Extraits
Instants à ressentir
Instants à ressentir
L'absence en Héritage
... Le 24 décembre 1997, à 17 heures, ma mère et moi allons à l’hôpital de la Conception à Marseille, pour voir mon père. J’ai déjà 57 ans. Hospitalisé depuis plusieurs jours pour une bronchite tenace, il semble plus fragile que jamais. L’hôpital est devenu sa seconde maison, un lieu où il passe de plus en plus de temps où chaque visite présente sa vulnérabilité croissante.
La veille de Noël, cette visite prend une dimension particulière, empreinte d’un poids silencieux. En entrant dans la cour, une appréhension nous étreint, comme à chaque fois. Mais en le voyant debout, baigné par la lumière hivernale, ce poids s’allège légèrement. Il se tient là, redressé du mieux qu’il peut, appuyé sur sa canne, scrutant notre arrivée avec son unique regard, témoin d’une vie marquée par les épreuves. Son sourire nous accueille, mais derrière ses lunettes, des larmes trahissent une détresse qu’il ne dissimule qu’à peine, celle que l’on ne montre qu’à ceux que l’on aime le plus.
Nous venons lui annoncer une bonne nouvelle : nous avons obtenu l’autorisation de le ramener à la maison pour les fêtes. Un immense sourire illumine alors son visage ridé, un sourire qui dit tout. Le lendemain matin, nous viendrons le chercher pour qu’il passe Noël entouré des siens. Tout est prêt : la maison décorée, les plats préparés, les chocolats qu’il aime. Tout semble enfin sourire à cet homme fatigué, mais toujours debout, accroché à une existence qui lui échappe peu à peu.
Ma mère, avec cette douceur qui ne la quitte pas ce jour-là, n’a pu s’empêcher de lui demander :
— Mais André, pourquoi tu pleures ?
Elle voulait dire : « Pourquoi pleures-tu, alors que nous allons nous retrouver en famille ? »
— Pour rien, c’est ma conjonctivite, tu sais bien… répond-il avec un sourire faussement rassurant.
Mais je savais qu’il mentait. Ses larmes n’étaient pas dues à une affection des yeux. C’était une tristesse plus profonde, que même Noël ne pouvait dissiper. Peut-être pressentait-il que ce Noël serait le dernier, qu’il ne resterait plus d’occasions pour savourer ces instants. Ou peut-être pleurait-il simplement de nous voir heureux une dernière fois....
Cent Mille Questions et l’Illusion du Réel
... Nous passons nos vies à nous interroger. Dès l’instant où nous ouvrons les yeux, notre esprit entame une danse incessante de pensées, certaines anodines, d’autres vertigineuses. Quelques questions apparaissent fugacement, comme des bulles d’air remontant à la surface, tandis que d’autres s’installent avec insistance, refusant de se dissiper. Elles s’accrochent, se reformulent, se transforment, nous poussant à revisiter nos certitudes sous un angle nouveau.
Avez-vous déjà ressenti cette étrange sensation où une journée commence avec une légèreté insouciante, puis s’assombrit progressivement sans raison apparente ? Où l’euphorie matinale laisse place à une mélancolie diffuse, comme si un voile invisible s’était posé sur votre réalité ?
Pourquoi notre esprit ravive-t-il certains souvenirs de manière aléatoire, nous projetant dans des scènes oubliées, alors que d’autres événements, pourtant marquants, semblent sombrer dans un néant définitif ?
Nous avons tendance à prendre pour acquises ces pensées, à croire qu’elles nous définissent, qu’elles traduisent fidèlement notre réalité intérieure. Mais sont-elles des vérités objectives, ou seulement des reflets déformés d’un esprit en quête de sens ?...
Un Amérindien Nommé Nawat
... Il y a des moments dans la vie où l’on croit que tout suit un cours linéaire, que chaque jour s’inscrit dans la continuité du précédent. Puis, sans crier gare, un événement, une rencontre, vient briser ce schéma et projette notre existence dans une tout autre direction. C’est par une matinée ordinaire que s’est produit ce basculement. Je n’avais rien prémédité, rien recherché de particulier, si ce n’est le simple plaisir d’une escapade solitaire en Camargue; une région que j’affectionne pour son calme brut et son horizon infini. Après une nuit courte, mais réparatrice, je prends la route tôt, laissant derrière moi le tumulte des villes pour me fondre dans la nature sauvage. L’air est encore frais, et le soleil levant baigne les marais salants d’une lumière dorée. Comme souvent, ces instants d’isolement sont pour moi une forme de méditation en mouvement. Marcher. Observer. Respirer profondément. Loin du bruit du monde, le silence devient un allié, une porte ouverte vers des pensées profondes.
