Le projet

Contexte


Amin Malouf (Groupes des Intellectuels pour le dialogue interculturel) affirme que « la diversité linguistique constitue un défi salutaire pour l’Europe ». Au Conseil Européen de Barcelone, l’importance et les avantages du multilinguisme en Europe ont été mis en évidence, tout comme l’engagement de la communauté européenne à offrir des outils éducationnels pour renforcer et soutenir l’éducation multilingue dans tous les pays européens. L’intensification de la mobilité et de la migration en Europe dans les dernières décennies ajoutent une dimension d’urgence au multilinguisme inhérent du continent, en augmentant la diversité linguistique et le contact des langues.

Dans ce contexte, un domaine d’étude assez peu exploré mais d’une grande importance est représenté par les Langues d’Héritage (LH). Comme définis dans Valdes 2000, Benmammoun et al 2013, Polinsky 2018, LH sont des langues apprises et parlées en dehors des frontières du pays d’origine, dans un contexte où elles ne sont pas la langue majoritaire de la société. Les enfants acquièrent ces langues à la maison, avec leur famille et éventuellement les baby-sitters, mais ils deviennent plus fluents dans la langue majoritaire du nouveau pays. Ce sont des bilingues précoces avec un profil spécial, dans la mesure où la langue majoritaire (qui compte comme leur L2) est dominante, tandis que la grammaire d’héritage (la L1) est plus faible, et on peut observer des phénomènes comme le transfert bi-directionnel.

 

Pertinence de la thématique


L’importance d’étudier les LH s’accroit de nos jours, étant donnés les mouvements accrus de populations dans le monde contemporain. Il est important de noter que plus d’un quart des enfants des grandes villes européennes sont des locuteurs d’une LH. Il est urgent d’offrir aux futurs citoyens européens des outils linguistiques pour devenir des adultes multilingues et être chez eux dans un monde multilingue. Pour cela, l’étude des LH est un enjeu crucial. Etre un locuteur d’une langue d’héritage (LLH), c’est être le locuteur d’une langue en danger, puisqu’il suffit de deux générations pour qu’une langue s’éteigne. En outre, une partie importante de ces LLS ont aussi des problèmes linguistiques et d’intégration, comme le montre Chomentowski (2009).

L’intérêt de cette thématique est en même temps théorique, sociolinguistique et pédagogique. Du point de vue théorique, les LH fournissent une fenêtre intéressante vers l’acquisition à la fois des L1 et des L2, et vers le contact des langues. Les caractéristiques des grammaires d’héritage sont le transfert à partir de la langue dominante mais aussi d’autres phénomènes généraux qui peuvent apparaître dans le processus de créolisation. Il est important de regarder les propriétés qui sont maintenues ou supprimées dans la grammaire d’héritage, pour mieux comprendre les phénomènes d’attrition et de changement linguistique. Du point de vue sociolinguistique, ce domaine d’étude offre de nouvelles variétés à étudier et une façon de mieux comprendre le multilinguisme à petite échelle. Du point de vue pédagogique, la préoccupation pour les LH est importante afin de développer des curricula nouveaux et adaptés dans l’enseignement des langues.

L’importance des LH se reflète dans la diversité de programmes développés aux Etats-Unis (cf. https://www.cal.org/heritage/research/briefs.html ). Dans les dernières années, UCLA a organise un Institut d’été sur la question, réunissant des chercheurs du monde entier. En Europe, pourtant, la recherche sur les LH est encore à ses débuts. On peut mentionner deux projets en cours : Helping à Tromsoe (https://site.uit.no/castl/2018/11/19/a-major-new-project-at-castl-led-by-jason-rothman/) conduit par Jason Rothman, et l’ERC Microcontact à Utrecht (https://microcontact.sites.uu.nl/), par Roberta d’Alessandro. En France, l’unique projet sur la question a été coordonné par Hamida Demirdache à l’Université de Nantes & CNRS LLING au sein du projet Advancing the European Multilingual Experience/ ATHEME, 2014-2019, (https://www.atheme.eu/). Pourtant, pour des raisons déjà mentionnées, l’étude des LH en Europe est un but de recherche important et précieux. La densité et la variété des langues parlées sur le continent, tout comme la multiplicité du contact linguistique fait de l’Europe un immense laboratoire pour la compréhension de la variété linguistique et l’évolution dans le contexte de la migration. Travailler sur ce thème en linguistique, en identifiant les zones sensibles dans la grammaire équivaut à une meilleure compréhension de la dynamique linguistique au niveau social et individuel, et poser les bases pour le développement de nouveaux curricula.

 

Objectifs et directions de ce projet


Ce projet se propose de réunir des chercheurs européens dans les divers domaines de la linguistique (linguistique théorique, psycholinguistique, sociolinguistique et didactique des langues) qui travaillent sur les LH, pour apporter une nouvelle lumière à propos des propriétés des grammaires des LH parlées en France et en Europe. Les domaines d’expertise incluent la syntaxe et la morphosyntaxe, la psycholinguistique, l’acquisition, et la sociolinguistique.

Nous prêtons une attention spéciale au roumain, qui est une langue parfaite à étudier dans ce contexte, à cause de l’intense immigration récente vers beaucoup de pays de l’Europe, ce qui donne lieu à de nouvelles variétés de roumain sous l’influence de beaucoup de langues majoritaires comme le français, l’allemand, l’anglais, le néerlandais ou l’italien. Pourtant, nous n’excluons pas l’étude d’autres LH, tout particulièrement en France et en Allemagne. En particulier, l’un de nos objectifs et de comparer les LH romanes dans des contextes similaires, pour chercher des tendances générales de développement.

Nous avons commencé l’étude du roumain d’héritage en France et inventorié les domaines grammaticaux vulnérables. Nous étudions en particulier, entre autres :

- les subordonnées relatives

- le marquage différentiel de l’objet

- les noms déverbaux

- les participes

- les périphrases verbales

- les sujets nuls

- le marquage du Cas

- l’accord

- la flexion verbale

A travers nos études, nous contribuons à identifier les domaines des grammaires d’héritage qui peuvent donner lieu à l’érosion ou à l’attrition, et aussi à inspirer de nouveaux curricula pour les LLH.

Nous menons des enquêtes sociolinguistiques sur la connexion entre la transmission des LH et l’intégration. 

 

References

Benmamoun, E, S. Montrul & M. Polinsky. 2013a. Defining an “ideal” heritage speaker: Theoretical and methodological challenges. reply to peer commentaries. Theoretical Linguistics 39(3-4). 259–294. http://dx.doi.org/10.1515/tl-2013-0018.

Benmamoun, E., S. Montrul, and M. Polinsky. 2010. Prolegomena to heritage linguistics. White paper, Harvard Univ.

Brinton, D. M., O. Kagan, and S. Bauckus, eds. 2008. Heritage language education: A new field emerging. New York: Routledge.

Chomentowski, M. 2009. L’échec scolaire des enfants de migrants. L’illusion de l’égalité. L’Harmattan.

Polinsky, M. 2018. Heritage Languages and Their Speakers. Cambridge University Press.

Valdés, G. 2000. Introduction. In Spanish for native speakers, volume i. 1–32. New York, NY: Harcourt College.