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Le CO2 que cache la forêt : la biomasse forestière, une énergie renouvelable ?

1. Introduction 

La conférence du 22 Octobre 2019 portait sur la question de l’énergie forestière et de ses implications. Intitulée « Le CO2 qui cache la forêt : la biomasse forestière est-elle une énergie renouvelable », cette discussion autour de la forêt s’est scindée en deux parties principales propres à chacun des deux intervenants, tout d’abord Aude Valade puis Va- lentin Bellassen. Aude Valade, chercheuse au CREAF (centre de recherche publique dédié à l’écologie terrestre, l’analyse territoriale et le réchauffement climatique) a énoncé les bases du constat scientifique de la question forestière, allant des mécanismes d’absorption du CO2 jusqu’aux effets des différents modes de gestion des forêts. Quant à lui, Valentin Belassen, chercheur à l’INRA, spécialisé en économie du climat après une formation en écologie fonctionnelle, a livré une analyse portant sur l’action politique, allant du simple constat politique à la critique de celle-ci. Tous deux se sont focalisés sur l’échelle européenne, territoire à différencier des forêts tropicales notamment. Avant que les deux chercheurs détaillent le sujet à travers leurs propres travaux, cette thématique a été mise en avant car les forêts prennent une place de plus en plus importante dans le débat public, que ce soit par la médiatisation des incendies de forêts ou par des manifestations cultu- relles (expositions, livres, films, ...). Cet engouement pour les forêts est centré sur son rôle dans le changement climatique et c’est pourquoi cette vision de la forêt comme puis de carbone a été questionné durant cette conférence. En effet, un article publié dans Science en Juillet 2019 semblait montrer un potentiel extraordinaire de la forêt pour absorber les gaz à effets de serre et lutter contre le changement climatique. Cependant, cette analyse a attiré de nombreuses critiques et illustre l’enjeu du sujet. C’est une fois ce contexte posé qu’Aude Valade a commencé son intervention. 

2 Le constat scientifique : Aude Valade 

2.1 Efficience de la séquestration 

Tout d’abord, les forêts représentent environ 47% du territoire européen, soit une part très importante de celui-ci, avec des densités diverses selon les régions. On note une concentration très importante dans les pays nordiques. Les forêts sont à 95% gérées et 73% le sont activement notamment en lien avec les directives européennes (suite au protocole de Kyoto) visant à augmenter la part d’énergies renouvelables dont le bois fait partie, dans le mix énergétique européen. A priori, dans un modèle simple, récolter une forêt permet de renouveler le couvert forestier et donc de séquestrer plus de carbone. Mais comme nous allons le voir, cela repose sur des hypothèses (forêt à l’équilibre, temps de croissance des arbres non pris en compte) discutables. La question est de savoir si cette énergie est réellement renouvelable et si elle permet de lutter contre le réchauffement climatique. Un élément central est celui de l’efficience en termes de séquestration de carbone, exprimé par le rapport de la quantité de carbone séquestré sur celle rejetée sur l’ensemble du cycle de vie. En d’autres termes, dans quelle mesure la croissance de la forêt, de la biomasse absorbant du carbone permet de compenser le CO2 émis sur l’ensemble du cycle de vie, de son extraction jusqu’à la fin de vie du produit. Pour mesurer l’efficience, on s’intéresse à la production primaire nette, qui est le taux auquel les plantes produisent de l’énergie chimique nette utile. On cherche à comprendre quelle est la part de carbone séquestré ou même simplement évité par la forêt. Cette efficience dépend fortement de l’âge des arbres lorsque celui-ci est relativement faible (inférieur à 50 ans). Cependant, plus l’âge des arbres augmentent, plus la « sink strength », littéralement la force du puit de carbone devient prédominante dans cette question de séquestration de carbone jusqu’à rendre les autres facteurs explicatifs marginaux lorsque l’âge des arbres dépassent 100 ans. Aude Valade nous montre ainsi que pour les forêts dont l’âge est supérieur à 50 ans, la balance carbone s’explique par l’effet « puit de carbone », cet effet pouvant être affecté par le réchauffement climatique. La réponse de la forêt au changement climatique est donc le principal déterminant du bilan carbone avec une incertitude très forte sur la réaction des forêts au réchauffement climatique. Cependant, à plus court terme, c’est l’utilisation du bois qui détermine la balance carbone. 

