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Une selection d'articles publiés dans Tunis-Hebdo, un journal hebdomadaire tunisien, entre 2000 et 2007

A selection of articles published in Tunis-Hebdo, a Tunisian weekly newspaper, between 2000 and 2007

Tunis en plein surréalisme

        Non, non, il ne sera pas question, ici, de la circulation, de la chaleur ou du transport publique. Pour une fois, nous emploierons ce mot au sens propre. Il s'agit d'un événement qui ne s'était pas produit d'une bonne vingtaine d'années. Les férus d'art ont certainement deviné: c'est l'exposition de gravures originales de Joan Miro et de Pablo Picasso. Elle s'inscrit dans le cadre de journées culturelles, merveilleusement orchestrées par la Municipalité de Tunis et l'Institut Cervantes, consacrées à l'art espagnol contemporain. Au programme: la découverte d'un courant artistique, mais aussi de toute une époque déchirée, passionnante, balançant entre larmes et dérision. Nous avons profité de la conférence tenue le 17 mai au siège de l'Institut par MM. Chiqui Abril, expert en art contemporain et rédacteur en chef de la revue POESIA et Francisco Corral Sanchez - Cabezudo, attaché près l'Ambassade d'Espagne et Directeur dudit Institut pour avoir plus de détails. En effet, il y aurait une part de hasard dans le choix des tableaux : c'étaient les seuls disponibles et ils venaient d'arriver des salles d'exposition syriennes, nous a confié M. Sanchez - Cabezudo. Mais la" véritable raison est ailleurs. A des périodes différentes, l'Espagne a donné à l'histoire de l'art de grands maîtres tels que Velasquez, Goya, Murillo. ..Mais c'est probablement au vingtième siècle que l'apport espagnol a marqué d'un manière plus décisive l'évolution et le développement de l'art universel. Picasso et Miro comptent parmi les innovateurs les plus audacieux de la peinture moderne.
      Est-il nécessaire de présenter Picasso, le grand génie de l'art du siècle dernier ? Inventeur infatigable, à dix-huit ans il avait déjà atteint un niveau magistral dans la maîtrise de la technique picturale de style classique. Son œuvre évoluera en permanence par la découverte de nouveaux chemins capables de révolutionner sans cesse l'art de son temps. L'exposition lui réserve la place d'honneur avec un pavillon consacré à la seule reproduction de Guernica -"un tableau très grand", pour reprendre le titre du communiqué de Chiqui Abril, tant par sa taille (8m sur 3m60) que par sa signification. Rappelons que cette reuvre a été commandée par le gouvernement républicain espagnol pour l'Exposition internationale qui devait se tenir à Paris en 1937. Picasso s'inspira d'un épisode de la guerre d'Espagne: le bombardement de la ville basque de Guernica par les avions allemands, le 28 avril de la même année. Achevé en moins de deux mois, Guernica ne représente pas directement l'événement lui-même ; Picasso y symbolise plutôt les horreurs des conflits humains par l'emploi de formes exprimant non seulement l'éternelle cruauté: le taureau - sacrifice fier et inutile au nom d'un plaisir sanguinaire gratuit, le cheval agonisant, le guerrier tombant, la mère et son enfant mort, la femme emprisonnée dans un immeuble en flammes, l'aspect tranchant des rayons lumineux, mais aussi le devoir de chacun de nous d'observer et de ne pas oublier. PLUS JAMAIS - tel semble le message des milliers d'yeux qui vous regardent du tableau. La guerre est également présente dans les gravures de Picasso, notamment dans la série intitulée Tête. Jeune garçon au buste. Nous y voyons les mêmes motifs à une différence près: la ligne rouge qui traverse le front du jeune homme dans la seconde gravure. Cependant, d'autres thèmes y sont présents, notamment la recherche de la beauté dans le mal dans une espèce d'érotisme satanique (Dessins d’Antibes) qui n'est pas sans rappeler la poésie baudelairienne, la flore et la faune maritime (Idem), si chère à des artistes comme Delaunay et qui fait penser aux Fenêtres d'Apollinaire ...
      Joan Miro s'inscrit dans un registre identique et différent à la fois. Certes, il a recours aux mêmes techniques - nous sommes loin de sa première période, imprégnée par la naïveté concertée d'un Douanier Rousseau, mais les sujets sont traités avec plus de légèreté, voire de dérision. Les titres de ses reuvres en témoignent: Dix ans derrière le miroir, Abstraite allongée et toute une série de Courtisans grotesques - allégories d'une sensualité surréaliste à voir absolument. Le tout agrémenté d'une exposition, devrait-on dire, "para- artistique" regroupant des affiches, mais aussi des livres sur ces deux artistes, ainsi que d'un magnifique concert d’œuvres de Albeniz, Apollinaire, Bautista, Debussy et Strawinsky, pour ne citer que ceux-là, interprétées par la soprano Elena Gragera, accompagnée au piano par Anton Cardo. Notons que ces manifestations ont lieu respectivement au Palais Kheïreddine et au Club Culturel Tahar Haddad - des endroits sacrés de la culture tunisienne. Une poignée de main entre les rives du mare nostrum. Et un pied de nez à ceux qui croient encore aux frontières. ..
 

Le droit au soleil

        C’est les vacances, il est temps qu’on rigole. Sur les patios des hôtels, animateurs et touristes jouent la farandole. Adieu livres, cahiers, classeurs, bonjour maillots, serviettes, crèmes solaires, scooters … Après le travail, on veut faire les fous. La plage est à nous. Mais … Il y a un grand « MAIS » dans ce tableau idyllique qui, telle une douche froide, ne peut que vous rendre sceptiques. Car, dans certains hôtels de la banlieue nord, pour bronzer et se baigner, il faut, désormais, casquer ou rester dehors. Et, côté tarifs, ça ne rigole pas, croyez-moi. Ouvrez bien vos porte-monnaies, car de dix à vingt dinars vous devez débourser. Et dire que pour douze dinars seulement, vous pourrez avoir, dans la banlieue sud, un bungalow décent. Mais, tenez-vous bien, c’est loin d’être tout : à peine la porte franchie, une meute de cerbères se présente à vous pour vous chasser sur le champ de la sacro-sainte nef et vous dire : « Si vous n’êtes pas contents, allez vous faire voir chez le chef. » Subtilité linguistique ou maladresse rgrettable, l’effet sur le client n’en est pas moins déplorable.
      Il est clair qu’à raison ou à tort, la tranquillité, aujourd’hui, vaut plus cher que de l’or et le comportement sur les plages dites « publiques » est loin d’être de ceux qu’on appellerait « civiques ». Donc, si vous voulez éviter que quelques joyeux compères, par leurs propos rendant grâce à tous dieux, père et mère, le moral remonté par le contenu de leurs glacières, ne s’intéressent de plus près à votre tendre moitié (ou, pourquoi pas, à vous-même, pendant qu’on y est …), il faut, tôt ou tard, se résoudre à payer. Mais, pitié, pas à ces prix-là … Les demander, serait nous prendre pour des fadas. Et puis, permettez, quelle que soit notre paye, nous méritons tous une place respectable sous les rayons du soleil.

 

Al Di Meola : « Je me sens chez moi, ici … »

        Un rêve s’est réalisé pour les mille deux cents pèlerins qui s’étaient rendus, ce soir-là, à la Basilique pour voir leur idole, l’une des légendes du jazz moderne, qu’ils n’auraient jamais espéré, même dans les rêves les plus fous, voir ici, en Tunisie. Et l’émotion était au rendez-vous, de part et d’autre de la scène. Car l’accueil méditerranéen du public n’a pas laissé l’artiste indifférent.
      Originaire de New Jersey, Al Di Meola est resté profondément attaché à ses origines italiennes. Son choix pour la musique latine s’affirme, lorsqu’âgé de dix-neuf ans, il remplace à pied levé Bill Conners dans la formation de Chick Corea. En 1976, après avoir enregistré trois albums, il décide de quitter le groupe. Durant les quatre années suivantes, il s’est vu attribuer le titre prestigieux de Meilleur guitariste. Trois prix prestigieux de Meilleur album de  jazz ont couronné sa carrière.
      Même si, dans ses œuvres, Al Di Meola exploite plusieurs veines, il doit son succès essentiellement à ses albums d’inspiration latine, tels que Tour de Force, Cielo e Terra et le plus récent, intitulé Kiss My Axe. Les accrocs de  la World Music trouveront leur compte dans Soaring Through A Dream, tandis que Elegant Gypsy, Electric Duo et Casino sont de véritables chefs d’œuvres de la Fusion. Mais le trait le plus caractéristique d’Al Di Meola est son ouverture vers tous les styles, ce qui se traduit par de magnifiques duos et trios avec des artistes venus d’horizons divers. Des sommités comme John McLaughlin et Paco De Lucia, ainsi que de nouveaux venus comme Wajdi Cherif, avec qui il a joué en jam-session après le concert, font partie de la liste des « special guests ».

