Comment citer cet article : Kabuya Kalala, François et Jean-Paul K. Tsasa, 2018, "Brève histoire de la macroéconomie", Extrait adapté des chapitres 17 et 18 du livre de « Macroéconomie : Fondements, Microfondements et Politiques », Éditions Hermann, 652 pages., Mars.
La macroéconomie, en tant que domaine de recherche distinct de la microéconomie, a émergé vers la fin des années 1930 ; principalement comme une partie de la réponse intellectuelle à la Grande Dépression (Lucas, 2003, p. 1).
Plusieurs chercheurs sont d'avis que Ragnar Frisch est le premier économiste à établir clairement la distinction entre la microéconomie et la macroéconomie. En effet, plus précisément, Frisch (1933, p. 172) note ceci : l'analyse micro-dynamique est une analyse par laquelle l'économiste essaie d'expliquer en détail le comportement d'une certaine partie de l'énorme mécanisme économique, en prenant pour acquis que certains paramètres généraux sont donnés ; alors qu'en revanche, dans l'analyse macro-dynamique, l'économiste tente de rendre compte des fluctuations du système économique dans son ensemble.
Bien que Frisch ait été le premier à introduire le terme "macro-dynamique", c'est le livre de Keynes publié en 1936 qui marque véritablement le début du vaste programme de recherche en macroéconomie avec comme un des points culminants, l'article de Hicks (1937). Cependant, le premier article à avoir utilisé explicitement le terme "macroéconomie" ne fut publié qu'en 1946, par Lawrence R. Klein.
Comme prédit par Schumpeter (1936, p. 792), la Théorie Général de Keynes a dominé les débats sur la frontière de la recherche durant toute la période post crise 1929. Les fondements de la macro, ou encore ce que l'on peut qualifier de point de départ de l'analyse macroéconomique traditionnelle, a longtemps été le modèle IS-LM développé par John R. Hicks en 1937. Ce modèle, complété par la courbe de Phillips, s'est imposé comme paradigme dominant dans la recherche en macroéconomie comme en témoigne d'ailleurs l'émergence de la première synthèse néoclassique (cf. Samuelson 1955, p. 212) et des modèles macroéconométriques ou de l'économie néo-keynésienne (Klein 1947).
Cependant, en début des années 1970, suite aux critiques de Friedman (1968) et de Phelps (1967, 1968), le modèle IS-LM traditionnel a laissé peu à peu place à une nouvelle génération de modèles exigeant la prise en compte explicite des anticipations dans la formalisation du comportement des agents économiques. Plus tard, cette critique fut poussée à l'extrême notamment par Lucas (1972, 1973, 1976) et les partisans de la Nouvelle économie classique. Ces derniers ont réussi à placer au coeur du débat cinq (05) ingrédients majeurs, à savoir : les anticipations rationnelles ; les microfondements ; l'équilibre général ; l'optimisation dynamique et la stochasticité ou l'incertitude. Dès lors, contrairement aux modèles macroéconométriques traditionnels dont la structure était fondamentalement ad hoc, les modèles macroéconomiques modernes étaient désormais perçus comme des systèmes d'équilibre général dynamiques stochastiques élaborés à partir des fondements microéconomiques des agents dotés d'anticipations rationnelles.
Pour limiter les effets dévastateurs qu'a impliqué la Grande dépression, l'idée principale préconisée par Keynes consistait à agir sur les composantes de la demande globale, particulièrement sur les dépenses du gouvernement. Cette proposition a été à l'origine de ce que l'on appelle : politiques macroéconomiques expansionnistes. Cependant, à la suite de la critique de Lucas (1976), certains économistes se sont vite rendu compte qu'en incorporant l'hypothèse des anticipations rationnelles dans les modèles macroéconomiques, comme dans Lucas (1972), les effet réels des politiques étaient soit neutres ou même nuisibles (Sargent et Wallace 1973 ; Barro 1976), soit temporellement incohérents (Kydland et Prescott 1977). En d'autres termes, en présence de l'hypothèse des anticipations rationnelles, le recours à une politique macroéconomique, à la discrétion du gouvernement ou de la banque centrale n'était plus analytiquement justifiable car moins efficace qu'une politique de laissez-faire.
Les adeptes de l'approche keynésienne, notamment les praticiens et banquiers centraux, étaient quelque peu sceptiques aux conclusions établies par les partisans de la nouvelle macroéconomique classique. Ce scepticisme a motivé quelques économistes à développer un nouveau programme de recherche visant à justifier la pertinence de recourir aux politiques macroéconomiques même en présence de l'hypothèse des anticipations rationnelles. Ainsi a émergé un nouveau courant de pensée que l'on peut qualifier de "Nouvelle économie keynésienne".
En somme, la nécessité analytique de pourvoir les modèles macroéconomiques des fondements microéconomiques explicites a permis l'émergence des deux courants de pensées : d'une part, la Nouvelle économie classique (ou Nouvelle macroéconomie classique) et, d'autre part, la Nouvelle économie keynésienne (ou Nouvelle macroéconomie keynésienne).
