Articles / L'avant port / Sam Suffit
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Le "Sam Suffit", le côtre fin marcheur
A bord du « Ça me suffit » de 1928 sous voile, les frères Burel, à droite de la photo (François debout et Louis assis) emmènent quelques amis et gens de passage pour une partie de pêche en baie. Debout à gauche, Jean-Marie Doméon tient une ligne de la main droite.
Comme leurs voisins de Cesson, les frères Hamon, dits les « petits Cadets ou Cadiaux », François et Louis Burel de Sous La Tour ont navigué ensemble toute leur carrière et ce, dans une entente parfaite et indéfectible. Dans le contexte de la pêche côtière, métier difficile et exigeant aux résultats incertains, la longévité de ces binômes mérite d’être soulignée.
Nés à un an d’intervalle, 1901 pour François et 1902 pour Louis, les frères Burel commencent leur apprentissage du métier avec leur père, François, à bord d’un premier « Ça me suffit », côtre de 8 m construit à Binic en 1916 (SB 150). À l’instar de nombre de marins, François, le père, a participé à la grande épopée islandaise. Il se retrouve maintenant à partager son expérience avec ses enfants. Et comme souvent, c’est sa femme, Jeanne, aidée de sa sœur, Marie Hamet, qui part vendre le poisson au bourg de Plérin avec une charrette tirée par un âne*. L’entreprise est on ne peut plus familiale.
Arrive le temps pour François et Louis de voler de leurs propres ailes. Forts d’une solide expérience, ils commandent un nouveau bateau à Roscoff, en 1928, de taille identique au premier et qui portera le même nom, sans doute en souvenir du bon temps passé avec leur père. Ce « Ça me suffit » (SB 493) sera identifié avec cette orthographe sur les documents officiels mais, sur le tableau arrière du bateau, il sera noté « Sam suffit »! Le bateau leur donne entière satisfaction et possède de bonnes qualités de marche, au point qu’il se fera souvent remarquer dans les régates locales, en compétition avec la « Caille » de Cesson.
A l'origine le bateau était demi-ponté comme on peut le voir. Une petite cabine sera installée sur le tard mais elle restera suffisamment discrète pour ne pas dénaturer sa silhouette.
Dans l’annexe du « Ça me suffit », le sourire de Louis Burel (au centre) en dit long sur le résultat de la pêche, probablement satisfaisant, quelques poissons sont encore maillés au filet.
La grand-voile haute et rapiécée du « Ça me suffit » dépasse largement le couronnement arrière du bateau.
En 1936, François vend sa part à Louis qui devient le seul propriétaire mais cela ne change en rien leur complicité, ils continuent de travailler ensemble. À la belle saison, ils pratiquent la pêche à la ligne et au filet mais l’hiver, ils déposent le rôle d’équipage et s’inscrivent comme docker au port de commerce. En 1946, un moteur sera installé chez Travadon, obligeant Louis à passer un permis.
À leur retraite, en 1957, ils vendent le bateau à M. Desbois. Mais après une longue carrière, le bateau nécessite quelques travaux pour pouvoir reprendre la mer. Son nouveau propriétaire décide donc de l’emmener dans son jardin à la pointe du Roselier pour y effectuer la rénovation. Malheureusement, celle-ci n’aboutira pas et, à l’inverse, la coque, exposée aux intempéries, finira de se dégrader. L’épave était encore visible dans les années 80 avant sa destruction complète pour faciliter l’accès à une construction neuve.
L’épave du « Ça me suffit » dans les années 80. Le bateau était encore bien reconnaissable à son matricule et à sa couleur vert pomme. Par souci d’économie, les fonds de peinture étaient utilisés par les frères Burel pour rafraîchir les volets de la maison ou la barrière de jardin. Pratique courante à l’époque, il devait être facile de retrouver le propriétaire d’un bateau.
*l'âne était connu comme "la bardoche des p'tites mères", ( les "p'tites mères", surnom donné à Jeanne Burel et Marie Hamet ). Il avait l'habitude de mettre sa tête entre deux personnes en conversation. Si bien qu'à un gamin, essayant d'écouter une conversation d'adultes, on lui lançait aussitôt "t'es comme la bardoche des p'tites mères".
Philippe SAUDREAU
Remerciements: Mr et Mme Le Bonhomme - Plérin