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Le paradoxe de l'insight dans la schizophrénie : une meilleure conscience de son trouble diminue la qualité de vie et augmente les idées suicidaires

La pathologie schizophrénique est souvent associée à de profondes altérations de la conscience de la maladie et de ses conséquences aboutissant à des difficultés, pour les patients, à identifier le besoin d’un traitement et à y consentir. La reconnaissance de la maladie est donc un concept-clé en psychopathologie qui est régulièrement référencée sous le terme d’insight. Ainsi, des études ont montré qu’un meilleur insight est associé des améliorations cliniques, notamment par le biais de la conscience de la nécessité de suivre un traitement. Ce constat fonde les mesures thérapeutiques visant à améliorer l’insight chez les patients schizophrènes. Or, l’insight a des effets paradoxaux : si un meilleur insight semble prédire un meilleur devenir, il est également associé à des symptômes dépressifs plus importants. Selon ce modèle, augmenter l’insight des patients schizophrènes pourrait avoir un effet négatif associé au risque de suicide dont on sait qu’il constitue un risque majeur chez les patients souffrant de schizophrénie.

Beaucoup d’études évoquant les conséquences négatives d’un bon insight ont exploré les relations entre des variables mesurées simultanément, ne permettant pas d’aborder la question de la direction de la relation entre dépression et insight. En effet, il est probable que des symptômes dépressifs accrus augmentent la prise de conscience par le patient de son état de santé ; à l’inverse, il est aussi possible qu’une conscience accrue d’être touché par un trouble psychique sévère provoque des symptômes dépressifs.

Notre travail a consisté à étudier la direction de la relation entre l’insight, la qualité de vie, la dépression et les idées suicidaires à l’aide des données longitudinales de 370 patients suivis dans la cohorte des Centres Experts Schizophrénie de la Fondation FondaMental. A l’aide de méthodes de modélisation statistique, nous sommes parvenus à établir un modèle selon lequel une meilleure conscience de sa maladie provoquerait une diminution de la qualité de vie des patients, qui elle-même engendrerait une augmentation de la dépression, aboutissant à une augmentation des pensées suicidaires. En plus de cette cascade causale, il semble qu’un bon insight exercerait un impact négatif supplémentaire de manière indépendante et simultanée sur la qualité de vie, la dépression et les pensées suicidaires. Une version simplifiée du modèle est disponible en bas de cette page.

Les résultats de notre étude plaident en faveur d’un contrôle strict des symptômes dépressifs chez les patients souffrant de schizophrénie ayant une bonne conscience de leur trouble. Aussi, les interventions visant à augmenter l’insight devraient être utilisées avec beaucoup de précaution chez les patients schizophrènes ayant une humeur dépressive ou rapportant une mauvaise qualité de vie, en raison d’un risque augmenté de survenue de pensées suicidaires.

Mickael Ehrminger

Vous pouvez consulter l'article original en suivant ce lien : Modeling the Longitudinal Effects of Insight on Depression, Quality of Life and Suicidality in Schizophrenia Spectrum Disorders: Results from the FACE-SZ Cohort.

Merci à Eric pour ses commentaires.

Modèle simplifié

Les double-flèches indiquent des covariances/corrélations, les flèches simples indiquent des régressions. Les coefficients sont standardisés (et non standardisés entre parenthèses). Les ellipses sont des variables latentes et les rectangles des variables observées.