A partir des attentes des familles, quelle cooperation?

A partir des attentes des familles, quelle cooperation ?

A partir des attentes des familles, quelle coopération ?

L’Unafam est une association de familles de malades psychiques qui travaille coude à coude avec Fnap-psy, l’association des usagers de la psychiatrie. L’intérêt que les professionnels de Santé Mentale portent aux familles est en nette croissance depuis quelques années. En témoigne le nombre d’ouvrages parus sur la question ainsi que le nombre de colloques. Actuellement il devient fréquent que les organisateurs de colloques, à côté des points de vue des professionnels de la psychiatrie, incluent le sujet des familles, et nous sommes de plus en plus sollicités pour intégrer des commissions ou l’on prend des décisions.

Cependant, je ne voudrais pas être trop naïf: cette évolution contraste souvent dans la pratique avec des nombreuses difficultés dans l’établissement d’une collaboration avec la famille de la part des équipes sociales et de soin. Il existe encore souvent des positions de méfiance, d’indifférence, voire de rejet ou d’intrusion dans la collaboration. Il continue à y avoir des équipes sociales ou de soins qui désignent la famille comme la cause principale du trouble psychique ou qui pensent qu'elles n’ont à s’occuper que du patient et que de lui. Certains, par attitude corporative, traitent péjorativement l’Unafam comme un pur lobby. Oui, peut être le sommes-nous, mais arriver à constituer un groupe de bénévoles pour lutter contre la souffrance dans le milieu familial constitue quelque chose qui devrait enthousiasmer les psychiatres et les équipes soignantes. Pourquoi n'est-ce pas plus souvent le cas ?

D’autre part, du coté des familles nous devons admettre aussi une grande complexité: Il existe des familles démissionnaires qui essayent d’oublier la personne en souffrance ou, dans l’autre extrême, des familles très fusionnelles. Il y a des personnes atteintes de graves troubles psychiques qui ne souhaitent pas un partenariat avec leurs familles. Nous rencontrons aussi des familles qui ont des attentes disproportionnées en rapport avec les possibilités de la personne atteinte.

Quoi qu’il en soit, je pense que les familles d’Unafam se retrouvent beaucoup dans les paroles de Guy Baillon, dans son dernièr livre, Les usagers au secours de la psychiatrie, quand il affirme que redonner la validité permanente à la parole des usagers et des familles provoque un changement presque révolutionnaire dans le milieu psychiatrique et médico-social. Il donne un exemple très illustratif:

Donner aux usagers d’un GEM les clés de leur local veut bien dire que les responsables ne s’intéressent pas au handicap psychique des membres du GEM, mais à la responsabilité de chacun, cela change le rapport que les usagers portent sur eux mêmes: les personnes peuvent apprécier la réalité du handicap psychique comme une réalité qui les concerne mais ne les invalide pas en totalité, ils peuvent prendre de la distance par rapport a cette réalité et ils peuvent s’y référer sans être diminues. Les mêmes effets bénéfiques se déclenchent quand une famille est vraiment prise en compte.

J’essaierais, donc, d’énumérer quelques points qui sont au cœur des attentes formulées par des familles d’Unafam et qui pourront vous donner une idée des rêves et espoirs qui animent notre association, des nos objectifs en vue a établir une vraie coopération avec les professionnels de santé mentale.

1. Coopération des le premier moment : intervention a domicile.

L’évènement de troubles psychiques graves chez un proche c’est presque comme un tremblement de terre. Dans ce type d’accidents on met une cellule de crise, une équipe de psychologues pour aider les victimes. Pourquoi pas dans les crises psychotiques ? La famille devant la crise reste paralysé, traumatisé et choqué comme devant un événement brutal et imprévu. L’organisation de la prise en charge des urgences psychiatriques est souvent inadaptée aux situations rencontrées. On laisse souvent pourrir la situation et on ne répond pas à l’alarme et à la détresse des familles. Ont ressent même que quelques professionnels se passent la « patate chaude ».

Pour nous, la coopération doit se mettre en place des le premier épisode psychotique. Un certain nombre de travaux récents insistent sur le fait que la manière dont les équipes médicales et sociales se positionnent, concernant les premiers contacts et l’organisation des soins, semble avoir un grand impact dans le long terme sur l’expressivité des troubles et sur les réponses positives ou négatives du patient et sa famille. L’application de stratégies d’intervention précoce a tendance à alléger le trauma, à éviter que nouvelles crises arrivent, à réduire les hospitalisations et, surtout, a une influence bénéfique sur la maladie. Le fait de coopérer dès le premier moment avec le patient et la famille peut même représenter un aspect primordial du traitement. Une intervention précoce au moment et sur le lieu d’émergence est très utile pour nous, les familles, car implique la prise en compte de la dimension de la personne malade et de celle de la famille et de son environnement. Dans le cadre de cette intervention précoce à Australie et au Canada la famille est intégrée et participe complètement à la prise en charge. Elle reçoit une formation sur les aspects médicaux et sociaux de la psychose, et, surtout, sur la gestion du stress.