André ILIEV : Vous avez joué avec plusieurs interprètes. Avez-vous eu des affinités particulières avec certains d’entre eux ?

Al Di Meola : L’expérience avec Paco De Lucia a été très bénéfique pour moi. C’est certainement dû à son côté méditerranéen. Il est aussi un passionné de Flamenco. Nous sommes restés amis. Je ne veux surtout pas sous-estimer le talent et la virtuosité de John McLaughlin, mais son style est plutôt britannique avec une orientation hindoue, ce qui rend sa manière de jouer assez différente de la mienne. J’ai d’excellents rapports avec Gumbi Ortiz (le percussionniste de la formation avec laquelle Al Di Meola a joué à Tabarka). C’est un ami de longue date. Ce que j’aime chez lui, c’est sa façon exceptionnelle de swinguer à la manière latine.

A.I. : Vous semblez vraiment fier de votre appartenance à la civilisation méditerranéenne.

A.D.M. : Et j’ai de bonnes raisons. Nous avons beaucoup donné au patrimoine culturel mondial. Tenez, le tango, par exemple … Tout le monde croit qu’il vient de l’Argentine, alors que ses vraies origines sont à Naples. Piazzolla, lui-même, a interprété des tangos napolitains.

A.I. : Pourtant votre préférence pour la culture méditerranéenne ne vous empêche pas de vous inspirer la musique ukrainienne. Comment l’avez-vous découverte ?

A.D.M. : Pendant que je faisais ma tournée européenne, j’ai rencontré un musicien extraordinaire, qui jouait d’un instrument étrange, appelé «bandura». Il m’a dit que c’était l’instrument le plus populaire dans son pays. Il a joué quelques morceaux folkloriques et j’étais subjugué. La texture sonore et le ton ne ressemblait à rien de ce que j’avais entendu auparavant. J’ai invité Roman (le musicien ukrainien) sur scène, lors de mon concert au Luxembourg, et c’est ainsi que notre collaboration a commencé.

A.I. : Vous avez eu la chance de débuter chez Chick Corea, l’un des patriarches du jazz. Qu’avez-vous appris de lui ?

A.D.M. : Il m’a appris l’articulation des sonorités, ainsi que le sens du temps et du rythme. Chick Corea avait une main gauche hors-pair et s’en servait comme pour taper sur un djambé. Il n’avait besoin ni de métronome, ni de batterie ou de percussions.

A.I. : Certains de vos albums portent des titres, pour le moins, étranges. Je pense notamment à Tiramisu et à Kiss My Axe . On pourrait expliquer le premier par votre attachement à la tradition italienne, mais ne trouvez-vous pas que le second irait mieux à un album de Hard Rock ?

A.D.M. : Pas du tout. En fait, vous n’avez pas compris le sens du mot  «axe» qui signifie «guitare» en argot. Mais, bien sur, la provocation y est, ne serait-ce que par le calembour que tout le monde comprend. Je voulais protester contre les radios locales qui ne passent que de la musique de mauvaise qualité. Prenez, par exemple, le Spice Girls ou toutes les starlettes de la Country music …

A.I. : Vous ne les aimez pas ?

A.D.M. : Je n’ai rien contre elles spécialement, mais elles sont bonnes à sortir et pas à écouter. (rit) Non, sérieusement, j’ai moi-même joué de la Country, quand j’étais adolescent.

A.I. : Et alors ?…

A.D.M. : J’ai arrêté, parce que ma copine m’a dit que j’avais l’air idiot avec un chapeau de cow-boy et des bottes en cuir. Mais j’aime bien le Bluegrass, car il vient du fond de l’âme.

A.I. : A propos, la question est peut-être un peu prématurée, mais, d’après le contact avec le public, que pensez-vous de l’âme tunisienne ?

A.D.M. : Je n’étais jamais venu ici, auparavant. D’ailleurs, ce n’est pas moi qui a pris l’initiative ; on m’a demande de venir. Mais l’expérience est vraiment concluante : les gens, ici, sont chaleureux et sensibles à la musique. C’est tout à fait naturel : la Tunisie est un pays méditerranéen. Je me sens chez moi, ici …

 

Les nouvelles recrues
L’ardent Allan Adote chauffe le public de la Basilique

        La seconde partie de la soirée inaugurale a vu venir un presque inconnu avec sa Soul Connection. Il n’a pas tardé à faire déferler une vague de Blues, RNB et Jazz sur le public en délire qui avait envie de bouger après s’être incliné devant le génie des Crusaders. Et le génie, et surtout l’originalité n’étaient pas les points forts de la formation d’Allan Adote qui n’a fait que reprendre, avec une orchestration qui se défendait bien, il faut l’admettre, les tubes de James Brown et Steevie Wonder, sans oublier « Think » d’Arreta Franklin, imitée à la perfection par Sophie Nelson et ce jusqu’à la chorégraphie de la scène du restaurant  dans « Blues Brothers ». D’ailleurs, le film-culte de tout amateur de Jazz et de Blues a dû certainement marquer les musiciens de la Soul Connection, car les solos des cuivres de Thierry Faruggia et Christian Martinez portaient l’empreinte d’Allan Rubin – le trompettiste des « Double B ». Une originalité à noter, cependant : le mélange des standards du Jazz avec de la musique purement africaine, rythmé par le désormais incontournable Habib Samandi. Ajoutez à cela la prestation de la pulpeuse Lisa Mickaël qui a subjugué le public par son chant boosté à fond par un danse mi-africaine, mi-orientale et vous obtiendrez la recette d’un show de choque, sans trop vous casser la tête.

Courtney Pine : Je prends mon pied quand une personne me dit : "Je ne savais pas que le Jazz pouvait être comme ça."

        Qui l'eut cru ?… Et, pourtant il l'a fait. Courtney Pine à su hypnotiser le public et pulvériser les différences d'âge, de sexe ou de situation sociale. On se souviendra longtemps du moment ou même les gardiens de la paix ont succombé à son charisme et ont suivi, sous les acclamations de la foule, le pas de danse, majestueusement mené par ce jeune saxophoniste au look rasta et au regard pétillant. D'ailleurs, Courtney Pine a plus d'un tour dans son sac. Il sait plaire aussi bien aux adolescents révoltés qu'aux adultes casés. Ce n'est pas pour rien que Sa Majesté la Reine Elisabeth II lui a attribué, en l'an 2000, la distinction O.B.E – l'équivalent de Grand chevalier des lettres et des arts – ce qui représente le premier pas vers l'anoblissement. Rappelons qu'un tel honneur n'a été réservé, jusque là, qu'à un nombre très réduit de musiciens, parmi lesquels comptent Paul MacCartney et Elton John.
      Personne n'incarne l'évolution du Jazz britannique durant les dix dernières années mieux que Courtney Pine. Le saxophoniste aux yeux enchanteurs est, actuellement, à la tête d'une nouvelle génération de musiciens innovateurs qui ont choisi de conjuguer leurs talents pour combler le vide dans le Jazz contemporain. Son premier album Journey To The Urge Within, paru en 1987, a fait exploser ventes, ce qui lui a valu un disque d'argent. Du jamais vu dans l'histoire du British Top 40. C'est ainsi que Courtney est devenu une figure emblématique du Jazz des années quatre-vingt. L'un des secrets de son succès réside dans le mélange des sonorités africaines, indiennes et caraïbes, concrétisé dans To The Eyes Of Creation qui fut une réussite totale. Le grand Mick Jaegger s'y est même intéressé de près, au point d'inviter Courtney comme "special guest" dans son album Wandering Spirit, paru en 1993. Eh oui, le petit air de saxo dans Sweet thing, c'est bien lui. D'autres vedettes comme Elton John, Sting et Cher ont emboîté le pas du vieux Rolling Stone. C'est ainsi que l'on peut entendre l'instrument magique de Pine à leur côté, notamment dans la reprise  de Summertime de Gershwin. Mais le succès de Courtney est dû certainement, ne serait-ce qu'en partie, à ce je-ne-sais-quoi qui ne peut que vous attirer, qui que vous soyez.

André ILIEV : Vous avez une relation exceptionnelle avec le public. Comment arrivez-vous à l'hypnotiser ainsi ? Avez-vous une stratégie particulière ?

