Lettre circulaire


Nouvelle du Nicaragua - Valentin Rebelle

Projet Eirene Suisse

Association partenaire Mary Barreda

León - Nicaragua - Mai 2023

Après un mois de travail, de découvertes et d’échanges enrichissants, il m’est demandé de partager en quelques lignes mon expérience au Nicaragua, ce pays d’Amérique centrale aussi singulier que méconnu par une grande partie des habitants de Suisse et d’Europe. C’est un peu mon journal de bord que je vous propose de parcourir. Je l’avoue, j’y regarde le pays sous le prisme de mes centres d’intérêts, mes préoccupations, mes valeurs et mes convictions.

N’y voyez donc pas là une analyse méthodique et objective d’un pays, mais mon simple regard découvrant en son cœur une autre culture, un autre peuple.

Je tiens à remercier par ce biais l’organisation Eirene Suisse pour sa confiance et son soutien et Michèle pour sa bienveillance, ses conseils avisés et son aide précieuse.

Je tiens également à témoigner de ma reconnaissance envers toutes les personnes qui ont, par leurs dons, soutenu mon travail ici au Nicaragua et tous ceux qui se joindront encore à eux afin de financer ce beau projet. Et, évidemment, je tiens à remercier ma famille et mes amis qui me sont d’une aide précieuse.

Pour terminer, j’aimerais remercier chacune des femmes de l’association Projet Femmes - Mary Barreda et particulièrement sa directrice, Doña Rosa María Espinoza, pour leur accueil, leur confiance, leur ouverture d'esprit et surtout leur patience face à mon espagnol qui est, je dois l’admettre, plus que lacunaire. Et cela, alors que je marche chaque jour dans les mêmes rues léonnaises qui ont vu s’élever le monument de la poésie d’Amérique centrale : Rubén Darío.

Coucher de soleil depuis le Cerro Negro

Mon projet

L’« Asociación Civil Proyecto Mujer Mary Barreda », dans laquelle je me suis engagé, compte 17 femmes. La mission de cette organisation est de promouvoir les droits des enfants, adolescentes et femmes à vivre une vie libre de violence. En lien avec leur mission, elles ont développé un programme de prévention de la violence et de l’exploitation sexuelle commerciale, un programme d’attention aux victimes de la violence, un programme d’aide et d’accompagnement aux adolescentes victimes d’exploitation sexuelle et/ou commerciale, ainsi qu’un programme d’accompagnement aux femmes en situation de prostitution.

L’histoire de l’association débute il y a 34 ans, grâce à la solidarité de trois femmes envers les femmes en situation de prostitution. Ces trois femmes s’associent pour fonder l’organisation. L’une d'elle, Doña Rosa María Espinoza, est encore aujourd’hui à la tête de l’organisation avec un cumul de plus de 34 ans d’expérience, d’entraide et d’appui aux femmes. Cette femme m’inspire un profond respect par sa vie entièrement dédiée aux enfants, aux jeunes et aux femmes du Nicaragua. C’est une personnalité rayonnante, pleine de bienveillance et de chaleur, qui travaille encore aujourd’hui chaque jour à faire avancer la cause des femmes, des adolescentes et des enfants.

Mon principal travail dans l’organisation est d’optimiser les outils d’analyse de données, principalement à l’aide de l’application Excel. Dès les premières semaines de ma présence au sein de l’organisation, j’ai pu observer le travail de mes collègues, jusque sur le terrain en zone rurale, et m’entretenir individuellement avec elles afin de cibler leurs besoins. Cette étape a pris du temps mais a été essentielle afin de proposer des formations Excel et des formulaires automatisés adaptés et qui répondent aux besoins de l’organisation.

Une de mes observations fut de voir à quel point la charge de travail pour rendre des comptes aux bailleurs de fonds internationaux est importante. Cela pousse mes collègues à travailler le soir et les fins de semaine pour s’assurer du temps de travail sur le terrain pendant la semaine.

