24/01/2025 - Robert Pascal
Est-il possible de synthétiser le vivant ?
Comme celui des autres sciences, l’objectif de la chimie est de comprendre le monde qui nous entoure. Mais elle se fixe surtout pour but de concevoir et construire les architectures moléculaires les plus complexes. Même si cela peut heurter des préjugés, pour tout chimiste, la question d’une origine de la vie, celle liée à sa compréhension, suppose donc aussi de manière implicite celle de la création d’un être vivant de toutes pièces, que ce soit dans un milieu naturel comme celui de la Terre primitive ou au laboratoire. La présence de vie sur Terre nous montre d’ailleurs qu’un passage est possible du non-vivant vers le vivant. La formation de briques moléculaires comme les acides aminés de l’expérience de Miller a donné un grand espoir dans cette direction en 1953. Pourtant, plus de 70 ans plus tard, il ne semble pas que nous ayons beaucoup progressé. Il est même devenu évident que la chimie organique abiotique mène à une diversité moléculaire organique bien supérieure à celle du vivant. Au sein de cette diversité, les traces d’une auto-organisation sont loin d’être évidentes. Peut-être notre incompréhension vient-elle de notre vision du vivant qui n’est pas adaptée ?
Ce webinaire va s’intéresser au paradoxe auquel s’était attaqué Erwin Schrödinger dans son petit livre « Qu’est-ce que la vie ». La vie semble en effet défier le second principe de la thermodynamique (selon lequel l’entropie d’un système isolé ne peut qu’augmenter) en démontrant qu’une évolution vers la diversité et la complexité organisationnelle des êtres vivants modernes est possible. C’est bien une telle auto-organisation que l’évolution réalise au moyen de la transmission des gènes et, bien sûr, des mutations et de la sélection naturelle de Darwin. La question de l’origine de la vie est donc bien celle du passage de systèmes chimiques dont l’évolution mène vers l’état d’équilibre à des systèmes dont l’évolution est gouvernée par la sélection naturelle. Des voies peuvent-elles rendre compte de cette transition ? Ces voies devraient certainement faire appel à des conceptions de la chimie et de la biologie basée sur des processus plutôt que sur des objets. Ce n’est donc pas un objet (un ARN par exemple) qu’il s’agit de synthétiser mais plutôt un système dynamique autonome. Même si l’on peut être émerveillé par la structure des acides nucléiques ou des systèmes enzymatiques présents dans le vivant actuel, nous montrerons qu’il faut plutôt s’atteler à construire des systèmes dynamiques dans lesquels la réactivité associée aux espèces organiques faites de liaisons covalentes joue un rôle essentiel pour leur permettre de fonctionner, et cela même aux premiers stades du vivant.
Références utiles
S. L. Miller, A production of amino acids under possible primitive earth conditions. Science 1953, 117, 528.
C. Darwin, On the Origin of Species by Means of Natural Selection. Murray, London, 1859.
E. Schrödinger, What is life? Cambridge University Press, Cambridge, 1944.
A. Pross, What is Life? How Chemistry Becomes Biology, Oxford University Press, Oxford, 2016.
R.Pascal, A. Pross, J. D. Sutherland, Towards an Evolutionary Theory of the Origin of Life Based on Kinetics and Thermodynamics. Open Biol., 2013, 3, 130156.
R. Pascal, A. Pross, Stability and its Manifestation in the Chemical and Biological Worlds. Chem. Commun. 2015, 51, 16160.
A. Pross, R. Pascal, How and why kinetics, thermodynamics, and chemistry induce the logic of biological evolution, Beilstein J. Org. Chem., 2017, 13, 665.
G. Danger, L. Le Sergeant d’Hendecourt, R.Pascal, On the conditions for mimicking natural selection in chemical systems. Nat. Rev. Chem., 2020, 4, 102.
