CITATIONS


ALIÉNOR – Chroniques culturelles de La Rochelle et alentours


  • La griffe ursine d’Arbo

La rédaction 26 mai 2020

PEINTURE – Aliénor pousse les frontières plus loin que la Charente-Maritime et vous présente Arbo, artiste – peintre parisienne. Nicolas Villodre – plume alerte que nous pouvons lire dans la presse nationale (Mouvement, DanserCanalHistorique, Ballroom) – signe l’article, premier d’une collaboration qu’Aliénor espère fructueuse et surtout curieuse.

Arbo, artiste-peintre, expression à prendre ici au féminin, gagne à être connue. Son parcours, buissonnier, ses options, singulières, son style, rigoureux contrastent avec son travail sur la saturation chromatique et sa quête de ligne pure, absolue, « chiadée », comme il lui arrive de dire.

Elle passe ainsi de l’abstraction totale – ou presque – à la mise en scène de personnages aux contours nets mais au rôle pas toujours très précis. Et des silhouettes, des bonshommes, des figures ou visages infantiles à des groupes biomorphiques. Ces êtres zoomorphiques semblent droit issus des contes et des légendes du premier âge de l’humanité.

Des signes célestes, Arbo extrait maintenant, et de manière récurrente, l’ourse. La grande, celle de Callisto, et la petite. Sans parler des animaux de la ferme et des bestioles réputées sauvages, qu’elle hybride aux humanoïdes. Les créatures anthropoïdes d’Arbo montraient, depuis lurette, le bout de leur museau dans son musée imagé.

Elles se sont métamorphosées avec le temps : le souriceau s’est, mine de rien, peu à peu, peu ou prou, mué en ourson. Ne revenons pas ici sur les sources d’inspiration de l’artiste, qui vont du futurisme d’un Boccioni et de son Homme en mouvement en volume au cubisme revu et corrigé par Archipenko, en passant par le suprématisme malévitchéen, une fine analyse personnelle du mouvement et de l’impondérable – du pas de loup et de la patte de velours – que ce soit des acteurs du Nô, des guerriers-danseurs Aïnous ou des lutteurs de Sumo.

Le tout illustré au moyen des aplats et des cernes bien noirs caractéristiques de la ligne dite « claire ». Sans la moindre trace de coulure ou de repentir, façon Léger, Hergé ou Benjamin Rabier.

Inutile d’insister sur la maîtrise technique de l’artiste, picturalement et graphiquement parlant. Son soin maniaque apporté aux courbures ainsi qu’aux étonnantes discontinuités linéaires l’apparenterait à un Roy Lichtenstein ou à un Valerio Adami, plus qu’à un Keith Haring, auquel, à première vue, on serait tenté de l’associer.

Une note d’intention d’Arbo fait allusion à une conscience écologique – nichée à l’époque antédiluvienne dans un pli du cerveau reptilien –, à l’animisme et au chamanisme, dont on garde la nostalgie, qui, loin d’entraver la créativité, la débrident. La régression (fantasme d’un âge d’or de l’enfance) est symbolisé par tel ou tel élément de décor des vues en coupe de maisons de poupées. Ces représentations d’un monde utopique, d’un cocon de poupons, d’une ménagerie peuplée de peluches et de Teddy Bears, peuvent désarçonner.

Loin d’être inquiétantes, elles sont apaisantes. Arbo vénère autant le plantigrade que les artistes qui en ont traité avant elle, à commencer ou à finir par Pompon, sculpteur minimaliste auquel elle rend hommage dans plusieurs toiles. Elle inscrit cette démarche particulière dans ce qu’elle appelle le « courant oursoniste », autant pour sa thématique ou pour sa problématique qui trouvent, s’il le fallait le soutien des thèses emblématiques de Michel Pastoureau, que pour le legs d’artistes auxquels, on l’aura compris, elle voue également un culte.

Nicolas Villodre



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Il y a quelques mois en examinant les peintures de ARBO, sans connaître alors son attachement au Japon, je me mis à penser brusquement à Shusaku ENDO, le grand écrivain nobélisable japonais, sans doute le plus traduit aujourd’hui en français, que

j’avais lu il y a quelques années auparavant.


Rentrant chez moi, me forçant à chercher à comprendre cette correspondance, cette synesthésie, l’explication suivante me vint :

Endo et Arbo ont un même trait, qu’il soit de plume ou de pinceau !