À travers les formations Excel données dès le mois de juin, un de mes objectifs est de renforcer les compétences de mes collègues et qu’elles puissent gagner du temps à remplir les différents outils de vérification demandés par les bailleurs de fonds internationaux. Et, éventuellement, profiter de leurs week-ends pour se reposer…

L’intérêt que porte chacune des employées de l’organisation à apprendre de nouvelles choses et à évoluer dans leur manière de travailler est un réel moteur pour moi et me donne beaucoup de motivation pour continuer mon projet.

Ma vie ici au Nicaragua

Je travaille et vis dans la ville de León qui se situe à proximité de la côte pacifique. C’est une ville un peu plus touristique que d’autres villes du pays, comme Estelí ou Bluefields. Cependant, le tourisme reste peu développé dans l’ensemble du Nicaragua par rapport à d’autres pays d’Amérique centrale. Dans la ville de León, le tourisme se concentre plus au centre. Je vis à environ 15 minutes à pied du centre-ville, dans le quartier de Sutiava. Ce quartier, le plus ancien de la ville, tient son nom du peuple indigène présent ici avant l’arrivée des colons espagnols. C’est un grand quartier, excentré de la ville et très populaire.

León est une ville bouillonnante que l’on surnomme le « cœur de la révolution sandiniste », elle a été très importante pour l’histoire du Nicaragua. C’est une ville très vivante où il y a en permanence les klaxons des taxis, des feux d’artifices, des habitants discutant aux abords des maisons, des marchands criant et déambulant dans les rues pour vendre des légumes ou d’autres produits alimentaires, de la musique, des défilés hippiques ou religieux, …

León est, selon moi, la ville qui témoigne le plus du passé colonial du pays. Les maisons sont très typiques : toits de tuiles, lampes pendantes, portails en fer forgés et couleurs pastelles des maisons. Cela donne un caractère très fort aux rues de la ville. Avec ses nombreuses échoppes de légumes, de fruits et de matériel en tout genre, les avenues sont très chargées en couleurs et en odeurs. Les voitures, les tricycles et les bus se faufilent dans les rues aux milieux des câbles électriques qui serpentent entre les habitations. Le tout dans une chaleur étouffante puisque León est situé dans la région aride du pays.

Lors d’un de mes voyages dans le Nord, au cœur de la région où est produit le tabac servant à fabriquer les cigares nicaraguayens, un fabricant de puros m’a raconté cette petite histoire :

Lorsque quelqu’un fait le bien autour de lui durant sa vie, le seigneur l’envoie au paradis.

Lorsque quelqu’un ne fait ni du bien ni du mal aux autres durant sa vie, le seigneur l’envoie au purgatoire.

Lorsque quelqu’un fait du mal aux autres pendant sa vie, le seigneur l’envoie en enfer.

Lorsque quelqu’un fait vraiment beaucoup de mal autour de lui durant toute sa vie, le seigneur l’envoie à León.

Cette petite fable est une bonne manière d’imager le climat et la chaleur de León. Il n’y a presque pas de vent et les pluies se font rares, d’autant plus avec le changement climatique. Il y a beaucoup de poussière avec un soleil qui semble écraser la ville. La chaleur ne diminue que très peu la nuit et il fait parfois déjà plus de 30°C à 9h le matin.

Cathédrale baroque de style colonial du centre-ville de León

Pendant mes week-ends, j’ai eu l’opportunité de découvrir quelques villes de la côte pacifique comme Managua et Estelí. J’ai également pu me rendre au sommet d’un des nombreux volcans que compte le Nicaragua, le Cerro Negro. C’est une marche relativement facile qui permet de se rendre directement au cœur du cratère où a eu lieu pour la dernière fois une éruption en 1999.