C’est dans ce contexte qu’une de nos priorités est la demande de la création d’une Equipe mobile d’intervention en cas de crise. Les équipes mobiles expérimentées dans certains départements de la France supposent une prise en charge en urgence à domicile avant que la situation se détériore complètement. Elles proposent une orientation aux familles en grande détresse, et un service post urgence pendant un mois, réalisant ainsi une alternative à l’hospitalisation lorsque possible.

2. L’annonce délicate de la maladie dans un vrai dialogue.

Quelques familles d’Unafam ressentent une violence extrême dans la façon de leur formuler l'annonce de la "maladie" par un psychiatre ou membre de l’équipe soignante. Cette annonce, d'après ce qu'en rapportent certaines familles, leur a été faite brutalement : un mot, une phrase au plus, sans que les soignants aient ouvert le moins du monde un dialogue, comme si cette nouvelle était banale, facile à entendre et à accepter, osant aussi rajouter que le « pronostic » (ce que représente l'avenir), était très mauvais, gravissime ; un avenir fait de déchéances et de dégradations : apprendre que très probablement son enfant va être amené à arrêter ses études, à limiter son périmètre de marche à sa chambre, lorsque l'on a rêvé simplement une réussite ou une intégration normale pour cet enfant, tout cela est brutal, violent; c'est insupportable. Souvent la réaction c’est un sentiment de honte qui entraine un retrait de la famille, un repli sur soi, un avenir de vie en cachette à l'écart des autres.

Dans l’extrême contraire beaucoup de familles se plaignent que personne ne leur a posé un diagnostic et qu’ils ont dû découvrir parr eux mêmes, en flânant par ci ou par là, souvent sur internet, par exemple, les enjeux de toute la problématique.

Soit pour un « non-dit », soit pour un dire brutal, l’annonce de la maladie psychique, constitue pour la famille l'atteinte la plus grave portée contre tous ses désirs, contre tous ses espoirs, contre tous ses efforts, contre les sens et les idéaux qui habitent toute transmission générationnelle depuis la nuit des temps et qui font de la maladie psychique, dite pendant des siècles « folie », la pire des choses qui puisse arriver. Elle est vécue à la fois comme une blessure et comme une faille de la responsabilité des parents depuis si longtemps engagée. Nous, les familles, nous arrivons à nous sentir indignes de notre rôle humain, puis atteints dans notre rôle de parents dont la première tâche, après avoir donné naissance à un enfant, est de le protéger de tout mal. Nous avons l'impression que la psychiatrie et les équipes sociales n’ont pas saisi encore toute l’étendue du problème, et n’ont pas été formées pour trouver les mots et développer un savoir faire pour dire les choses avec justesse et humanité et pour accompagner la détresse de l’entourage de la personne malade. Nous sommes convaincus, par la propre expérience des familles qui ont eu la chance de trouver des équipes bien préparées à cette issue, que cet accompagnement est une partie très importante et nécessaire de l’acheminement vers la guérison ou amélioration de la personne atteinte de troubles psychiques.

3. La prise en charge et l’accompagnement des familles.

A l’Unafam nous disons toujours qu’il faut aider la famille non pas parce que son dysfonctionnement serait la source de la crise de la personne malade, mais parce que la crise de la personne malade est aussi une crise familiale.

Quand la maladie se déclenche très souvent nous, les familles, avons du mal à dire ce qui nous arrive, a mettre des mots sur les changements et le comportement du proche. La perturbation est telle que le désespoir ronge tout le monde, chacun étant dans l'incompréhension de ce qui arrive et de ce que cela entraîne. Si au moins à ce moment-là quelqu'un était disponible et pouvait entamer un dialogue pour écouter avec discrétion, pour désamorcer un peu les angoisses... Comme dirait le psychiatre Guy Baillon : « Hélas aujourd'hui encore, rares sont les psychiatres qui comprennent qu'il y a urgence aussi autour des parents, lors du début d'un trouble chez un membre de la famille, rares sont ceux qui se montrent disponibles aux... parents, et qui « tout simplement » prennent du temps pour écouter cette tempête ! » On dirait que les psychiatres n’y sont pas préparés.

