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2me partie - Opinion, au 5 mai 2024, sur le litige opposant HYBE et Min Hee-Jin, CEO d'ADOR

Temps de lecture 

20 mn

7 mai 2024

😁

Avertissement : pas de disclaimer pour ce qui va suivre. J'assume totalement !

Manipulation


A l’époque où j’ai commencé l’écriture d’Idoles, il m’avait semblé important de décrire les débuts du procès des JYJ contre la SM en termes juridiques et financiers, car les premiers épisodes du litige, incluant aussi des questions de prises de participation dans une entreprise, valaient leur pesant de cacahuètes. Erreur… le verdict de mes premiers lecteurs-test fut sans appel : « On ne comprend rien… » OK. J’ai supprimé. Cela m’a obligé à me focaliser sur d’autres éléments ; dommage, mais au final, il y avait tant à dire que ce n’était pas si grave.

Mais dans les circonstances actuelles, si. C’est grave.

Pardonnez-moi d’être un peu brutale. Un des gros points forts de la K-Pop, c’est l’engagement absolu de ses fans. Et son plus gros point faible, c’est ce même engagement, avec un manque de clairvoyance qui me fait parfois bondir. Non pas que je sois incapable de comprendre le malheur des fans désespérément en recherche de cohérence, bien au contraire, ayant moi-même souvent partagé cette forme de détresse face à l’actualité parfois inextricable.

Mais avant de porter un jugement, allez donc d’abord chercher l’information là où elle se trouve, au lieu de la réinventer.

Je comprends que la lecture du Korea Times, ou du Korea JoongAng Daily, dont les articles sont tous traduits en anglais sur cette affaire, ne soit pas forcément facile pour les plus jeunes. L’effort serait pourtant salutaire, et leur apporterait à la puissance dix toutes les informations qu’ils ne trouveront ni sur TikTok ni à la lecture d’AllKpop.

Je comprends aussi que la conférence de presse de Min Hee-Jin a duré deux heures, et que bien peu de fans de K-Pop, intéressés ou non par le sujet, auront eu la patience de l’écouter.

Je comprends surtout que toutes les informations relatives à des manipulations financières soient particulièrement ardues quand on ne s’y connait pas.

Mais il existe désormais un grand nombre de publications, presse ou vidéos, pour décrypter cette affaire, alors abstenez-vous de porter un jugement avant d’être allé y faire un tour… 

 

Non, le récent communiqué de presse de HYBE, en réponse aux accusations, n’est pas simplement formaté par ses « sbires » pour éviter à Bang Si-Hyuk une confrontation directe, comme je l’ai lu. En fait, il est surtout l’annonce claire et nette d’une action future devant les tribunaux.

Non, Min Hee-Jin n’est pas la malheureuse créatrice à qui l’on tente de voler son projet. On ne lui a rien volé du tout, elle a juste eu les dents un peu trop longues. Et si elle perd demain tout le fruit de son travail, ce ne sera que de sa faute…


Les NewJeans / le duo Tvxq – K-selection – article du 2 mai 2024

« Slave contract »

La semaine dernière, un article du journal en ligne K-Selection, et surtout la photo qui l’accompagne, m’ont fait sortir de mes gonds ! J’ai failli vous donner le lien, mais en fait non, ça ne le mérite même pas.

 

Bien sûr, toute cette histoire fait écho à d’autres grands procès de l’industrie musicale coréenne, et ma lecture des commentaires sur les réseaux me rappelle furieusement mes riches heures passées à éplucher une à une toutes les publications sur le procès TVXQ.

Mais la comparaison s’arrête là. Et lorsque Min Hee-Jin se mêle de reprendre le terme « slave contract »*, agité comme un chiffon rouge, et que la presse rappelle le procès TVXQ/JYJ, pour l’appliquer à la situation de dépendance de la productrice face au groupe HYBE, c’est moi qui crie au scandale ! Un hors sujet total pour lequel j’aurais même été prête à pardonner que la SM porte plainte, si cela ne les avait pas fait sourire.

*Slave contract : c’est quoi exactement ? Un terme utilisé dans l’industrie musicale pour désigner un contrat de travail par lequel l’artiste est redevable des sommes investies pour son lancement, à une hauteur telle que le fruit de son travail ne peut les compenser. Il ne peut pas rompre ce contrat tant que les sommes restent dues. Le salaire versé reste le plus bas possible, tout profit réalisé servant à compenser la dette. Cette pratique est illégale. Ce type de contrat a fréquemment été utilisé dans le monde de la K-Pop, particulièrement pour les artistes des 1er et 2e générations. Enfin, je vous dis ça, mais vous n’avez qu’à lire mon livre sur l’histoire des TVXQ si vous voulez en savoir plus !