Courtney PINE : Je n'ai aucune stratégie et je ne prévois jamais rien. Je ne fais que me mettre à la place du public. Et j'en tire des leçons. Tout à l'heure, par exemple, il y avait un type avec un cigare qui n'a pas bougé. Cela prouve que je n'ai pas été assez fort. La prochaine fois, j'essaierai de faire mieux.

A.I. : Pourtant votre musique, n'a laisse personne indifférent, y compris les agents de la sécurité. C'est une chose assez rare, même en Europe ou aux Etats Unis. Ne considérez-vous pas cela comme un exploit ?

C.P. : Comme vous l'avez dit, le mérite ne revient pas à moi, mais à la musique. Elle s'adresse à tous, sans distinction de couleur ou de rang social. Et puis, les Tunisiens forment un peuple uni … Ils sont si ouverts et si réceptifs à la musique. Ils ont tellement d'énergie. J'en suis agréablement surpris. Vous savez, tout le monde a interprété au moins une fois dans sa vie A night in Tunisia et c'est un rêve pour nous tous de nous produire ici. Sans parler des conditions techniques, qui sont vraiment excellentes. J'étais ravi, quand la chance s'est présentée à moi, mais je ne m'attendais pas à un accueil si chaleureux. Et puis, j'aimerai bien jouer avec des musiciens tunisiens.

A.I. : Votre musique semble intégrer plusieurs tendances : vous avez repris des airs de Vivaldi, Duke Ellington et Bob Marley, le tout sur un fond de rythmes africains. Est-ce par souci de "dépoussiérer", en quelques sortes, le Jazz et y sensibiliser les adeptes de tous les goûts ?

C.P. : C'est dû, surtout, à mes origines. Je suis de culture anglaise, mes parents sont Africains. J'ai fait ce que l'on appelle "le Jazz classique", mais je ne pourrais jamais être Duke Ellington, Benny Goodman ou John Coltrane. Je ne peux être que moi-même et je suis Africain. On ne peut pas bluffer en Jazz. Cependant, la structure de la musique ne peut venir que des Classiques. Je vais, peut-être, vous surprendre, mais je pense qu'on ne peut ni composer, ni même  jouer, sans connaître le solfège. C'est la base théorique de la musique. J'aime tout particulièrement Beethoven. Il a dû faire preuve de beaucoup de courage et d'optimisme pour écrire L'ode de la Joie. J'incorpore aussi la Garage music, dont je puise mon énergie.

A.I. : Et Bob Marley dans tout cela ?

C.P. : Il est le premier qui m'a rendu fier de mes origines. Il a le blues dans l'âme. Sa musique est vraie, car c'est celle du proteste contre l'oppression. Vous savez, dans les années soixante-dix, il n'y avait pas d'Internet et seul le rythme répétitif du reggae, issu des battements de la pioche sur la terre aride, parlait de nos souffrances. C'est là que réside sa force.

A.I. : Que pensez-vous de ceux qui, comme Laureen Hill, par exemple, font des remixes avec les chansons de Bob Marley ?

C.P. : Je n'y vois aucun mal. La musique classique est constamment rejouée et retravaillée. Pourquoi pas le reggae ? Laureen Hill s'inspire de l'art de Bob Marley, elle ne l'imite pas. Sting a fait de même, du temps de Police. Et UB 40 aussi … En fait, comme je vous l'ai déjà dit, la musique ne doit pas avoir de limites de nationalité ou de style.

A.I. : Alors, comment définissez-vous votre musique ?

C.P. : Les critiques ont voulu me présenter comme un disciple de John Coltrane et de Sonny Rollins, mais les choses vont bien au-delà. Ceux qui pensent que l'on ne doit pas s'éloigner du Jazz pur et dur ont tort. Je crois à l'importance de la touche africaine. D'ailleurs, ma première inspiration venait d'Ossi Bissa, un groupe africain qui, dans les années quatre-vingt, avait repris le tube Ulle Bulle et avait fait danser toute l'Angleterre. Personnellement, je prends mon pied, quand une personne, ayant écouté ma musique et les différentes parties qui la composent, vient me dire : "Je ne savais pas que le Jazz pouvait être comme ça."
 

Les grosses pointures
The Crusaders – les chevaliers de l’arrière-garde persistent et signent : «Tunisia is a country of music lovers»

        Le festival se devait de commencer par ces monstres sacrés du jazz qui n’ont jamais voulu s’inscrire dans un style particulier.
      A la fin des années soixante, Joe Sample forme la bande avec trois autres Texans : Wilton Felder, Wayne Henderson et Stix Hoope, attachés aux instruments à vent. Dès ses débuts, le groupe n’arrive pas à faire un choix définitif parmi ses trois grandes passions : le Blues, le Jazz et la Soul. Malgré leur sonorité atypique pour cette époque, quand la guitare électrique était l’instrument de prédilection des groupes de rock en vogue, tels que Led Zeppelin et Deep Purple, The Jazz Crusaders ont su s’imposer et sont devenus l’un des groupes les plus populaires aux Etats Unis et en Europe.
      Dans les années soixante-dix, ils ont fait une concession importante au nom du show-biz en enlevant le mot « Jazz » de leur appellation. Quelque temps plus tard, le trompettiste Wayne Henderson, figure emblématique des Crusaders, quitte la formation. Peu après son départ, le groupe s’oriente vers le Funk en passant par de différents courant musicaux et en collaborant avec plusieurs chanteurs et musiciens comme Marvin Gaye, Steely Dan, Tina Turner, B .B. King, Joe Cocker. Mais rien n’était plus comme avant. L’histoire aurait pu finir ainsi, si, épuisé par les procès interminables contre Ronnie Laws et Bobby Lile qu’il produisait depuis peu, Wayne Henderson n’avait pas décidé de laisser tomber la course à l’argent et de retrouver sa vieille passion pour les cuivres.

André ILIEV : Comment avez-vous vécu les retrouvailles avec le groupe ?

Wayne HENDERSON : Nous avons fait quelques répétitions, mais rien de sérieux. La carrière de Joe  avait pris un nouveau tournant et Stix était devenu producteur. Et puis, les temps avaient changé. On ne pouvait plus revenir au jazz pur et dur. Alors, j’ai dit : « Ils veulent des hits. Faisons un hit, les gars, mais faisons-le à notre manière. » C’est ainsi qu’est né l’album « Happy again » qui a marqué le début de notre nouvelle vie.

A.I. : Vous avez un concept très particulier du be-bop qui se rapproche beaucoup du chant africain. N’avez-vous pas été critiqués par « la vieille école » ?

W.H. : Au début, oui, surtout dans les clubs new-yorkais, car ils ne comprenaient pas l’influence africaine. Mais le message qui vient du cœur et de nos racines, finit par passer et toucher les gens.

A.I. : Vous avez joué avec plusieurs artistes. Qu’avez-vous appris d’eux ?

W.H. : La tolérance, l’ouverture vers tous les styles et la discipline … Surtout avec Joe Cocker.

A.I. : Avec les membres du groupe, ce fut ,à une époque, « je t'aime, moi non plus ». Qu’avez-vous retenu de cette expérience ?

W.H. : La volonté de continuer … oui, c’est ça. Et aussi la valeur de l’amitié. C’est dans l’amitié que le groupe a trouvé la force de se réunir et de continuer C’est ce qui nous a permis de créer de la musique « positive ».

A.I. : Pourtant, dans la chanson « Street life », merveilleusement interprétée par Vanessa Robin, il est question de la vie d’une prostituée.

W.H. : Cela veut dire que vous n’avez du tout compris le texte. La chanson parle de la vie nocturne et de la joie qu’on peut ressentir en traînant, la nuit, dans n’importe quelle grande ville américaine.

A.I. : A propos de vie nocturne, que pensez-vous du Festival de Tabarka ?