Après ce premier mois d’analyse et d’observation, Michèle a profité d’un jour férié, la fête des mères, pour m’emmener sur la côte caraïbe à l’occasion des fêtes du mois de mai : « Palo de Mayo » et son célèbre carnaval, très important pour la population créole locale. Loin de la très touristique et paradisiaque Corn Island, j’ai pu découvrir les quartiers populaires, les églises et le marché de Bluefields ainsi que la communauté de Pearl Lagun, de laquelle nous nous sommes rendus aux Cayos Perlas, des îles paradisiaques situées non-loin.

Bluefields est une ville côtière qui regorge de traditions et d’une culture riche et variée. Une part importante de la population de la côte caraïbe est créole et parle sa propre langue qui est une forme d’anglais qui a évolué avec les années. Cette ville, éloignée de Managua, la capitale, souffre par son éloignement du reste du pays de divers problèmes tels que des pénuries d’énergie, un manque d’accès à l’eau, un manque de places de travail et une pauvreté plus marquée que dans le reste du pays. La plupart des produits, y compris ceux de bases sont importés et par conséquence plus chers à l’exception de quelques denrées produites localement comme la banane ou la coco. Pour des raisons économiques, la plupart des personnes anglophones cherchent du travail dans les calls center de Managua ou s’engagent sur des bateaux de croisières. Certains tentent également la route vers le rêve américain.

Après avoir goûté aux spécialités gastronomiques locales, nagé dans les eaux des Cayos Perlas et dansé sous les pluies tropicales dans la nuit au son du Tululu (fête d’accueil de la pluie), il est temps de regagner la chaleur écrasante de León afin de continuer mon travail les yeux chargés de couleurs, de souvenirs et, en bonus, quelques coups de soleil.

Plage de Pink Pearl, une des îles des Cayos Perlas

Tout s’est donc passé pour le mieux pour moi lors de ces premières semaines. Cependant, certains événements de la vie au Nicaragua ne sont pas aussi faciles à vivre. Une certaine crainte de ne pas pouvoir continuer les activités dans les organisations au sein du pays se fait en effet ressentir de manière un peu plus marquée ces derniers temps.

Regard sur :

L'économie

Le tissu économique est particulièrement intéressant par sa multitude d’acteurs au niveau local. En effet, la population avec des revenus bas ou celle de la classe moyenne ne gagne pas suffisamment d’argent pour faire des économies. Les habitudes de consommation se caractérisent donc par des achats au jour le jour. De ce fait, il y a beaucoup de lieux de consommation et de commerçants, sous forme informelle bien souvent, dans les différents quartiers des villes, même hors des centres-villes. La circulation de l’argent est un élément essentiel pour que le système continue de fonctionner sous cette forme.

Chaque commerçant possède son utilité dans le système et participe également à ce dernier en faisant ses achats très localement. Par exemple, la vendeuse de la pulperia, une sorte de mini-marché expliqué un peu plus bas, achètera facilement ses chips de banane artisanales ou ses haricots rouge cuits à d’autres personnes du même quartier.

Une maison sur quatre, voire trois dans certains quartiers, sont ce que l'on appelle des « Pulperia ». Ce sont des petits magasins dans lesquels se vendent des produits de consommation divers et variés durant une large tranche horaire. Souvent, ce sont les grands-parents qui restent la journée dans la maison familiale dans laquelle ils vivent avec leurs enfants et petits-enfants et qui tiennent leur petite épicerie afin de compléter les revenus du foyer. La plupart de ces magasins sont des magasins vendant des produits de consommation courant comme des œufs, de la farine, des sodas, des produits d’hygiène, etc. La plupart des commerces, tels que les boulangeries, les papeteries, les pharmacies sont souvent situées dans des maisons familiales, dans le même principe que des pulperias, donnant directement sur la rue. De la même manière, certaines maisons développent des petits points de ventes spécifiques : vente de cactus, des habits pour bébés, etc. Il est très important pour les commerces de quartiers que les habitants se rendent chez eux faire des achats, et non, dans les quelques grandes enseignes nationales afin que l’argent reste dans le quartier.