Le premier courant de pensée a été à l'origine de la théorie des cycles réels. Cette dernière regroupe un ensemble de modèles macroéconomiques (RBC models) où les fluctuations du cycle économique peuvent, dans une large mesure, être expliquées uniquement par des chocs réels (cf. Kydland et Prescott 1982). Cette dernière assertion se justifie par le fait que, dans cette classe de modèles, les fluctuations cycliques sont appréhendées comme des réponses rationnelles des agents aux changements de l'environnement économique causés par des chocs d'origine réelle, en occurrence les chocs de productivité.
Une de principales caractéristiques des modèles RBC est que les prix et les salaires sont flexibles, une vertu de la théorie classique qui permet de garantir, à chaque instant du temps, l'équilibre entre l'offre et la demande sur chaque marché. Contrairement aux nouveaux classiques, les nouveaux keynésiens ne croient pas à cette vertu classique. Ils font appel à un héritage keynésien, d'après lequel, par moment l'équilibre entre l'offre et la demande sur dans un marché peut être brisé à cause de la rigidité des salaires (Fischer 1977 ; Taylor 1979, 1980) ou des prix (Calvo 1983) et éventuellement d'autres défaillances du marché (Blanchard et Kiyotaki 1987 ; Mortensen et Pissarides 1994).
La prise en compte des rigidités nominales et des autres défaillances du marché dans les modèles macroéconomiques avec anticipations rationnelles et microfondements a donné naissance aux modèles d'équilibre général dynamiques stochastiques (New-Keynesian DSGE models), pouvant également être vu comme une nouvelle synthèse classique. Dans cette classe de modèles, en général, l'économie s'écarte de son niveau naturel à cause des imperfections qu'impliquent notamment l'asymétrie d'information (Mankiw et Reis 2002), les rigidités des prix ou des salaires (Clarida, Gali et Gertler 1999 ; Christiano, Eichenbaum et Evans 2005) ou les frictions dans l'ajustement du niveau d'emploi (Blanchard et Gali 2007).
De ce fait, contrairement aux nouveaux classiques, les adeptes de la nouvelle économique keynésienne soutiennent que le recours aux politiques de stabilisation macroéconomique par le gouvernement (politique budgétaire) ou par la banque centrale (politique monétaire) peut aboutir à un résultat macroéconomique plus efficace qu'une politique de laissez-faire.
Il est important de préciser, ici, que, les économistes nouveaux keynésiens sont d'accord avec leurs homologues nouveaux classiques sur le fait que, à long terme, les effets réelles des politiques macroéconomiques sont neutres. Par contre, à court terme, puisque les prix ou les salaires sont rigides, une augmentation, par exemple, de la masse monétaire, ou de façon équivalente, une baisse du taux d'intérêt réel, augmente la production et réduit le chômage dans le modèle DSGE néo-keynésien (NK-DSGE). Ainsi, contrairement aux modèle NK-DSGE canoniques (RBC models), les politiques macroéconomiques retrouvent toutes leur pertinence dans le modèle DSGE néo-keynésien.
Toutefois, contrairement au paradigme keynésien traditionnel, les nouveaux keynésiens ne préconisent pas le recours aux politiques de nature expansionniste pour rectifier la trajectoire de l'économie, car cela affecterait les anticipations des agents économiques (par exemple, biais inflationniste en cas de politique expansionniste) et accumulerait ainsi des problèmes pour l'avenir. Par exemple, analytiquement, corriger les anticipations inflationnistes qu'implique une politique monétaire expansionniste est impossible sans produire une récession.
Comme alternative, ils préconisent le recours à des politiques de stabilisation. Cependant, lorsque l'économie est frappée par un choc exogène inattendu, il peut être judicieux de compenser les effets macroéconomiques qu'implique un tel choc par la mise en oeuvre d'une politique monétaire. Par exemple, si le choc inattendu provoque une baisse à la fois de la production et de l'inflation, une politique monétaire expansionniste (augmentation de la masse monétaire ou baisse du taux d'intérêt réel) contribuera à augmenter la production tout en stabilisant l'inflation et les biais inflationnistes.
En outre, à cause du principe d'incohérence temporelle des politiques discrétionnaires (cf. Kydland et Prescott 1977), il est crucial que le gouvernement et la banque centrale conservent leur crédibilité en privilégiant des politiques de stabilisation basées sur les règles (Taylor 1993, Svensson 1999). En effet, une règle de politique spécifie comment l'autorité publique devrait ajuster ses instruments en fonction des déviations de la trajectoire de l'économie par rapport à son niveau naturel ou par rapport aux cibles fixées par le gouvernement ou par la banque centrale.
À ce jour, comme en témoignent les articles parus dans le volume édité par Vines et Wills (2018) et comme nous l'abordons au chapitre 22 de notre livre (cf. Kabuya et Tsasa 2018), le débat sur la frontière de la recherche en macroéconomie gravite principalement autour des questions en rapport avec la direction future que devrait adopter la modélisation macroéconomique. Devrions-nous simplement abandonner l'approche DSGE ou l'amender ? Dans le cas où nous devrions l'abandonner, quelle sera la meilleure alternative ? En parallèle, dans le cas où nous devrions l'amender, quelles seront les meilleures propositions ?
Saisir la profondeur de ces questions et appréhender les pistes solutions envisageables requièrent une initiation à l'analyse macroéconomique moderne. C'est cette initiation que nous proposons aux lecteurs de notre livre.