Articles / L'évolution du port / Pont tournant
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Le pont tournant
Par son site dans une configuration encaissée, Saint-Brieuc est bien une ville aux multiples ponts. Cinq générations de structures enjambant la double vallée, celles du Gouët et de son affluent le Gouëdic, traversent autant de siècles, depuis le « ras de l'eau » jusqu'au viaduc moderne, ouvert en 1981. Le seul du reste à dominer d'un tenant sur 450 mètres, les rivières qui se rejoignent au Légué, port principal des Côtes d'Armor.
C'est alors qu'on aperçoit le fameux « Pont Tournant » dont l'historique ne manque pas...de sel ! Conséquence de la construction du bassin à flot international au quai Surcouf, suivie de l'implantation de l'écluse - encore unique à ce jour - côté briochin, mise en service en 1885.
Entre la capitainerie et le Pont de Pierre
Au temps des charrois lents et lourds, la distance séparant la capitainerie, installée à l'écluse réglant les mouvements des bateaux, et le Pont de Pierre - depuis 1863 l'extrémité occidentale du port du Légué - constituait un inconvénient majeur souvent évoqué par la presse «… tous les armateurs et négociants du Légué ont leurs habitations et leurs magasins sur la rive gauche du Gouët, ils ne peuvent donc pas utiliser le bassin à flot et par suite la gare qui lui est adjacente qu’à charge de faire subir à leurs marchandises tout le tour des quais d’échouage, c’est-à-dire un parcours d’environ 2 km ½ dans chaque sens, ce qui occasionne des frais supplémentaires s’élevant à plus de 0,75 franc par tonne. Les armateurs et négociants paraissent tout disposés à offrir une forte subvention pour montrer tout l’intérêt qu’ils ont à la construction d’un pont ». Différents projets vont voir le jour, passerelle flottante, pont pour piétons et même pont de chemin de fer rapidement abandonné car jugé trop onéreux. Pour finir, c’est le projet présenté par Charles Baratoux qui trouvera écho auprès du conseil général. Cet entrepreneur, maire de Saint-Brieuc et conseiller général (1890-1898) est un « bâtisseur » qui avait déjà participé aux travaux du port de Boulogne. L'endroit retenu a été dicté par la visibilité depuis la capitainerie, dans l'axe du Pont de Pierre.
Sur cette élévation du pont tournant, les différentes hauteurs d’eaux sont indiquées en fonction des vives eaux et des mortes eaux. La structure basse du pont se retrouve dans l’eau aux marées d’équinoxe. Au final, il sera demandé de rehausser le pont de 0 m 85 de manière à ce que la cuve contenant le mécanisme soit insubmersible même dans les plus hautes mers d’équinoxe. Cette partie du port restera sujette aux marées jusqu’en 1914.
Sur cette vue en coupe mettant en évidence l’assemblage de la structure, la largeur de la voie est prévue à 1 m 75, celle-ci sera portée à 2 m 50. Le pont aura 30 m 30 m de longueur totale, 3 m 95 m de largeur entre garde corps, 2 m 50 m de largeur de tablier et 0 m725 de trottoir.
Le ministre des Travaux publics autorise la construction du pont le 28 novembre 1891 et prévoit de prendre en charge la moitié de la dépense. Le coût estimé par Mr Baratoux est de 32 000 francs mais d’autres évaluations parlent d’un budget total proche de 50 000 francs. De fait, la Chambre de Commerce apporte 6 000 francs, le département 3 000 francs, la commune de Plérin 4 000 francs et la souscription auprès des habitants du Légué apporte 7 000 francs. Les travaux de maçonnerie sont adjugés le 17 août 1891 aux entrepreneurs Gaudu frères de Saint-Brieuc. La partie métallique du tablier est confiée aux établissements Lemoine de Rennes. Une pile centrale maçonnée protégeant son mécanisme à galets, type roulement à billes de 2 m 50 m de diamètre, est implantée au beau milieu du lit du Gouët, au confluent avec le Gouëdic, détourné de son cours, en aval. Les fondations descendent à deux mètres au-dessous du lit de la rivière. Un œuvre originale, manœuvrée à l'aide d'une clé, de sorte que l'éclusier devait rester sur le pont le temps des mouvements maritimes. Les ducs-d'Albe, servant d'appui et de protection aux extrémités une fois le pont « ouvert », furent remplacé en 1925 par des ouvrages en béton plus résistants que le bois. Baptisé le Pont Baratoux ? Que nenni ! La polémique a enflé, relayée par les journaux Le Réveil et l'Indépendant. Depuis, on ne parle que du Pont Tournant, facile à identifier.
La construction
D’autres polémiques verront le jour tout au long du chantier. Les plus vives critiques concernent la lenteur des travaux. Ceux-ci démarrent fin 1891 avec une douzaine d’ouvriers chargés de construire les batardeaux, digues faites de deux clôtures en bois entre lesquelles on tasse de l’argile permettant de maintenir les maçonneries à peu près au sec. Après chaque marée, l’eau restée à l’intérieur est pompée grâce à une machine à vapeur installée à proximité. Les travaux doivent s’interrompre à chaque grande marée. Polémique. Pour pallier cet inconvénient, on décide de travailler le dimanche, au grand dam de l’église qui déclare… « mieux vaudrait quelques jours de retard que des offenses graves à Dieu ». Nouvelle polémique.
