Parcours de vie d'une astrologue

Les textes qui suivent sont des évocations très personnelles de mes découvertes astrologiques, que j'inclus dans ce site en guise de clin d’œil à mes amis et de divertissement pour les visiteurs de ce site.

L’astrologie donne le droit d’être vraiment soi et d’accepter les différences.

J’ai découvert l’astrologie très jeune, à travers les petits livres d’André Barbault sur les signes du zodiaque.

Enfant trop sensible et introvertie, je voyais bien que quelque chose ne tournait pas rond au sein du couple de mes parents, et tentais de comprendre ce qui pouvait expliquer leurs divergences et chamailleries sur ...à peu près tout sauf la politique.

Je me fis donc offrir le petit livre du bélier et le petit livre du cancer, dans la collection Zodiaque, et m’y plongeai avec application.

Mon vocabulaire d’enfant ne me permettait pas de comprendre la moitié des mots que je lisais, mais à défaut, j’observais les dessins, et en vins à la conclusion que les divergences de point de vue de mes parents venaient de ce que l’un était né au moment où régnaient les bêtes à cornes, et l’autre les bêtes à pinces, ce qui expliquait leurs échauffourées.

Je décidai alors de casser ma tirelire pour élucider les autres tempéraments familiaux, et complétai ma collection et mes déductions. Ma sœur étant née le mois du roi des animaux, il était normal qu’elle ne daigne pas se pencher sur les mesquineries des autres bêtes, et maintienne coûte que coûte une posture supérieure.

Mon frère scorpion avait hérité du caractère maternel, tout en n’étant jamais de l’avis de ma mère : similitude de bêtes à pinces, mais l’une, habituée aux déserts brûlants, ne voyait bien sûr pas le monde comme l’autre, inconditionnelle du bord de mer. Mon second frère, qui partageait avec mon père le statut de bête à cornes, se livrait à des combats de domination entre mâles, normalité rassurante là encore.

Quant à moi, je compris, avec un certain désarroi, que je n’avais pas ma place au sein du bestiaire familial, étant née sous un signe strictement humain, dépourvu de crinière, de corne et de pince. Il fut néanmoins rassurant de concevoir le caractère naturel de mon sentiment d’isolement : je soulignai de mon bic rose fluo le passage qui décrivait le Verseau comme différent et à part et pris la ferme résolution de sélectionner plus tard mes aspirants amoureux sur le critère de leur appartenance au clan des sans crinières, sans pinces et sans cornes, afin de me prémunir de toute reproduction du schéma de disharmonie parentale.

J’avais omis d’exclure de mon souhait les bêtes à écailles, et suis donc aujourd’hui mariée à un Poisson.

Mes premiers amours avec l’astrologie eurent ainsi probablement pour effet principal d’économiser à mes parents le coût de visites chez le psychologue pour enfant.

L’astrologie au banc des accusés

Mes parents avaient à l’époque un large cercle de connaissances. Pour en faire partie, il fallait réunir quatre conditions : appartenir à la caste des « notables », avoir fait des études supérieures, avoir de l’argent (mais surtout ne pas le montrer et encore moins en parler), aimer la montagne, ou au moins faire semblant. Etre médecin ou en passe de le devenir était un plus. Une amie d’enfance de ma mère réunit toutes ces conditions. Elle est de famille bordelaise aisée, exerce comme médecin anesthésiste dans un grand hôpital, et passe chaque année plusieurs semaines en montagne, seule, puisqu’elle est divorcée, ou avec mes parents. C’est la candidate idéale pour nos soirées entre gens bien. Un jour, toutefois, un incident vient gâcher la fête. La dame, dans l’ambiance paisible de la descente après le sommet, au moment où le randonneur retrouve sa langue en retrouvant son souffle, parle à ma mère de son expérience de recrutement d’équipes médicales à l’hôpital. Je suis derrière, gambadant entre les fougères et tentant du haut de mes 15 ans de ne rien perdre de la conversation. La dame est maquillée et épilée, elle ose porter une jolie jupe assez courte, donc c’est forcément une personne différente. Tout à coup, il me semble distinguer les mots magiques : jamais de scorpion si le chef de service est lion, plutôt des vierges ou des balances. Ma mère ne réagit pas à la théorie d’embauche hospitalière, se contentant d’un « ah, vraiment ?» dans lequel mon oreille exercée perçoit immédiatement une franche désapprobation. La dame semble ne s’apercevoir de rien, et continue la descente, plaisantant gaiement sur les mérites respectifs des signes d’air et de terre. Ma mère garde le silence. Quelques lacets plus loin, mon père, témoin silencieux de la scène, me prend à part. Tu sais, F, elle est gentille, c’est une vieille amie de ta mère, et elle aime la montagne, mais tu ne dois pas écouter ce qu’elle dit, car tout en étant gentille, elle est complètement folle.

