Au fait c'est quoi...
un dirigeable

Carte des atterissages des ballons partis de Paris en 1870

QU’EST-CE QU’UN BALLON DIRIGEABLE ?

par Jean-Paul MICHEL

Lapalisse aurait sans doute répondu « c’est un ballon que l’on peut diriger, que l’on peut piloter vers un point d’arrivée précis, décidé au départ »… s’il avait connu les ballons ! 

Nous avons tous entendu parler des frères Montgolfier qui les premiers, le 4 juin 1783, à Annonay dans l’Ardèche, réussirent l’envol d’un ballon gonflé à l’air chaud ; Les « montgolfières » étaient nées. Le 19ième siècle allait devenir ainsi l’âge d’or des ballons (aérostats devrait-on dire).  Cependant tous ces aérostats n’étaient pas dirigeables, ce qui veut dire que c’est le vent du moment qui conduisait l’aéronaute et ses passagers là où il voulait bien souffler …  Pour le meilleur et pour le pire ! 

Pour illustrer ce défaut majeur il suffit de regarder où les 67 ballons qui se sont élevés au-dessus de Paris à la fin de l’année 1870 ont atterri. L’armée prussienne encerclait alors la capitale et ces ballons ont permis d’évacuer des personnalités et d’expédier le courrier. Beaucoup de ces ballons appartenaient d’ailleurs à l’Administration des Postes. 

Un vol qui finit bien : celui de Léon Gambetta, ministre de l’Intérieur, qui s’envola le 7 octobre 1870 depuis la Place St Pierre de Paris et atterrit à Epineuse à 98 km à l’ouest de la capitale.

Des vols qui finissent mal :   cinq ballons seront capturés par l’ennemi et deux ballons s’abimeront en mer. Près de chez nous : un ballon s’est posé à Montigny le Roi le 29 octobre avec 460 kg de courrier et 6 pigeons voyageurs après un vol de 308 km.

Et enfin une histoire digne de Jules Verne (« l’ile mystérieuse ») : Paul Rolier et son passager Léonard Bézier quittent Paris en novembre à 23H45 depuis l’esplanade de la Gare du Nord. Beaucoup de brouillard. Ils 

montent vers 2000 mètres pour échapper aux balles prussiennes. 

Le vent fort les pousse vers le nord… Quand le brouillard se dissipe ils s’aperçoivent qu’ils sont au-dessus de la mer et ils font des signes lumineux à de nombreux navires dans l’espoir de pouvoir amerrir près de l’un d’eux, hélas sans résultat. Puis brouillard à nouveau et finalement ils décident de descendre pour se retrouver après de longues péripéties… en Norvège pas très loin de Christiana (Oslo aujourd’hui). 1250 km depuis Paris. Atterrissage à 15H40 le 24 novembre. Ils seront sauvés par des bucherons et seront reçus comme des héros dans la capitale norvégienne avant d’être acclamés à Saint-Malo !

Premier vol Henri GIFFARD 1852
Les freres Tissandier dans la nacelle du premier dirigeable electrique 1883
Pile electrique Renard et moteur Krebs

Le ministre de la Guerre veut en finir avec ce problème évident et demande en 1877 au Capitaine du Génie Charles Renard d’élaborer un aérostat dirigeable sur le site de Chalais à Meudon au sud de Paris. Celui-ci va s’appuyer sur les travaux de 3 précurseurs qui ont tous échoués à rendre leurs aérostats suffisamment manœuvrables. Le premier fut Henri Giffard, autodidacte, passionné des locomotives à vapeur, qui réalise avec l’aide de 2 amis de l’Ecole Centrale le premier vol propulsé d’un « dirigeable » sur 27 km le 24 septembre 1852. Son ballon, de forme allongée de 44 mètres (diamètre 12 mètres), a un volume de 2500 m3 et est gonflé au gaz d’éclairage (gaz de houille). Comparé à l’air ce gaz a une densité de 0,319. Les lecteurs mathématiciens calculeront facilement la poussée d’Archimède verticale résultante et verront que la force ascensionnelle était de l’ordre d’une dizaine de kilogrammes seulement (en sachant que le poids de l’ensemble dépassait les 1800 kilogrammes). Giffard utilisait une machine à vapeur à foyer inversé, reliée à une hélice à 3 pales de 3,40 m de diamètre qui pouvait tourner à 110 tours/mn. Machine alimentée par du coke et de l’eau qu’il fallait embarquer. La vitesse était très faible (de l’ordre de 7 km/h). La puissance du  moteur était beaucoup trop 

