Définition et origines de la psychogéographie

La psychogéographie est un concept développé dans les années 1950 par le théoricien Guy Debord au sein de l'Internationale lettriste, un mouvement d'avant-garde artistique et littéraire précurseur de l'Internationale situationniste.


Guy Debord (1931-1994) était un théoricien, cinéaste et révolutionnaire français, figure centrale de l'Internationale situationniste. Il a défini et théorisé le concept de psychogéographie dès 1955 comme "l'étude des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus".

Debord a développé la psychogéographie au sein de l'Internationale lettriste dans les années 1950, avant la fondation de l'Internationale situationniste en 1957. La psychogéographie est devenue un concept clé de la théorie situationniste, inspirée par le marxisme et la critique de la société de consommation capitaliste.

Son livre majeur "La Société du Spectacle" publié en 1967 a profondément marqué les mouvements révolutionnaires des années 1960, en dénonçant la marchandisation et l'aliénation de la vie quotidienne. Debord y développe une critique radicale de la société moderne régie par "le spectacle" et les images.

En 1958, Debord a réalisé avec Abdelhafid Khatib une dérive psychogéographique à Paris qui a donné lieu à la célèbre "Carte psychogéographique de Paris", représentant la ville découpée en "unités d'ambiance" subjectives.

Debord a ainsi ouvert la voie à de nouvelles pratiques artistiques in situ visant à réinventer l'expérience de la ville de manière critique et poétique, comme en témoignent les dérives urbaines menées ultérieurement par des collectifs comme Stalker.

Selon Debord, la psychogéographie se propose "l'étude des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus". Il s'agit d'explorer la ville de manière subjective, en se laissant guider par les attractions et répulsions des différents lieux urbains.

Principes et objectifs de la psychogéographie

Les principes de la psychogéographie reposent sur une remise en cause de la conception traditionnelle de l'urbanisme et de l'organisation rationnelle de la ville. Elle prône une approche poétique et subjective de l'espace urbain, en rupture avec la vie quotidienne aliénée par le capitalisme.


En 1957, Guy Debord, figure centrale de l'Internationale situationniste, a créé une "Carte psychogéographique de Paris" intitulée "Discours sur les passions de l'amour". Cette carte représente une vision subjective et poétique de la capitale française, découpée en différentes "unités d'ambiance" ressenties lors de dérives urbaines.

Pour réaliser cette carte, Debord a découpé et réagencé des fragments d'un plan de Paris de 1920 par Georges Peltier, intitulé "Plan de Paris à vol d'oiseau". Ces fragments correspondent aux différentes zones psychogéographiques identifiées, c'est-à-dire des quartiers ou rues dégageant une ambiance particulière selon la perception des situationnistes.

Carte psychogéographique de Paris par Guy Debord

Cette carte illustre la volonté des situationnistes de se réapproprier subjectivement l'espace urbain en brisant la logique fonctionnelle de l'urbanisme traditionnel. Elle représente une contre-cartographie poétique basée sur l'expérience vécue de la ville lors des dérives.

La carte psychogéographique de Paris est devenue une œuvre emblématique de la remise en cause situationniste de la société du spectacle et de l'aliénation de la vie quotidienne. Elle ouvre la voie à une réinvention ludique et créative de la pratique de la ville.


L'objectif est de créer de nouvelles situations en détournant les espaces de leur fonction initiale, afin de provoquer un choc émotionnel et une prise de conscience chez les participants. La dérive psychogéographique, principale technique utilisée, vise à briser les comportements automatiques en explorant la ville de manière ludique et imprévisible.

Lien avec l'Internationale situationniste

En 1957, l'Internationale lettriste fusionne avec d'autres groupes d'avant-garde pour former l'Internationale situationniste, dont Guy Debord est la figure centrale. La psychogéographie devient alors un concept clé de la théorie situationniste, inspirée par le marxisme et la critique de la société de consommation.

Les situationnistes considèrent la psychogéographie comme un outil de subversion et de réappropriation de l'espace urbain, aliéné par le capitalisme. Ils développent des techniques comme la dérive, la construction de situations et la théorie des ambiances pour transformer la vie quotidienne.

Exemples de pratiques psychogéographiques

Un exemple célèbre est la dérive menée en 1958 à Paris par Guy Debord et Abdelhafid Khatib, qui a donné lieu à la création d'une carte psychogéographique de la ville, représentant les différentes "unités d'ambiance" ressenties.


Venise, avec ses canaux labyrinthiques et son architecture unique, a été un terrain fertile pour la pratique de la dérive psychogéographique développée par les situationnistes. Voici quelques exemples concrets de dérives menées à Venise :

Guy Debord lui-même a réalisé en 1957 un film intitulé "Hurlements en faveur de Sade" qui documente une dérive dans les ruelles et canaux vénitiens. Le film capture l'ambiance psychogéographique de la ville avec ses séquences de déambulations aléatoires et ses ruptures de narration.

