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Retour de la conférence EDENI sur l’Ecoanxiété

02/12/19 – 19h30 - Maison de Crowdfunding

Co-écrit par Louise, Yohan et Anna. 

Les trois intervenant.e.s étaient : 

La table ronde est animée par Joanna Levy du collectif EDENI.

La deuxième moitié de la conférence était dédiée à des prises de paroles par le public (et aux réponses des intervenant.e.s). 


Description de l’événement 

Face au contexte actuel d'épuisement des ressources et à l'effondrement probable de nos sociétés telles que nous les connaissons, comment ne pas être traversé·e par toutes sortes de profondes émotions et un fort sentiment d'impuissance ? Nombreux·ses sont celles et ceux qui se retrouvent en proie à de réelles crises d'anxiété face à la destruction actuelle du vivant et à ressentir une colère grandissante envers les autres et elles·eux-même. Ce mal de plus en plus répandu porte désormais un nom : l'éco-anxiété. Si l'éco-anxiété est une réponse normale et saine à la menace qui nous fait face, elle reste un problème majeur qu'il faut tenter de comprendre pour réussir à mieux vivre avec.

Comment aider chacun·e à mettre des mots sur ses émotions ? L'écoanxiété est-elle une étape inévitable - et nécessaire - lorsque l'on s'intéresse aux questions environnementales actuelles ? Quelles stratégies peuvent construire les personnes engagées afin de ne pas oublier leur santé psychique au profit de leur combat écologiste ?

Nous avons reproduit ici les idées essentielles de la conférence, tout en les complétant et en ajoutant des éléments qui nous paraissaient importants. 


Qu’est-ce que l’éco-anxiété ? 

Définitions selon Wikipedia : 

- écoanxiété : c’est une forme d’anxiété causée par les catastrophes environnementales et les menaces à l’environnement, comme la pollution et le dérèglement climatique. 

- solastalgie : Selon Glenn Albrecht, philosophe de l’environnement et professeur au Département d’études environnementales de l’Université de Murdoch, en Australie, l’inventeur de ce néologisme, la solastalgie désigne « l’état d’impuissance et de détresse profonde causé par le bouleversement d’un écosystème. » Étymologiquement, ce concept combine le mot latin solacium (réconfort), les mots grecs nostos (retour à la maison) et algos (douleur). Ainsi, ce terme définit la douleur ressentie lorsqu’on reconnaît que le lieu où l’on réside et que l’on aime est menacé. En bref, la solastalgie est une forme de mal du pays que l’on obtient quand on est encore chez soi [1]. Pour Lindsay Galway et al., la solastalgie est un concept relativement nouveau pour comprendre les liens entre la santé des êtres humaines et des écosystèmes, plus précisément les effets cumulatifs des changements climatiques et environnementaux sur la santé mentale, émotionnelle et spirituelle [2].  Même si Wikipedia regroupe (en français), les deux notions, une des intervenantes de la conférence préférait le mot solastalgie à écoanxiété, car celui-ci met en avant à la fois le positif et le négatif de ce que nous pouvons ressentir, et pas seulement le négatif. 

Il est souvent mentionné que la détresse écologique est semblable à un processus de deuil. Celui-ci est composé d’une phase descendante : (choc), déni, colère, marchandage puis tristesse, et d’une phase ascendante : l’acceptation, le pardon, la quête du sens, et enfin la paix et la sérénité retrouvées. Ce sont bien sûr des généralités, et de nombreuses variantes sont possibles (notamment ce processus peut-être non linéaire) [3]. 

Nous remarquons que ce sujet devient de plus en plus étudié, même par la sphère médicale : l’une des intervenantes est médecin et un médecin du public a pris la parole pour dire que l’écoanxiété est devenu un motif de consultation.

L’écoanxiété a un profil hybride, à la limite entre le rationnel et les émotions : ce sont des émotions qui semblent avoir une origine parfaitement rationnelle (les faits scientifiques), qui reste marginalisée (victimes qualifiées péjorativement « d’hypersensibles »). Cependant, l’origine scientifique de  l'écoanxiété n’est pas claire : des campagnes (on peut penser à celle de Greenpeace) ont pu mettre à profit des biais cognitifs humains pour provoquer l’émotion. Faut-il donc que l’écoanxiété se revendique de la science, se justifie par la science ? (On a décidément du mal à sortir du dualisme raison-émotion et de la primauté de la raison...) 


Qui est touché.e par l’écoanxiété/solastalgie ? 

