Recherche

Résumé

Ma recherche vise à cerner le degré d'adaptation des populations du passé au milieu côtier, milieu particulièrement riche en ressources alimentaires. Les ressources côtières peuvent pallier la raréfaction des ressources terrestres, apporter de nouveaux nutriments bénéfiques pour la santé et font de ces zones des routes favorables à la dispersion des populations. Les zones côtières ont donc pu jouer un rôle déterminant dans l'évolution humaine.

En complément, je cherche à cerner l’émergence de l'exploitation de la malacofaune, qu'elle soit d'origine marine ou terrestre, les modalités d'exploitation de ces malacofaunes, leur complémentarité, ainsi qu'avec les faunes vertébrées.

Mes travaux sont basés sur des analyses taphonomiques et archéozoologiques pluridisciplinaires (par l'analyse croisée des vertébrés et invertébrés terrestres et marins), complétées par la réalisation de référentiels de traitement de carcasses d'ongulés et des approches interdisciplinaires (ethnoarchéologiques par exemple). Ils portent sur la complémentarité des ressources animales terrestres et marines, ainsi que sur les stratégies territoriales liées à l’exploitation des zones côtières tout en considérant les contraintes locales auxquelles les Hommes ont dû s’adapter.

Actuellement mes recherches se concentrent sur le Middle Stone Age d’Afrique du Nord, période et aire géographique clefs pour cerner l’origine des premiers Hommes anatomiquement modernes et de leurs innovations durant le Pléistocène, avant qu’ils ne se diffusent ailleurs dans le monde. J’élargis également mon approche à la zone circumméditerranéenne, aussi bien aux Néandertaliens du Pléistocène en Europe, qu'aux Hommes pleinement anatomiquement modernes de la fin du Pléistocène supérieur et du début de l'Holocène en Afrique du Nord et en Eurasie. Ainsi, je cerne variabilité chronologique et spatiale de l'adaptation au milieu côtier chez différentes lignées humaines.


Domaines de compétences

  • Analyse des vertébrés terrestres (déterminations taxinomiques, anatomiques ; analyses taphonomiques et archéozoologiques ; quantification ; subsistance et industrie osseuse)
  • Analyse de la malacofaune marine et continentale (détermination ; quantification ; analyse taphonomique ; subsistance ; ornements ; outils)
  • Actualisme (expérimentations de boucherie ; référentiels néo-taphonomiques ; ethnologie)
  • Interdisciplinarité (croisement des données de la technologie lithique et de l'archéozoologie; ethnoarchéologie)

En plus de l'analyse du matériel, je participe activement aux terrains et à l'acquisition des données primaires.


Principaux résultats publiés

Les faunes présentes dans les sites de Témara (Maroc, façade atlantique) au Pléistocène supérieur ont principalement des affinités sub-sahariennes (e. g. Antilopinés), mais également, dans une moindre mesure, européennes (e.g. Sanglier). Elles sont composées d'Ongulés (Gazelles, Alcélaphinés, Bovinés, etc.) et de carnivores (Canidés, Hyénidés, Ursidés, etc.) (Michel et al., 2009, 2010; Stoetzel et al., 2012).

Les Hommes n'ont pas été les seuls modificateurs des faunes présentes dans les grottes néo-côtières du littoral atlantique marocain (e. g., Campmas, 2012; Campmas et al., 2015; Campmas et al., 2017). Les Canidés ont pu au même titre que l'hyène intervenir sur ces faunes (Campmas et al., 2017), puisqu'ils sont également capables d'exploiter intensément les carcasses d'Ongulés (Campmas et Beauval, 2008).

Pour identifier le ou les carnivores responsables des modifications observables sur les faunes archéologiques et ceux qui ont pu être en compétition pour les proies et les cavités avec les Hommes, il est nécessaire de multiplier les référentiels néo-taphonomiques (rares pour les carnivores d'Afrique du Nord). Dans ce cadre, en croisant les regards de micro et méso-macrofaunistes, un premier référentiel de contenus coprogéniques produits par plusieurs catégories de carnivores, de petite taille (cf. Genette et Renard), de moyenne taille (cf. Chacal) et de grande taille (cf. Léopard), nous a permis de mieux cerner les proies, les portions anatomiques, la fragmentation et le degré de digestion caractérisant ces différents prédateurs (Campmas et al., 2018).