L’évènement des troubles psychiques graves chez un proche est vécu comme un long deuil pour les familles. Nous découvrons a L’Unafam que nous, les familles, passons par les étapes de négation, colère, dépression, acceptation et, à nouveau, projection vers l’avenir. Accompagner les familles, dialoguer, établir des liens avec nous, c’est nous aider en quelque sorte à franchir le pire de ces étapes, c’est nous inviter à évoluer, à sortir d’une souffrance paralysante et retrouver un rôle actif. Les échanges fréquents des familles avec une équipe soignante ou d’aide sociale peuvent les amener à s’investir autrement, à se revaloriser par la découverte de leurs capacités d’aide.

4. Libérer autant que possible les familles de son sentiment de culpabilité

S’il n’y à pas cette prise en charge de l’entourage, nous, les familles, nous installons souvent dans un sentiment de culpabilité très tyrannisant. Trop de familles trouvent la réponse à ce sentiment moyennant une autopunition, en prenant un grand « fardeau » sur le dos. Les professionnels ont un grand pouvoir pour augmenter ou diminuer ce sentiment de culpabilité. Bien souvent ce sentiment se déplace vers des « prix à payer » inhumains, des « sacrifices à s'octroyer ». C'est ainsi que des fratries se voient sacrifiées au « bénéfice » du patient pour se faire pardonner par l'enfant malade, lequel en fait ne comprend pas l'enjeu. Si le sentiment de culpabilité est diminué, les familles peuvent se projeter dans l’avenir, entrer dans une démarche créatrice et laisser la porte ouverte aux joies ordinaires de la vie. Ce faisant elles peuvent trouver des issues plus saines à leur souffrance. Il ne s'agit en rien de laisser de côté l'enfant malade, mais seulement de s'ouvrir à des créations auxquelles il est toujours possible de le faire participer.

5. Vaincre définitivement le dogme de la psychiatrie d’une bonne part du XX siècle: la séparation du malade de la famille.

L’agressivité que quelque fois nous découvrons entre l’institution psychiatrique et l’institution familiale remonte sans doute à plusieurs causes. Elle était commune il y a quelques décennies. Aujourd’hui elle est plus facilement tempérée, comme nous l’avons remarqué au début, mais n’empêche que cette attitude du passé continue à avoir des influences.

Tous les anciens membres d’Unafam nous rapportent que les psychiatres, presque sans exception, leur disaient qu’il fallait séparer le malade de son milieu. Puisque les troubles étaient apparus « dans la famille » et paraissaient s'y développer, la cause était entendue, le milieu familial était certainement pathogène, responsable de l'émergence des troubles.

Je ne veux pas faire le rapport des relations entre psychiatrie et famille: les relations entre les deux institutions sont assez complexes: De Pinel à Freud les auteurs ont insisté sur l’influence pathogène que peut exercer la famille sur l’enfant. Suffit de rappeler l’opinion de Pinel au XIX siècle au moment où se constitue l’asile, pour constater que pendant le XX siècle, la psychiatrie a beaucoup évolué : « Il est doux si doux en général pour un malade d’être au sein de sa famille et d’y recevoir les soins et la consolation d’une amitié tendre et compatissante, que j’énonce avec peine une vérité triste mais constatée par l’expérience la plus répétée, la nécessité absolue de confier les aliénés à des mains étrangères et de les isoler de leurs parents ».

Cette attitude devenue dogmatique n'avait plus besoin d'explication supplémentaire, et comme toute habitude, même si théoriquement elle n’est plus un dogme, elle s'est prolongée jusqu'à maintenant dans de nombreuses institutions. Aujourd'hui encore l'attitude de bien d’équipes soignantes est un réflexe de la vielle psychiatrie : si le malade a besoin d'être soigné, l'hospitalisation est le seul soin, et si l'hospitalisation n'est pas nécessaire, il faut que la famille fasse « tout ce qu'elle peut » pour que la personne malade reste dans son sein. Soit hôpital soit famille mais pas de coopération. La seule façon de sortir du binôme hôpital/famille c’est d’essayer de développer des alternatives qui étayent autant que possible l’autonomie du patient, qui avant qu’un « patient », un « client » ou un « enfant » à nous, ne l’oublions pas, est une personne qui doit faire sa vie. Soigner c’est s’intégrer à la cité au-delà de la famille et de l’hôpital.