A. Pross, R. Pascal, On the emergence of autonomous chemical systems through dissipation kinetics. Life, 2023, 13, 2171.
R. Pascal, Evolutionary Abilities of Minimalistic Physicochemical Models of Life Processes. Chem. Eur. J., 2024, 30, e202401780.
J. Dupré, D. J. Nicholson, A Manifesto for a Processual Philosophy of Biology. In Everything Flows: Towards a Processual Philosophy of Biology (Eds: D. J. Nicholson, J. Dupré), Oxford University Press, Oxford, 2018, pp. 3–46.
03/04/2025 - François Dulieu
La formation des glaces sur les grains de poussières froids: des atomes aux molécules interstellaires complexes
Au cours du processus de formation des étoiles et des planètes, les grains de poussière interstellaire se recouvrent d’un manteau de glaces complexes, que les satellites infrarouges peuvent observer directement, où bien qui révèlent leur richesse lors des phases de sublimation, comme les chocs, la naissance d’étoiles ou la sublimation cométaire.
Dans l'arbre complexe de l'évolution chimique de l'Univers, depuis le cœur des étoiles jusqu'à notre biosphère planétaire, notre équipe d’astrochimie expérimentale se concentre sur le petit maillon de la transformation des atomes en molécules, telles que les molécules organiques complexes (appelées COMs par les astronomes). Ce processus se fait très efficacement à la surface des grains de poussière, à de très basses températures (typiquement 10K).
Lors de ce séminaire nous verrons quelles sont les méthodes expérimentales que l’on peut utiliser pour comprendre cette évolution moléculaire initiale, en se concentrant d’abord sur l’exemple de la formation de l’eau, puis en élargissant à d’autres molécules emblématiques comme la formamide.
On discutera des spécificités et des limites de cette chimie qui explore le paysage moléculaire initial en utilisant les passages de plus faible énergie, ce qui paradoxalement la rend très efficace.
16/05/2025 - Colin Bonduelle
Protoproteins from novel chemical approaches to aqueous polymerization of N-carboxyanhydrides
Les protéines sont importantes dans la nature car elles participent à de nombreux processus cellulaires, comme la catalyse des réactions biochimiques et la régulation des signaux cellulaires. Elles jouent aussi un rôle dans le transport des molécules. Initialement, le processus d'émergence des protéines a été favorisé par des étapes prébiotiques déterminantes. Ces dernières ont induit la transformation spontanée de blocs de construction simples, composés d'acides aminés, en protopolymères appelés protoprotéines.
On ne comprend pas encore comment les acides aminés ont spontanément formés des protoprotéines. Mais on peut accepter que cette condensation a eu lieu dans l'eau. Ce milieu aqueux est lié à un problème important. La condensation des acides aminés élimine lui-même de l'eau. C'est donc un processus thermodynamiquement défavorable qui aboutit à une hydrolyse. Les chercheurs qui ont étudié la chimie prébiotique ont proposé deux moyens de construire des protoprotéines avec cette contrainte :
- favoriser le processus avec des cycles de séchage ;
- utiliser des modifications chimiques/catalyseurs favorisant la condensation chimique.
Dans cette présentation, nous verrons comment la science des polymères inspire de nouvelles approches dans ce domaine. Cette science nous apprend par exemple que quand deux molécules se lient spontanément, elles forment des complexes non covalents. La surface d'interaction de ces complexes est alors proportionnelle à l'affinité mutuelle des molécules, un phénomène qui favorise la réaction de polymérisation. En d’autres termes, l’acquisition d’une longueur importante (le degré de polymérisation) et non l’acquisition d’une séquence spécifique pourrait être une étape clef expliquant la condensation aqueuse des acides aminés. Inspiré par cette idée, et en considérant des monomères simples et dérivés d’acides aminés, les N-carboxyanhydrides, nous verrons comment leur polymérisation peut être mise en jeu facilement dans un milieu aqueux pour aboutir à des protoprotéines de grandes tailles.