J’ai commis l’erreur de me rendre dans un grand magasin pour acheter un garrafon, bouteille d’eau de 20 litres, lors de mes premiers jours ici. La dame âgée tenant la pulperia se trouvant en face de chez moi, de l’autre côté de la rue, m’a très vite fait comprendre qu’elle en avait également et que je pouvais venir les acheter chez elle.

Les villes comprennent également de nombreux marchés où se trouvent principalement des fruits et légumes, du poisson, de la viande mais également d’autres biens divers. La ville de León, par exemple, en compte quatre principaux, le marché central, le marché de Sutiava, le marché du terminal de bus et le marché de l’ancienne station de train. C’est dans ces lieux que les Nicaraguayens achètent leurs fruits et légumes car ils y sont moins chers que dans les centres commerciaux. C’est également dans les marchés que vous trouverez les meilleurs plats typiques de la région tels que le chanco con yuka ou le baho.

Marché central de León

Avoir plusieurs activités professionnelles dans différents secteurs est chose courante et, souvent nécessaire, afin d'avoir de quoi mieux vivre dans ce pays qui souffre de l'inflation et des revenus très bas. Il n’est pas rare que des personnes ayant un travail à 100% complètent leur revenu avec des activités lucratives durant leur temps libre. Dans mon entourage ici, un de mes amis travaille comme informaticien la semaine et est coiffeur les week-ends ou une de mes collègues se forme à poser des ongles pour avoir un futur revenu annexe. Les Nicaraguayens ont un véritable sens du commerce et savent se débrouiller dans toute les situations.

L’inflation touche sévèrement la population du pays. Cette inflation concerne l’ensemble des biens et services courants. Dans mon cas, un exemple concret fut l’augmentation des prix des tajadas. Ces chips de banane plantain sont très appréciées des Nicaraguayens qui en consomment régulièrement. À mon arrivée dans le pays le 1er mai 2023, un paquet coûtait 15 cordobas. Le prix est très rapidement passé à 17 cordobas dans le courant du mois de mai et est arrivé au 2 juin 2023 à 20 cordobas, soit une augmentation d’un tier du prix initial en un mois.

Un paquet de tajadas

Mobilité

Chaque rue des villes possède un mélange très varié de moyens de locomotion.

Tout d’abord, beaucoup d'habitants circulent principalement à pied ou parfois à vélo car ils n’ont pas les moyens d’utiliser d’autres types de transport.

Certains agriculteurs de la zone rurale située autour de León se rendent en ville avec des charrettes attelées à des chevaux, des ânes ou des bœufs pour vendre leur production maraichère ou du bois servant à la cuisine. Il n’est pas rare de voir également une charrette tirer un lit ou une commode, étant donné que c’est l’un des moyens utilisés par les Nicaraguayens pour déménager ou transporter des objets encombrants.

Les grands axes de la ville de León sont desservis par des bus qui sont très fréquentés par la population étant donné que c’est le moyen le moins cher de se déplacer, 6 cordobas par personne, soit 0,16 CHF. Aux heures de pointe, ces nouveaux bus, provenant de Russie, sont surchargés et très pénibles à emprunter pour les usagers avec les chaleurs qu’il peut faire dans le pays.

Il y a ensuite les tricycles conduit souvent par des hommes relativement jeunes avec un espace devant pouvant transporter entre une et deux personnes. Ce moyen est une bonne manière de se déplacer sur des courtes distances et pour le prix réduit de 20 cordobas, soit 0,55 CHF. Ils se situent souvent aux abords des centres commerciaux ou proche des routes où les voitures n’ont pas accès.

Ensuite, il y a les taxis, très nombreux à León, un trajet coute 40 cordobas, soit 1,10CHF. Le taxi va prendre au fur et à mesure des passagers et peut facilement refuser de vous prendre si votre lieu de destination ne se trouve pas sur sa route.

Il y a également une partie de la population qui possède sa propre moto ou sa propre voiture mais c’est une part réduite de la population au vu du prix d’un véhicule et du carburant. Et, ils doivent rentrer le soir les véhicules dans la maison pour ne pas se les faire voler. Parfois, on peut donc se retrouver avec une moto ou une voiture dans le salon.