Ce jour-là, j’avais prévu de rejoindre un ranch aux Saintes-Maries-de-la-Mer pour une balade à cheval.Une activité simple, presque anodine, que j’aime pratiquer de temps en temps pour renouer avec une sensation de liberté. En arrivant, mon regard est attiré par une silhouette singulière. Un homme se tient à l’écart, absorbé par sa tâche. Il n’est pas simplement en train de panser un cheval, il semble dialoguer avec lui. Ses gestes sont précis, empreints d’une douceur qui contraste avec la force tranquille qu’il dégage. Ses cheveux longs encadrent un visage buriné par le temps. Ses yeux profonds portent une sagesse ancienne. Intrigué, je m’approche. C’est lui qui rompt le silence en premier. Il est d’Amérique du Nord. Descendant d’une tribu autochtone.
— Nous n’apprivoisons pas. Nous dialoguons, dit-il. Le cheval ressent ton souffle, ton intention. Il t’enseigne autant que tu lui transmets.
Ses paroles résonnent en moi avec une familiarité étrange. Nous marchons côte à côte, à travers les marais. Ce qui devait être une simple conversation devient une leçon vaste et silencieuse.
— Chaque action reflète l’équilibre de l’univers. Un arbre n’est pas un simple élément du paysage, mais un
témoin du temps. Respire avec lui, et tu verras que le monde s’exprimera autrement. »
Au fil de nos échanges, je ressens une bascule : ce n’est plus une promenade, mais une immersion dans une
autre réalité.
— Chaque élément de la nature est un enseignant, ajoute-t-il. Si tu sais écouter, tu comprendras que l’univers murmure à travers tout ce qui vit.
Avec le temps, je deviens un habitué du ranch. Il partage une pensée qui me marquera à jamais :
— Nos histoires étaient nos livres. Elles vivaient dans la parole. Guérir un mal, c’est souvent rétablir un équilibre rompu entre l’esprit et le monde.
Je pense à mes propres lectures, à mes propres quêtes. À Son, mon vieux mentor, élevé dans un autre monde, et pourtant si proche dans sa vision : Vivre libre. Se détacher des conditionnements. Ne pas se laisser enfermer dans le connu. Un soir, Nawat me confie encore une dernière image :
— Les liens familiaux sont comme les racines des arbres. Parfois invisibles, souvent tortueux. Mais ils nourrissent l’arbre tout entier, lui permettant de s’élever malgré les tempêtes.
En quittant le ranch ce jour-là, je suis différent. Un peu plus aligné. Un peu plus vrai. Et peut-être plus proche de moi-même.
La matrice Qui Englobe Tout
... Que cette conclusion soit le point de départ d’un nouveau chapitre de votre vie, empreint d’espoir et de confiance. Pouvez-vous avancer avec la certitude que vous avez le pouvoir de créer une réalité qui dépasse vos rêves les plus fous ? Nous évoluons au sein d’une trame invisible, d’un canevas tissé de forces subtiles et de possibilités infinies. Cette matrice, bien au-delà de ce que nous percevons, murmure à qui sait l’écouter.
Nous sommes tous des enfants de l’univers, nés de la poussière des étoiles, portant en nous les codes qui façonnent le monde à notre image. Dans ce ballet cosmique, nous ne sommes pas seulement les acteurs de notre destinée, mais aussi les créateurs de mondes nouveaux. Nos pensées et nos actions sont des étincelles capables d’illuminer l’obscurité et de sculpter l’avenir. La transformation du poison en remède dépend de notre capacité à percevoir l’invisible, à dépasser les illusions, et à accéder à des dimensions insoupçonnées de notre être. Il est toujours possible de se réinventer, de transcender les limites imposées par les circonstances. En suivant la voie du milieu, nous apprenons à équilibrer les extrêmes, à harmoniser l’intérieur et l’extérieur, et à trouver une juste mesure entre la lumière et l’ombre. La vie n’engage que ceux qui y croient, et il n’est jamais trop tard pour commencer. Ce qui compte est d’informer la vie de votre intention, et, en cas de défaillance, elle saura prendre le relais. Car en vérité, nous ne sommes jamais seuls sur ce chemin. À travers chaque rencontre, chaque épreuve et chaque révélation, l’univers nous murmure des indices, attend patiemment que nous ouvrions les yeux. Oserons-nous écouter ?...