W.H. : C’est une expérience formidable. Je n’ai jamais pensé qu’autant de Tunisiens étaient sensibles au jazz. Tout le monde, ici, a le rythme dans la peau. Le public de Tabarka m’a donné beaucoup d’amour. La Tunisie est un pays d’amoureux de la musique. Nous espérons y revenir très prochainement …
 

We Three – Une brise venue d'Europe

        Désormais, il n'est plus un secret pour personne qu'en matière de Jazz, il existe des affinités particulières entre l'école autrichienne et l'école tunisienne. C'est peut-être parce que des artistes tunisiens, dont Dhafer Youssef et le maître Faouzi Chekili, ont eu leur aventure viennoise. Ou alors, parce qu'elles balancent entre traditions et modernité, entre racines et extranéïté. Quels qu'en soient les raisons, nous ne pouvons que constater les similitudes. On pourrait les trouver dans la recherche de nouveaux arrangements, la réharmonisation de nouvelles sonorités, ainsi que dans la séparation de la grille des harmonies. Telle est la conception musicale du saxophoniste Herwing Gradisching, le fondateur du groupe We Three, composé également de Christian Salfeliner à la batterie et Marc Abrams à la contrebasse. Précisons, pour les néophytes, que  la formation a récemment fêté son septième anniversaire et qu'elle a déjà deux disques à son actif. Un pied dans la musique classique, l'autre dans le Jazz libre, le style des trois musiciens ne manque pas d'originalité. Que ce soit par le medley imbriquant subtilement les morceaux mythiques Caravane et A night in Tunisia sur des rythmes issus du folklore national ou par la composition de Gradisching, intitulée Dad-ication (dédicace au père) ou encore When the snake eats the secretary bird (Quand le serpent mange le serpentaire ), le groupe We three n'a laissé personne indifférent. "Rafraîchissants et intelligents avec un plaisir de jouer", "Jamais démodés", "Captivants et expressifs" – voici quelques échos de la part des critiques. Et ce n'est pas pour rien … Gradisching a vraiment une signature très personnelle. La sonorité de son saxophone rappelle souvent celle d'une flûte (enchantée ?…) dans une formation classique et s'oppose, ainsi, au mur de son de Courtney Pine qui s'apparente plus au style tardif de la Motown. Y a-t-il une influence poétique quelconque ? Herwing Gradisching préfère garder le mystère sur ce sujet, tout comme sur le sens du titre de l'oiseau secrétaire et la dédicace au père. Est-ce le reflet d'un monde surréaliste ou une référence au disciple qui aurait dépassé son maître ? A vous de voir …
 

Melvin Taylor : «Je remercie les Tunisiens pour l’intérêt qu’ils me portent»

        Principal responsable d’un des moments les plus forts du Festival de Tabarka, Melvin Taylor a, tout simplement, émerveillé le public. Des cris comme : « You have a fast hand » et « You are much better than Santana » retentissaient tout au long des interminables solos qu’on croyait disparus avec l’inoubliable Jimmy Hendrix. Mais, même s’il s’inspire de son illustre prédécesseur, Melvin Taylor est l’un des plus grands innovateurs du blues, car il mélange des éléments du jazz et du rock à sa panoplie de sonorités électriques.
      Né à Jackson, dans le Mississippi, Melvin quitte sa ville natale pour Chicago, alors qu’il n’a que trois ans. Très tôt, il est initié à la musique par son oncle, qui joue souvent en amateur avec quelques copains. C’est de là que le jeune homme tire sa passion pour le blues. Il commence à roder autour des clubs en essayant de capter des airs perdus des groupes qui y jouent. Chose particulièrement difficile, quand on n’a que douze ans et qu’on est interdit d’accès à toutes les boîtes de nuit. Heureusement, il y a tonton et ses potes, en attendant The Transistors, le premier « vrai » groupe de Melvin, qui sacrifie le blues au profit des tendances commerciales de l’époque. Mais le retour aux sources ne se fait pas attendre. Après la séparation du groupe au début des années quatre-vingts, Melvin est invité à remplacer le grand Muddy Waters dans la formation Legendary Blues Band. S’en suit un énorme succès, surtout auprès du public européen, couronné par deux albums – Blues on the run et Plays the blues for you, enregistrés respectivement en 1982 et 1984, sous un label français.
      Aujourd’hui, Melvin Taylor est mondialement connu, ce qui ne l’a pas empêché de garder sa simplicité naturelle et la passion pour l’ambiance intime des clubs. Vous le trouverez tous les mardis au Rosa’s Lounge  dans la banlieue ouest de Chicago.

André ILIEV : Comment avez-vous décidé de venir à Tabarka ?

Melvin TAYLOR : J’ai été séduit, surtout, par l’ambiance chaleureuse de la Basilique. On en parle, vous savez … Elle est à cheval entre celle du concert, vu le nombre de personnes et celle du club, à cause de la proximité du public.

A.I. : Malgré votre succès, vous préférez toujours les clubs. Pourquoi ?

M.T. : Je n’ai rien contre les grandes manifestations musicales, comme le Festival de Montreux par exemple, mais rien ne vaut le contact direct avec le public. Et pour ça, il n’y a pas mieux que le club.

A.I. : Parlons un peu de votre parcours. Vous êtes originaire de Jackson, mais vous avez grandi à Chicago. Vous sentez-vous plus attaché à l’école du Sud ou à celle du Nord ?

M.T. : Le blues est une question de feeling. Il peut être bon ou mauvais, mais je ne pense pas qu’on puisse parler d’école ou de courants.

A.I. : Comment avez-vous décidé de vous orienter vers le blues ? Après tout, vous avez débuté dans un groupe de pop et la transition n’est pas évidente.

M.T. : Dans mon âme, il y a toujours eu des milliers de variations musicales Je suis né en 1959 – une époque décisive qui constitue une véritable plaque tournante musicale. Quand j’étais jeune, je captais tout comme une éponge : d’Otis Rush à Lucky Peterson, en passant par Jimmy Hendrix. Toutes les sonorités me paraissaient bonnes. Je ne faisais que combiner et explorer.

A.I. : Quelles sont vos idoles ?

M.T. : B.B. King, Muddy Waters et, bien sur, Jimmy Hendrix. Sans oublier Al Di Meola. Je suis très heureux de partager cette soirée avec Al. Je m’en souviendrai toujours …

A.I. : Est-ce que c’était difficile de prendre la place de Muddy Waters ?

M.T. : Je ne peux pas prendre la place de Muddy Waters. D’ailleurs, je n’ai jamais eu la chance de jouer avec lui. Les gens du groupe cherchaient une sonorité différente et ils ont fait appel à moi. Ils sont venus chez moi et m’ont demandé si je voulais partir en tournée avec eux. J’ai répondu « oui » et ils m’ont dit de faire tout de suite mes valises. J’ai à peine eu le temps de prévenir mes parents … Je n’avais même pas mes papiers sur moi …

A.I. : Eric Clapton est connu sous le surnom de « Slow Hand ». Ce soir, le public vous a appelé «Fast Hand». Qu’en pensez-vous ?

M.T. : Je remercie les Tunisiens pour l’intérêt qu’ils me portent . Je ne m’attendais pas a tant d’amour de leur part … Je me sens vraiment heureux … Je remercie Dieu pour la chance qu’il m’a donné de vivre tous ces moments de bonheur …
 

Juilo Iglesias : « J’ai toujours rêvé de conquérir Carthage … »

        Il y a des moments, où on ressent une intense émotion que l’on ne peut pas expliquer. Telle était la sensation de nous tous, qui avions le privilège de passer une heure inoubliable en tête-à-tête avec Julio Iglesias. Est-ce dû à la passion face au charmeur méditerranéen qui, par sa voix, a séduit tant de générations, ou à l’admiration de l’homme qui, malgré une vie parsemée de souffrances, a pu sauvegarder sa fière allure ?
      En effet, le destin n’a pas toujours été tendre avec le crooner latin aux origines aristocratiques. Un premier rêve footballistique brisé par un tragique accident qui a failli lui coûter la vie. Tel un Phénix ressuscité de ses cendres, Julio réussit à se remettre et découvre la muse au cours de sa convalescence à l’hôpital. Son premier coup de cœur était pour la poésie, mais très rapidement, il y a ajouté de la musique. C’est ainsi qu’album après album, il en enchaîne 76. Mais une seconde tragédie l’attend au tournant. Une maladie grave et un interminable traitement sont à l’origine de sa longue disparition du monde du spectacle. Là encore, il trouve les forces de se battre et nous revient avec un 77eme album, intitulé Noche de Cuatro Lunas. Le succès est immédiatement au rendez-vous, grâce entre autre à une originalité : la participation de jeunes artistes comme Robi Rosa , à qui nous devons les succès de Ricky Martin Maria, La Copa de la Vida et Livin la Vida Loca.

André ILIEV : Est-ce que c’était difficile pour vous de travailler en collaboration avec des artistes qui ont l’âge de vos fils ?

Julio IGLESIAS : Pas du tout, car ces « chiquillos » sont pleins d’énergie. Ils mont proposé des phrases musicales que je n’avais jamais entendu auparavant. C’est très stimulant pour mon travail. Et puis, nous avons une communication très fluide. Il n’y a rien de bien compliqué.

A.I. : Pourquoi le titre Noche de Cuatro Lunas. Qu’est-ce que cela signifie ?

J.I. : Ca signifie « Nuit de quatre lunes ».

A.I. : Oui, mais pourquoi l’avoir choisi ?

J.I. :  Je ne sais pas. (rit) Non, vraiment, je ne sais pas. Je ne sais pas ce que cela veut dire.

A.I. : Ou trouvez-vous votre inspiration ?

