Lettre circulaire
Nouvelle du Nicaragua - Valentin Rebelle
Projet Eirene Suisse
Association partenaire Mary Barreda
León - Nicaragua - Juin 2023
Je termine d’écrire ces quelques lignes de retour en Suisse. Je profite, par cette dernière lettre, de remercier les donatrices et donateurs qui ont permis à ce projet de voir le jour. Pour celles et ceux qui souhaiteraient encore participer, il manque encore quelques dons afin de financer la fin de mon projet. Vous trouverez l’ensemble des informations nécessaires à ce sujet à la fin de ma lettre.
Le mois de juin signe la fin de mon projet au sein de l’association Mary Barreda au Nicaragua. C’est durant ce mois que les éléments plus théoriques, mûrement réfléchis auparavant, vont finalement être mis en place. Grâce à l’étroite collaboration et l’aide précieuse de Michèle, des coordinatrices de projet, ainsi que de la direction, tout est enfin prêt pour débuter la phase pratique.
Cette dernière étape comprend de nombreuses formations à donner à mes collègues et de multiples séances qui ont très vite rempli mon agenda. C’est motivant de voir mon projet se concrétiser, cependant, cela m’a beaucoup stressé. Entre mon espagnol hésitant et la création des supports de cours, des adresses de courriels institutionnelles, des agendas partagés et de l’agencement du Drive, j’éprouve à la fois énormément de motivation, mais aussi d’appréhension sur le déroulement des activités. J’ai la sensation que la mentalité nicaraguayenne veut que tout se déroule toujours bien et qu’il y ait toujours des solutions à tout. Cet état d’esprit me tranquillise beaucoup. L’appui et le soutien de Michèle me facilitent également énormément les choses. Grâce à mes vacances du côté des Caraïbes, je suis fin prêt à attaquer ce dernier mois dans les meilleures conditions.
Bonne lecture.
Valentin Rebelle
Coucher de soleil sur le quartier de Sutiava
Mon projet
À la suite de nos recommandations, la direction a pris les décisions nécessaires pour définir sous quelle forme allait se mener mon projet. Ce dernier comprend 3 parties principales : l’amélioration des fichiers Excel utilisés par les collaboratrices, la mise en place de formations Excel et la création d’outils pour faciliter les liens entre les collaboratrices (courriels institutionnels, Drive et calendriers partagés).
Amélioration des fichiers Excel
Il s’est avéré au fur et à mesure du projet qu’il y avait plus de fichiers Excel à améliorer qu’initialement prévu. Pour chaque fichier, j’ai tout d’abord organisé des entrevues avec les responsables respectives des fichiers afin de définir clairement les besoins des collaboratrices. Suite à cela, j’ai conçu une première version des fichiers. Ces derniers ont été brièvement revus avec les collaboratrices afin d’y apporter quelques dernières modifications. Enfin, les fichiers ont été validés par la direction, puis présentés lors d’une séance avec l’ensemble des coordinatrices de projet.
Ces modifications ont permis un gain de temps pour les collaboratrices qui saisissaient bon nombre de données manuellement et utilisaient des fichiers peu adaptés à leurs besoins. Les améliorations ont été faites en tenant compte de la matière apprise pendant les formations. Ainsi les fichiers peuvent être potentiellement modifiés par les collaboratrices de l’association qui comprennent les formules que ces fichiers contiennent.
Formations Excel
Les entretiens individuels avec chaque collaboratrice ainsi que le petit test Excel que j’ai conçu afin d’évaluer leur niveau m’ont permis de diviser les collaboratrices en 3 groupes de 3 niveaux différents. Sur cette base, j’ai donc créé 7 supports de cours PowerPoint adaptés pour chaque niveau.
Les différences culturelles entre la Suisse et le Nicaragua ont parfois rendu les cours compliqués à gérer. Les retards fréquents ou les absences de certaines collaboratrices en raison d’urgences ont souvent mis ma patience à rude épreuve. Malgré tout, ces situations sont habituelles ici. Dans l’ensemble, la motivation de mes collègues à suivre une formation et la curiosité dont elles ont fait preuve ont été un moteur pour moi. Elles ont été surtout très patientes face à mon espagnol lacunaire et, pour ne pas me vexer, ne cherchaient pas toujours à me corriger.