Eh, les jeunes, cessez donc de vous faire manipuler ! N’allez pas défendre des escrocs sous prétexte qu’ils vous rappellent furieusement d’autres situations passées, d’autres combats, qui valaient la peine d’être menés. Mais pas celui-là.

Si cette affaire est portée devant le grand public, c’est uniquement pour vous voir prendre parti, sans discernement, pour l’un ou l’autre camp, dans un combat symbolique totalement fantasmé. La pauvre créatrice malmenée par les tout-puissants du business ? Ne perdez pas votre temps. Cette lutte n’existe que dans l’esprit des médias à scandale, pour votre divertissement.

Avez-vous seulement compris que Min Hee-Jin risquait aujourd’hui des poursuites judiciaires sévères ? Savez-vous qu’en France, un abus de confiance est passible de cinq ans de prison ? La loi coréenne est moins claire, et, comme l’ont dit ses avocats, le crime n’a pas encore été commis.

Imaginez que l’on vous confie les clés d’un magasin, et qu’après en avoir assuré la bonne marche pendant un temps, vous décidez soudainement de le piller et de partir avec la caisse. Si vous êtes pris la main dans le sac, vous pourrez toujours essayer de pleurer misère pour expliquer que vous n’aimez pas votre patron, cela n’y changera pas grand-chose.

A l’inverse, la seule chose qui soit véritablement reprochée à HYBE aujourd’hui, c’est la complexité de son système de labels indépendants, sans lequel ce dérapage ne serait pas arrivé. Il n’existe aucun autre motif pour leur reprocher juridiquement quoi que ce soit, même s’il est assez probable qu’ils seront désormais tenus d’examiner d’un peu plus près avec qui ils souhaitent travailler, avant de les laisser agir en toute liberté à la tête d’une filiale.

Min Hee-Jin n’a pas besoin d’être secourue, du moins pas dans le sens où vous l’entendez.

N’y a-t-il pas quelque chose de profondément indécent à accuser HYBE de lui avoir imposé un slave contract, la pauvre chérie, alors que, dans son sillage, cinq jeunes filles de seize à dix-neuf ans risquent demain de se retrouver laissées pour compte, ou encore baladées de label en label sans aucune possibilité, faute d’expérience, de prendre seules leur carrière en main ?

Suivez-vous les NewJeans ? Si c’est votre préoccupation, souvenez-vous pourquoi, en son temps, vous avez critiqué Min Hee-Jin et les débuts de jeunes filles mineures. Ce que vous aviez redouté est en train de se dérouler aujourd’hui.

Dans ces métiers d’artistes de scène, qui ne reposent que sur l’être humain, la pression psychologique et affective est par nature considérable. S’il est préférable d’éviter à des mineurs vulnérables d’en porter le poids, c’est justement parce que des situations destructrices comme celle-ci peuvent se produire. Ce n’est pas très grave tant que tout va bien et que les mineurs sont protégés – couvés, même, comme Min Hee-Jin l’a fait. Mais que faire si le cocon vole en éclat, prématurément ?  Pire, si la personne en qui vous avez confiance se révèle détraquée et inapte à tenir le rôle ?

Cessez donc de débattre sur ce qui n’en vaut pas la peine ; réfléchissez plutôt à l’avenir de ces jeunes filles. Sans Min Hee-Jin, c’est là la vraie question. 

NewJeans - Minji, Hanni, Danielle, Haerin and Hyein


 

L’après Min Hee-Jin ?


Si Min Hee-Jin porte le litige devant le grand public aujourd’hui, ce n’est pas seulement pour blanchir son honneur, comme elle le dit, c’est que sa meilleure chance de ne pas être condamnée est encore de faire valoir qu’elle reste indispensable aux jeunes filles, et que son départ provoquerait un boycott de NewJeans qui pourrait être fatal au jeune groupe.

Par ailleurs, oui, les cinq demoiselles de NewJeans ont aujourd’hui toutes les cartes en main pour demander la rupture de leur contrat pour cause de départ de leur créatrice. Il est possible qu’elles le fassent, car leur attachement – le leur – à leur productrice est sincère. Mais on ignore si l’argument serait recevable devant un tribunal. Et étant donné leur jeune âge, et les manipulations dont elles pourraient être victimes, je ne suis pas sûre qu’HYBE les laisserait quitter ADOR aussi facilement.

Est-il possible de conserver Min Hee-Jin dans ses fonctions ? Je n’y crois pas. D’abord parce que la relation avec HYBE s’est dégradée jusqu’au point de non-retour, et que Min Hee-Jin ne souhaitera probablement pas poursuivre son travail dans un environnement hostile. Ensuite parce que les multiples contrôles auxquels elle devrait se plier ne satisferont certainement pas son besoin d’indépendance. D’ailleurs, serait-il vraiment possible de l’encadrer de manière suffisamment sévère pour que d’autres incidents du même genre ne se reproduisent pas dans le futur ? Je n’y crois pas non plus.