faible pour rendre l’embarcation manœuvrante. Sans parler du danger lié à l’utilisation du coke dans la chaudière. Le deuxième fut Henri Dupuy de Lôme, ingénieur de l’Ecole Polytechnique a qui le gouvernement demanda également après la défaite de1870 de réaliser un aérostat dirigeable. Il le réalise au début de 1872 en utilisant comme force motrice de l’hélice… 8 marins qui se relaient en équipe de 4 toutes les demi-heures dans la nacelle ! Son vol d’essai est assez concluant mais le vol en circuit fermé semble encore hors de portée. Le troisième est Gaston Tissandier, chimiste de formation. Grand pionnier de performances hors normes en ballon.  Avec son frère les 23 et 24 mars 1875 il bat le record de durée en voyage en ballon (22h40). Le 15 avril 1875 il veut battre le record de montée en altitude avec 2 collègues. Malheureusement ils n’ont pas prévu suffisamment d’oxygène et les 2 collègues décèdent vers 7300 mètres, Gaston échappe de justesse à la mort mais y perd définitivement son ouïe. Il fera un premier vol dans son dirigeable mu par un moteur électrique le 8 octobre 1883. Cependant le poids des batteries au bichromate de potassium rendra le dirigeable peu performant et ne lui permettra pas non plus de réaliser un vol en circuit fermé.


Charles Renard s’inspirera donc du meilleur de ces expériences en comprenant qu’il fallait augmenter la puissance du moteur électrique avec des batteries ayant un rapport puissance / poids nettement amélioré. Son collègue Arthus Krebs va réaliser le moteur électrique (visible au musée de l’Air au Bourget). Ce moteur aura une puissance de l’ordre de 9 chevaux et pèsera 110 kg. Ce moteur a une puissance motrice par unité de surface résistante 8 fois supérieure à celle du moteur de Tissandier. L’hélice peut tourner à 46 tours/mn. Charles Renard va tester différents produits chimiques dans de nouvelles batteries pour améliorer leur puissance. Elles seront chlorochromiques. Elles fournissent les 9 chevaux attendus pour un poids de 400 kg. 

L’enveloppe du dirigeable « La France » a un volume de 1864 m3 gonflé avec de l’hydrogène (densité relative à l’air : 0,07). Charles Renard va inventer un générateur d’hydrogène qu’il fixe sur une voiture hippomobile pour suivre les aérostiers. La longueur est de 52 mètres et le diamètre de 8,4 mètres. La nacelle en osier fait 34 mètres de longueur. Cette nacelle a été restaurée et elle est également visible au musée du Bourget. Ce dirigeable est le premier à posséder un empennage à l’arrière pour parfaire la stabilité en lacet et réduire le tangage. L’ensemble pèse environ 2000 kg. Vous connaissez la fin de l’histoire : le premier vol en circuit fermé a lieu le 9 août 1884 à Meudon. Ce vol dure 23 minutes et couvre 7,6 km. Cette expérience sera renouvelée 7 fois ensuite et 5 fois le dirigeable sera capable de revenir au point de départ. Charles Renard rentrera ainsi dans l’Histoire de l’aéronautique

Une des tres rare photo de La France Meudon vers 1884

Pendant ce temps les premiers moteurs à combustion interne sont développés en Europe et notamment par Gottlieb Daimler en 1886 en Allemagne. L’industrie automobile naissante se saisira alors de ce moyen de propulsion qui a l’avantage d’offrir une excellente performance pour un poids relativement faible. C’est ce même G. Daimler qui adapte son moteur monocylindre de 2 ch sur un petit dirigeable de 26 mètres de longueur, le « Daimler », et qui réalise le 10 août 1888 un aller et retour de 10 km dans les environs de Stuttgart. 