Le port d’échouage en amont se retrouve souvent interdit à la navigation empêchant toute activité. Ainsi les navires de Régneville ne peuvent plus remonter jusqu’à la place de la douane pour charger de la pierre à chaux. Une pétition est lancée pour lever cet interdit. Encore polémique.
Il faut donc attendre le mois de septembre 1892 pour voir s’achever le couronnement de la pile centrale, maçonner les culées et démonter les échafaudages.
Pendant ce temps, on s’affaire sur la structure du pont assemblée côté Saint Brieuc, le Publicateur des Côtes du Nord s’enthousiasme : « ...on boulonne toujours les tôles ; c’est par là, tout le jour, un incessant concert de coup de marteaux écrasant les rivets... ». Cet optimisme devra être malheureusement tempéré par de nouveaux retards techniques. Il faudra refondre trois fois la pièce en fonte destinée à supporter le pivot du pont.
Les deux supports et le palier qui manquaient dans le mécanisme de rotation ne seront livrés de Rennes qu’au début 1893.
Le 20 janvier 1893, la presse locale nous décrit la fin des travaux : « Bonne journée pour le pont tournant, crics, vérins, galets, treuil, moufle, cordage de traction, tout cela a fait excellente besogne, eu égard aux différentes causes d’arrêt, affaissements du sol, déviation des galets, mise en aplomb des points de contact. Autant d’opérations plus ou moins difficiles et longues. Ce soir, à la fin de la journée, le pont surplombe de plusieurs mètres la rivière, six mètres encore d’avancement et la pile sera atteinte ». Assemblé côté Saint-Brieuc, le pont, lesté à son extrémité, a donc été tiré à l’aide de treuils disposés côté Plérin. Cette opération délicate a duré plusieurs jours et, le 27 janvier, un nouvel article célèbre l’événement : « Le voilà enfin à cheval sur sa pile. Au-dessus du paisible courant du Gouët, sa longue charpente gris bleu, crêtée de la balustrade rouge, se profile. Et tandis que les poutres qui surmontent la pile avec grandes précautions enlevées, lentement descend la masse devers son pivot ». La photo ci-dessus nous montre le pont juste avant cette dernière manœuvre. On notera les ducs-d'Albe constitués d'arbres entiers, leur rôle est de protéger le pont des chocs une fois ouvert . En début février, le correspondant du journal Le Réveil précise : « Déjà tout incomplet qu'il est encore, le pont est fréquenté par les piétons qui n'ont pas peur du vertige au long des deux passerelles latérales. Ceux qui préfèrent une partie de canot, s'adressent toujours au père Chadoux et à sa gondole. Je gage que le bonhomme fera des vœux pour que le pont reste ouvert le plus longtemps possible à chaque marée, quand il n'y gagnerait que sa goutte, sa chique et un peu le reste » .
Le 29 mars, des essais avec des charrettes lourdement chargées seront effectués sous les ordres du contremaître Mazéna de la maison Lemoine. Après bien des vicissitudes, le pont sera mis en service le 04 avril 1893, soit plus d’un an après le début des travaux.
Travaux et interdictions.
La structure plus que centenaire -130 ans en 2023 - a nécessité des travaux d'entretien et de rénovation, le passage de quelque 2 800 véhicules ayant engendré de nouvelles mesures destinées à sa préservation d'accessibilité : révision de son mécanisme; dispositif automatique des manœuvres; réfection de son platelage, en bois exotique, qui a souffert de la circulation; rétrécissement de la chaussée et des deux trottoirs; nouvelle réglementation. Ainsi, les panneaux signalent le sens prioritaire du trafic, un guide-roues le facilite, et les barrières avec des feux rouges sécurisent lors des mouvements. La vitesse est limitée à 30 km/h, et seuls les véhicules jusqu'à 2 t et 1 m 90 m de hauteur, sont admis.
Le trafic toujours plus dense en amont du pont nécessitera de remplacer en 1966 le système de manœuvre par deux hommes à l’aide d’une manivelle placée au milieu du pont par un système hydraulique. L’entreprise Cappe de Nantes sera chargée de travail. Malgré tout le système manuel sera gardé en secours comme ici sur une photo prise en 1968 (ci-dessous).
La première grande rénovation du pont a lieu en 1993 à l’occasion de son centenaire. L’opération consiste à le déposer sur le terre-plein côté Saint Brieuc à l’aide de deux grues disposées de chaque côté du bassin. Cette manœuvre permet de facilité l’accès à l’ensemble de la structure.
Les galets de roulement qui facilitent la rotation du pont sont entièrement rénovés.
En 2014, lors d’une seconde opération de maintenance d’envergure, le pont est déposé sur une structure flottante.
Georges LE MOUËL
et Histoire maritime