J.I. : Ca dépend des chansons. Mais il y a une personne à laquelle je pense toujours très fort pendant tout le spectacle. C’est mon père. Avant-hier,  (le 29 juillet 2001), je donnais un concert au profit du Sporting Club de Monte Carlo. Il est venu me voir après et il m’a dit : « Là, tu étais bien, là tu as fait moins fort, etc. » Cela me donne de l’énergie pour continuer … Oui, je peux vous dire avec certitude que mon père est mon inspiration la plus directe.

A.I. : Je sais que vous n’aimez pas beaucoup aborder ce sujet, mais votre amour pour la musique, vous a-t-il aidé à surmonter les difficultés auxquelles vous avez dû faire face, tout au long de votre vie ?

J.I. : Contrairement à ce que l’on croit, je suis un homme faible. La chanson et les prestations sur scène en général exigent des efforts physiques très importants. Pensez un peu à la respiration, à la posture et à toutes ces choses-là. Je ne suis plus très jeune … J’ai cinquante-sept ans, vous savez … Et si je n’étais pas soumis à la discipline terrible qu’exige le monde du spectacle, je n’aurais pas pu survivre.  Oui, décidément, la musique m’a fait survivre. Elle me fait vivre.

A.I. : Vous avez chanté avec plusieurs interprètes de divers pays, qui ont des styles très différents du votre. Prenez, par exemple Blue Spanish Eyes, que vous avez interprété avec Willy Nelson (un chanteur de country music, très connu aux Etats-Unis et qui est devenu célèbre en Europe grâce à sa participation à la chanson We are the World, dans les années quatre-vingts). Comment arrivez-vous à vous entendre musicalement et qu'avez-vous appris d'eux ?

J.I. : Comment connaissez-vous ce titre ? C’est une chanson que nous avions enregistré à la hâte, lors d’un de mes passages aux Etats-Unis, mais qui est restée peu connue. Je n’ai jamais cru qu’on m’en parlerait en Tunisie. Oui, j’ai effectivement chanté avec beaucoup d’interprètes connus, tels que Sardou, Johnie, Dalida et même Aznavour. Et j’ai énormément appris de chacun d’entre eux. D’ailleurs, je ne crois pas au déterminisme. Je pense qu’on apprend tous les jours et de tout le monde.

A.I. : Comment arrivez-vous à évoluer, tout en gardant votre style ?

J.I. : Je chante depuis trente-trois ans. Tiens, j’ai fêté mon trente-troisième anniversaire, la semaine dernière (rit). Aujourd’hui, je chante mieux que je n’ai chanté hier. Je fais plaisir à trois générations. Et j’aime beaucoup mon public. J’ai chanté au Maroc, la semaine dernière, là, je suis en Tunisie. Je serai en Chine, en décembre. Mon secret ?… J’aime les gens, que ce soit en Espagne, en France, en Tunisie ou en Bulgarie.

A.I. : A propos, pourquoi avez-vous décidé de vous produire en Tunisie ?

J.I. : Je connais bien la Tunisie, même si je n’y avais pas chanté auparavant. Je suis venu ici plusieurs fois en tant que touriste. J’aime beaucoup ce pays, car il allie merveilleusement culture occidentale et culture orientale. Moi-même, je suis un peu oriental. J’aimerais bien chanter en arabe. Regardez, (il déboutonne sa chemise et fait découvrir à son auditoire journalistique, majoritairement féminin d’ailleurs, quelques centimètres carrés de son magnifique torse bronzé ; on comprend mieux pourquoi il plaît toujours) j’ai la peau foncée comme la votre. Et ma femme est une orientale. Mes enfants aussi. On m’avait invité l’année dernière, mais, comme je faisais ma tournée américaine, je n’avais pas le temps. Cette année, je me suis consacré à mon public européen et j’y ai inclus la Tunisie et le Maroc. J’ai toujours rêvé de conquérir Carthage. J’avais déjà chanté à Cartagena, en Colombie ; il ne manquait que la Tunisie à mes trophées.

A.I. : Il y a quelques semaines, au Festival de Jazz de Tabarka, le célèbre guitariste Al Di Meola avait confié qu’il se sentait chez lui, en Tunisie. Qu’en pensez-vous ?

J.I. : La Tunisie est très proche de l’Espagne. Tout à l’heure, lorsque l’avion approchait la piste, j’ai cru pour un moment que je rentrais chez moi, tant la vue ressemble à celle de mon pays. Je rigole beaucoup en Tunisie. Quant je suis arrivé à l’aéroport Tunis - Carthage, une cinquantaine de personnes se sont précipitées vers moi et m’ont embrassé. Comment ne pas se sentir heureux ?
 

Wajdi Cherif : « Je me sens seul … »

        Wajdi Cherif n’est pas inconnu aux lecteurs de Tunis Hebdo et pour cause : il était l’un des premiers artistes, dont nous avons parlé dans notre saga tabarquoise. Je ne m’attarderai, donc, pas sur les détails de la biographie de celui qui, à mon sens, représente l’espoir et l’avant-garde de la musique tunisienne, si ce n’est que pour signaler la nouvelle prestation qu’il a ajoutée récemment à son CV – un concert avec Atef Lakhoua aux Berges du Lac dans le cadre des Nuits de Tunis.

André ILIEV : Pourquoi as-tu choisi le piano ?

Wajdi CHERIF : En fait, je ne l’ai pas vraiment choisi. Mes parents m’en avaient offert un, quand j’avais six ans. Alors, je me suis retrouvé seul face à cet énorme instrument et j’ai commencé à apprendre, d’abord seul, puis, avec de groupes de variété.

A.I. : Comment t’es venue la passion pour le jazz ?

W.CH. : La rencontre avec le jazz s’est faite grâce à Faouzi Chekili. J’étais ébloui par Bill Evans et Chick Corea. J’ai commencé à chercher des disques de jazz. Il y a trois ans, Faouzi Chekili m’a invité dans sa formation. Depuis, j’y participe, de temps en temps. Cette année, j’ai fait un concert en hommage à Petruccianni. J’ai aussi quelques projets de composition.

A.I. : N’as-tu jamais été tenté par la guitare ?

W.CH. : J’ai joué de la guitare. J’ai fait du rock et cela m’a ouvert la voie vers le jazz. Mais je préfère le piano, car il a beaucoup plus de possibilités et il offre une harmonie particulière. Dans le blues, les notes sont flottantes. C’est pour cela que la guitare est l’instrument de prédilection de ce style. Dans le jazz, les notes sont fixes et le piano donne du rythme. Il ne faut pas oublier que le piano est un instrument à cordes mais aussi de percussion.

A.I. : Est-ce que tu préfères jouer seul ou avec un groupe ?

W.CH. : J’ai bien aimer jouer avec Atef Lakhoua, car il met un zeste de rock dans ses interprétations. Toutes les expériences m’ont servi pour me découvrir moi-même. Mais, tout compte fait, je tiens, avant tout, à ma liberté.

A.I. : Quels sont tes projets ?

W.CH. : J’ai mis quelques sous de côté pour me permettre un stage en France avec Bernanrd Maury qui est un ami de Bill Evans. Je l’ai rencontré par hasard. Il m’a fait passer une audition et mon travail lui a plu.

A.I. : Es-tu optimiste pour l’avenir du jazz en Tunisie ?

W.CH. : Les choses sont en train d’évoluer, comme l’a montré la tradition du Festival du Jazz de Tabarka, mais il reste beaucoup à faire. Le jazz tunisien doit s’affirmer en tant que tel et se démarquer par rapport aux tendances commerciales qui inondent le marché et les festivals. Il doit trouver sa propre voie. Actuellement, en Tunisie, le jazz est un phénomène de mode. Il faut qu’il devienne un phénomène culturel. Il en était ainsi un peu partout dans le monde. Dans les années cinquante, le jazz a connu une véritable explosion, dont subsistent quatre courants principaux : la tendance européenne, inspirée de la musique classique ; le jazz américain, inspiré du blues et le jazz ethnique. Ma musique n’est pas du jazz ; elle comporte des éléments du jazz, du rock, de la fusion et même de la musique orientale. C’est simplement de la musique. Mais les gens aiment situer les choses dans des tiroirs pour être tranquilles.

A.I. : Penses-tu que le Festival de Jazz aura un grand impact ?

W.CH. : J’espère bien. En tout cas, j’attends plus d’encouragement, plus d’encadrement. Je me sens seul comme pianiste … Pourquoi ne pas insérer le jazz en tant qu’option à l’Institut Supérieur de Musique, qui, actuellement, n’en propose que deux : la musique orientale et, bien sur, la musique classique ? Il faudrait même songer à l’introduire dans les lycées, car c’est la base de la musique occidentale. Cela ne veut pas dire que tous les élèves deviendront des musiciens, mais apprendront à mieux apprécier la musique sous tous ses aspects, ce qui en fera des citoyens ouverts vers la culture mondiale et les aidera à mieux s’y insérer.
 