En 1969, le groupe d'artistes italiens Stalker a entrepris une longue dérive de deux jours à Venise, parcourant la ville de manière imprévisible et explorant ses recoins cachés. Leur objectif était de "rendre l'invisible visible" en redécouvrant la ville sous un angle psychogéographique.

Plus récemment, en 2011, le collectif français Exyzt a réalisé une intervention psychogéographique intitulée "Dérivations" lors de la Biennale d'architecture de Venise. Ils ont construit des structures flottantes dérivantes sur les canaux, invitant les participants à expérimenter la ville d'une manière nouvelle et poétique.

Ces exemples illustrent comment Venise, avec son urbanisme aquatique et son atmosphère onirique, a été un terrain propice aux dérives situationnistes visant à réenchanter l'expérience de la ville par une approche psychogéographique subversive.


D'autres artistes comme les Stalker italiens ou les Canadiens de l'Interdisciplinary Body ont également mené des dérives urbaines et des interventions psychogéographiques visant à réinventer les usages de la ville.


Le groupe Stalker

Formé à Rome en 1995, Stalker est un collectif d'architectes, d'artistes et de chercheurs qui explore les territoires urbains à travers la dérive psychogéographique. Leurs interventions visent à "rendre l'invisible visible" en redécouvrant la ville sous un angle subversif.

En 1996, Stalker a entrepris une longue dérive de deux jours à Venise, parcourant la ville de manière imprévisible et explorant ses recoins cachés, ses espaces résiduels et ses zones abandonnées. Cette dérive intitulée "Attraverso i territori attuali" visait à cartographier les "Territoires Actuels", ces interstices urbains délaissés par l'urbanisme officiel.

Depuis, Stalker a multiplié les dérives psychogéographiques dans différentes villes, produisant des cartographies subjectives et poétiques de l'espace urbain. Leurs actions remettent en cause les usages normés de la ville pour en révéler les potentialités insoupçonnées.


Le collectif Interdisciplinary Body

Fondé à Montréal en 2005, l'Interdisciplinary Body est un collectif d'artistes qui développe des projets in situ explorant les liens entre corps, architecture et environnement urbain. Leurs performances et interventions s'inspirent de la psychogéographie situationniste.

En 2009, ils ont réalisé "The Camino Project", une longue dérive psychogéographique le long du chemin de Compostelle en Espagne. Le collectif a produit une cartographie sensible de ce parcours historique, basée sur leurs perceptions subjectives des lieux traversés.

Plus récemment en 2019, leur projet "Drift Sideways" à Montréal invitait les participants à une dérive urbaine explorant les dimensions invisibles et les récits cachés de différents quartiers.

Ces deux collectifs perpétuent l'héritage de la psychogéographie en proposant des lectures critiques et poétiques de la ville par l'exploration déambulatoire et la remise en cause des usages conventionnels de l'espace urbain.


Le collectif d'artistes italiens Stalker a mené plusieurs interventions psychogéographiques majeures à Bordeaux et dans sa métropole ces dernières années :

Exposition au CAPC musée d'art contemporain (2004)

En 2004, le CAPC musée d'art contemporain de Bordeaux a accueilli une grande exposition rétrospective consacrée à Stalker, intitulée simplement "Stalker". Cette exposition présentait les travaux du collectif depuis sa création en 1995, avec une emphase sur leurs dérives urbaines et leurs cartographies subjectives de l'espace public.

L'exposition comprenait notamment la projection de films documentant leurs explorations psychogéographiques dans différentes villes, ainsi que des installations in situ réalisées spécifiquement pour les espaces du CAPC.

Le projet "Aux Bord'eaux" (2009-2011)

Entre 2009 et 2011, Stalker a développé à Bordeaux le projet "Aux Bord'eaux", une vaste intervention artistique et citoyenne autour du réseau de tramway en construction.

Le collectif a mené une série de dérives le long des futurs tracés de tram, explorant les territoires traversés et rencontrant les habitants. Ces parcours ont donné lieu à des cartographies sensibles recensant les usages, les histoires et les potentialités de ces espaces en mutation.

"Aux Bord'eaux" visait à réinventer poétiquement la relation entre la ville et ses nouvelles infrastructures de transport, en impliquant les citoyens dans une réappropriation psychogéographique de leur cadre de vie.

Ces deux projets majeurs illustrent la démarche de Stalker consistant à arpenter la ville de manière déambulatoire pour en révéler les dimensions cachées et les possibles insoupçonnés. Leurs interventions à Bordeaux ont permis de porter un regard neuf et subversif sur l'espace urbain bordelais.


Influence sur l'art du 20ème siècle

La psychogéographie a eu une influence majeure sur de nombreux courants artistiques du 20ème siècle, comme le situationnisme, le mouvement Fluxus, le happening ou encore l'art conceptuel. Elle a inspiré des artistes à développer des pratiques in situ remettant en question les frontières entre art et vie quotidienne.

En proposant une approche subjective et critique de l'espace urbain, la psychogéographie a ouvert la voie à de nouvelles formes d'expression artistique basées sur l'expérience vécue et la transformation des situations existantes. Son héritage se poursuit encore dans de nombreuses démarches artistiques explorant les territoires urbains.