Par exemple, pendant les cours que je dispensais, lorsque je doutais de la clarté de mes explications, je demandais à l’une des participantes si elle saisissait mes propos en disant « Entiendo ? ». Cela veut en réalité dire « Je comprends ? » et non pas « Comprends-tu ? » comme je le pensais. Cela n’avait donc aucun sens. Il m’a fallu un moment pour que je comprenne mon erreur et que je m’exprime correctement. Elles ne m’ont cependant jamais corrigé à ce sujet et souriaient doucement dans leur coin.
Les éléments que chaque collaboratrice a pu apprendre pendant les cours vont leur permettre de travailler plus rapidement sur Excel. Elles éviteront également certaines erreurs. Pour exemple, elles utiliseront les formules apprises pour faire des calculs plutôt que de les effectuer manuellement.
Création d'outils pour faciliter les liens entre les collaboratrices
Les moyens de l’association Mary Barreda ne permettaient pas d’utiliser des outils payants tel que Teams avec des espaces pour partager des informations entre collaborateurs, des documents ainsi qu’un agenda commun. Nous avons dû créer une « carpenteria » à la Nicaraguayenne avec des outils gratuits. Ce mot espagnol que j’adore, charpenterie en français, les Nicas l’utilisent pour exprimer une structure compliquée avec une multitude d’éléments entremêlés. Nous avons retroussé nos manches avec Michèle, et après de longues journées de travail, nous avons pu créer pour chaque collaboratrice une adresse électronique professionnelle, un agenda visible par l’ensemble des autres collaboratrices ainsi que des dossiers partagés entre les équipes dans un Drive afin de faciliter les échanges entre elles.
Les femmes de Mary Barreda, mes collègues de travail
Lorsque j’ai décidé de partir travailler au Nicaragua, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre quant à l’environnement de travail dans lequel j’allais évoluer. Je connaissais déjà Michèle et j’avais pu faire la rencontre de Karla avant de me rendre au Nicaragua. Karla est une avocate qui travaille comme coordinatrice de projet pour Mary Barreda. Ces 15 femmes travaillent toutes entre la « casa centrale » située au cœur de León, la « casa de adolescentes » située en périphérie et à la maison du « terminal de bus », lieu où se rejoignent toutes les lignes de bus reliant León aux autres villes du pays. Les conditions de travail sont relativement difficiles pour elles. Les bureaux ne sont pas climatisés et relativement étroits au vu du nombre de personnes qui œuvrent ensemble au même endroit certains jours. Pourtant, vous n’entendrez jamais ces femmes se plaindre, excepté s’il n’y a plus de café Presto à la cuisine de la « casa centrale ». Elles font preuve d’un investissement dans leur travail qui m’a réellement impressionné. Elles se rendent dans les campagnes reculées sur des chemins chaotiques à l’arrière de camionnettes, elles transportent le matériel à donner aux bénéficiaires à bout de bras, elles travaillent les week-ends pour terminer les rapports et la paperasse. Néanmoins, elles se montrent toujours de bonne humeur et à l’écoute de chaque personne qu’elles rencontrent. Les collaboratrices sont souvent confrontées à des femmes et des jeunes filles dans des situations difficiles. Que ce soient des victimes de viols, de violences conjugales ou de femmes contraintes à la prostitution, chaque bénéficiaire trouve une aide précieuse au sein de l’association.
Lors des formations, elles étaient très investies et me posaient de nombreuses questions. La patience ainsi que l’intérêt qu’elles ont témoigné à mon égard ainsi qu’à mon projet, m’ont beaucoup touché. Cela m’a permis de prendre mes marques rapidement ainsi que d’effectuer mon travail sereinement. J’ai eu l’occasion de découvrir à leurs cotés le travail sur le terrain dans les communautés de la Cancha du 3 de julio, mais également à Los Pocitos, Monte Redondo, Anexo Pintora et El Tololar. J’y ai vu une autre réalité bien éloignée des circuits touristiques qu’effectuent les étrangers qui viennent visiter le pays. J’y ai également fait des rencontres qui m’ont énormément touché. À chaque fois, que ce soit Maryuri, Paola, Eliette, Michèle, Karla, Ana-Cécilia ou Aurora, il y avait toujours quelqu’un avec moi afin que je comprenne mieux les actions de Mary Barreda de manière à adapter mon travail, pour que le fruit de ce dernier serve au mieux les intérêts de l’association. Souvent, nous travaillons un peu à l’étroit dans des conditions loin d’être idéales, néanmoins nous avons toujours réussi à aller jusqu’au bout des choses.