Tous ces acteurs évoluent sur des routes à bout de souffle, très endommagées et relativement étroites au vu de la fréquentation.

À l’intérieur du pays, entre les villes, existe un réseau très efficace et populaire de transport en bus. On peut rejoindre la côte atlantique depuis la côte pacifique en environ 8h pour 320 cordobas l’aller. Cela représente environ 9 CHF, ce qui est un prix élevé pour beaucoup de Nicaraguayens qui ne peuvent donc pas se permettre de faire le voyage régulièrement. Cela complique la vie des personnes de la côte caraïbe puisque la plupart des services sont centralisés à Managua et pour obtenir des papiers administratifs ou des soins médicaux spécifiques, il faut se rendre jusqu’à la capitale.

Bus en partance pour la côte caraïbe depuis le terminal de bus de Managua

Différence d’une ville à l’autre

Que ce soit en termes de climat, d’économie ou de développement, les villes semblent être totalement différentes et donnent l’impression de changer de pays, d’une localité à l’autre.

León, l'aride et bouillonnante

León vit chaque jour sous une chaleur de plomb. Tous les environs sont arides et il y a très peu de végétation autant en ville que dans les environs. Cela en fait une ville plus difficile à vivre pour son climat que d’autres régions plus au Nord. La population est très chaleureuse et c’est une ville pleine d’histoire, de culture et de vie. Il y a en permanence une célébration qui est menée dans l’une des églises de la ville, des lieux où se rassembler entre amis, faire des fêtes, …

Église El Calvario du centre de León

Estelí, la verdoyante et abondante

Estelí se trouve dans les montagnes de la moitié Nord du pays. C’est une région propice à l’élevage du bétail, à la production de café mais surtout à celle du tabac. Elle profite du climat plus tempéré que dans les régions du Sud du pays et est donc beaucoup plus verte. Les montagnes environnantes donnent également un autre caractère à la ville. La ville, par son activité économique, est beaucoup plus développée et on voit plus de véhicules privés et de maisons aisées que dans le reste du pays. La population me semble être également différente que dans le reste du pays. On voit que le niveau de vie est plus élevé et la population semble être un peu moins ouverte aux autres que dans le reste du pays.

Fresque très populaire du centre d’Estelí

Managua, la grandiose et lumineuse

Managua donne des airs de Vegas d'Amérique centrale. La démesure y est partout. Entre les arbres d'acier lumineux et gigantesques sur les grandes avenues, les bâtiments administratifs immenses et les grandes représentations des héros nationaux, Managua semble vouloir montrer que le Nicaragua n'a rien à envier au reste du monde. La ville est bien plus grande et peuplée que toutes les autres villes du pays. Il est donc plus complexe de s’y déplacer à pied. Le climat y est un peu plus frais qu’à León même s’il reste très chaud. La ville se trouve au bord d’un lac qui permet aux habitants de pouvoir se balader sur ses rives et de profiter des nombreux restaurants qui s’y trouvent. L’eau étant polluée, il n’est cependant pas possible d’en profiter pour se rafraichir.

Ornementation d’un des ronds-points de Managua

Culture, art et architecture

Pour ceux qui me connaissent un peu, vous savez l’importance que représente pour moi l’art et la culture. C’est à la fois une manière de créer une identité culturelle forte, de créer des liens et des ponts entre les hommes, les populations et les pays, ainsi qu’une sorte de langage universel pour unir chacune et chacun.

On m’avait parlé d’un musée d’art à León qu’il fallait absolument que j’aille voir. Je m’y suis rendu un samedi ensoleillé et chaud, comme toujours à León. Je n’avais pas particulièrement d’attente car tenir un musée n’est pas chose facile surtout sans grands moyens. Mes préjugés se sont avérés totalement faux.