2.2 Quelles implications pour les pays : le cas de la France 

Pour le cas français, nous disposons d’inventaires des forêts réalisés tous les 10 ans selon trois variables que sont la densité, l’exploitabilité et le diamètre. Ces différentes variables permettent de définir plusieurs types de forêts : les forêts inexploitables, les forêts en surdensité, les forêts activement gérées et les forêts abandonnées. En France, les forêts (à 75% privées) sont considérées comme globalement peu gérées car seulement 50% d’entre- elles par an connaissent une récolte. Quant à elles, les forêts inexploitables se situent surtout dans les différents massifs montagneux. Il y a plusieurs utilisations du bois qui peuvent être faites parmi lesquelles la production d’énergie domine. On trouve aussi le bois d’œuvre et la pâte de bois principalement utilisé pour la production de papier. L’export de bois ne représente qu’une faible part. Pour comprendre l’effets des politiques ou même des différentes évolutions de l’utilisation du bois sur les émissions de CO2, il faut s’intéresser au concept de substitution. On imagine un scénario de référence qui correspond à des émissions. On crée des coefficients de substitution à partir de la comparaison des cycles de vie des produits. On évalue le montant des émissions évitées par mètre cube de bois récolté. Ces coefficients sont très utilisés mais posent plusieurs problèmes. Ils sont souvent peu transparents et cela peut compliquer leurs utilisations pour aboutir à des résultats pertinents; les forêts et leurs spécificités ne sont pas prises en compte (si on prend en compte la forêt, il est possible d’arriver à des scénarios où le coefficient est négatif); le coefficient est considéré comme constant dans le temps. Ce dernier point pose un réel problème. La substitution est plus un concept qu’un simple coefficient multiplicatif. A un horizon de 100 ans par exemple, l’innovation technologique peut modifier le coefficient de substitution. Ou encore si on a une augmentation des prélèvements de bois, alors le prix peut baisser et engendrer une augmentation de l’utilisation de la ressource et du chauffage et in fine, modifier le coefficient de substitution. Malgré ces défauts, les coefficients de substitutions restent un outil particulièrement intéressant. Finalement, l’utilisation de ces coefficients de substitution nous apprend qu’à moyen terme, l’augmentation des récoltes n’est pas compensée par la substitution en termes de carbone. Une des conclusions est aussi que l’endroit où sont prélevées les ressources en bois peuvent faire toute la différence. 