Ma vie ici au Nicaragua
Une soirée à León
Il est 19h15 dans le quartier de Sutiava. Il fait déjà nuit noire. On entend à la volée les cris des marchands parcourant les rues en annonçant ce qu’ils ont à vendre sur leurs chariots ou dans leurs paniers portés sur l’épaule ou sur la tête. Le matin, ils vendent la pêche du jour. Et le soir, à 19h15, du pain ou des légumes. Des feux d’artifice crépitent à la ronde et recouvrent brièvement la musique des voisins. J’attends sur la chaise à bascule en face de la porte d’entrée en lisant un des livres que j’ai pris avec moi pour occuper mes soirées. Nous avions rendez-vous à 19h00. Mon ami arrivera donc à 19h30 au plus tôt. Ici ce n’est pas le quart d’heure de politesse qui est de rigueur mais la demi-heure d’attente à minima que l’on inflige aux Suisses bien trop ponctuels ! 19h30, pile à l’heure « nica », comme j’aimais à le dire, j’entends la moto de mon ami. Il se gare devant chez moi, mon casque à sa main. Je grimpe sur la moto, il fait demi-tour et nous filons à travers la ville. Nous remontons la deuxième rue au nord. On se sert des points cardinaux pour indiquer les rues étant donné qu’ici elles n’ont pas de nom. On passe devant la mairie toute illuminée, au jardin bien entretenu et au drapeau bicolore du parti national. Nous continuons sur cette même rue avec à gauche la magnifique église de La Recolección à la couleur « safran vieilli », si belle, rappelant l’histoire coloniale de León. Sur la droite, nous passons devant les bureaux de l’association. Il y a une première grille, puis la porte. C’est souvent le cas ici, cela permet de rafraîchir les maisons en laissant leurs portes ouvertes tout en empêchant des visiteurs indésirables de rentrer.
Nous dépassons le parc San Juan dans lequel il m'est arrivé de flâner avec un ami. En sortant du parc, on passe devant une église évangélique réunissant de nombreux fidèles. Tous sont face au pasteur qui scande des messages à la foule. Les maisons et les petits commerces défilent. Les portes et les fenêtres de toutes les maisons sont ouvertes pour diminuer la chaleur à l’intérieur en créant un courant d’air. On arrive à la salle de sport. La chaleur est étouffante et une légion de ventilateurs dispersés dans la salle ne semble pas aider à faire baisser la température. Il y a beaucoup de monde qui fréquente les salles de sport. D’une part, parce que les prix sont raisonnables, et d’autre, parce que l’apparence est très importante pour les Nicaraguayens qui font très attention à leur physique. L’entraînement terminé, nous remontons sur la moto.
L’orage gronde au loin et se montre de plus en plus menaçant. C’est souvent comme ça le soir. Nous allons sans doute y avoir droit, m’annonce mon ami. Nous commençons à redescendre en direction de Sutiava quand la pluie commence à tomber. L’orage est là et une partie de l’éclairage public s’éteint. Ceci est dû au câblage tentaculaire qui recouvre les rues afin de desservir en électricité les maisons ainsi que les lampadaires. Pas de problème pour les « Nicas » qui font comme si de rien n’était en slalomant entre les voitures, les vélos sans phare et les animaux qui sont nombreux dans les rues. La roue arrière glisse sur les pavés de la rue détrempée. Arrivés au feu rouge, nous marquons un simple stop et redémarrons.
Je la vois déjà depuis la moto en nous approchant de ma maison. Une mère de famille qui habite la maison mitoyenne. Elle a deux enfants qui ne doivent pas avoir plus de 6 ans. Elle est assise à l’entrée de la maison, ses deux petits à ses côtés. Elle passe sa main dans les cheveux de son fils. Elle regarde au loin et semble égrainer le temps en faisant défiler les mèches de cheveux de son fils entre ses doigts. Elle semble être fatiguée, pourtant elle m’adresse un sourire quand je descends de la moto, comme à chaque fois. Je dis au revoir à mon ami et me dirige vers la grille de la maison. Le membre de la famille qui faisait fonctionner la boulangerie familiale est parti sur la route du nord. En partant, il a fait la promesse d’envoyer de l’argent afin que ceux qui sont restés au pays puissent acheter le matériel nécessaire pour faire marcher l’entreprise familiale sans sa présence. Il a dépassé le Mexique mais est actuellement bloqué à la frontière. Après son départ en décembre du Nicaragua, l’administration Biden-Harris annonçait le 5 janvier le lancement du programme « Humanitarian Parole ». Suite à cela, les migrants d’Haïti, du Venezuela, de Cuba et du Nicaragua doivent trouver une personne déjà présente sur le territoire pour se porter garante. Entre attestation bancaire, confirmation d’une épargne solide, lettre de travail, papiers de maisons et de voiture, etc. la tâche est difficile et l’attente à la frontière devient alors interminable si l’on souhaite entrer légalement aux États-Unis.