Tous les deux parviennent avec un mode d’expression minimum, clair et percutant, à exprimer avec profondeur des idées et des sentiments.

Par intuition ils réussissent à transcender leurs effets stylistiques épurés en pensées profondes

Patrice DALIX

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Arbo, artiste sélect au Sélect

Posted By Nicolas Villodre on 11/01/2017


À l’occasion des fêtes de fin d’année et jusqu’au 7 janvier 2017, Le Sélect, café historique de Montparnasse ayant gardé le sens de l’accueil, le goût pour la chose artistique et, ce qui se fait plus rare qu’on ne croit, son charme d’antan, a présenté dans plusieurs de ses salles du rez-de-chaussée une exposition du peintre Arbo ayant pour thème le Paris des années 20. Touchons-en un mot.

Ligne claire

Si l’on considère le résultat affiché, les figures anthropomorphiques, tout aussi animales que vous et moi, quelquefois plus – on pense à la thématique de l’ours sous toutes ses formes, de l’”objet transitionnel” qu’est l’ourson, le nounours ou le Teddy Bear au “symbole de la biodiversité”, pour parler comme Michel Pastoureau, voire à celui d’une nation comme la Russie –, les influences d’Arbo percent de-ci de-là, qu’on le veuille ou non. L’actualité de sa rétrospective au Grand Palais nous incite à mentionner Hergé, fameux dessinateur de comics, créateur de personnages, d’univers et de formes dont Arbo sait tous les albums par cœur, ce jusqu’au moindre détail. Le “travail” de notre peintre “indépendant” se situe, comme celui de l’illustre belge, entre l’art mineur qu’est la BD et le bel art coté en galerie, à Drouot et en bourse; entre le graphisme virtuose aux bavures et coulures assumées mais sans repentir aucun du regretté Keith Haring et le trait posé et pensé, pesé et dosé d’un Valerio Adami.

Couleur franche

À s’en tenir là, sans vouloir remonter jusqu’aux Égyptiens et à leurs indépassables notations hiéroglyphiques, aux Byzantins et à leurs échappées belles ou velléités non figuratives, à leurs icônes aux visages fermés et yeux cernés d’un épais trait, aux avatars de “marque jaune” ayant tous “M” pour initiale, Manet, Malévitch, Matisse, Modigliani, Mondrian (certains de ces peintres ayant fréquenté Le Sélect), il est de fait que peinture et dessin, teintes saturées et contours nets et précis peuvent, de nouveau, sans complexe, cohabiter, coagir, composer ensemble, non seulement des images, des valeurs plastiques mais également des rythmes colorés, pour reprendre les termes d’un Léopold Survage. La mise à nu du pigment donné à voir comme tel s’est traduite dans l’histoire par les aplats de couleur légitimés, pour ne pas dire anoblis, par un Toulouse-Lautrec. C’est un des moyens qu’il reste au peintre pour résister à la concurrence de la caméra, à l’emprise du photon et l’empire de l’électron. Quelque chose de réactif, qui n’a rien de réactionnaire.

Futurisme

Le retour à la raison, comme disait Man Ray (un des habitués des cafés de Montparnos), n‘est pas celui de l’art pour l’art, mais plutôt celui du travail artisanal, de la simplicité, de l’élémentarité. La touche Arbo n’est pas nécessairement ostensible; néanmoins, il apparaît que chacun des tableaux et tableautins exhibés a exigé du temps, un certain temps; du soin; de la trouvaille; et du travail, du travail léché. On sera, suivant son affection, plus sensible à tel échantillon, prototype, allégorie ou série qu’à tel ou telle autre; à une période, comme on disait jadis de celles des peintres, plutôt qu’à une autre. On sera tenté de délaisser l’anecdote, le pittoresque, le naïf pour mieux apprécier la portée universelle d’un motif particulier en apparence. Sont donc bien vus et bienvenus les accents aigus brisant la rondeur paisible des silhouettes qui constituent, dirait-on, la manière nouvelle d’Arbo, ces écailles d’armures cuirassant le corps des samouraïs ayant sans doute inspiré les sculptures cubo-futuristes d’un Archipenko (Boxe, 1913) ou d’un Boccioni (L’Homme en mouvement, 1913).