08A - Anne P. Le Confinement
Très chère amie,
Compte tenu de l’expérience inattendue, que nous vivons depuis le lundi 16 mars ‘’20h’’, j’éprouve le désir de t’adresser cette lettre, comme l’aurait fait une certaine Madame De Sévigné, il y a quelques siècles…Rassure-toi, je ne prétends pas avoir son talent ! Figure-toi que la curiosité m’a poussée à regarder la définition du mot confinement dans le Larousse.
Je te retranscris exactement les termes du dictionnaire :
"Action de confiner, de se confiner dans un lieu ; fait d'être confiné.
Situation d'une population animale trop nombreuse dans un espace trop restreint et qui, de ce fait, manque d'oxygène, de nourriture ou d'espace.
Ensemble des précautions prises pour empêcher la dissémination des produits radioactifs, dans l'environnement d'une installation nucléaire. (L'enceinte de confinement d'un réacteur nucléaire est un bâtiment étanche entourant complètement le réacteur. C'est l'une des trois barrières placées entre les produits radioactifs et le public.)
Ensemble des conditions dans lesquelles se trouve un explosif détonant quand il est logé dans une enveloppe résistante."
Notre confinement ne rentre pas dans le champ de ces définitions, s’agissant d’une pandémie inconnue, il y a encore quelques mois.
Comme tu sais, Parisienne à mes heures, je décide dès le lundi 16 mars en début d’après-midi, à l’écoute des rumeurs annonçant ce confinement, d’émigrer vers ma petite maison perriéroise. En ce lundi, le temps est nuageux, le soleil absent. A mon arrivée à La Perrière, comme tu le sais, j’éprouve toujours le même plaisir : glisser la clé dans la serrure de la porte d’entrée un peu rebelle et me réapproprier ce havre de douceur et de paix. La fraîcheur m’accueille, s’ensuit la mise en route des radiateurs électriques et l’allumage du poêle. Je reprends possession de ma belle abandonnée. Autre félicité, le jardin. Monter les marches de l’escalier pour y accéder. Dès mon approche les grenouilles sautent dans la mare. Je m’avance impatiente d’apercevoir les poissons. Mais la fraîcheur les dissuade de monter à la surface et ils se confinent ! En cette mi-mars, j’observe le jardin émergeant de sa torpeur hivernale et s’éveillant timidement.
Constat troublant : la nature est au début de son éclosion printanière et pour nous êtres humains : repli forcé dans nos habitations. Que d’interrogations surgissent, ne trouves-tu pas sur cette situation ? Que ressens-tu sur ce sujet chère Carole ? Etrange sensation, d’interrompre tout lien social, à l’exclusion des liens téléphoniques ou numériques et de l’écriture !
Nos maisons de village, rue de la Juiverie à La Perrière, nous permettent de maintenir un lien de proximité. Certains de mes voisins ou voisines sont devenus des amis et nous pouvons échanger, la rue devenant notre terrain de rencontre. Un rituel se met rapidement en place, tous les soirs à 20 h, après les applaudissements d’usage, des discussions s’installent entre nous, à distance respectable. Parfois d’autres connaissances du village viennent se joindre à notre petite assemblée.
Tous ces jours écoulés me suggèrent une petite rétrospective sur notre confinement en ce lundi 4 mai. Nous entamons une septième semaine, c’est incroyable ! Stupéfaite par la rapidité du passage du temps ! A aucun moment une sensation d’ennui ne m’a effleurée, juste parfois un sentiment d’insatisfaction en rapport aux objectifs que je m’étais fixés et non tenus ! Le fil des jours s’est déroulé sereinement et dans l’apaisement, accompagné de la certitude que le temps m’était accordé sans limitation.
Quel bonheur de découvrir tous ces matins au réveil, un ciel d’un bleu azuréen et le soleil qui métamorphose la végétation. Mon jardin, en ce printemps naissant réclamait mes soins attentifs. Observation et réflexion sur les plates-bandes à restructurer et à réaménager… Ayant appris l’ouverture du jardiniste ‘’Villa Verde’’, je m’y précipite impatiente de découvrir les fleurs et les plantes qu’ils proposent. Hésitations sur mes achats, je les imagine dans l’environnement où je projette de les planter… Puis mes emplettes faites, je m’attelle aux plantations ! Une certaine fébrilité m’envahit ! A genoux sur un petit coussin, armée des ustensiles indispensables, je m’active à creuser des trous acceptables pour déposer du terreau et implanter fleurs et arbustes. Imagine-toi, la satisfaction ressentie à la contemplation du résultat obtenu.