Ma voisine n’a donc pas d’autre solution que de regarder défiler le temps avec ses enfants. Cette dernière voudrait également partir pour pouvoir sortir de cette situation difficile en son foyer. Avec ses petits, c’est impossible malheureusement. C’est donc avec presque rien qu’elle doit jongler pour répondre aux besoins de ses enfants en attendant d’hypothétiques jours meilleurs.
Regard sur :
Les défilés de León
Dans la vie nicaraguayenne, et principalement dans une ville comme León, les défilés occupent une place importante. Régulièrement les dimanches après-midi, on peut voir à travers les rues de la ville des processions avancer avec une foule dense sur son parcours de chaque côté et des marchands proposant à la fois de la nourriture et des boissons fraiches. Ces défilés partent souvent de mon quartier de Sutiava et se dirigent ensuite en direction du centre-ville sur l’artère principale de la ville. Ils sont nombreux tout au long de l’année afin de ponctuer certaines fêtes locales liées à la religion ou à des événements historiques. Ils peuvent être religieux, liés au folklore indigène, à des fêtes nationales ou bien liés à des associations hippiques.
Célébrations du 44e anniversaire de la libération de León – Las Gigantonas
Au détour d’une rue, une foule dense avance au bruit des tambours. Au milieu se trouvent de grandes poupées de 3 mètres virevoltant frénétiquement avec le long du corps deux bras fouettant l’air. Ce sont les « Gigantonas » qui animent les célébrations de la ville en ce jour.
Cette tradition est la matérialisation de l’histoire hispano-indigène du pays. À la suite des violences et des humiliations subies, les indigènes ont cherché à exprimer leur protestation face à l’occupant par la satire. La Gigantona représente l’image que donnait les femmes espagnoles qui se sont installées lors de la colonisation du pays. Ce sont donc de grandes poupées, drapées de somptueuses robes, de bijoux clinquants et de grands chapeaux. La nuit venue, leurs yeux s’illuminent de lumières étranges, rendant ces poupées plus inquiétantes que durant la journée.
Ces poupées sont portées sur les épaules par de jeunes hommes nicaraguayens pendant les processions accompagnées de tambours. Le poids, le manque de visibilité et la robe épaisse rend l’exercice très difficile par les températures élevées de León. La direction de l’association Mary Barreda m’a fait l’immense honneur de me permettre de danser avec Maria Elena, la Gigantona qui se trouve au bureau central. En tant qu’étranger ayant des origines espagnoles, cela m’a énormément touché et je crois avoir réussi à danser relativement bien avec cette grande dame ridicule. Je profite de l’occasion pour remercier mes collègues qui en ont fait la demande à la direction et qui m’ont donc permis de danser lors de ma fête surprise de départ. Malheureusement je ne peux pas mettre plus qu'une photo de cet évènement car ce site ne permet pas d'y ajouter de vidéo.
En regardant la foule cette fois, on distingue aux pieds des « Gigantonas » de petits êtres agitant leurs immense tête d’« Enano Cabezón ».
Les « Enano Cabezón », ou nains à grosse tête, sont cette fois-ci des enfants portant d’immenses têtes de papier et des chemises d'homme adulte. Ils montrent la vision qu’avaient les colons des indigènes : des êtres inférieurs et physiquement plus petits.
Ils sont à proximité des « Gigantonas » et se déplacent en tournant et en basculant de haut en bas leur tête qui est disproportionnée par rapport à la taille d’un enfant.
Enano Cabezón
En un instant, un espace apparait dans la foule autour d’un jeune homme avec une carapace ornée de ruban coloré. Il se déchaine alors en sautant, tournant et bousculant les adolescents téméraires qui s’approchent trop de l’animal fou. C’est, cette fois si, la ferveur du « Toro Huaco ».