6. Humilité, transparence et horizontalité.

De par mon rôle dans l’association Unafam j’ai eu le privilège d’assister à des grosses bagarres entre psychiatres, à des réactions très agressives et défensives de la part des uns et des autres. Quand dans les familles les gens ont des telles réactions, les services sociaux et les équipes soignantes collent immédiatement le mot « dysfonctionnel ». Ce spectacle m’a permis de désacraliser le psychiatre et de le voir d’une façon beaucoup plus réaliste, c’est à dire, comme un médecin spécialisé qui a des savoirs sur les pathologies mais, qu’en dehors de la pratique clinique, est en proie à toutes les difficultés qui surgissent dans le domaine social, que ce soit au cœur des institutions où ils font leur métier ou dans les relations toujours mutantes et par cela peu rassurantes avec les autres institutions, y compris les familles, pouvoirs publics et autres services. Eh oui, disons-le : il n’y a pas que les familles qui ont besoin d’être rassurées, de créer des alliances et trouver des lieux d’échange, car nos sociétés démocratiques deviennent de plus en plus complexes et par ce fait la prise de décisions concerne un nombre croissant de personnes sur lesquelles il nous faut pouvoir compter, ne serait-ce que pour faire des choix éclairés et consensuels.

D’autre part en tant que familles soyons honnêtes : la rencontre avec la psychose concernant un de nos êtres chers nous met à mal, elle nous oblige à réviser un bon nombre de nos jugements les plus profonds. Notre première réaction à tous est, soit de refuser et de vouloir l'ignorer, soit de transformer ce choc en agressivité vers les psychiatres, vers les assistants sociaux, vers tel ou tel de nos proches… Et pour les médecins et les soignants bien qu’ils aient un peu plus de recul et qu’ils soient formés à ça, la tache est loin d’être simple, car il y a toujours des tensions et des imprévisibilités. C’est n’est pas une mince affaire que de travailler avec des personnes excentrées par sa pathologie et d’essayer de leur tendre des perches pour qu’ils restent au cœur de la société. Cette tâche mobilise non seulement les connaissances des soignants mais aussi ses sentiments, ses émotions, les fibres humaines qui nous constituent nous tous.

Cela veut bien dire que la psychose mobilise et bouleverse profondément les différents protagonistes, plus que chacun ne le croit ; le souligner nous aide tous constamment.

Tout change complètement quand nous tous, une famille, un proche malade, un thérapeute, un assistant social, un psychiatre, sommes capables d’instaurer entre nous une relation humaine ; quand par exemple un psychiatre reconnaît devant les familles ses fragilités, ses difficultés et ses doutes ; quand nous essayons de sortir nos relations des rapports de pouvoir… alors nous inaugurons un chemin enrichissant pour tous.

7. Alliance et partenariat avec les familles.

Beaucoup de familles ont le sentiment d’être insuffisamment prises en considération, ou bien considérées comme rejetantes, ou encore pathogènes, alors que les familles possèdent des compétences et des savoirs uniques sur l’observation des manifestations de la maladie dans la vie quotidienne. C’est un grand gâchis de mettre les familles en accusation et en position défensive. Quelles forces on pourrait libérer si la psychiatrie et les services sociaux impliquaient les familles et les mettaient du coté de la solution et non pas du problème !

Pour cela est indispensable une sorte d’alliance thérapeutique et sociale. Il faut nous joindre. Ensemble, professionnels et familles doivent poursuivre le même but ou les mêmes intérêts, afin de construire des liens et de faire un chemin commun. Cette alliance permet d’aborder la question clé de l’autonomie de la personne avec des troubles psychiques, celle de la mobilisation de l’entourage, et de passer en fin d’une logique individuelle à une logique collective.

Cette alliance donne aussi plus de chances pour l’évolution de la personne en souffrance. Par exemple, un des lieux communs des familles d’Unafam est que les personnes hospitalisées sortent de l’hôpital sans concrétiser aucun projet. « Vous venez le chercher et après il peut aller à l’hôpital de jour ». Des retours en milieu familial insuffisamment préparés réintroduisent rapidement le conflit entre le patient et sa famille. Par contre, les projets élaborés avec les patients ont d’autant plus de chance de se concrétiser si la famille y a participé ou en a été informée.

En conclusion à l’Unafam nous résumons nos attentes de coopération autour de 6 grands axes : ( 1 ) les soins, ( 2 ) les ressources, ( 3 ) le logement, ( 4 ) l’accueil et l’accompagnement, ( 5 ) si nécessaire, la protection juridique, ( 6 ) si possible, des activités. Ainsi que la continuité des soins et les visites à domicile comme réponses à la «non demande », car malheureusement, trop souvent, le patient refuse tout soin.

Un des grands enjeux aujourd’hui est le dépassement du clivage entre famille, patient, équipes soignantes et secteur social et médico-social.

Si le XXème siècle a permis de passer d’un modèle de «pathologie» de la famille à un modèle de compétence de la famille, nous espérons que le XXI siècle sera la construction d’un vrai partenariat entre tous les acteurs, car toujours une seule catégorie professionnelle, une seule institution, un seul champ de pensée, seront insuffisants pur faire face à des troubles psychiques si complexes.

Jordi Corominas en représentation d ‘Unafam 47.