Quelques Passages Épars...
... Dans les années 1950, cette ville fut le point d’ancrage de cette saga, et j’ignorais qu’elle était prédisposée aux combats. Imaginez un quartier entouré d’arènes, où se déroulent des corridas envoûtantes pour leur théâtralité, non pour leur issue tragique. Un peu plus loin, une ancienne caserne de zouaves. Et plus loin encore, une division de l’armée de terre, comme si une cause profonde y avait trouvé un refuge. Dans les rues animées, la vitalité s’écoule comme une mélodie envoûtante, pleine de mystères et de promesses. Les passants se croisent dans un tourbillon de couleurs et de voix, portés par l’énergie incessante de la ville. Sous un ciel azur, les effluves d’épices se mêlent aux rires des marchands, tandis que les minarets élancés semblent chanter la beauté intemporelle de l’Orient. Les lanternes scintillantes et les étoffes chatoyantes composent un décor vibrant, où les souvenirs et le présent s’entrelacent en parfaite harmonie. Dans cette toile vivante, mon enfance fut marquée par un événement décisif : la révolution menant à l’indépendance de l’Algérie. J’avais douze ans. Nous avons été emportés par les vents de cette guerre qui transformait tout sur son passage. C’est dans ce contexte que se sont inscrites certaines des scènes marquantes de mon histoire. Et bien que les détails varient, les enseignements qu’elles renferment demeurent intemporels...
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... La réalité est-elle fixe, ou fluctuante ? En physique quantique, une particule peut exister dans plusieurs états à la fois. Ce n’est que lorsqu’on l’observe qu’elle se fixe dans une seule version. Notre perception de la réalité fonctionne de la même manière. Nous croyons qu’il existe une vérité unique, gravée dans le marbre. Mais en réalité, nous naviguons dans un monde fait de superpositions. Nous croyons connaître une personne, puis un détail oublié vient tout remettre en cause. Nous pensons être certains d’un fait accompli, jusqu’à ce qu’une nouvelle information éclaire les choses sous un jour différent. Nous ressentons une émotion, jusqu’à ce que notre propre évolution nous pousse à la voir autrement. La réalité n’est pas fixe. Elle est en perpétuelle transformation.
Tout dépend du regard que nous portons. Il nous arrive d’être convaincus d’une chose, puis de nous rendre compte des années plus tard que nous nous étions trompés. Nous avons tous relu un texte, revu un film, réentendu une phrase, et soudain leur signification nous a semblé totalement différente. Ce n’est pas le texte, ni le film, ni la phrase qui a changé. C’est nous. Nos états de vie influencent notre perception. Ce qui nous semblait crucial hier peut nous paraître dérisoire aujourd’hui. Ce qui nous blessait profondément autrefois peut nous sembler absurde avec du recul. Nous ne vivons pas la même réalité d’un jour à l’autre, car nous ne sommes jamais exactement la même personne. Et alors une question se pose : si notre perception change en permanence. Quelle vérité voulons-nous voir ? Cela ne signifie pas que tout est illusion, mais que la vérité se révèle sous des angles différents selon notre état intérieur.
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... L’urgence du plan ORSEC s’estompe, laissant place à un silence lourd de significations. Après le tumulte, l’émotion brute, le démembrement inévitable, un instant de suspension s’impose. C’est une respiration nécessaire, un point d’équilibre avant que l’histoire ne poursuive sa course. Mais au-delà du drame individuel, une réflexion plus vaste émerge. Ce que viennent de vivre André et Magdalena n’est qu’une illustration poignante d’un principe fondamental : rien ne demeure inchangé.
La guerre a forgé leur amour dans les flammes de l’adversité, mais les forces du temps et des circonstances les ont inévitablement séparés.