Et toi, dans le midi à Oppède, j’imagine que la végétation est beaucoup plus avancée que dans le Perche ? As tu fait quelques plantations ? Tu m’avais parlé d’un olivier ? Ayant pu admirer celui qui avait émigré de mon balcon à Paris, vers la campagne, tu t’étais extasiée sur sa croissance tellement rapide… Tu m’en parleras lors de notre prochain entretien téléphonique.
Dès le début d’une journée, j’apprécie ce moment privilégié, ‘’je m’invite dans mon jardin’’. Ce rituel se reproduit plusieurs fois le même jour. Parvenant au sommet de l’escalier, Inévitablement à mon approche, les grenouilles réfugiées sur les rives verdoyantes, sautent dans la mare…Plusieurs plouf se succèdent. Cela me plonge dans une joie enfantine ! Pendant quelques minutes, j’admire les évolutions de mes poissons dans le bassin. Ensuite le tour du ‘’propriétaire’’ en toute modestie, ce n’est qu’un petit jardin ! Chaque jour je m’émerveille, surprise par la croissance rapide des fleurs et des végétaux… La nature sous les assauts du soleil prend son envol… Partout se dessine un diaporama de couleurs : le bleu des myosotis, le rose indien des œillets nains, le blanc ou le bleu violet de parterres de petites fleurs dont j’ignore les noms, le jaune des boutons d’or qui entourent la mare … Au fil des jours, j’observe impatiente le développement des bourgeons des pivoines, des rosiers. Ceux du rhododendron tardent à venir. En revanche, les hellébores surnommés ‘’roses de Noël ‘’se ternissent. Et puis un matin, éclosion des premières fleurs de pivoines, je suis émerveillée, ces fleurs me fascinent ! J’éprouve une attirance identique pour les roses. Je ne peux résister à la tentation de saisir mon sécateur et de couper une de ces merveilleuses fleurs qui ornera la maison. Selon tes confidences, tu éprouves le même désir d’enchanter ton intérieur.
‘’Tendre amie’’ ces moments privilégiés dans la nature et les soins apportés à mon jardin, me procurent un plaisir intense. La beauté à l’état pur, sans sophistication agit sur mon état d’âme. Dans cet état de solitude imposée, aucun sentiment d’angoisse ou d’anxiété ne me bouscule…Le temps se partage entre diverses activités : l’écriture personnelle, l’atelier en ligne dont je t’ai déjà parlé, mes lectures diverses : articles de journaux et livres. La découverte et l’écoute d’œuvres de musique classique me transporte dans des sphères mélodiques.
Autre moment de bonheur, m’allonger au soleil, avec un livre ou simplement laisser mes pensées voleter, attentive aux gazouillis des oiseaux.
Comme tu sais, la forêt de Bellême se trouve à quelques encablures du village et me permet de longues balades bénéfiques. Le confinement m’a donné le loisir d’observer de jour en jour l’émergence et l’éclosion du printemps dans cette forêt majestueuse. Que de fois, j’aime interrompre ma marche afin d’observer la cime des arbres se rejoignant amoureusement et s’agitant sous les assauts d’une brise légère. Recueillir et s’imprégner de la force qui émerge de cette nature bienveillante… sans oublier le concert du pépiement des oiseaux qui accompagne ma contemplation. Cette parenthèse de vie m’amène-t-elle à plus de réceptivité et d’attention envers la nature ?
Le jeudi et le dimanche, nous bénéficions d’une vente de pain bio à la ferme ‘’La Grande Suardiére’’. L’occasion d’une promenade en solitaire ou accompagnée dans notre belle campagne percheronne. Satisfaction de rapporter le pain pour plusieurs de mes voisines. Consigne de sécurité édictée par les propriétaires de ce lieu : le port d’un masque, obligatoire dans l’enceinte du magasin.
Le téléphone reste un lien essentiel…entre nous ! Plaisir de partager nos expériences de confinement avec ceux qui nous sont chers (dont tu fais partie ma très chère), s’enquérir de leur état de santé et leur prêter une oreille attentive.
Ces journées qui défilent à une allure stupéfiante, ne sont structurées par aucune contrainte extérieure. Le moment venu est vécu simplement et se décline en fonction de mes projections et aspirations personnelles. Le lien extérieur se limite à des achats de proximité, des promenades avec un ou une amie, et nos réunions de 20 h dans notre rue de la Juiverie. Par moment, je ressens un sentiment d’égocentrisme. Je suis dans l’apaisement mais enfermée dans une vie qui me ramène à ma seule personne. Éprouves-tu cette même impression ?
Ma chère, je m’interroge sur la fin de ce confinement, comment allons-nous réagir et l’appréhender ? Inutile de te préciser, que je me réjouis à la pensée de nos futures retrouvailles et du plaisir de t’accueillir à nouveau à La Perrière !
Anne P.