Articles / L'avant port / Pilotes
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Le pilotage
Au premier plan, le bateau pilote sous voile se faufile dans le chenal au milieu des bateaux au mouillage.
En Avril 1968, le journal Le Télégramme fait paraître un article sur le métier souvent périlleux qu’exercent les pilotes du port. C’est sous la plume de Mr Ancelin que nous trouvons ces lignes.
« Doucement, sans bruit, obéissant docilement à une main invisible, le petit cargo se faufilait entre les barques et les bateaux de pêche, suivait la courbe du chenal et progressait lentement vers les écluses du port du Légué. À quelques mètres de l’entrée les hélices, battant arrière toute, provoquèrent quelques remous et la lourde coque d’acier ralentit encore puis, continuant sur son erre, présenta son étrave bien au milieu du sas, les bordées frôlaient à toucher les quais de l’écluse. Une fois de plus, le pilote avait amené un cargo à bon port sans égratignures, sans fausse manœuvre et pourtant dans des conditions difficiles, d’ailleurs son rôle n’était pas terminé car après l’éclusage il fallait amener le bateau au quai de déchargement et le faire éviter, c'est-à-dire lui faire demi–tour dans le bassin et le présenter face à la sortie. C’est encore une manœuvre délicate, les dimensions du bassin sont réduites et il n’est pas facile de faire pivoter un bateau sans lui faire toucher les quais, ce sont des manœuvres fréquentes réalisées par les pilotes du port .
La grosse difficulté pour entrer dans le port du Légué réside dans le fait qu’il s’agit d’un port à marée. La mer laisse deux fois par jour tout le fond de la baie de St Brieuc à sec et il s’agit de jouer avec la pleine mer. La hauteur de marée varie et il faut choisir les fortes marées pour avoir le plus de chance de rentrer sans encombre. Le chenal est très étroit et les risques d’échouages sont très grands. Par des vents d’ouest ou sud-ouest pas de difficulté mais lorsque les vents d’Est déferlent sur la baie, il est parfois impossible au bateau pilote d’aller rejoindre le cargo. Et même s’il réussit, la rentrée n’est pas assurée, il y a en effet très peu de fond dans la baie de St Brieuc. Or, par vents d’Est, la mer est très agitée et les creux très prononcés. Il s’ensuit un fort tangage et le bateau peut talonner. Il peut se produire que plusieurs bateaux se présentent à la fois, le temps de les rentrer ou sortir, il arrive qu’il n’y a presque plus d’eau pour le dernier. Les pilotes m’ont avoué que bien souvent, ils n’ont plus que dix centimètres d’eau sous la quille. On a l’impression de ramper sur du sable » disent- ils.
Le bateau pilote de Cesson, "Notre Dame de France" - SB 1, patron Le Mée, est reconnaissable aux deux ancres de marine dessinées à l'étrave. Le filet mis à sécher indique que le pilotage n'est pas la seule activité du bateau.
Bien peu de gens se rendent compte des difficultés et des responsabilités encourues par les pilotes. Si l’officier du port a la responsabilité du trafic, le pilote est responsable du bateau qu’il doit conduire à bon port. En fait, il ne doit pas toucher la barre, il doit assister le commandant et diriger la manœuvre. À partir du moment où il a mis le pied sur le cargo, c’est lui le maître à bord. Leur parfaite connaissance de la baie, le métier, la routine, l’adresse leur permet de mener leur tâche à bien. Ce qui semble le plus pénible c’est d’être dans l’obligation d’être toujours prêt, aussi bien de jour que de nuit. Une seule chose prime, l’heure de la marée, il faut vivre avec elle. Le bateau qui est sur rade ne doit pas attendre sauf circonstances indépendantes de la volonté des hommes. Les bateaux pilotes sont parfaitement reconnaissables, c’est une embarcation peinte en noir à liston blanc et portant deux ancres entrecroisées sur la coque. Parfois le mot pilote est inscrit en grandes lettres sur la cabine de pilotage. Elle arbore le pavillon H du code international. Ce petit bateau est doté d’un puissant moteur qui lui permet de se rendre rapidement au cargo. De nuit, par mauvais temps, la promenade devient scabreuse notamment par vent d’Est. Il reste toujours le moment délicat de passer à bord du cargo. Quand les bateaux roulant d’un bord sur l’autre risquent de se cogner que les vagues tantôt les écartent tantôt les rapprochent, il faut choisir le bon moment pour sauter. Il faut garder son sang froid en un mot avoir bon pied bon œil ! Et pourtant ces pilotes sont des gens d’un certain âge »
À cette époque, ils sont trois pilotes pour la baie et malgré tout, pas si vieux que cela. Jean Liscouet demeurant à Cesson, Jean Gauthier de Sous la Tour et René Morvan de Dahouët sont tous trois âgés de 48 ans. Avec leurs matelots ils forment une équipe soudée, il faut bien un homme pour ramener le bateau pilote lorsque celui-ci est à bord. Le matelot de Jean Gauthier, c’est François Buffard, un cessonnais. Le matelot de René Morvan, Jean Delaporte, de St Laurent de la mer. Deux gars dévoués qui connaissent bien la mer eux aussi et qui sont formés à la rude école des pêcheurs.
Portrait de Jean Gauthier par Mr Ancelin
Jean Gauthier est pilote du port depuis 1958. C’est un ancien officier de la marine marchande, commandant aux ponts et chaussées. Il s’était engagé très jeune comme mousse (quatorze ans). Il fit plusieurs cargos jusque l'âge de vingt ans où il s’engagea dans la marine militaire et se retrouva au Maroc. Il repartit dans le commerce en 1945, puis en 1949, il entra à l’école d’hydrographie de Paimpol. Il en sortit en 1951 avec le titre de patron au bornage. C’est alors qu’il entra aux ponts et chaussées comme second puis finira rapidement commandant. Il avait pour mission la relève des phares et balises. Il participa à la construction du phare des Roches Douvres. Si l’on édifiait un phare c’est que l’endroit était malsain. Pour apporter les matériaux, il fallait naviguer au milieu des roches. Et pour peu que la mer bougeât un peu cela devenait de l’acrobatie. Le bateau restait quatre à cinq jours sur place si le temps le permettait, les ouvriers couchaient à bord. Lorsque le travail était fini, l’on revenait à Lézardrieux. Quand on revenait sur le chantier, il arrivait parfois qu’une tempête ait détruit tout le travail qui avait été fait. Il fallait recommencer à zéro. Finalement, les hommes furent plus forts et le phare a été construit. Le balisage était aussi dangereux lorsqu’il fallait envoyer par-dessus bord une bouée de cinq tonnes et dix huit mètres de haut !
Jean Gauthier a aussi commandé la drague « James » le travail bien différent. Cependant, il estime que l’entrée du port du Légué est difficile surtout la nuit, le chenal n’est pas bien balisé, on y voit rien. Malgré les difficultés qu’il rencontre et les améliorations qu’il réclame, Mr Gauthier aime son métier. L’utilisation depuis dix huit mois des postes radios V.H.F. portatifs a considérablement amélioré le travail des pilotes. Aujourd’hui, en 2017 le travail a un peu changé, dans d’autres conditions mais…. l’heure de la pleine mer est toujours là. Le petit bateau noir bondit sur les lames faisant jaillir des gerbes d’écumes pour tracer sa route vers le cargo qui attend sur rade.
Le « Père François » à Jean Gauthier.
Lionel RAT