2.3 L’impact de la gestion des forêts sur le climat 

Les forêts ont des effets biophysiques sur le climat puisqu’elles permettent notamment de réfléchir et d’absorber une partie de l’énergie solaire. Elles absorbent du CO2 par la croissance de leurs biomasses et jouent un rôle important dans l’évapotranspiration. C’est en particulier lors de l’accord de Paris que la vision des forêts comme outil de stockage de CO2 et réduction de la température mondiale s’est confirmée. Dans cette optique, des modélisations ont été réalisées à l’échelle européenne pour comprendre plus en profondeur l’impact des forêts et de leurs différents modes de gestion. Pour cela, ils ont divisé l’Eu- rope en pixels de 50km sur 50km, en prenant en compte 7 espèces d’arbres importantes, plusieurs classes de diamètres, trois différents types de gestions (futés, taillis, non récoltés) et une récolte basée sur le diamètre et la densité. Pour maximiser la séquestration de car- bone à l’horizon 2095, selon la modélisation1, il faudrait substituer une partie des forêts dites « futées » (actuellement dominantes) en forêts non récoltées de manière à capter un maximum de CO2. Cependant, si l’on veut satisfaire les objectifs de température, il faudrait augmenter le nombre de taillis. De plus, pour les objectifs en termes de séques- tration de carbone, il faudrait privilégier les conifères aux feuillus alors que les objectifs de température nécessitent l’inverse. En effet, si les conifères permettent de capter plus de CO2, ils ne perdent pas leurs feuilles en hiver, ce qui ne permet pas de réfléchir la lumière sur la neige par exemple, et cela contribue à un réchauffement plus important. De plus, les feuilles des feuillus sont plus claires et absorbent moins de chaleur, la composition en eau de l’atmosphère est aussi un facteur déterminant en fonction du type de forêts. Ainsi, les solutions aux différents problèmes semblent contradictoires et difficiles à concilier. Toute- fois, le rôle des forêts européennes pour contrer le réchauffement climatique est à priori relativement faible en comparaison avec des forêts tropicales beaucoup plus humides par exemple. 

Pour conclure, la forêt ne devrait pas être uniquement vue comme un élément du problème climatique. Les éléments tels que les autres services écosystémiques ou son rôle pour la biodiversité ne doivent pas être oubliés. On peut dire que l’énergie provenant du bois n’est pas neutre en carbone et que notre capacité à séquestrer du carbone dans le futur est incertaine notamment à cause de l’évolution des températures. Les effets des différentes gestions ne semblent finalement pas si importants en Europe pour le climat. 

Source de l’étude : Trade-offs in using European forests to meet climate objectives, 2018, https ://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/30305744 

3. Politiques européennes forestière et objectifs climatiques : Valentin Bellassen 

Dans un second temps, Valentin Bellassen nous a présenté les conclusions de ses tra- vaux 2 sur la cohérence des politiques forestières de la communauté européenne. 

Les forêts représentent des puits de carbone potentiellement très importants, qui peuvent jouer un rôle dans la mitigation climatique à travers quatre mécanismes (les “4 S”) : 

La conclusion de cette étude est que les politiques européennes en matière de gestion forestières sont globalement cohérentes, et vont dans le sens d’un plus grand usage du bois-énergie comme substitut aux énergies fossiles. Néanmoins, cohérence ne veut pas dire pertinence, et comme l’a montré Aude Valade, le bois-énergie est loin d’être neutre en carbone. Le bénéfice climatique de la biomasse forestière est une hypothèse de long terme incertaine et qui est certainement fausse à court terme, comme le montrent ces différentes projections du bilan carbone du bois-énergie. 

Ainsi, ces politiques ne semblent pas pertinentes pour atténuer le réchauffement cli- matique, il faudrait peut-être d’avantage favoriser le stockage de carbone dans les puits naturels (écosystèmes forestiers) et artificiels (produits de construction à longue durée de vie). 

Voir notamment Frederic Baron, Valentin Bellassen, Mariana Deheza. The contribution of European forest-related policies to climate change mitigation : energy substitution first, 2013, 44 p. hal-01151909


4. Conclusion 

Ces deux études permettent d’avoir une vision plus claire du rôle des forêts face au changement climatique : le bois-énergie est effectivement renouvelable car les forêts se renouvellent à l’échelle d’une vie humaine, en revanche ce n’est pas une énergie neutre en carbone contrairement à ce que présupposent de nombreuses politiques publiques . On assiste à un décalage alarmant entre recherche et politiques publiques quant à la gestion des forêts. De plus, il semble pertinent de ne pas voir la forêt uniquement comme un puits de carbone mais également comme un écosystème riche en biodiversité et jouant un rôle dans l’équilibre climatique. Enfin, les différences d’impact résultant des différents modes de gestion des forêts restent assez marginales en Europe (à couvert forestier constant), alors que la question se pose très différemment pour les forêts tropicales.