Colloque sur l'histoire et la philosophie des théories économiques

autour du travail de Philippe Mongin

Titres et résumés des présentations


Antoinette Baujard et Herrade Igersheim. Quelques effets embarrassants des échelles de notation dans le vote par évaluation (avec Isabelle Lebon).

Résumé. Les électeurs apprécient d’autant plus les règles de vote qu’elles sont plus expressives. Dans le cas du vote par évaluation (ou vote par note), les échelles plus longues et/ou comportant des notes négatives apparaissent ainsi souhaitables dans la mesure où, toutes choses égales par ailleurs, elles sont plus expressives. Notre article vise à vérifier si et en quoi le comportement des électeurs et les résultats d'une élection dépendent de l'échelle de notation choisie. Nous analysons des données d'une expérimentation conduite en parallèle des élections présidentielles françaises de 2017, dont le protocole a été précisément conçu pour étudier deux effets, liés à la longueur de l'échelle de notation, et à la présence ou l’absence d'une note négative. Nous mettons en lumière que les bénéfices en termes d'expression induits par les échelles plus longues ou comportant des notes négatives doivent être mis en balance avec le fait que ces dernières avantagent les candidats inconnus et qu’elles engendrent des inégalités entre les votants quant à leur capacité de peser sur le résultat de l'élection.


Michel Bellet. Myrdal comme test d'une typologie opposant neutralité et non neutralité de la science économique envers les jugements de valeur.

Résumé. Dans son article de 2006, Philippe Mongin dresse une typologie élaborée des rapports possibles entre l'économie considérée comme science et les jugements de valeur. L'examen des thèses de Myrdal, de ses premiers travaux de 1927-1930 inspirés directement par la philosophie du suédois A. Hägerström, jusqu'à ses thèses dites institutionnalistes postérieures, est un test utile de l'intérêt mais aussi des questions soulevées par cette typologie. Il permet aussi de revenir sur le rôle des hypothèses émotivistes et vérificationnistes dans l'établissement des thèses sur la neutralité ou la non neutralité envers les jugements de valeur.


Mikaël Cozic. Sur l’interprétation de la théorie de la préférence révélée.

Résumé. La théorie de la préférence révélée (TPR) est souvent invoquée dans des discussions sémantiques sur la manière dont le concept de préférences est ou doit être interprété en théorie de la décision et en économie ; et dans des discussions méthodologiques sur la question de savoir si la base empirique de ces disciplines est ou doit être restreinte aux comportements des agents. L’objectif de cette communication est d’apporter quelques clarifications sur les implications de la TPR révélée pour ces discussions, et plus particulièrement pour celles qui concernent la sémantique des préférences. Nous comparerons la TPR et la théorie du choix qui prend les préférences comme primitives (la « théorie ordinale du choix »). Nous dégagerons les deux tâches théoriques principales que poursuit la TPR. Enfin, nous examinerons deux affirmations : celle selon laquelle la TPR et la théorie ordinale du choix sont équivalentes, et celle selon laquelle la TPR justifie une interprétation comportementale des préférences.



Bertrand Crettez. Sur le critère d'opportunité interactive de Sugden.

Résumé. Dans son ouvrage The community of advantage, Sugden présente une approche de l'économie normative qui repose aussi peu que possible sur les préférences individuelles et qui s'inscrit dans une perspective contactarienne à la Buchanan. Plus précisément, Sugden défend l'idée que chacun peut être d'accord avec le principe selon lequel avoir davantage est toujours préférable. Nous adaptons l'approche de Sugden au cas où ce principe n'est pas vérifié. À titre d'exemple nous montrons que le libre-échange peut-être préférable à l'autarcie, même s'il ne garantit pas à chacun plus d'opportunités qu'en autarcie, à condition de pouvoir réaliser un minimum de redistribution.


Michel de Vroey. L’existence d’un mainstream en économie. Essor et éventuelle érosion (avec Luca Pensieroso).

Résumé. Dans cet article nous défendons le point de vue selon lequel la notion de mainstream est utile mais seulement à condition de recevoir un fondement méthodologique. Appartenir au mainstream est alors une affaire de satisfaire une série de critères permettant une pratique théorique jugée valable. Nous montrons qu’une telle évolution s’est produite dans les années 1980 quand des critères en vigueur en microéconomie et théorie des jeux – discipline d’équilibre, raisonnement mathématique et ‘microfondements explicites’– se sont imposés dans une série de branches de l’économie. Nous vérifions la validité de cette hypothèse d’une manière empirique par un examen du contenu de quatre des principales revues économiques en 1970, 1990 et 2010. Enfin, nous nous posons la question de savoir si les changements qui se produits en économie dans les deux dernières décennies avec l’essor de différents courants d’économie expériementale remettent en cause notre analyse.