Nous voudrions figer ces instants, préserver ce qui nous est cher, mais l’illusion de permanence ne fait qu’ajouter à la souffrance.
Ce concept traverse à la fois les sagesses orientales et la physique moderne. Il nous enseigne une vérité essentielle : tout fonctionne en flux continu, tout bouge. Accepter la vie telle qu’elle est, plutôt que de s’accrocher à ce que nous voudrions qu’elle soit, est une leçon difficile, mais libératrice...
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... Les existences vécues, bien que parfois marquées par la tragédie, ne sont jamais vaines. Elles laissent des empreintes indélébiles, nous guidant vers une existence plus consciente et plus riche de sens. À travers les expériences de ceux qui nous ont précédés, nous trouvons des leçons précieuses, des histoires qui, bien que parfois douloureuses, éclairent notre propre chemin.
Après Paris et mes réflexions d’homme, me voici replongé dans le décor d’Oran, là où tout a commencé. Ce retour en arrière est à la fois un voyage au cœur de mon enfance et une exploration du chemin parcouru par mes parents, imbibé des cicatrices de la guerre et des choix imposés par la survie. Mon père, après des années d’exil et d’incertitudes, avait fini par rentrer à Oran, marqué à jamais par la Pologne et l’épreuve de son premier fils caché, Andrzej. Que ressentait-il en revenant sur cette terre qu’il avait quittée des années plus tôt, accompagné d’une épouse qui elle aussi avait traversé ses propres tempêtes ? La retenue des hommes de sa génération ne laissait que peu de place aux confidences. Pourtant, quelque chose en lui qu’il ne pouvait partager l’avait changé...
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... Il hésite. Tant qu’il reste sur le seuil, tout demeure en suspens. Tel un état quantique incertain ; des milliers de chemins possibles l’attendent derrière cette porte. Un seul existera vraiment, à l’instant où il frappera.
Enfin, sa main se lève. Son poing heurte le bois, et le battement sec résonne. Fortune ouvre la porte avec de grands yeux, un mouchoir à la main, stupéfaite, comme témoin d’une réapparition divine. À ses côtés, un petit garçon brun de dix-huit mois environ, en barboteuse, marchant maladroitement avec le nez qui coule, et qui scrute du regard cet inconnu. La respiration d’André semble s’accélérer à la vue de ce tableau pathétique. Avec la résignation d’un amour englouti, il reste sur le palier sans rien dire. L’image qu’il avait d’elle n’est plus tout à fait la même. Un sentiment de politesse régnait davantage que d’amour. Je l’imagine comme un as de pique sur le palier et j’imagine aussi clairement ma mère, lui disant sans lui sauter au cou :
— Mais entre, André… Qu’est-ce que tu attends ?
Il obéit comme un automate. À peine a-t-il franchi le seuil qu’elle enchaîne :
— Mais comme tu as maigri ! Tu veux manger quelque chose ?
Le bouquet de fleurs qu’il tient d’une main perd chaque seconde un peu plus de sa raison d’être et de sa fraîcheur. C’est comme si les fleurs elles-mêmes avaient compris…
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... Mais tandis que Magdalena et André s’effacent derrière le voile du temps, qu’en est-il de Fortune, restée à Oran ? Le noir de son deuil s’estompe doucement, laissant place à des nuances plus délicates. Ses vêtements, jadis imprégnés de tristesse, semblent désormais absorber la lumière, comme si le temps recousait peu à peu les plaies invisibles.
Son quotidien s’ancre dans une nouvelle routine : les disques qui tournent, les gestes du ménage répétés sans y penser, les échanges avec les voisins, la présence réconfortante d’une amie. Peu à peu, elle reprend goût à ces petites choses anodines qui, sans bruit, tissent un renouveau.
Les regards insistants des hommes la flattent. Les douces soirées arrosées sur les terrasses de cafés lui offrent une évasion, un instant où les angoisses se dissipent dans la tiédeur des nuits oranaises. Le sirocco caresse sa peau, réveille des sensations qu’elle croyait oubliées. Son reflet dans le miroir lui renvoie une femme qu’elle ne reconnaît pas encore tout à fait.
Elle cherche à se réinventer, à devenir celle qu’elle rêve d’être, plutôt que celle que la vie a façonnée. Elle a vu son mariage en blanc, mais pas la vie en rose...