Les fluctuations climatiques du Pléistocène supérieur ont eu des incidences majeures sur l’eustatisme. Elles ont également joué un rôle déterminant sur l'occupation des zones côtières par les Hommes en Afrique du Nord et son enregistrement (e. g., Stoetzel et al., 2014; Campmas et al., 2015).

L'exemple d'El Mnasra US8 (110-100 ka) suggère que les groupes atériens ont exploité des ressources diversifiées (nombreuses espèces d'ongulés, mollusques marins) qu'ils ont acquises probablement à proximité des sites dans des environnements variés (terrestres et littoraux) (e. g., Nouet et al., 2015; Campmas et al., 2016a, 2017).

Les Atériens (US 8-El Mnasra, 100-110 ka) ont exploité les faunes aussi bien à des fins alimentaires (Ongulés et Mollusques) que symboliques (ornements en Nassariidae) et techniques (industrie osseuse) (Campmas, 2017).

La faible densité de matériel, le nombre réduit de proies exploitées, les chaînes opératoires lithiques fractionnées suggèrent que l'occupation de l'US8 d'El Mnasra (100-110 ka) était de courte durée. La mauvaise qualité des matières premières lithiques locales ne semble pas avoir attiré les hommes dans cette zone. Il est probable que ce soient plutôt les ressources littorales qui aient été attractives pour les Atériens (e. g., Campmas et al., 2016a, 2017).

Parmi les mollusques marins, les groupes atériens de l'US 8 d'El Mnasra ont exploité surtout des moules, patelles et aussi des troques et des thaïs à des fins alimentaires. Le spectre de la malacofaune marine consommée dans les enregistrements naturels fossiles sub-contemporains de la Carrière 10 (Rabat) est beaucoup plus diversifié et comprend par exemple des bivalves de milieux sablo-argileux, ce qui suggère une sélection de certains taxons par les Hommes. Dans le niveau archéologique, les coquilles de Nassariidae sont également nombreuses et certaines d'entre elles présentent des traces d'usure et/ou des résidus de pigments attestant de leur utilisation comme ornements. Des graviers ou des fragments de coquilles sont aussi présents dans quelques-unes d'entre elles, indiquant qu'elles ont été collectées à l'état de coquille en position secondaire. L'échantillon géologique fossile sub-contemporain comprend de nombreuses coquilles de Nassariidae ce qui va dans le sens d'une possible acquisition locale de ces coquilles. Ainsi, si les mollusques marins consommés et les coquilles utilisées comme ornements diffèrent, ils ont cependant probablement pu être tous acquis à proximité du site (Campmas et al., sous presse; Chakroun et al., 2017)

Ces nouvelles données sur les relations entre les hommes et leurs environnements, notamment avec les animaux qui les entouraient, participent au changement de paradigme sur l'Atérien. Contrairement à ce qui était proposé (à savoir que l'Atérien était un technocomplexe daté entre 40 et 20 ka succédant au Moustérien, dont les auteurs étaient des Néandertaliens qui consommaient uniquement des gazelles), l'Atérien: 1) se développe entre 150-40 ka environ, ses industries lithiques s’intègrent dans la variabilité du Middle Stone Age africain, 2)ses auteurs sont les Hommes anatomiquement modernes anciens qui ont pu participer à la 1er sortie d'Afrique, 3) l'occupation de certaines zones (e.i. actuel Sahara et zones côtières), et la démographie des populations ont été influencées par les changements climatiques, 4) les blocs de pigments avec des facettes d'usure et les parures attestent qu'ils avaient des comportements complexes. Les Atériens n'ont pas été les seuls prédateurs, puisque les carnivores ont également pu accumuler des proies dans les cavités. Ces hommes ont consommé des ressources diversifiées (aussi bien des mammifères que des mollusques marins en zone côtière). Si certains mollusques marins ont été consommés (e.i. patelles et moules), des coquilles (de Nassariidae) ont été utilisées pour la parure attestant de la pratique de comportements symboliques (Campmas, 2017; Campmas et al., 2017).

