Le Galérien

En 1740, le docteur Chinez de Winchester fut à même de rendre quelques services à Jean Serre, réfugié français, qui, pour lui donner une preuve de sa reconnaissance, lui offrit une vieille Bible française, seule compagne de ses chagrins pendant plusieurs années. Jean serre, à l’âge de 18 ans (24 mai 1686), avait été assez heureux pour refuser de renoncer à sa religion, et avait en conséquence été condamné aux galères. Il y resta 27 ans, enchaîné et exposé à toute l’inclémence des saisons. Ses souffrances furent grandes. En 1698, le docteur Martin, ministre protestant, visita les galères de Marseille pour porter quelques secours à ses malheureux frères. Il leur distribua des Nouveaux Testaments, et Jean Serre fut un de ceux qui en reçurent un. Après de longues années, il obtint enfin sa liberté, grâce aux sollicitations d’une personne d’un haut rang, et chercha un refuge en Angleterre. — En 1740, il envoya son passeport et son Nouveau Testament au docteur Chinez, en lui adressant la lettre suivante :

« Monsieur, voici le Nouveau Testament avec les notes du docteur Martin, que j’ai fait relier. Il m’en fit présent lorsque j’étais aux galères en France pour la cause de Dieu. Je l’ai toujours conservé, malgré la vigilance avec laquelle on m’observait, pour m’empêcher de jouir des consolations que ma longue et douloureuse captivité me rendait si précieuses. Ce livre divin ne me quitta pas pendant plusieurs années que je restai dans les chaînes, et la Parole de vérité qu’il contient, ne pouvant être enchaînée, me rendit capable de combattre les erreurs de ceux qui me tourmentaient si impitoyablement. Dieu ayant à la fin brisé mes pesantes chaînes, je l’emportai avec moi, comme preuve admirable d’un miracle de sa Providence qui me l’avait conservé au milieu de mille dangers qui m’environnaient à chaque instant. J’ose croire, monsieur, que ce que je viens de vous raconter vous le fera accepter avec plaisir et comme un présent vraiment précieux. — Je fais des vœux pour que vous puissiez le lire autant d’années au moins que je l’ai déjà lu, et que vous y trouviez la vie éternelle, dont il est la source. Je vous prie, monsieur, de me croire toujours rempli de reconnaissance pour l’affection chrétienne dont vous m’avez honoré, et de recevoir l’assurance de mon respect.

Jean Serre le jeune. »

Winchester, 1er Août 1740.

(Texte paru dans L'Ami de la Jeunesse. N°6 Juin 1826 Vol II.)