le Fils et Dieu une distance infinie, et le renferme absolument dans l’ordre des créatures. Tout cela se pourrait dire s’il n’y avait que l’expression de Fils de Dieu à considérer, mais les choses sont si inégales entre tous les divers sujets à qui l’Écriture la donne quelque fois, et notre Seigneur Jésus-Christ, à qui elle a été ordinaire, qu’il n’est pas possible de n’y pas remarquer une différence infinie, à moins qu’on ne veuille pas la voir. Dans le Psaume second c’est un Fils de Dieu qui règne sur toute la terre, et à qui les Rois et les peuples rendent leurs hommages les plus profonds. Dans le Livre des Proverbes, et dans les Révélations de Michée, c’est un Fils qui est engendré avant le monde, et qui par conséquent est de toute éternité, car l’Écriture marque par cette expression l’éternité. Dans Esaïe, ce Fils est le Dieu fort, et le Père de l’éternité. Dans les Livres du Nouveau Testament, c’est un Fils de Dieu qui est le bien-aimé du Père éternel, celui en qui il se complait, selon l’expression forte et énergique dont Dieu s’est servi en parlant de lui sur les rivages du Jourdain, et dans la montagne de la Transfiguration : un Fils de Dieu qui, comme il l’avait dit lui-même dans les Proverbes, était avec Dieu au commencement, et qui possédait avec son père une gloire divine avant que le monde fut fait; un Fils de Dieu, qui est son Fils unique, son propre Fils', égal à son Père, et un avec lui ; Un Fils de Dieu qui avant que de revêtir notre chair infirme, était dans toute la gloire d’un Dieu, et ne réputait point rapine d’être égal à Dieu ; un Fils de Dieu par qui toutes choses ont été faites, et sans qui rien de ce qui a été fait, n’a été fait, par qui ont été créées toutes choses qui sont dans le Ciel et en la terre, les visibles et les invisibles, les Trônes, les dominations, les Principautés, les Puissances, toutes ont été crées par lui, et POUR lui, et il est avant toutes choses, et toutes subsistent par lui: un Fils de Dieu, de qui toute la Nature révère les lois, et respecte l’autorité : un Fils de Dieu, enfin, car quand est-ce qu’on aurait tout dit ? Un Fils de Dieu qui est le Sauveur, et le Rédempteur du monde, à qui toute l’Église rend le culte de l’adoration, et aux pieds de qui les Bienheureux, qui ont été déjà reçus dans la gloire, posent humblement leurs couronnes, et l‘adorent sur le trône, dans le palais même et en présence de Dieu, comme on le voit dans l’Apocalypse. Oserait-on dire après tout cela que c’est improprement et dans un sens métaphorique que Jésus-Christ est appelé le Fils de Dieu; et qu’à quelques différences près, qui ne changent pourtant rien dans la nature de la chose, ce titre ne lui est donné qu’au même sens qu’il est attribué aux Rois et aux Anges ? Ce ne sera donc désormais qu’une différence du plus ou moins, que celle de Maître du monde et de toutes les créatures, à un Roi de chair et de poudre, qui ne commande qu’à une poignée de gens, qui n’a pas le pouvoir de faire tomber du ciel une goutte d’eau, qui ne saurait arrêter un petit souffle de vent, ni se garantir des craintes, des dangers, des maux, qui souvent épargnent le pauvre dans sa cabane, tandis qu’ils ne respectent point le palais des Rois. Ce ne sera qu’une différence du plus ou moins, que celle d’un Etre éternel à des êtres de deux jours, qui ne peuvent regarder un pied derrière eux, sans voir le néant d’où ils sont sortis : la différence du Créateur à la créature, et celle d’un Fils de Dieu, qui est adoré comme Dieu, par les hommes et par les Anges, à des Fils de Dieu qui sous un titre si magnifique cachent l’indigence et le néant, inséparables de la créature. Certes, ces gens qui nous vantent tant la Raison, la connaissent eux-mêmes bien peu, et ils en sont bien dépourvus s’ils ne mettent pas entre ces choses une différence infinie ; et s’ils l’y mettent, ils ne sauraient rien faire qui fut davantage contre la Raison, que de nier encore après tout cela que Jésus-Christ soit proprement et par essence le Fils de Dieu. Ils ne comprennent pas, disent-ils, comment Dieu peut avoir un Fils qui soit Dieu comme lui, sans qu’il y ait plusieurs Dieux, et que le Père qui engendre, et le Fils qui est engendré, soient également éternels. Il n’y a donc que cela qui fasse l’incrédulité : mais alors ce n’est plus l’Écriture qui n’en dit pas assez, c’est la Raison qui en veut trop savoir, et qui ne se contentant pas d’être sage à sobriété, n’a pas plus de respect et de soumission pour les Livres saints, lorsqu’ils lui disent des choses qui passent sa compréhension et sa portée, qu’elle en a pour les écrits d’un simple homme. Ainsi ce n’est plus proprement sur le témoignage de Dieu que ces gens-là croient, mais uniquement sur celui que leur prétendue Raison se rend elle-même.