Les groupes ibéromaurusiens, notamment à l'Abri Alain (Oran, Algérie, 15 ka) ont également utilisé la malacofaune marine pour l'alimentation et l'ornementation.

Parmi les taxons consommés nous avons identifié des Patellidae, Mytilidae principalement, mais aussi des Trochidae et Muricidae. Toutefois, cette collection ancienne ayant fait l’objet de sélection d’une certaine catégorie de matériel, il est probable que l’échantillon conservé ne constitue qu’une portion de ce qui a pu être consommé par ces groupes. Sur certaines des coquilles de patelles, des encoches pourraient être la conséquence de leur collecte, une encoche sur une coquille de moule pourrait attester de l’ouverture de ce mollusque cru.

Les Ibéromaurusiens ont également utilisé les coquilles de mollusques marins à des fins non alimentaires: Dentaliidae, Glycymerididae, Cardiidae, Turritellidae. Leurs surfaces émoussées prouvent qu’elles ont été collectées à l’état de coquille vide (sur la plage ou en position fossile). Ces coquilles portent également dans de nombreux cas des traces de pigment et certaines présentent des traces de préparation ou d'usure indiquant qu'une partie a pu être utilisée comme parure. D'un point de vue général, les supports d'ornements apparaissent beaucoup plus diversifiés à l'Ibéromaurusien qu'à l'Atérien (Campmas et al., 2016b).

Les populations néolithiques semblent avoir intensément exploité les ressources littorales, comme en témoignent les remplissages pulvérulents, riches en coquilles de mollusques marins attribués à cette période, et la présence de restes de poissons marins de grande taille ou d'oiseaux marins avec des traces de découpe. Notons qu'un coracoïde de grand pingouin portant des traces de découpe a été identifié dans la couche 1 d'El Harhoura 2. C'est la première mention africaine de cette espèce (Campmas et al., 2010a).

Des prospections le long de l'oued Bouregreg et ses affluents, vers le le Maroc central, ont permis de découvrir des sites préhistoriques inédits dans la région d'Oulmès. La réalisation de sondages, auxquels j'ai participé, a mis en évidence du matériel archéologique, associé à des restes de faune et des restes humains (Sens et al., 2016).

J'ai également analysé des faunes européennes. L'étude archéozoologique des archéofaunes de l'abri Vidon (Gironde, France), fouillé à la fin des années 1950, s'intègre dans la révision des comportements du Magdalénien dans le Sud-ouest de la France. Elle a relevé qu’en plus du trio rennes-équidés-bovinés, l’antilope Saïga est présente dans un niveau daté à 15-14 000 cal BP. Cette occurrence soulève des questions : maintien de ce taxon à des périodes récentes ou mélange des niveaux archéologiques ? Les Magdaléniens ont réalisé des activités de boucherie intenses dans ce site, exploité de l’ours, utilisé des restes dentaires pour la parure, produit de l’industrie osseuse et gravé des restes de faune (Campmas et al., 2011).

J'ai aussi analysé du matériel faunique d'Afrique du Nord issu de zones actuellement désertiques. Ainsi, j'ai observé des restes de faune issus de prospections TOTAL en Mauritanie (Nord Ouest de la Majâbat). J’ai identifié des restes appartenant à des Antilopinés, des Hippopotamidés, des Rhinocérotidés, des Proboscidiens, des Crocodiliens ainsi qu'à des poissons. L’affinité lacustre de certains de ces taxons est en accord avec l’environnement de leur découverte , dans des zones de paléo-lacs. Des vestiges lithiques étaient spatialement associés à des concentrations osseuses, ce qui laisse supposer qu’il pourrait s’agir de zones de boucherie. Malheureusement, le mauvais état de conservation du matériel ne m’a pas permis d’observer les traces de surface sur les ossements. Cependant, la présence de ces faunes montre que la région a pu être favorable, à différentes périodes au cours du Pléistocène et de l’Holocène, à l’implantation des Hommes dans la région (Campmas et al. 2010b).

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