Mourad Mathari : créateur d’événements

        Dans les articles précédents, nous nous sommes intéressés aux monstres de scène qui se sont succédé à la Basilique de Tabarka. Aujourd’hui, nous jetterons un œil en coulisse. La scène et ceux qui y évoluent ne sont que la partie visible de l’iceberg ; de l’autre côté des planches, d’autres hommes cachés agissent. Nous avons pu parler avec l’un d’entre eux : Mourad Mathari. C’est cet homme qui nous a fait rêver plus d’une fois en faisant de la Tunisie un lieu de passage, voire de pèlerinage, presque obligatoire pour les vedettes du monde entier. James Brown– c’est lui ; Lara Fabian, Cheb Mami, – c’est lui ; Sting – c’est lui ; The Blues Brothers – c’est encore lui et on en passe… De quoi attraper la grosse tête ? Non ! La frime, ce n’est pas du tout sa tasse de thé et c’est certainement sa modestie qui l’empêche de s’étaler en long et en large sur son passé, si ce n’est la brève évocation de ses études en gestion. Ne le cherchez surtout pas dans son bureau de la banlieue nord ; c’est au cœur de l’action que vous le trouverez, parmi les ingénieurs du son en train de régler un problème technique de dernière minute, ou à l’aéroport pour accueillir une vedette. Et les vedettes apprécient… Dire qu’Al Jarreau, connu pour avoir annulé maints concerts suite à quelques ennuis de santé, a lui-même insisté pour venir au Festival de Tabarka, réputé par son excellente organisation technique. Mais là, encore une fois, Mourad est peu loquace… Il fait partie d’une race en voie de disparition : celle qui préfère les actes aux paroles.

André ILIEV : Comment avez-vous décidé de vous jeter dans l’aventure du Festival de Jazz ?

Mourad MATHARI : Le Festival de Jazz de Tabarka, ce n’est ni moi, ni l’entreprise Scoop, c’est l’ONTT – un organisme national qui fait tout pour promouvoir cette magnifique région, nouvellement ouverte au tourisme. En fait, le Festival a commencé dans les années soixante-dix, mais il a connu une rupture, une hibernation de plus de 25 ans en quelque sorte. Notre équipe se charge simplement de la production de ce Festival depuis cinq ans à la demande du Ministère du Tourisme, des Loisirs et de l’Artisanat et de l’ONTT qui ont donné une nouvelle impulsion à ce Festival. Nous sommes chargés de la programmation artistique, de la gestion, et de l’organisation technique.

A.I. : Justement, en fonction de quels critères faites-vous vos choix ?

M.M. : Les choix dépendent de critères divers, tels que le budget alloué, le délai de préparation imparti, la disponibilité des artistes, etc. L’année dernière, le choix du thème « Afro Jazz » nous a été suggéré par nos commanditaires. Cette année, le programme s’est fait surtout en fonction du délai, qui a joué quelque peu contre nous mais nous nous en sommes, quand même, bien sortis. En ce qui concerne le thème All Stars, il a vu naissance par hasard, au cours d’une conférence de presse.

A.I. : En quoi consiste votre travail ?

M.M. : Je suis chargé de la programmation, de l’analyse des « riders » (contrats techniques), de l’organisation des plannings, de la préparation technique, de l’étude des différents plans de transit des artistes, du choix des équipements techniques, de la mise en place des équipes, des régisseurs et des « roads », des séances de travail entre les différents intervenants chargés de près ou de loin du séjour des artistes etc… Pour certaines sessions, nous étions aussi chargés de la mise en place de la promotion du Festival, de l’accueil du public et, enfin, du déroulement des concerts, des séances de « sound check », ce qui suppose un planning strict. Mon rôle est de tout faire pour que l’artiste se sente à l’aise et travaille dans des conditions optimales, au moins aussi bonnes qu’en Europe.

A.I. : Et, entre nous, est-ce que cela rapporte ?

M.M. : Il ne faut pas se faire d’illusions. C’est un événement entièrement subventionné, qui a pour but de contribuer à la notoriété d’une région spécifique. Malheureusement, la taille de la Basilique d’une part, et la capacité hôtelière d’autre part, ne peuvent assurer la rentabilité de l’événement. S’il y a un jour désengagement de l’administration, ce serait, bien entendu, la fin de ce Festival. Le véritable profit est celui que trouve Tabarka et ses environs, en termes de notoriété et de fréquentation. Toute la ville vit au rythme du Festival, les hôtels sont complets, l’économie prospère… C’est, là, une réussite sans précédent.

A.I. : A votre avis, que faut-il faire pour préserver le Festival ?

M.M. : Il faut, comme cette année, conserver une équipe jeune et dynamique qui sache répondre aux besoins et aux goûts du public. Il faudrait également songer à augmenter la capacité hôtelière du site, mieux communiquer à l’étranger et proposer des packages incluant le transport, le séjour et l’abonnement spectacle. Mais cela demande une programmation sur deux ou trois ans, ce qui n’est pas encore le cas actuellement. Nous travaillons, en général, sur des périodes très courtes, et chaque année c’est la même rengaine. Nous nous adaptons bien, même si nous pensons qu’hélas des opérations mises en place dans des délais aussi court sont à tout point de vue sous-exploitées.

A.I. : Vous avez déjà une longue expérience dans le domaine des arts. Quelles sont les qualités requises pour côtoyer professionnellement des stars et travailler avec elles, d’autant plus que l’on sait qu’elles sont parfois difficiles et capricieuses ?

M.M. : Il faut surtout faire preuve d’une grande capacité d’écoute et d’analyse, et avoir le sens de l’organisation, mais surtout une longue expérience… Et puis, c’est une question de tact et de contact humain : le courant doit passer avec les producteurs mondiaux. C’est un secteur très dur, une sorte de club fermé et il faut faire ses preuves tous les jours pour y accéder. C’est d’autant plus difficile que nous devons également faire face à certains obstacles internes.

A.I. : Que voulez-vous dire ?

M.M. : Nous sommes une société qui ne demande qu’à travailler et à produire des événements dignes des Tunisiens. Or, la réglementation ne nous permet pas, actuellement, de contracter directement pour notre propre compte. En plus, les formalités administratives sont nombreuses et constituent un véritable frein pour l’esprit d’initiative et la créativité que nécessite ce secteur qui est en mutation perpétuelle. Et ce n’est pas tout. Notre profession est souvent discréditée (peut-être volontairement ?) vis-à-vis des décideurs du fait du manque de crédibilité de certaines personnes et leur manque de professionnalisme. Il est parfois très difficile de refaire la réputation de toute une profession. Il est indéniable qu’une nouvelle génération de promoteurs est bel et bien là, avec ses atouts et ses carences et il faudra faire avec.

A.I. : Quelles solutions proposeriez-vous ?

M.M. : Il faudrait que les décideurs privilégient des sociétés sérieuses, agréées par leur Ministère de Tutelle, qui seront jugées non seulement en fonction de leurs résultats, mais aussi parce qu’elles contribuent à l’essor de l’économie nationale. Il est primordial de tenir compte de l’importance du secteur du spectacle, car les artistes véhiculent l’image de marque du pays à l’étranger. Ce sont de véritables ambassadeurs : d’où l’importance d’une organisation irréprochable. Pour moi, c’est une priorité absolue. Vous savez, il arrive souvent que la fiche technique d’un artiste comporte des dizaines voir des centaines de pages que nous sommes obligés de décoder, de simplifier et de mettre en oeuvre. Il faut être extrêmement méticuleux dans ce métier, car, on ne le répétera jamais assez, il y va de notre crédibilité et de celle du pays. D’ailleurs, plusieurs articles élogieux ont été écrits par les magazines étrangers qui ont couvert le Festival et c’est notre véritable récompense pour tous les efforts consentis.

A.I. : Qu’en est-il du Festival de la World Music ?

M.M. : C’est la cerise sur le gâteau pour l’année 2001. L’ONTT a voulu poursuivre sur sa lancée et profiter de la synergie du Festival de Jazz pour encore une fois créer l’événement. Nous en sommes encore à l’édition «une». Tout est réuni pour que le succès soit au rendez-vous : la présence de grands artistes tels que Barbara Hendricks , la diva de la musique classique, ou Linton Kwesi Johnson un des plus grand poètes du reggae, sans oublier Alpha Blondy, les Salsa All Stars…. Mais on manque encore de recul. On en reparlera plus tard …
Dans tout les cas la pierre angulaire de cet édifice est l’instauration d’une excellente communication tant interne qu’externe et il semble, à priori, que les choses soient bien parties.