En effet, si elle voulait sérieusement, cette fière et audacieuse Raison, en croire à ce que Dieu dit de son Fils, outre les témoignages qui viennent de lui être rendus, et qui sont aussi clairs et aussi précis que jamais témoignages le puissent être, il n’y aurait qu’à consulter encore un moment l’Écriture, et on l’entendrait nous dire partout, que Jésus-Christ est Dieu. C’est, dit-il, que le nom de Dieu, qui est un nom de grandeur, et d’excellence, est quelques fois donné dans l’Écriture aux Anges, et aux Souverains, par quelque espèce de ressemblance qui se trouve de la haute élévation de ces créatures, à la majesté de Dieu. Cela est vrai. Or c’est ainsi, ajoute-on, que Jésus-Christ est appelé Dieu. L’hérésie n’a que cela à dire pour sa défense, et si on lui ôte cette distinction d’un Dieu improprement dit, elle n’aura pas le mot à répondre. Mais il ne faudra pas faire de grands efforts pour cela, puis qu’il n’y eut jamais rien de plus facile. On voit par toute l’Écriture que le nom de Jéhovah, qui est ordinairement traduit dans nos bibles par celui d’Eternel, est le nom propre et essentiel du vrai Dieu : Dieu s’en explique ainsi lui-même dans le chapitre 42[18] d’Esaïe, Je suis JEHOVAH, c’est là mon nom : et dans le chapitre 45 [19]Je suis JEHOVAH, et il n’y en a point d’autre, il n’y a point de JEHOVAH hormis moi; et afin de mieux imprimer dans l’esprit cette vérité, i y revient encore, et il répète au verset suivant les mêmes paroles, Je suis JEHOVAH , et il n’y en a point d’autre. Il se trouve pourtant que Jésus-Christ est aussi Jéhovah, et que ce nom lui est donné dans plusieurs passages du Vieux Testament ; on n’en rapportera que deux ou trois pour être plus court. David dit dans le Pse. 97 que Jéhovah règne, et qu’il est haut élevé par-dessus toute la terre : et saint Paul explique cela de Jésus-Christ dans le chap. 1 de l’Epitre aux Hébreux. Esaïe raconte dans le ch. 6 que le Seigneur lui apparut, séant sur son trône, et qu’il entendit les Séraphins qui criaient tout autour de lui, Saint, Saint, Saint est JEHOVAH des armées, or saint Jean dit au chap. 12 de son Évangile, que c’était Jésus-Christ qu’Esaïe avait vu dans sa gloire. Jérémie l’appelle formellement[20] JEHOVAH notre justice, il porte le même nom de Jéhovah, dans Zacharie, au chap. 3 et au ch. 11. 13. Ce nom est particulier au vrai Dieu, et il est certain qu’il n’y a pas plusieurs Jéhovah. [21]Écoute, Israël, disait Moïse, JEHOVAH notre Dieu, est le seul JEHOVAH : l’Écriture donne ce nom à Jésus-Christ, et elle le lui donne avec tout l’éclat et toute la majesté de ce nom auguste et adorable, comme il parait par les Textes qui viennent d’en être rapportés : Jésus-Christ est donc le vrai Dieu. Jamais l’hérétique n’échappera à la force de cette preuve.