Mon père semble avoir sonné le glas de mon lien à l’astrologie. Je jette pêle-mêle dans le précipice mes amis d’enfance, y compris le tenace capricorne qui tente de se raccrocher à une branche, en vain. Le soir même, je m’aperçois que la collection zodiaque a disparu de ma chambre. Ma passion survivra-t-elle désormais à l'obligation de vie clandestine au tréfonds de l'abime, ou ferai-je mienne la conception paternelle : Astrologie = Superstition de femme à la jupe un peu trop courte?

Formation universitaire - Jung, Claude et moi: symboles, mythes et liberté

Quitte à étudier les ombres de l’être humain, autant que ce soit dans une certaine esthétique. J’opte donc pour des études de lettres plutôt que de psychologie, et tant qu’à faire, il vaut mieux lire Shakespeare dans le texte. C’est parti pour des études de littérature anglaise. Cela sent bon le vieux parchemin et la rose, et la vieille Angleterre a fourni au monde tant de romanciers que j’en trouverai bien quelques-uns à mon goût. Catastrophe : il ne suffit pas de se contenter de lire, il faut Dé-Cor-Ti-Quer. Ce découpage chirurgical porte le nom ronflant de « critique littéraire », et la mode de la dite critique est aux approches psychanalytiques. Nos professeurs nous servent du Freud en entrée, du Lacan en plat de consistance et à nouveau du Freud, mais sans la crème, en dessert. Je manie le scalpel jusqu’à l’indigestion. L’épluchage lacano-freudien des complexes des personnages met à mort la magie de l’identification et m’ôte l’envie de lire, tout en aggravant ma vision déjà sombre de l’humanité. Pas le moindre petit livre d’astro pour venir à la rescousse de mes noires humeurs à la bibliothèque de l’université. En étudiante bien élevée, je fais toutefois l’effort de maîtriser les outils et de chercher comment analyser une œuvre pour satisfaire les appétits psychanalytiques gargantuesques de mes enseignants. Tricotage, détricotage, névrose, psychose, moi, surmoi, …

Un jour, le destin frappe à la porte. Une nouvelle fait irruption au cours de littérature : elle est plus âgée, vient d’un monde étrange dont je n’ai jamais entendu parler, qu’elle appelle « monde de l’industrie », sa vivacité d’esprit et sa maturité m’interpellent. Elle s’appelle Claude, et arbore une magnifique chevelure longue et crépue. Elle m’initie à Jung et surtout, oh surprise, elle me révèle à voix basse en plein cours de grammaire structurale qu’elle consulte de temps à autre un As-tro-lo-gue. Comme pour justifier ce passe-temps incongru, elle m’apprend que Jung lui-même avait étudié l’astrologie de manière approfondie. Je découvrirais des années plus tard, lors d’un séminaire d’astrologues professionnels, qu’un élève de Jung disait de son maître qu’il n’acceptait pas de prendre en charge un nouveau patient sans analyser au préalable son thème astral.