11/07/2025 - Jean-Claude Guillemin
De la synthèse en laboratoire à la recherche de molécules organiques dans le milieu interstellaire
Plus de 340 molécules ont été détectées dans le milieu interstellaire et la plupart de celles de plus de 3 atomes sont des molécules organiques. A chaque molécule sont associés tous les isotopologues correspondants et ce sont ainsi des milliers de composés différents dont la présence est certaine dans ces nuages interstellaires. Chaque nuage a toutefois une composition et donc une chimie qui lui est propre.
La plupart des molécules détectées l’ont été par spectroscopie de microonde ou millimétrique, techniques qui se limitent aux molécules possédant un moment dipolaire permanent. Il y a donc un biais dans la liste des molécules détectées.
La recherche de nouvelles molécules se base sur l’analogie avec les molécules détectées, une chimie possible du milieu ou des propriétés physicochimiques relativement communes observées pour les molécules détectées. Le choix de nouveaux candidats nécessite la mise au point d’une synthèse permettant de disposer de l’espèce en phase gazeuse pour enregistrer son spectre rotationnel.
Dans cet exposé nous présenterons un certain nombre de cibles dont le choix est issu de critères divers et qui ont abouti à des résultats très variés montrant comment les limites de la synthèse, de l’analyse spectroscopique et de la détection conditionnent notre connaissance de la chimie des nuages interstellaires.
19/09/2025 - Nicolas Martin
Coacervats comme modèles de protocellules minimales
La question de l’origine de la vie interroge les mécanismes par lesquels la matière non vivante s’est progressivement organisée en systèmes capables de métabolisme, de reproduction et d’évolution. Parmi les étapes clés pressenties, la compartimentation joue un rôle central : elle permet d’organiser la matière dans l’espace, d’isoler et de concentrer des espèces chimiques, et de créer des environnements distincts permettant l’émergence de réactions autrement défavorables. Les vésicules lipidiques, issues d’acides gras disponibles dans des conditions prébiotiques, constituent depuis longtemps des modèles classiques de protocellules. Une autre hypothèse, proposée dès le début du XXe siècle, est aujourd’hui revisitée grâce aux approches expérimentales modernes : celle de compartiments sans membrane, appelés coacervats, formés par séparation de phase liquide-liquide. La capacité de ces microgouttelettes à concentrer des espèces chimiques, à moduler des réactions chimiques et à répondre à des stimuli en fait des candidats attractifs pour explorer la transition entre chimie prébiotique et premiers systèmes vivants. Ces compartiments sont d’autant plus intéressants qu’ils trouvent aussi un écho dans la biologie moderne, où des condensats biomoléculaires sans membrane participent à l’organisation interne des cellules.
Dans cette présentation, nous discuterons du rôle potentiel des coacervats dans les scénarios de l’origine de la vie. Nous verrons également comment leur étude, au-delà du seul contexte prébiotique, permet d’identifier des principes physicochimiques généraux de compartimentation et de dynamique hors équilibre, offrant des pistes pour comprendre les bases de l’organisation cellulaire et pour concevoir de nouvelles cellules artificielles bio-inspirées.
05/12/2025 - Donia Baklouti
La matière organique extraterrestre dite « primitive »
Il s’agit de faire un tour d’horizon sur ce que l’on sait actuellement de la composante organique contenue dans la matière solide constituant les petits corps du système solaire (comètes et astéroïdes, principalement), et sur les questions qui restent ouvertes ou sont au cœur des questionnements actuels.
Je me concentrerai en particulier sur les résultats les plus récents obtenus grâce aux analyses en laboratoire des échantillons de matière collectés à la surface des astéroïdes Ryugu (mission Hayabusa2 de la JAXA) et Bennu (mission OSIRIS-Rex de la NASA), et à certains des résultats obtenus lors de l’exploration de la comète 67P Churyumov-Gerasimenko (mission Rosetta de l’ESA)."