Mais pour rendre encore cette vérité plus sensible, et ne laisser pas dans l’esprit jusqu’au moindre doute que ce ne soit proprement, et à la lettre, et non pas improprement et par métaphore, que Jésus-Christ est appelé Dieu en mille endroits de l’Écriture, demandons un peu à ceux qui sont de cette misérable distinction toute leur ressource, ce qu’il faut pour faire qu’un nom soit donné à une chose ou à une personne dans toute la vérité de sa signification, et dans toute la propriété de la lettre, et nous verrons ensuite si nous pouvons trouver tout cela en Jésus-Christ. Quand on dit d’un portrait ou d’une statue, que c’est un homme, et qu’on voit que cet homme n’a ni chair, ni os, ni sentiment, ni activité, qu’il n’a ni parole, ni intelligence, on dit, ou plutôt on sent sans le dire, que c’est improprement, et sur quelque légère ressemblance, que le nom d’homme est donné à ce portrait, ou à cette statue. Mais quand c’est un être vivant et animé qui porte ce nom, un être qui avec la figure humaine, voit, entend, parle, agit, et raisonne, on regarderait comme un visionnaire celui qui dirait que ce n’est pas proprement et à la lettre que cet être particulier est appelé homme. On voit paraître sur un théâtre différents acteurs, l’un y fait le personnage de soldat, l’autre celui de capitaine, un autre celui de Roi : on sent que tout cela est feint, et jusqu’à présent il n’a pas été nécessaire qu’on soit venu nous avertir que ce n’était qu’improprement que tous ces noms étaient donnés à ces Acteurs, la chose s’explique assez d’elle-même. Mais quand on voit un homme qui donne des lois à tout un pays, qui est obéi de tout un peuple, à qui l’on paie les tributs, et à qui l’on rend tous les hommages qui sont affectés à la Royauté ; on n’hésite pas un moment à dire que c’est là un Roi, et lorsqu’on l’entend nommer de ce nom, on n’a pas la folie de demander si c’est proprement, ou dans un sens de figure qu’on l’appelle ainsi. L’Écriture sainte donne à Jésus-Christ le nom de Dieu, de Jéhovah, de Dieu des armées, de Dieu d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob, et beaucoup d’autres qu’elle ne donne jamais qu’au vrai Dieu. Bien plus, elle reconnaît en Jésus-Christ tous les caractères qui sont propres et essentiels au vrai Dieu, l’éternité, la toute-science, la toute-puissance, etc. [22]Esaïe l’appelle le Dieu fort et puissant, le Père de l’éternité, et saint Jean dans l’Apocalypse[23], celui qui est, qui était, et qui est à venir, le Tout-puissant. Le même[24] dit que c’est un Dieu qui a créé toutes choses, et que sans lui rien de ce qui a été fait n’a été fait ; saint Pierre lui dit à lui-même, [25]Seigneur, tu fais toutes choses ; et tous les [26]Apôtres en corps lui crient dans une humilité profonde : Seigneur, tu connais les cœurs de tous. Ils l’adorent, et toute l’Église avec eux, et après eux, comme le Créateur du monde, le Roi des hommes et des Anges, le Rédempteur de l’Église, et le souverain Juge des vivants et des morts. Parle-t-on ainsi d’un Dieu de figure et de métaphore ? et l’Écriture sainte a-t-elle jamais rien dit de plus grand du Jéhovah que le Juif adore, et du Dieu que l’hérétique fait profession de révérer ? Il nous en fera sa déclaration quand il voudra, mais en attendant que sa conscience affranchie des préjugés des préjugés de l’esprit, fasse confesser à la langue que Jésus est proprement et vraiment Dieu, nous entendrons sur cela la déclaration expresse d’un Apôtre[27] qui a vu Jésus-Christ dans la gloire du troisième Ciel, et qui nous dit que J.C. est le grand Dieu : et la déclaration[28] du Disciple bien-aimé, qui assure que Jésus est le vrai Dieu : et sur la déposition de ces deux témoins, la vérité que nous avons démontrée d’ailleurs par tant d’autres preuves, demeurera ferme.