Que dire de la dépendance affective entre Min Hee-Jin et les NewJeans ? Ceux qui refusent de prendre parti pour elle aujourd’hui en réfèrent souvent à une relation malsaine, l’exploitation de l’innocence de filles trop jeunes, le goût prononcé de la productrice pour les très jeunes gens et les concepts sexy qu’elle n’a pas peur de leur imposer, aujourd’hui chez ADOR, autrefois chez SM Entertainment. « Elle me met mal à l’aise » est un commentaire qui revient souvent sur les réseaux.

Lee Taemin, sous la direction artistique de Min Hee-Jin, en 2012. Il avait dix-neuf ans. J’ai choisi une des photos qui me choquent le moins, par respect. Je n’avais même pas envie de l’uploader  ici…Toute la série était dans le même goût, pour la sortie de l’album Sherlock des SHINee, et avait déjà fait polémique.

Aujourd’hui, il y a un peu plus que cela qui me met mal à l’aise. Les NewJeans ont-elles désespérément besoin d’être encadrées par une personne telle que Min Hee-Jin ?

Désolée pour ceux qui croient encore au lien sacré de propriété artistique entre NewJeans et sa conceptrice. Lorsque l’on est inapte à gérer de manière rationnelle la carrière d’un artiste, il est assez normal de s’en voir retirer la responsabilité.

Mais qui va demain prendre en charge les NewJeans, si Min Hee-jin est démise de ses fonctions ?

Une situation déjà anticipée par HYBE qui se veut rassurant et a affirmé qu’un soutien affectif et psychologique particulier serait apporté aux jeunes filles. Cette déclaration-là, je l’ai attendue, et je n’aurais probablement pas écrit la même chose si HYBE ne l’avait pas faite.

Oui, il  est assez probable que HYBE souhaite que les NewJeans continuent d’exister, confiées à d’autres producteurs. 

Cela peut paraître assez cynique, mais les ressources artistiques ne manquent pas au sein du groupe.  (Ne croyez pas que j’abuse, sur YouTube, les fans sont déjà en train de d’avancer les noms des créateurs et chorégraphes qui pourraient convenir à NewJeans.) Sans compter que la directrice artistique d’ILLIT, qui semble détester cordialement Min Hee-Jin pour des raisons que l’on ignore, a démontré que le concept des NewJeans n’était pas si inimitable que cela.

En bref, il n’est pas impossible du tout que les NewJeans survivent à Min Hee-Jin. Mais ce n’est pas vraiment l’avenir du concept qui m’intéresse ici.

 Sauver NewJeans

Ce qui m’intéresse, c’est de voir si HYBE est en mesure d’assurer le sauvetage d’un groupe de K-Pop en perdition, en limitant au maximum les dégâts.

L’enjeu est de taille : HYBE porte l’entière responsabilité du dérapage de Min Hee-Jin, qui reste quoi qu'on en dise une de ses salariées. HYBE sera donc boycotté quoiqu’il arrive, que Min Hee-jin soit condamnée ou non, qu’elle reste dans l’entreprise ou quitte ses fonctions. Relever le défi de la survivance de NewJeans sera la seule façon de redorer le blason de HYBE face au grand public, fans ou investisseurs. Mon avis est que les efforts déployés seront considérables.

 Dans un monde de la K-Pop qui se veut aujourd’hui humanisé, loin de l’exploitation à outrance de ses débuts, dans ce « nouveau monde » de la cinquième génération, est-il possible de relever le défi et d’éviter un désastre ? J’ai hâte de le savoir.

En l’état actuel du marché, il est certain que HYBE est l’une des meilleures entreprises qui soient pour assurer la reprise en mains des jeunes filles, disposant des moyens et du personnel nécessaires. J’aimerais pouvoir y ajouter : disposant de l’éthique indispensable à la protection de ses artistes. Sauf que cet épisode nous a démontré que ce n’était pas toujours le cas, si de tels incidents peuvent encore se produire.

C’est en cela que l’affaire actuelle est pour moi réellement intéressante. Allons-nous enfin être spectateurs d’un exemple probant d’évolution positive de ce marché ? Faut-il renforcer encore la législation sur l’emploi des mineurs et leur encadrement ? Probablement. Je l’espère.

Et si tout le monde s’en sort indemne, oui, l’industrie de la K-Pop aura réellement évolué.

A suivre…


Crédit images

Header  - extrait de la vidéo musicale "Attention" de NewJeans - ADOR 

Photos: matériel promotionnel NewJeans (ADOR), SHINee (SM Entertainment)  

K-selection – 2 mai 2024 "NewJeans suivront-elles les traces de TVXQ pour une résiliation de contrat ? Les internautes sont furieux"

Footer : Collections du Musée du Quai Branly, Paris - Photographie : Marianne Weller