Articles / L'avant port / Brise-lame
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Le naufrage du Brise-lame
Il y a beaucoup d’activités sur l’eau ce jour-là, départ de régate ou promenade dominicale, difficile de savoir. L’ Étoile Matutine (SB 341) effectue une belle manœuvre sous foc, grand voile et flèche devant l’étrave du Brise-lame (SB 495) au mouillage. Celui-ci ne semble pas prêt pour cette sortie, son filet, hissé entre les deux mâts, indique qu'il revient de pêche. À gauche, le Sam Suffit (SB 493) avec son annexe le long du bord est dans l’attente d’équipiers.
Construit en 1928 à Carantec chez Moguérou pour François et Pierre Éouzan, le Brise-lame avec ses douze mètres de long fait partie des plus grosses unités de Sous la Tour. Il est gréé en ketch. Il finira ses jours près du Rocher Martin après s’être échoué suite à un fort coup de vent dans la nuit du huit au neuf janvier 1936.
Les prévisions météos pour le 09 janvier 1936
(Hrs dm : hauteurs d'eaux en décimètre)
Voici le compte rendu du correspondant du « Ouest-Éclair » en date du 10 janvier1936:
« Ce matin, nous apprenions qu’un bateau du Légué, le « Brise-lame», avait été pris, la nuit, dans la tempête et qu’il avait échoué près du Rocher Martin. Les quatre hommes composant l’équipage avaient été sauvés. Nous nous sommes rendus immédiatement sur les lieux, par les chemins étroits et couverts d’eau conduisant à la petite plage de Martin. Le quartier, à cette époque de l’hiver est bien calme d’ordinaire, mais ce matin, il y avait des promeneurs, malgré le vent et la pluie qui tombe sans arrêt. Le Rocher Martin se dresse dans la grève et la croix qui la surplombe apparaît bientôt. Il faut attendre la marée basse pour y accéder. Des cabines, l’on aperçoit la mâture du « Brise-lame » et les marins présents sur la grève nous expliquent en détail ce qui s’est passé. Il était 23 h 30 environ, le « Brise-lame », appartenant à M. Eouzan, du Légué, dont nous avions fait connaissance à l’époque du naufrage du « Père Auguste », rentrait au port, venant de pêcher au chalut. Quatre marins du Légué : François Meheut patron, père de deux enfants ; François Méheut marin ; François Desbin et Jean-Louis Mahé composaient l’équipage. Déjà les marins du Havre1, du Père-Mathurin2, du Sans-gêne3, de l’ Avenir4, du Joffre5, du Père-François6, du Saint Laurent7, du Grain de sel8 et de la Surprise9 l’avait précédé. Le dernier, le Sans-gêne, patron Mr Redon, dirigé par le sympathique M Cooé n’était rentré que depuis une demi-heure. Dans le coup de grain, nous dit-on, alors qu’il se trouvait à la pointe de la Horaine. À cent mètres des Tablettes et à trente mètres de la croix, dominant le Rocher Martin, le bateau se mit à tanguer et à pencher. Les marins se portèrent à l’avant, pour le redresser, mais le Brise-Lame heurtait le rocher appelé « Décollant » bien connu des touristes et surtout des marins, qui l’évitent à chaque pêche. La jolie barque 495 SB, de 12 mètres, portait une large déchirure et prenait l’eau. François Desbin et François Méheut, patron, prirent leur ceinture et gagnèrent le Rocher Martin, qui était couvert d’eau, ils se dirigèrent vers la Croix. Le vent, la tempête brisa le petit mât et l’échelle. L’ancre était arrachée et il fut impossible de jeter du lest. Les marins Mahé et François Méheut s’accrochèrent à la mature, appelèrent au secours et attendirent dans la nuit le retrait de l’eau. Le bateau a coulé à pic. L’équipage a dû d’être sauvé à la proximité des rochers, mais la nuit leur aura paru bien longue. Ce sont de braves marins qui ont déjà essuyé plusieurs coups durs. Ils prenaient un repos bien mérité, à l’heure où nous les visitions à leur domicile au port du légué. Des débris du bateau ont été trouvés sur les rochers par des pêcheurs, dans la matinée de jeudi et déposés au sommet du Rocher Martin. À notre passage au port du Légué des camarades des naufragés commentaient l’accident et se réjouissaient du sauvetage des quatre marins plérinais. La population briochine apprenait avec plaisir qu’il n’y avait que des dégâts matériels. »
La réalité des faits est un peu différente de la version donnée par le correspondant du Ouest Éclair. Les deux matelots Jean Louis Mahé et François Méheut (ci-dessous) s’accrochèrent sans doute quelques temps dans la mature pendant que le patron et le matelot François Desbin se réfugiaient sur le Rocher Martin. Mais, leur position devenant pour le moins inconfortable lorsque le bateau commença à talonner, ils se décidèrent à regagner le rivage à la nage. Et de là, ils rejoignirent la Ville Agan sur les hauteurs de Martin, distante d’environ 2 km 5, dans le but de prévenir les familles du naufrage.
On peut imaginer la surprise d’Anna Méheut, la nièce de François Méheut, découvrant en pleine nuit son oncle exténué et trempé, et l'entendre expliquer ses mésaventures. Peut-être a-t-elle pensé dans un premier temps que son oncle avait un peu trop « chargé les hauts », suivant l’expression souvent utilisée par celui-ci pour décrire des journées bien arrosées !
François Méheut, dit la «Moute»...papillon de nuit en gallo !!!
Jean Louis Mahé, matelot
(au centre)
Histoire maritime
Remerciements à Gwénolé Guégan
1 SB597, 2 SB447, 3 SB458, 4 SB630, 5 SB550, 6 SB522, 7 SB552, 8 SB501, 9 SB560