A.I. : Et, pour finir, une petite information pour la prochaine session du Festival de Jazz ?

M.M. : Ne mettons pas la charrue avant les bœufs ! Je n’ai pas encore été mandaté pour l’an prochain. Comme je vous l’ai déjà dit, mes commanditaires sont seuls à décider. Mais, si je le pouvais, j’aimerais bien, par exemple, faire un florilège, un best off réunissant Maceo Parker, Lucky Peterson, Dee Dee Bridgewater, Ahmad Jamal, Diana Krall, Billy Cobham, The Temptations et The Blues Brothers…, mais cela semble difficile à mettre en place. Ce sont des artistes qui coûtent cher mais qui sont aussi très exigeants, en termes d’équipements techniques, infrastructures…. Il faut s’y prendre tôt et prévoir un long travail logistique pour synchroniser les actions des différentes parties. Pour parler plus concrètement et utiliser un courant porteur, on pourrait envisager une session sous le signe du Rythm and Blues ? On verra bien …
 

Pignon ressort du placard

        Voilà qui est chose faite … Après quelques années d’hésitation, ce cher  François Pignon refait surface pour le grand plaisir des amateurs de personnages hors du commun. Rappelons qu’il a connu son premier succès dans Le dîner de cons où du pigeon qu’il était censé être, il est devenu un véritable faucon, vengeur naïf de tous les cons qui s’étaient fait prendre dans les filets du redoutable Monsieur Brochant. Sauf que dans Le placard, Daniel Auteuil a pris la place de Jacques Villeret et pour cause … Car, Pignon, lui aussi, a légèrement changé de profil. Ce n’est plus le petit bonhomme joufflu et bon vivant, passionné de constructions en allumettes, représentant des chefs d’œuvres du génie civil. Cette fois, Francis Weber nous montre un homme quelconque, sans personnalité ni volonté, marié par défaut et divorcé par mépris, qui n’arrive même pas à trouver une place parmi ses collègues, lors de la photo annuelle de l’équipe de travail. C’est par hasard qu’il apprend que son patron a décidé de le licencier. Sous le coup du désespoir, ne pouvant plus assumer la pension alimentaire de sa femme et son fils, il décide de se jeter par la fenêtre de son appartement. Heureusement, il fait la connaissance de son nouveau voisin, dont les bons conseils vont non seulement lui préserver la place au sein de l’entreprise, mais aussi changer le cours de sa triste vie. Il lui suggère de se faire passer pour un homosexuel, photos truquées à l’appui. Et ça a marché … Grâce à sa pseudo - homosexualité, Pignon arrive à s’imposer, même face à son pire ennemi, le chef du personnel Santini (Gérard Depardieu), macho juré, raciste et entraîneur de l’équipe locale de rugby, ayant souvent recours à des mots comme « fofolle », « negro » et « tante » pour s’adresser à ses collègues, mais qui, en jouant le tolérant pour préserver les apparences, finira à l’asile … par amour pour Pignon. Ses collègues de bureau, ainsi que l’ex - Madame Pignon et son fils qui, avant se disputaient la place du premier à ne pas décrocher le téléphone, lors des appels hebdomadaires de leur mari et père, ne tarderont pas à tomber sous le charme de sa nouvelle personnalité.
      Une histoire vraiment délirante et une leçon de tolérance à laquelle se mêlent aussi Thierry Lhermitte, Michel Aumont et Michèle Laroque sur les airs du bon vieux Vladimir Cosma. Une heure et vingt-quatre minutes de bonheur à ne rater sous aucun prétexte …

 

De Barbara Hendricks à Alpha Blondi, tout le monde sera servi

        C’est ce que promet la première édition du Festival de la World Music (ou musiques du monde, si vous préférez). Et si l’on juge d’après le Festival de Jazz qui, cette année, a connu un succès particulier auprès des jeunes et moins jeunes, cela s’annonce plutôt bien … Les amateurs de toutes les tendances seront bien servis : de la musique classique, du reggae, de la salsa, sans oublier les rythmes africains et la musique expérimentale avec la formation de Mohamed Zinelabidine. Ne vous inquiétez surtout pas pour les billets : leur prix est tout ce qu’il y a de plus raisonnable et si vous n’avez pas les moyens (ou la chance …) d’en avoir, les organisateurs promettent un écran géant devant la Basilique. En ce qui concerne le séjour, là non plus vous ne risquez pas d’avoir de gros problèmes, car, mis à part de ses luxueux hôtels qui, lors du Festival de Jazz ont affiché des prix préférentiels pour les amateurs (27 dinars en demi-pension pour un hôtel de quatre étoiles, avouez que c’est tentant …), Tabarka dispose de nombreux appartements que vous pourriez louer à plusieurs pour quelques jours et sans formalité aucune. On a même pensé aux insomniaques incorrigibles, qui croient qu’on a toute l’éternité pour dormir : l’ambiance après les spectacles sera chauffée par des Dee-Jays expérimentés un peu partout dans la ville. Alors, rendez-vous le 22 août et que la fête commence …
 

Tabarka, on y tient ; ça s’en va et ça revient

        On en a tous rêve …Tabarka l'a fait. De nouveau, elle ouvert ses portes pour accueillir toutes les musiques du monde. Et c’est un autre rendez-vous qui figurera désormais dans nos agendas, au même titre que d’autres, devenus incontournables, comme le Festival du Jazz ou Coralis, cher à tous les adeptes de la plongée sous-marine : c’est celui du Festival de la World Music. Les organisateurs en ont décidé ainsi, non seulement pour faire durer le plaisir – les habitués de Tabarka seront certainement d’accord avec moi qu’à la différence des autres événements culturels du même type, le Festival de Jazz a su éviter les nombreux pièges de l’élitisme ou du populisme à outrance – mais aussi pour prolonger la saison touristique et son impact touristique sur lest activités hôtelières et para - hôtelières. Il y a aussi la satisfaction générale de la part des artistes qui ne peut que jouer en faveur de la création de nouveaux festivals et qui se propage, paraît-il, de bouche à oreille. Ainsi, en dînant avec Ramzi Malouki – la célèbre voix radio d’outre-mer – un des musiciens d’Al Jarreau aurait fait les éloges de l’organisation technique (sans ironie aucune de ma part). Que dire d’Al Jarreau lui-même, qui se veut le messager (publicitaire ?…) de la médecine tunisienne et ce depuis le jour ou Monsieur le Maire de Tabarka, médecin de profession, lui aurait, par un geste miraculeux, décoincé quelques vertèbres en le sauvant d’une paralysie momentanée.
      Néanmoins, cette fois, le défi était de taille : il s’agissait d’organiser cette première édition des Soirées des Musiques du Monde - puisque c'est ainsi que l'événement s'appellera - en un mois et demi. Grâce aux efforts des équipes mises en place et des différents partenaires, le nouveau-né est promis à un bel avenir et fera parler de lui, autant que de son grand frère le Jazz Festival.  En quatre soirées, Tabarka nous a fait faire le tour du monde. Et qui d'autre que la fameuse Barbara Hendricks pourrait donner le coup d'envoi à cette kermesse musicale ? Elle nous a proposé un répertoire comprenant les plus grands noms de la musique classique tel Schubert ou Strauss, un programme à la hauteur de ses légendaires vocalises.
      Le deuxième soir c’était le tour d’une création tunisienne. Il s'agissait de l'incontournable Mohamed Zine El Abidine et son groupe Hannibal Express. Ensuite, c'est le Jamaïcain Linton Kwesi Johnson qui nous a transportés sur l'île symbole de la musique reggae en puisant dans un répertoire d'une richesse et d'une profondeur telles qu'il vaut à son auteur le titre de « Poète du Reggae ».
      Le 24 août on s'est envolé en Amérique du Sud avec les « Salsa AlI Stars »,  réunissant les figures les plus marquantes de la musique salsa, tel Camilo (Azuquita) qui, a lui seul, est synonyme de Salsa en Europe. Il y a eu, également, le vénézuélien Orlando Poleo, connu pour être « l'explorateur des percussions », ainsi que Raoul Pas, Raul Hermandez ou encore Alfredo Rodriguez pour ne citer que ces derniers.
      Quant à la soirée de clôture, quoi de plus naturel, après ce tour d 'horizon des musiques du monde, que de retourner sur la terre d'Afrique avec le célèbrissime « bandit » puisque c'est là la signification de son nom « Blondy » en dialecte ivoirien, sobriquet affectueux que lui avait donné sa grand-mère. Il s'agit, vous l’avez compris, d'Alpha Blondy, le pilier de l'Afro Reggae.
      Mais Tabarka ne s’est pas contentée pas de vivre son nouveau rendez-vous uniquement pendant les heures de spectacles. Elle nous a offert une animation de rue, faisant vivre toute la ville et ses estivants aux rythmes de la musique, sans oublier les prolongements nocturnes des festivités et, tout comme pour le Festival du Jazz, les after-shows, qui ont permis aux amateurs de la musique d'avoir des fins de soirées animées et de prendre un café, un soda ou quelque autre boisson mousseuse avec leurs artistes préférés … Sans oublier la participation de disc-jockeys de renom aux after-shows, afin de mettre un maximum d'ambiance.
      On dit souvent qu’en Tunisie les bonnes choses ne durent jamais. Cette fois-ci, les sceptiques ont eu tort, car, nous a-t-on rassurés de l’ONTT, les festivités musicales de Tabarka perdureront. Mieux encore, elles se multiplieront, sans que la quantité l’emporte sur la qualité. La preuve : la construction d’un nouveau théâtre en plein air, dont l’inauguration est prévue pour 2003 et  l’augmentation de la capacité d’accueil, qui atteindra 55000 lits en 2002. Et ce n’est pas tout … On tient de bonnes sources que les organisateurs pensent nous proposer très bientôt du Raï – après tout l’Algérie n’est qu’à quelques kilomètres – mais aussi … du Rock. Affaire à suivre …
 

