Je rencontre Dominique Rousseau une première fois à Crest dans la Drôme où je présente alors une exposition, il me fait le plaisir de sa visite. Voilà un artiste qui comme moi a une histoire personnelle avec la géopoétique. Nous sympathisons facilement, il m’indique le lieu d’un arbre remarquable visible alentour, que je ne connais pas et dont il vient de faire des empreintes. En repartant, il me laisse une plaquette présentant son travail avec Kenneth White, des manuscrits sur impressions papier. Une ou deux années plus tard, lors d’un passage par Angers, il me reçoit une après-midi dans son atelier, me présente ses oeuvres et le processus de leur création.
La pratique de Dominique Rousseau est organique, en voilà un qui organise la matière de ses créations sur le modèle des processus de la nature. Il est dans les flux: humus et magma, biosynthèse, décomposition et fossilisation...
Sa plastique entrelace deux temporalités.
En amont il se balade, arpente le chaos du monde et y prélève les ‘’empreintes’’ dont il marquera l’oeuvre, c’est un temps ‘’géologique’’ de vaste amplitude, marqué au rythme des pas et du regard vagabond, léger, d’un qui cherche des coquillages sur la plage ou qui carresse une écorce. Puis vient le temps de l’atelier, de l’élaboration des pâtes à papier, de l’inclusion des empreintes, de la composition des ‘’archi-textures’’ (le mot est de White). Avec l’oeil, une main est à l’oeuvre, une humanité-témoin manifeste ''au large de l'Histoire'' un originel cosmique: voici l’Art. Du tissage de ces temps, l’espace émerge, un espace ouvert, vivant et habité où se déploie une chorégraphie plastique de présences et de formes.
Dans cette exposition on trouve des grands formats de Dominique mais aussi, à la proue, les livres d’artistes réalisés avec Kenneth White. A la rencontre des ‘’papiers’’, Kenneth White écrit, évidemment. Dans le texte d’introduction du catalogue de l’expo il parle de cette tradition des livres d’artistes dans laquelle il situe sa collaboration avec le plasticien: ’’Le livre d’artiste existe en occident, en tant que genre, depuis la fin du 19ème siècle (la France, avec Braque et d’autres, y a joué un grand rôle) mais pas toujours avec la densité et l’intensité qui conviennent. Il ne s’agit pas d’une simple juxtaposition écriture et art visuel. Il faut qu’il y ait une résonance réciproque, sensation et sens, créant une musique universelle. (…) je ne peux m’empêcher de penser aussi à ces livres illuminés, tel Le Livre de Kells, composés dans les Iles-de-l’Ouest autour du 6 ème siècle, à un tournant de la culture.’’
Et voilà: ‘’Océanités’’ présentée à la Chapelle des Ursulines à Lannion. Initialement programmée du 24 octobre 2020 au 16 janvier 2021... Mais la crise sanitaire passe par là… Comme le dit Dominique: ‘’des années de travail, cinq jours de montage et 4 jours d’ouverture au public…’’, avant que la directive de confinement ne ferme tous les lieux d’exposition.
Peut-être la programmation sera-t’elle décalée? Nous l’espérons. En attendant nous rendons ici hommage à ce travail. Retrouvez ci-après le lien vers la plateforme ou l’on peut consulter (et commander pourquoi pas) le très beau catalogue de l’expo, avec la présentation de Kenneth en intro.