Un autre allemand ingénieux s’intéresse aux ballons dirigeables : le comte Ferdinand von Zeppelin. Après avoir déposé des brevets sur les ballons à coques rigides il réalise son premier vol sur le LZ-1 le 2 juillet 1900 sur le lac de Constance. Ce dirigeable était mu par 2 moteurs Daimler de 14 cv. Il se lance ensuite dans des vols commerciaux avant la guerre de 1914 (plus de 34000 passagers transportés).

le LZ 127 se pose sur le lac de Constance 1933

Salle a manger du LZ 127

Les dirigeables Zeppelin seront surtout utilisés par les Allemands pendant la Première Guerre (plus de 1000 reconnaissances et plus de 200 attaques avec des bombes, notamment sur Londres). Les Français préférant utiliser les ballons captifs et les escadrilles des tous nouveaux aviateurs !

Entre les 2 guerres c’est l’âge d’or des aérostats dirigeables commerciaux permettant de transporter des passagers entre l’Europe et les Amériques principalement. Le plus grand de ces dirigeables sera Le Graf Zeppelin LZ 127 avec ses 236 mètres de longueur ; il effectuera la première traversée du Pacifique sans escale en 1929. Il transportera plus de 13000 passagers entre 1928 et 1937.


Cependant tous ces aérostats sont gonflés à l’hydrogène (gaz hautement inflammable) et ils sont extrêmement sensibles aux conditions atmosphériques (givre et glace, vent, foudre, etc.). Plusieurs accidents très graves avant 1939 mettront un terme à leur utilisation commerciale. Notamment l’incendie du Hindenburg à son atterrissage près de New York qui a fait 35 victimes le 6 mai 1937. A noter également les coûts très élevés des dirigeables qui vont contribuer à les voir disparaitre au profit des vols commerciaux en avion : le Zeppelin LZ 129 pouvait transporter 50 passagers (et 70 hommes d’équipage !) à 100 km/h en consommant 70 tonnes de pétrole (Atlantique Nord). Quelques années plus tard un Boeing 747 (4 fois moins long que le LZ 129 !) transportait plus de 500 passagers à 1000 km/h en consommant 90 tonnes de pétrole.  

Aujourd’hui des développements sont en cours (Etats Unis, France, Angleterre) pour des utilisations très spécifiques de dirigeables pour transporter des charges lourdes ou éventuellement des passagers de la façon la plus écologique possible.  Le groupe britannique HAV avec son Airlander 10 et le groupe français Flying Whales avec son LCA60T sont en pointe. Ces dirigeables récents sont gonflés à l’hélium, gaz inerte.

En résumé force est de constater que si le ballon dirigeable a pu être utilisé comme moyen de transport de passagers au début du 20ième siècle il n’a pas eu le succès extraordinaire que l’avion ou l’hélicoptère ont eu quelques années plus tard. Cependant qui aurait prédit le succès actuel des voitures électriques alors que ce type de locomotion s’était très bien développé à la fin du 19ième siècle pour être ensuite développé de façon très marginale pendant le 20ième siècle (pour rappel la première voiture ayant dépassé les 100 km/h était une voiture électrique : La Jamais Contente et c’était en … 1899) ? On peut faire une constatation similaire sur le transport de fret par péniche qui se développe énormément de nos jours. Vous connaissez la motivation derrière ces mutations majeures : la diminution nécessaire de l’empreinte carbone des transports. 

Notre dirigeable pourrait ainsi se trouver un bel avenir ! 

Flying Whales simulation transport