Le Museo de Arte Fundación Ortiz-Gurdián a, selon moi, réussi à réunir dans une maison coloniale splendide toute les formes d’expression artistique visuelle ainsi que tous les courants.

Parfaitement conservée, cette maison coloniale comprend des jardins, des fontaines et de grands espaces. Cela offre un écrin sublime à l’ensemble des œuvres qui s’y trouvent. Ils ont réussi le pari risqué de représenter un large panel de courants artistiques, d’Amérique centrale et du reste du monde, mais également de représenter une multitude de formes d’expression artistique visuelle tout en gardant un ensemble cohérent et très agréable à visiter. Vous y trouverez de la peinture, de la photographie, de la linogravure, de la sculpture, de la performance, de l’art textile, de la mosaïque, des installations, de la gravure, des estampes et bien d’autres formes d’art visuel.

Ce musée est un livre d’histoire de l’art pour tous les étudiants de cette discipline, nombreux à s’y rendre pour s’inspirer et se faire la main en reproduisant des tableaux et des sculptures. Cela donne une énergie encore plus vivante à ce lieu en ayant la possibilité d’observer à la fois la manière de réinventer une œuvre par un jeune artiste et l’œuvre elle-même.

Ce musée est réellement une arche de Noé de l’art à la fois occidental, de la Renaissance au baroque, du romantisme à la modernité latino-américaine en passant par l’art contemporain et l’art antique indigène.

Un des nombreux espaces du musée d’art de la fondation Ortiz-Gurdián de León

Hormis ce musée, dont je pourrais faire l’éloge pendant de nombreuses lignes tellement il m’a impressionné, l’art est très présent au Nicaragua. Bon nombre de murs sont recouverts de fresques très colorées, principalement dans les villes d’Estelí et de León mais également dans tout le pays, même dans les régions les plus reculées. Ces fresques représentent des scènes de la révolution, transmettent des messages pour défendre des luttes, comme pour prévenir la violence basée sur le genre, ou alors sont simplement un moyen d’expression pour les artistes locaux. Les maisons sont, elles aussi, souvent très colorées et dans certaines villes d’un style architectural colonial magnifique.

Écologie

La population est préoccupée par des enjeux plus vitaux, tels que le manque de travail, l’inflation et les problèmes de santé. Un nombre effrayant de Nicaraguayens tente chaque jour la difficile et dangereuse route d’émigration vers le Nord. L’écologie ne semble donc pas pouvoir être l’une des premières préoccupations des habitants. D’un regard extérieur, les habitudes de consommation et les comportements semblent très difficile à concevoir. Il est très courant de voir des gens jeter leurs déchets à même la rue ou par les fenêtres des bus à la vue de tous et sans que personne ne lance ne serait-ce qu’un regard désapprobateur. C’est admis et dans la norme. Ceci est en partie dû au fait qu’il n’y a que très peu de poubelles publiques et qu’elles se trouvent uniquement dans l’hypercentre des villes.

Tous les abords des routes dans tout le pays sont donc recouverts de déchets plastiques. D’ailleurs, les cours d’eau entourant León contiennent bien plus de déchets que d’eau (qui se fait rare dans la région). Ceci est également dû à la surconsommation de plastique. Pour le moindre achat dans n’importe quel commerce, on vous donnera un sac plastique. Il arrive fréquemment que l’on vous en donne deux, un dans l’autre, afin d’être sûr que cela ne se déchire pas. Ou encore que l’on vous donne un sac pour un achat unique tel qu’un paquet de chips de tajadas, lui-même emballé dans du plastique. De plus, personne ne va faire ses courses avec des sacs réutilisables. Le plastique est réellement omniprésent dans la consommation des Nicaraguayens. Résultat : il se retrouvent très souvent, volontairement ou involontairement, dans la nature. Lorsqu’il faut nettoyer, tout est rassemblé en des petits tas et on y met le feu pour s’en débarrasser. Il est donc courant de croiser au bord des routes des feux de déchets plastiques à l’odeur pestilentielle.