Nous nous plongeons donc avec délice dans les travaux de Jung, où j'espère retrouver les bêtes à cornes et à pinces de mon enfance, ainsi que la force de braver l’interdit paternel. Enfin l’être humain est abordé dans sa globalité, y compris sa dimension transpersonnelle. Enfin les rêves, enfin les mythes, les symboles, les archétypes, enfin de l’espace ! Cette vision jungienne de l’inconscient personnel et collectif m’apparaît alors comme infiniment plus riche et porteuse de sens que les concepts des autres psychanalystes, qui me font l’effet d’un jean trop serré. Sous l’impulsion de Claude, je lis avec délice les œuvres de Gaston Bachelard sur les éléments, et m’émerveille de sa capacité à rendre aux symboles leur poésie, tout en démontrant la solidité conceptuelle qui rassure mon esprit en quête de méthode. Claude et moi revisitons les mythes. Le dictionnaire des symboles de Chevalier et Gheerbrant devient notre livre de chevet.

Et surtout, l’astrologie refait irruption dans ma vie, par la grande porte, portée par une dame aux cheveux d’ébène qui devient mon amie pour toujours. L’astrologie moderne ne serait pas ce qu’elle est sans Jung, le « père de la grande famille des astrologues de par le monde », ainsi que le désigne mon ami Steven Forrest. Trente ans après, des centaines de romans plus tard pour Claude et un certain paquet de livres d'astrologie enfilés pour moi, Claude m’ouvre sa maison pour y lancer mon deuxième groupe d’astrologie, et je deviens son enseignante. L’amitié a bouclé la boucle. Claude m'offre désormais des romans, je lui offre des livres d'astro, Jung est quelque part là haut dans les étoiles, et la vie continue.

De l'importance de ne pas faire une confiance aveugle

Mon amie Claude insiste pour que je fasse le pas d’aller enfin voir un astrologue, un vrai, en chair et en os. Je décide d’y aller pour mes 20 ans. Mais comment réunir la somme du prix de la consultation, fort rondelette pour mon budget d’étudiante ? Rogner chaque mois sur mes dépenses ? Trop long ? Demander à mes parents ? Hors de question. Je dois gagner de l’argent, et pas mal d’argent.

Je mets au point mon business plan, une stratégie en 2 axes : me faire couper en morceaux et développer mon activité aviaire. A l’époque, mon petit ami est prestidigitateur, et je fréquente donc assidûment le milieu du strass et des paillettes. Je suis timide, menue, souple. Je ne sais ni chanter, ni danser. Pas très prometteur pour une carrière de music-hall. Reste mon seul atout sérieux : une souplesse de contorsionniste. Je parviens à me faire embaucher pour le numéro du siècle de la place toulousaine, le seul numéro de grandes illusions absolument non truqué : la boite magique.

Un magicien et deux partenaires féminines. Une boite tout à fait normale, mais décorée de bandes de manière à sembler de dimension très réduite, est amenée sur scène. Le magicien la transperce de part en part, horizontalement, verticalement, obliquement, avec une quinzaine de sabres, de telle sorte que la boite finit par ressembler à une pelote cubique criblée de grosses épingles. Le public ne comprend pas bien l’intérêt de la manœuvre.

Au dedans, deux jeunes filles lovées l’une autour de l’autre dans un volume minuscule. Réparties sur les quelques cm³ restant, dix tourterelles enfermées dans des gaines, qui ne manquent pas à chaque spectacle de nous remercier du stress que nous leur infligeons par quelques jets de fiente. Les lames des sabres, en acier véritable, sont enfilées dans la boite dans un ordre savamment orchestré : 1 sur coude, 2 sur aine, 3 ras cou, 4 ras fesse gauche, 5 sous fesse droite, ... Le magicien au dehors nous rappelle aussi discrètement que possible les consignes : baisse tête, ouvre coude gauche, ...Interdiction formelle de se gratter ou d’éternuer sous peine de finir aux urgences. Nous comptons, plus que 3, plus que 2, ...Le passage des deux derniers sabres exige que nous expirions, rentrions le ventre le plus loin possible sans bomber le torse, et cessions totalement de respirer. Malheur à nous si la pointe de l’arme accroche notre justaucorps. Nous sommes ensabrées, il fait une chaleur torride, impossible de bouger la pointe d’un orteil, le supplice est total. Le public ne se doute de rien.