Tel est donc le Messie que Dieu avait promis dès le commencement du monde pour Réparateur et Sauveur du genre humain, Fils de Dieu, Dieu éternel, et dans le temps fils d’une femme, la semence bénie d’Abraham, fils de David, et ainsi vrai Emmanuel, Dieu et homme. Dans cette union mystérieuse de deux natures si inégales et si dissemblables, la Divine te l’humaine, Dieu a accompli tous ses grands projets, rempli la destination qu’il avait faite de son salut en faveur de ses élus, et fait éclater la gloire de ses vertus, plus qu’elles n’avaient brillé dans la création, et dans le gouvernement de tout l’Univers. Sa miséricorde, cette vertu qui par tant d’endroits différents rehausse la gloire de Dieu, n’aurait jamais paru sans cela ; et la sainteté de Dieu, qui renferme toutes ses autres perfections, et qui semble attirer sur soi toute l’admiration des Anges, a paru avec plus de gloire dans la mort d’un homme-Dieu, que dans toutes les lois qu’elle aurait jamais pu prescrire aux hommes, et que dans toute la rigueur de sa justice à punir éternellement les infractions de ses lois. Jésus est mort selon toutes prophéties, et par sa mort il a satisfait pour nous à la justice divine, il a expié nos péchés, et il nous a réconciliées avec Dieu. C’est la doctrine constante de l’Écriture, c’est la Loi, les Prophètes, et L’Évangile. Les sacrifices de la Loi étaient tous des ombres du sien, et des figures de sa mort. Le Psaume 22, le 69, le 102 et le 109 étaient des peintures de ses souffrances, on le voit dans le Pse. 40 se présentant devant Dieu pour être notre victime, en la place de celles qui étaient offertes tous les jours sous la Loi, et qui avec tous ces ruisseaux de sang que les Sacrificateurs faisaient couler au pied de l’autel, n’étaient pas capables d’expier un seul péché. Esaïe voyait en son temps, et dans l’éloignement de près de huit siècles les péchés des hommes s’assembler de toutes parts, et venir se poser sur cette victime, qui les noyait tous dans son sang : [29]Il a, disait-il porté nos langueurs, et chargé de nos douleurs ; il a été navré pour nos forfaits, et froissé pour nos iniquités, et l’Éternel a fait venir sur lui l’iniquité de nous tous. Ces expressions, et cent autres semblables sont trop fortes pour ne donner de la mort de Jésus-Christ que l’idée d’un homme qui meurt simplement afin de laisser un exemple de patience, et de résignation, ou seulement pour sceller par sa mort la doctrine qu’il a prêchée. Il faut être étrangement prévenu pour ne pas voir dans tous ces passages une victime qui meurt pour les péchés d’autrui, et qui les efface par son sang. Les Apôtres ont tous enseigné la même doctrine, et saint Paul l’établit fortement dans le chap. 3 de l’Epître aux Romains, comme on le pourra voir dans les Textes, et dans les Notes qu’on y a faites. Cet Apôtre y est encore formel dans le chap. 5 de la 2 Epître aux Corinthiens, et on peut dire que c’est là le fondement et la base de toute l’Épître aux Hébreux. Saint Jean[30] dit que le sang de Jésus-Christ nous lave de tous nos péchés, et que Jésus-Christ a fait la propitiation de nos péché. Que si l’Apôtre saint Pierre présente aux Fidèles la mort de Jésus-Christ comme un modèle de douceur et de patience sur lequel ils doivent souvent réfléchir, ce n’est pas, (à Dieu ne plaise !) pour restreindre cette mort à la seule qualité de modèle, comme fait l’hérésie, puis au contraire il n’y a point de doctrine plus clairement enseignée par cet Apôtre que celle de la satisfaction. On l’entend qui dit dans le Concile de Jérusalem, que nous sommes sauvés par la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ[31]. On trouve dans le chap. 1 de sa 1 Épître Catholique, que, nous avons été rachetés par le précieux sang de Christ, comme de l’Agneau sans et sans tâche, et au même endroit où il parle de la mort de Jésus-Christ comme d’un modèle, il dit en imitant le langage d’Esaïe[32], que Jésus-Christ a porté nos péchés en son corps sur le bois, comme afin de prévenir l’abus que l’abus que l’erreur aurait pu faire de ces premières paroles, où il expose une doctrine qui ne doit jamais être séparée de celle de la satisfaction.