Samuel Ferey. Agrégation par les raisons, agrégation par les résultats et paradoxe doctrinal: une application au Conseil constitutionnel français.

Résumé. La littérature sur l’agrégation des jugements présente des points d'accroche intéressants avec l'analyse économique du droit (Mongin, 2018). Plus précisément, les articles fondateurs de Kornhauser (1992, 2004, 2008) ont mis en évidence l'existence de nouveaux types de paradoxes de décision collective collégiale. Si l'on dispose d'un socle théorique et formelle solide sur l'agrégation des jugements, peu de travaux ont empiriquement étudié ces paradoxes. En se fondant sur les délibérations et décisions du Conseil constitutionnel français, l'article se proposer de tester la pertinence empirique du paradoxe et d’en tirer des enseignements sur les débats normatifs quant aux meilleures méthodes d’agréger les jugements.


Cyril Hédoin. Théorie du contrat social, règles et choix social.

Résumé. Plusieurs économistes et philosophes opposent la tradition du contrat social et l'approche par le choix social sur les problématiques liées à la justice et à l'équité. Cet article soutient au contraire que ce que nous appelons le "modèle du choix social pour l'analyse normative" permet d'incorporer dans un cadre de choix social plusieurs des thèses constitutives de la tradition contractualiste. Cela est rendu possible par l'introduction dans le modèle du choix social plusieurs concepts au coeur de la philosophie politique et morale : personnes, valeurs et consentement. Deux idées fortes sont développées : d'une part, on montre que le concept de conséquences exhaustives (comprehensive outcomes) de l'approche par le choix social n'est pas incompatible avec l'importance accordées aux règles par la tradition contractualiste, dès lors que l'on ajoute au modèle du choix social une théorie des des règles morales conventionnelles. D'autre part, on suggère que le modèle du choix social peut également rendre compte du rôle joué par les "utopies réalistes" développées au sein de la tradition contractualiste. Ainsi, l'approche comparative de l'approche du choix social n'est pas en contradiction avec la conception idéale de la justice qui caractérise la tradition du contrat social. On peut alors établir ce qui fait la force de l'approche par le choix social, à savoir sa flexibilité formelle qui lui permet de rendre compte d'une grande variété de positions morales et politiques au sein d'un cadre d'analyse unique.


Nicolas Jacquemet. La méthodologie expérimentale en économie.

Résumé. Il existe un paradoxe de l'économie expérimentale, et tout particulièrement de l'usage d'expériences en laboratoire. Bien que considérée comme faisant partie de la boîte à outils de l'économie appliquée par ses praticiens, l'économie expérimentale est souvent perçue en dehors de ce cercle comme une méthode spécifique à un champ de recherche, l'économie comportementale, et dotée de ses propres critères méthodologiques. En s'appuyant sur les éléments présentés dans Jacquemet et l'Haridon (2018, CUP), cette présentation proposera de replacer l'économie expérimentale dans la perspective générale des difficultés méthodologiques auxquelles est confrontée l'économie empirique, et ainsi de situer la contribution des expériences en laboratoire par rapport à celles des autres méthodes empiriques en économie.


Jean-Sébastien Lenfant. Fechner, Wundt, Delboeuf: de quelques influences de la psychophysique sur la théorie de l'utilité.

Résumé. On sait que Fechner, Wundt et Delboeuf figurent parmi les psychologues convoqués par les auteurs marginalistes, d'Edgeworth à Pareto, pour justifier certaines propositions de la théorie de l'utilité ou des préférences. La nature exacte des justifications et des emprunts des marginalistes à la psychologie mérite toutefois un examen détaillé, pour saisir l'influence passive ou plus substantielle de ces auteurs, au cas par cas. Nous identifions quelques points importants dans l'histoire de la psychophysique, de Weber à Delboeuf, qui permettent de suggérer un parallèle entre l'évolution de la psychophysique d'une part et celle de la théorie de l'utilité d'autre part.


Philippe Mongin. Voies anciennes, voies nouvelles de la réflexion sur les théories économiques.


Ivan Moscati. Le positivisme logique n'a pas déclenché la révolution ordinaliste.

Résumé. Suivant une présentation de l'histoire de l'économie souvent reprise dans la littérature, la révolution ordinaliste que la théorie de l'utilité et la théorie de la demande ont connue dans les années 1930, incluant en particulier le développement de la théorie de la préférence révélée, prend sa source dans l'émergence du positivisme logique dans la philosophie des sciences des années 1920 et 1930. J'expliquerai qu'aucune des données historiques ne justifie que les choses se soient passées ainsi. Je défendrai au contraire que la révolution ordinaliste a été principalement motivée par la volonté de défendre la théorie de l'utilité contre les critiques venant d'écoles économiques "hétérodoxes", comme les écoles historiques allemande ou britannique ou l'école institutionnaliste américaine.