Enfin vient la délivrance progressive de notre pelote de torture : les sabres sont retirés un à un, nous nous remettons à respirer, tirons les ficelles des gaines de nos volatiles afin de les libérer, serrons les genoux, prêtes à nous relever, et il ne reste plus à l’ouverture du couvercle qu’à sauter hors de la boite, et à bondir sur la scène en laissant se déplier nos robes air bag, dans un grand frou frou d’ailes et de rubans. Le public, qui ignorait le contenu de la boite, applaudit à tout rompre.

Le spectacle est grassement payé, assez pour nous motiver à ne pas prendre un gramme, ce qui compromettrait fortement le passage du sabre N°8. J’ai calculé que les dix embrochages de la saison paieraient les deux tiers de ma consultation astrologique.

Le 2ème volet de mon business plan consiste à compléter mon revenu par un élevage de tourterelles blanches de scène sur mon balcon de cité U. Le pigeon étant un animal de nature à produire rapidement une nombreuse progéniture, et chaque tourterelle se vendant 5 francs au marché noir du monde du spectacle, j’espère gagner très vite le dernier tiers de la consultation. Mais là, les choses se gâtent : d’abord, parce qu’étant peu avertie en matière de parties génitales aviaires, j’achète deux mâles au lieu d’un couple. Après quelques semaines de stérilité, je me résous à m’adresser à un spécialiste, qui me rit au nez et m’échange un de mes mâles contre une jolie femelle. Catastrophe, le mâle est si émoustillé qu’il roucoule jour et nuit sur mon balcon. Si je le rentre, je ne dors plus. J’ai beau entourer la cage d’un linge noir, sur les conseils de mes amis magiciens, et tremper le derrière de mon pigeon mâle dans de l'eau glacée, rien n’y fait, et j’ai bientôt un aperçu de guerrilla urbaine, mes voisins de l’étage supérieur bombardant de projectiles mon couple d’amoureux. Je n’ai plus qu’à jeter l’éponge.

Retour donc à la case départ, sabre 5, soulever fesse gauche, six, ……

Enfin j’ai assez d’argent, et le jour de mon RV arrive.

L’astrologue n’est pas vieux, pas le moindre grimoire poussiéreux sur ses étagères : je suis un peu déçue. Il me dit tout de go que contrairement à l’heure de naissance que je lui ai indiquée au tel, il pense, d’après la forme de mon visage, mes cheveux raides et mon expression timide, que je ne suis pas ascendant lion, mais cancer, et qu’il va donc devoir ajuster son propos à la nouvelle donne. Il modifie d’un trait de crayon mon heure de venue au monde de 90mn pour que la réalité colle avec l’impression que je lui fais. Je suis sceptique. Vient ensuite son interprétation, que j’écoute d’une oreille méfiante. Il me dit que ma vocation est de devenir « chef d’entreprise ». Ouille, que fais-je en faculté de lettres ? Que « je réussirai si je le veux à développer un commerce florissant ». Je suis pétrifiée. Moi qui n’aime que les livres et la nature, un commerce florissant ?? Je n’ai même pas réussi à revendre mes deux tourterelles procréatrices : leur lointaine descendance peuple sans doute à ce jour le jardin des plantes de Toulouse.

Je sors de cette consultation dépitée, en proie au doute quant à mon avenir, et range la cassette d’enregistrement de l'entretien pour ne plus y penser. Mon père a-t-il eu raison ? L’astrologie n’est-elle qu’ une affaire de bonne femme ? Ou alors je me trompe de voie ? Le Monsieur était-il compétent ? J’interroge ma mère, qui me certifie que je suis née autour de 19h. Pas très précis. Je raconte alors l’aventure à mon ami magicien, dont la connaissance astrologique se résume à l’horoscope du salon de coiffure qu’il fréquente. « Tu crois que je pourrais être ascendant cancer ? Ou bien que je suis ascendant lion? » « Ascendant cancer, mon c-- ! Evidemment que tu es ascendant lion ! Il suffit de vous entendre, Magali et toi, quand j’enfonce un des sabres de traviole : vous me gueulez dessus comme des lions en cage ! »

J’embrasse mon magicien, l’affaire est classée. J’ai sacrifié le salaire de 15 embrochages pour apprendre une chose : il y a astrologue et astrologue. Celui-là en tout cas ne me convenait pas.

A suivre...