Cet élément du folklore est particulièrement lié à San Jerónimo, mais également aux habitants de mon quartier de Sutiava. Il s’agit d’un cadre en bois en forme de dôme sur lequel est placé à l’avant une représentation d’une tête de taureau. La structure est ornée de nombreux rubans de couleurs que les enfants essaient d’attraper. On m’expliquera qu’ils font cela dans l’objectif de se porter bonheur. Sans doute que les enfants le font simplement pour se défier et pour impressionner leurs amis. Le taureau de bois et de rubans est porté par un adolescent qui saute avec et le fait tournoyer à une vitesse folle au beau milieu de la foule. Le lien est, encore une fois, évident avec l’histoire coloniale et la tradition de la corrida en Espagne.
Toro Huaco
Défilé équestre d'Asohil, l'association hippique de León, pour célébrer le 499 ème anniversaire de la fondation de León.
Toute la rue principale de León est bouclée en ce dimanche de forte chaleur. D’immenses arceaux gonflables ponctuent le chemin telles des portes entre le quartier de Sutiava et le centre de la ville. Ces derniers sont recouverts de publicité de l’une des grandes marques de bière nationale.
De grands chevaux richement ornés de rubans et de fleurs défilent dans les rues de la ville. Les cowboys et les femmes qui les chevauchent sont coiffés de chapeaux au style très western. Les femmes ont revêtu leurs plus beaux habits. De la hauteur de leur cheval, ces amazonas nicaragüenses dégagent un air à la fois arrogant et majestueux.
Le défilé consiste à présenter aux habitants les différentes races de chevaux, ainsi qu’à inviter d’autres clubs hippiques nicaraguayens. Les cavaliers sont parfois suivis de personnes, qui à l’aide d’une longue baguette en bois très fine, frappent au-dessus des sabots, afin que le cheval marche de manière élégante en levant et baissant rapidement ses sabots.
Ce défilé est entrecoupé d’orchestres entassés à l’arrière de camionnettes mais également de vendeurs inondant la foule de leurs bières.
Le cheval est présent partout au Nicaragua. Il est encore utilisé régulièrement pour tracter des charrettes par les agriculteurs afin de transporter du bois ou leur production agricole. Dans certaines villes, c’est également un moyen pour transporter les touristes à bord de calèches. Il est également possible d’en croiser sur les reliefs des volcans où ils sont laissés libres.
Les puros nicaraguayen
Étant un amateur de cigares, j’avais entendu dire qu’un cigare cubain s’apprécie avec ses défauts et ses qualités. Au contraire, un « puros » du Nicaragua se doit d’être parfait.
C’est en tout cas ce que cherchent les fabricants du pays : produire les meilleurs cigares au monde. Le pays possède une terre et un climat idéal pour atteindre cet objectif. Des villes comme Estelí doivent en grande partie leur économie florissante à l’industrie du tabac qui fait vivre une part importante de la population. Un cigare représente 4 ans de travail, 400 mains pour le confectionner du champ au coffret qui le protège et une heure pour le fumer.
Coincé au fond d’un bus chargé à son maximum, je me suis rendu au nord du pays, dans la région d’Estelí, pour découvrir cet univers. La tâche est plus ardue qu’il ne semblerait. En effet, le peu de touristes intéressés par les visites et le Covid ont rendu l’accès aux nombreuses fabriques de la ville difficile. Un ami me donne cependant un contact et nous parvenons à fixer un rendez-vous pour visiter l’une d’entre elles.
La sécurité routière à la Nica en direction d’Estelí, des sièges ajoutés entre les sièges des mini-bus
À travers les grilles du monumental portail d’entrée de la fabrique, une grande maison porte le nom de la famille du propriétaire de la manufacture. Entre les palmiers et la pelouse semblable à un green de golf, l’analogie est grande avec un lieu de tournage d’une série américaine des années huitante, à la Santa Barbara et Dallas.
L’entrée de la fabrique
La visite de la fabrique suit le processus de fabrication. On découvre, seuls, avec notre guide, chaque étape de la récolte jusqu’à la fermeture du précieux coffret conservant les cigares. Tous les lieux que nous découvrons sont embaumés d’une odeur forte et entêtante de tabac.