Mais pour, n’étendre pas plus loin ces grandes matières de la Divinité de Jésus-Christ, et de satisfaction, finissons par une considération importante que saint Paul nous fournit dans le chap. 1 de la 1. Épître aux Corinthiens. Là cet Apôtre, toujours appliqué à soutenir l’honneur de a Religion Chrétienne, insulte saintement à l’arrogance du Juif et de Païen, qui n’en jugeant, à peu près comme nos Sectaires, que sur les préjugés et les vains raisonnements d’une science charnelle, traitaient l’Évangile d’extravagance et de folie, et il déclare que quoi qu’en disent ces prétendus sages de la Synagogue, et de l’École de la Philosophie, il ne prêchera jamais autre chose que Jésus-Christ crucifié, qui était, dit-il, scandale aux Juifs, et folie aux Grecs. Pour le scandale du Juif, on comprend assez d’où il venait. Le Juif s’était figuré un Messie riche, puissant, tout brillant de gloire, et Jésus après avoir mené une vie abjecte, meurt sur une croix. Mais le Grec qui ne prenait point de part aux chimères de la Synagogue, et qui n’était point enivré de ces fictions, pourquoi traitait-il de folie la croix de Jésus-Christ ? Car, supposé que les Apôtres n’enseignassent autre chose que ce qu’en croient aujourd’hui les hérétiques contre qui nous disputons, savoir, que Jésus-Christ avait été un homme extraordinaire, plein de zèle pour Dieu, et pour les intérêts des hommes, qui après avoir enseigné une doctrine toute céleste, avait voulu encore la sceller de son propre sang, et donner aux hommes en sa mort un exemple de modération, de patience, de charité, et de plusieurs autres vertus, qu’est ce qu’il y aurait eu en tout cela qui heurtât la Raison du Philosophe, et que le sage Païen put appeler une folie ? Rien au contraire ne se fut mieux accordé avec Raison ainsi faite n’eut jamais révolté contre elle la sagesse des Philosophes, puis que les Gentils faisaient au contraire tant de cas de ces personnes qui se sacrifiaient ainsi pour le Public, qu’ils avaient inventé le nom de Héro pour le consacrer à certains hommes extraordinaires, qui s’étant faits un grand nom pendant leur vie par des vertus rares, mouraient ensuite généreusement pour le bien de leur Patrie. Mais où le grec trouvait la folie, c’est qu’un homme mort sur une croix fut un Dieu, et que le sang d’un crucifié expiât pour les péchés des hommes. C’était donc là véritablement ce que les Apôtres prêchaient, et c’est dans la foi de ces deux mystères qu’à vécu, et que vit encore toute l’Église.

Notes

[1] Jean 1.14

[2] Actes 20.28

[3] Phil. 2.8,9

[4] 1 Tim. 3.16

[5] Augustin à Marcellin

[6] Gen. 49.10

[7] Mich. 5.12

[8] Ag. 2.9 Mal 3.1

[9] Dan. 9.24

[10] Es. 45.8

[11] Chap. 8.24

[12] Chap. 13.1

[13] Es. 52.14

[14] Psa. 109.22 Zac 9.9

[15] Psa. 22.7

[16] Mich. 5.3

[17] Es. 9.5

[18] Esa. 42.8

[19] Esa. 45.5

[20] Jér. 23.6

[21] Deut. 6.4

[22] Esa. 8.5

[23] Apoc. 1.8

[24] Jean 1.1,2

[25] Jean 21.17

[26] Act. 1.24

[27] Tite 2.13

[28] 1 Jean 5.20

[29] Esa. 53.4,5,6

[30] 1 Jean 1:7.9 et 2.2

[31] Act. 15.11

[32] 1 Pier. 2.24