Il y a également des problèmes d’accès à l’eau. Alors que je travaillais en dehors du bureau central dans une zone éloignée de la grande ville, je cherchais de l’eau potable afin de ne pas être déshydraté. J’ai dû faire le tour des 5 pulperias des environs, aucune ne vendait ne serait-ce qu’une petite bouteille d’eau. Mais toutes, sans exception, vendaient le soda du géant Coca Cola.

Cette situation n’est pas anecdotique et témoigne de l’omniprésence des marques internationales, qui, en passant, produisent une quantité de produits emballés ou contenus dans du plastique. Coca-Cola génère de grands profits dans tout le pays, même jusqu’aux villages les plus reculés, grâce à ses produits ultra sucrés sans se préoccuper des problèmes de diabète que cela engendre auprès d’une population pour qui les médicaments sont chers et l’accès aux soins de qualité est très difficile.

J’ai donc dû me résigner et acheter une bouteille en verre consignée de Coca-Cola. Le système de consigne est très répandu dans le pays pour tous les sodas, même en grande bouteille de 3 litres, ou pour les bières, petites ou grandes. Tout semble donc parfait, on réduit ainsi l’utilisation d’emballages à usage unique qui pourraient se retrouver dans la nature et participer à la pollution déjà préoccupante. Et bien malheureusement, c’est plus compliqué que cela… Car vous achetez bien une bouteille de verre consignée mais que l’on vous renverse dans un sac plastique à laquelle on ajoute une paille avant d’y faire un nœud. Et voilà que d’une bouteille à l’impact écologique limité, on passe à deux déchets plastiques par bouteille. Les habitudes semblent ancrées dans la manière de vivre et de consommer et il est difficile d’envisager un changement sans mesures pour réguler l’utilisation du plastique.

  

une "bolsa" de Coca-Cola 

Dans les firmes internationales, n’oublions pas notre firme suisse Nestlé, qui propose une boisson vendue en masse au Nicaragua : le café Presto. C’est une sorte de café instantané de mauvaise qualité et sans réel goût de café. Inventée par notre multinationale, cette boisson utilise les restes de café de l’industrie et lui permet ainsi de faire un peu plus de profit dans le secteur. La production de bon café aux arômes savoureux est, quant à elle, principalement destinée à l’exportation. Et, il ne reste que du café de qualité moyenne, souvent trop cher, pour les populations locales.

Malgré ces éléments, l’empreinte écologique d’un Nicaraguayen reste nettement moins élevée que celle d’un Suisse. Selon les chiffres de la Banque Mondiale de 2019, un Nicaraguayen émet en moyenne 0,8 tonnes de CO2 alors qu’un Suisse moyen en émet 4,4 tonnes, soit près de 5 fois plus. Ceci est dû au fait que le niveau de développement du pays ne permet pas, par exemple, de participer à la surconsommation, oblige à utiliser les transports publics, ne permet pas de prendre l’avion et ne permet pas non plus de se vêtir dans les rayons de la fast fashion, dont les plus grands acteurs sont presque totalement absents du pays. C’est donc une forme d’écologie involontaire et contrainte par le niveau de vie.

En conclusion de ma première lettre...

Je vous remercie d’avoir pris le temps de lire ces quelques pages sur mon premier mois d’engagement au Nicaragua. J’espère avoir pu vous donner un petit aperçu de toute la complexité et la richesse de ce pays.

Si vous souhaitez en savoir un peu plus sur mon projet et sur Eirene Suisse qui m’a permis de le réaliser, je vous laisse le soin de consulter le site internet de l’organisation à l’aide du lien suivant : Eirene Suisse

Il me reste donc un mois pour continuer ce projet qui me tient à cœur et pour découvrir encore un peu plus les merveilles du Nicaragua.

Je ne manquerai pas de vous tenir au courant de la suite de mon projet lorsque celui-ci aura pu être mené jusqu’à son terme.

Merci pour l’intérêt que vous portez à mon projet et à tout bientôt.

Valentin Rebelle