Ballot de feuilles de tabac après l’ouverture suite à l’étape de macération
Lorsque les feuilles sont prêtes après avoir passé un certain temps en ballot, elles doivent être triées par couleur afin qu’une certaine harmonie se retrouve sur la teinte des cigares présents dans la même gamme. Ce tri est effectué exclusivement par des femmes car ces dernières distinguent des différences de couleurs imperceptibles par l’œil de la gente masculine.
Tri des feuilles de tabac
Il est maintenant temps de rouler ces fameux cigares. La scène est captivante. Cette dernière se déroule dans un hangar où, comme dans les autres lieux de production, l’air est rendu irrespirable par la quantité de tabac présent. C’est une armée de « torcedores » alignés les uns à côté des autres à leur pupitre qui assemblent un à un les précieux cigares avec autant de précision que de rapidité. Il y a cependant une nuance à cela. En effet, à l’avant de ce navire amiral de productivité se trouvent les plus anciens « torcedores » : ils constituent le trésor de l’entreprise de par leurs compétences et leur expérience acquises au prix de longues années de labeur. À l’arrière, ce sont les nouveaux. Ces derniers doivent encore faire leurs preuves avant de pouvoir être des rouleurs de cigares à part entière et obtenir ainsi le salaire qui correspond à ce statut.
Le statut des travailleurs confectionnant les cigares est plutôt intéressant face aux conditions d’autres travailleurs du pays. En effet, les mains habiles du « torcedor » sont irremplaçables et le temps nécessaire pour savoir former correctement un cigare de qualité n’est pas négligeable. Lorsqu’une fabrique a des travailleurs qualifiés pour cette tâche, elle fait tout son possible pour qu’ils ne partent pas pour une autre fabrique.
Atelier de fabrication des cigares
Une fois les cigares roulés, ils sont placés dans des presses puis emballés dans des journaux. Suite à différents évènements, il est nécessaire pour les fabriques du pays d’importer du papier journal afin de pouvoir effectuer cette dernière tâche car il n’y en a plus au Nicaragua. C'est donc le Wall Street Journal, le New York Times et le Washington Post qui servent de protection à ce précieux produit nicaraguayen.
Cigares protégés par les joueurs du Kansas City Chiefs à la une d'un grand périodique états-unien
Il faudra encore un peu de patience afin que le cigare vieillisse avant de pouvoir être consommé. Cette étape a lieu dans une pièce à l’hygrométrie et la température très contrôlées afin de réunir les meilleures conditions pour développer les arômes des trésors qu’elle contient. C'est une véritable caverne aux trésors que nous avons eu la chance de découvrir.
Zone de stockage des cigares
Les cigares sont enfin emballés dans d’élégantes boîtes avant d’être vendus.
Après cette visite, il semblerait logique d’avoir le droit à une boutique souvenir. Il n’en est rien. Suite à des accords avec les autorités, de nombreuses entreprises du secteur ne vendent pas de cigare dans le pays afin d’avoir certains avantages fiscaux. C’est donc avec les quelques cigares donnés par notre guide du jour que nous devrons nous consoler. Cependant, au vu des prix élevé des cigares, la majorité de la population locale ne pourrait dans tous les cas pas se permettre d’en acheter. C’est donc avec d’autant plus de plaisir, qu’au sommet du Telica, un des nombreux volcans du pays, autour d’un feu, nous avons partagé entre amis ce que l’on m’a convaincu de reconnaitre comme étant le meilleur cigare du monde, le puros du Nicaragua.
Cigares prêts à être expédiés dans le monde entier
Les légendes du Nicaragua
Le pays est habité par son histoire et ses origines autochtones. Bon nombre de légendes venant de l’époque de la colonisation ou antérieures sont encore murmurées aux oreilles des plus petits. A León, ces légendes sont matérialisées en un musée dont les lieux sont propices au mystique et à l’effroi. C’est en effet une prison de l’ancien régime, où les tortures et les exécutions arbitraires étaient la norme, qui aujourd’hui accueille cette institution dont la mission consiste à protéger et promouvoir les légendes nationales.