Le profil type semble s’orienter vers « jeune très diplomé.e », même si tous les profils socio-professionnels semblent touchés. Lorsque nous avons assisté à la conférence, aucune étude sociologique n’avait été réalisée sur le sujet. Mais à l’heure, où nous écrivons ces lignes, nous avons pris connaissance d’une étude sur l’écoanxiété, terminée en novembre 2019 (voir Pour aller plus loin, à la fin de l’article).

Pourquoi tout le monde n’est pas écoanxieux/solastalgique? La réponse donnée était : car tout le monde n’est pas au courant ou n’a pas compris l’urgence climatique et tant mieux pour eux/elles, bien heureux.ses les ignorant.e.s protégés par le déni.

Ceci pose la question suivante : doit-on garder notre écoanxiété pour nous – afin de ne pas inquiéter nos proches, et qu’iels ne soient pas inquiet.e.s à leur tour –, ou au contraire doit-on répandre notre écoanxiété car cela permet une prise de conscience ? Ne rien dire pour protéger et ne pas braquer c’est risquer de s’isoler. 


Quelques pistes pour commencer à sortir de ce désespoir

L’écoanxiété est un indicateur de la compréhension du problème environnemental. Avoir peur, être angoissé.e, être en colère, etc., c’est savoir. Un membre du public a pris la parole pour dire qu’il avait fait un atelier les Roseaux Dansants, qui s’inspire du travail de Joanna Macy, voir Pour aller plus loin, à la fin de l’article), qui lui avait permis d’identifier que la tristesse qu’il ressentait était un marqueur de son envie d’agir et que sa colère et sa peur étaient indicatrices de son envie de justice. 

Ne pas prendre responsabilité pour les erreurs des autres et du passé. Nous n’avons pas choisi d’arriver dans cette société thermo-industrielle, alors il faut arriver à ne pas porter tout le poids du monde sur ses épaules. On peut également se rassurer en se disant que le peuple seul n’est pas responsable de la situation actuelle, les politiques et les industriels en sont largement responsables. 

Vivre dans le présent. Nous sommes écoanxieux.se car on se projette dans le futur, qui nous effraie. Or, il y a suffisamment à s’émouvoir, à s’indigner, à se révolter maintenant pour ne pas en plus avoir à réfléchir au futur. Ancrer sa lutte dans le présent, permet d’avoir un impact sur le seul temps qui nous appartient, et sur lequel on peut agir directement (sans pour autant se laisser envahir par la peur de l’avenir). 

Ne pas avoir peur de parler. Même si parler de son écoanxiété peut faire peur. En effet, cela nécessite notamment une certaine vulnérabilité, de dépasser la peur de l’incompréhension de l’interlocuteur.ice et la peur de répandre son écoanxiété, et de savoir comment en parler. Ne pas hésiter à en parler avec ses proches, pour éviter les stigmatisations sous forme de blagues (« et ton [objet aléatoire] il est bio ? »). 

Guérison par l’action et le collectif : Trouver un groupe, mener des actions concrètes, même petites, permet de trouver du soutien et de transformer son désespoir en quelque chose de positif. De plus, agir à notre échelle permet d’être cohérent.e avec nos convictions, et permet de limiter la dissonance cognitive, ce qui est de toute façon souhaitable. 

[D’autres pistes sont données plus bas, dans la rubrique « Pour aller plus loin »]


Conclusion

L’écoanxiété pose la question du repli sur soi, de la radicalisation, de la difficulté à comprendre et à se faire comprendre d’une part non négligeable de la population, du moyen de se soigner. Mais faut-il chercher à se soigner, ou apprendre à utiliser notre « désespoir environnemental » ?, pour reprendre une expression de Joanna Macy (voir Pour aller plus loin). 

Le développement, pour chacun, d’une spiritualité propre est-il un dévoiement de la lutte sociale (et une cause de fracture, par exemple les critiques de certain.e.s gilets jaunes sur la culture régénératrice mise en place à Extinction Rebellion), ou une étape nécessaire dans un changement radical de notre rapport au vivant ? (cf. un article du Monde Diplomatique de décembre 2019 sur la vie intérieure comme nouvelle âme de la gauche.)

Pour finir, une petite citation rapportée par Eva Roussel : « Il y a pleins de combats que l’on mène, pas parce qu’on sait qu’on va gagner à la fin, mais parce qu’ils sont justes ». 


Pour aller plus loin


Sources