Musée des légendes avec des représentations des différents sévices commis en ces lieux
La légende de la Carreta Nagua
Dans la nuit, entre une heure et trois heures du matin, on peut entendre un bruit fracassant se propager dans la ville. Ceux qui se seraient aventurés à regarder à travers les barreaux des fenêtres auraient, dit-on, aperçu une charrette chancelante tirée par deux bœufs. Mourants de faim, ces derniers semblent avoir les côtes qui leur déchirent la peau. Ce serait la faucheuse en personne qui tiendrait les rênes de ce funeste attelage. Il se murmure que l’on entend les roues de bois se heurter aux pavés des rues. Cette procession disparaitrait dans les maisons situées aux intersections des rues afin de ne pas avoir à tourner. Elle réapparait ensuite de l’autre côté des maisons traversées et continuerait son chemin glaçant à travers la ville. Elle est annonciatrice de la mort. À la suite de son passage, au lever du jour, une personne tombe aussi subitement que mystérieusement malade et s’endort à jamais. On dit alors : « se la llevó la Carreta Nagua » (la charrette Nagua l'a emportée).
Cette légende me laisse à penser qu’il y a des méthodes moins traumatisantes pour éviter que les enfants ne se baladent la nuit dans les rues de la ville. Néanmoins, je trouve qu’elle fait son effet. Peut-être même que j’ai jeté un petit regard par la fenêtre en entendant une charrette passer devant chez moi tard dans la nuit. Cependant, seul la Carreta Nagua et moi-même pouvons savoir si c’est cela a vraiment eu lieu ou non.
La Carreta Nagua
Il est temps de conclure ce chapitre (ce livre ? ...).
Ce projet aura été riche en expériences professionnelles mais également par les liens que j’ai pu nouer avec mes collègues. Mon travail, je l’espère, aura permis de rendre plus rapide le travail administratif des collaboratrices de l’association ainsi que de rendre les rapports établis pour les bailleurs de fond internationaux plus précis. Pour ma part, j’aurai eu la chance d’évoluer dans une structure pleine d’humanité et de combativité face à tous les maux qui touchent la société nicaraguayenne. L’Asociacion Civil Proyecto Mujer Mary Barreda se bat chaque jour avec résilience et détermination pour que chaque enfant, chaque jeune fille et chaque femme nicaraguayenne puisse vivre dans un monde plus sûr et plus libre face à la violence et à l’ignorance. Je suis heureux d’avoir pu, le temps de quelques mois, me joindre à chacune des femmes extraordinaires qui en sont le fer de lance.
L’équipe de Mary Barreda lors de ma fête de départ, malheureusement sans Eliette ni Michèle qui étaient absentes.
Merci ❤️
Je vous remercie d’avoir pris le temps de lire ma dernière lettre circulaire et espère avoir pu vous faire découvrir avec ces quelques lignes le travail de l’association qui m’a ouvert en grand ses portes et ce pays magnifique auquel je me suis beaucoup attaché.
Je souhaite terminer en remerciant chaque femme de l’association Mary Barreda, ainsi que la direction, qui ont fait de moi un collaborateur à part entière de leur organisation. J’ai conscience de la chance que j’ai eu de travailler avec chacune d’entre elles et je souhaite les remercier pour les moments partagés ensemble et tout ce qu’elles ont pu m’apporter.
Je remercie également l’association Eirene Suisse, sans qui ce projet n’aurait pas été possible. Elle défend, à travers les continents, des valeurs humanistes qui me sont chères telles que le partage et la paix.
Enfin, j’ai une pensée toute particulière pour Michèle et son engagement envers les jeunes, son attachement à son travail et l’opportunité qu’elle m’a offerte, avec Davis, en m’accompagnant dans la découverte de ce qui est devenu son pays.
Une incertitude reste quant à savoir si, en effet, il s’agit là de ma dernière lettre circulaire en tant que coopérant. Néanmoins, c’est la dernière sur ce projet que j’aurai porté avec beaucoup de fierté.
Valentin Rebelle
Juste après ceci vous trouverez encore quelques photos !
Merci infiniment pour votre soutien !
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Mention : Valentin / Nicaragua
Quelques photos...
Mes amis nicas
Ma fête et mes cadeaux de départ, ainsi que le délicieux Chapsu
Marché de Somoto dans les montagnes du nord du pays
Canyon de Somoto, à la frontière avec le Honduras
Mes cours de cuisine française pour les Nicas
Match de baseball d’entraînement de l’équipe de Chichigalpa
Bâtiment délabré de León, témoin de la grande époque d’avant la révolution
Vache sur le chemin du volcan Telica
Volcan Telica depuis le lieu de campement
Les tempêtes de sable et de poussière de León
Église de Granada
Église de Granada