Barbara Hendricks : "Fermez vos portables et ouvrez vos cœurs"

        La Basilique était sous le charme, cette nuit-là … Et qu'importent le  groupuscule dans le public scandant des insultes à quelques minutes du début du spectacle, de toute évidence venu pour régler des comptes (avec qui ? pourquoi ?), le mariage bruyant d’à côté, derbouka, zokra et chanteur déchaîné à l’appui, la panne de courant, qui a failli plonger le théâtre dans l’obscurité quasi – totale au beau milieu de l’opus 27.1 de la Chanson d’amour, ou la bagarre, qui a éclaté au café d’en face. En dépit des interprétations que quelques esprits malveillants ont faites des remarques constructives de certains de nos confrères – après tout qui aime bien, châtie bien – l’émotion était incontestablement au rendez-vous. Etait-ce parce que la voix incroyablement pure, presque irréelle de Barbara Hendricks a ressuscité, le temps d’une soirée, les esprits de Schubert, Brahms, Fauré et Poulenc, ou simplement à cause de l’émotion de se trouver à quelques mètres de cette grande dame  au sens de l’humour remarquable, pour qui des endroits mythiques tels que l’Opéra de Paris, la Metropolitan Opera, Covent Garden ou La Scala font partie du quatidien ?
      Long et difficile ést le chemin qu’a parcouru la petite fille de la banlieue pauvre d’une ville de l’Arkansas. D’abord, une licence en mathématiques et chimie de l’Université du Nebraska, puis, le diplôme d’études musicales à la Julliard School of Music de New York, où elle a été l’élève de la célèbre mezzo – soprano Jennie Towel, viennent récompenser ses efforts surhumains pour changer le cours d’une vie sans éspoir que le destin lui avait réservé. En 1974, Barbara Hendricks fait ses débuts sur scène aux Etats-Unis, à l’Opéra de San Francisco et en Europe, au Festval de Glyndenbourne. Parmi ses nombreux triomphes figure, entre autre, une soirée à El-Jem en 1991, dont elle se rappelle souvent avec beaucoup de tendresse. Pourvu que le souvenir de Tabarka soit aussi bon …
      Mais, du haut de ses vingt-sept années de gloire, Barbara Hendricks n’a pas oublié les mésaventures de la petite file de l’Arkansas. Depuis 1987, elle travaille activement pour le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, dont elle est l’Ambassadeur de Bonne Volonté. En 1998, elle crée la fondation Barbara Hendricks pour la Paix et la Réconciliation, afin de personnaliser sa lutte pour la prévention des conflits dans le monde et d’encourager la paix.

André ILIEV : Comment pensez-vous que l’art, en général, et la musique, en particulier, peuvent aider la paix ?

Barbara HENDRICKS : Partout dans le monde, il y a beaucoup de conflits, beaucoup de haine et très peu d’amour. Que ce soit au Moyen Orient, en Macédoine ou en Irlande du Nord, il y a beaucoup à faire pour que toutes les communautés y vivent en paix. Nous devons tous agir, car l’action humaine commence là, où nous sommes. Il y a un grand nombre de personnes, qui œuvrent pour la paix dans l’anonymat. Je n’ai fait que profiter de la célébrité que m’a donné la musique pour faire passer le message. Dans mon enfance, j’ai connu l’injustice. J’étais comme une réfugiée dans mon propre pays. C’est ce qui a poussée à me battre, d’abord pour mes propres droits, puis, pour les droits des miens et, enfin, pour tous les peuples. Mais je n’ai pas de haine envers les oppresseurs. Je cherche, plutôt, à comprendre comment ils en sont arrivés là. Et c’est justement dans ce combat contre la haine que la musique et l’art en général peuvent être utiles. Si les gens vont plus souvent à des concerts et lisent de bons livres, ils seront moins violents. Il faut enseigner la musique aux enfants dès leur plus jeune âge, pour qu’ils puissent exprimer leur identité non pas par les armes, mais par l’art sous toutes ses formes.

A.I. :  Au cours de votre carrière, vous ne vous êtes pas limitée à la musique classique : vous avez touché au jazz, et au gospel, mais aussi au théâtre et au cinéma. Comment expliquez-vous cette diversité ?

B.H. :  Le jazz est une de mes passions de longue date. D’ailleurs, je compte monter un spectacle avec le pianiste Jeff Kieser en hommage à Gershwin. Il aura lieu à l’Opéra de Paris. Pour le reste – c’est la curiosité qui me pousse à découvrir beaucoup de choses. On est là pour apprendre, vous savez … Je tiens aussi à dire que je suis particulièrement heureuse de participer à un festival de la World Music qui inclue la musique classique. Ceci prouve qu’elle est bien vivante. Et il ne pourrait en être autrement, car elle véhicule des émotions que partagent les homes de la planète entière. Je suis vraiment ravie de représenter la musique classique à un festival des musiques du monde.

A.I. : Vous avez interprétée plus de vingt rôles. Quel est celui qui vous a marquée le plus ?

B.H. :  Question originale … J’aime beaucoup le rôle que j’interprète actuellement, celui de Tatiana dans Eugène Onéguine de Tchaïkovski.

A.I. : … et votre compositeur préféré ?

B.H. : Mozart a toujours été mon compagnon de route.  Mais j’aime aussi Shubert qui a pris une place importante dans le programme de ce soir.

A.I. : A propos, était-ce un programme spécialement conçu pour le public tunisien ?

B.H. : Pas du tout. C’est le répertoire que j’ai proposé à tous les festivals de cette année. Je voulais introduire aussi Strauss, mais il demande un grand silence, ce qui n’est pas évident en plein air. Comprendre la musique ne nécessite aucun savoir particulier. C’est une question de partage.

A.I. : Vous avez fait des études de mathématiques et de chimie. Cela vous a-t-il aidé dans la musique ?

B.H. : Oui, ces deux sciences m’aident à les paroles et à les mettre en musique. Einstein avait écrit un livre sur Mozart. Sans avoir son génie, je dirai que qu’il y a des points en commun entre les sciences et l’art, car les deux représentent la vie et l’envie de connaître.

A.I. : Roland Pöntinen, le pianiste qui vous a majestueusement accompagnée, est un grand artiste à lui tout seul, ayant son propre répertoire de musique de chambre. Vous arrive-t-il d’avoir des différends concernant l’interprétations de certaines chansons ?

B.H. : L’art de la chanson, dite « lied » demande deux personnalités fortes. Le rôle du piano n’est pas seulement d’accompagner mais surtout de faire une interprétation du texte et de lui donner un impact dramatique. Si on a des points de vues divergeant, cela ne peut être que constructif.

A.I. : Ce soir, vous avez chanté à guiche fermé, ce qui montre que le public tunisien s’intéresse à la musique classique. Cependant, il y a un certainement des personnes, qui sont venues beaucoup plus pour l’événement que pour la musique, elle-même. Avez-vous des conseils à leur donner pour qu’ils puissent mieux l’apprécier ?

B.H. : Oui, un seul : fermez vos portables et ouvrez vos cœurs.

A.I. : Un commentaire sur le concert de ce soir …

B.H. : C’était difficile …
 

Parole de Maire
Semaine internationale de l'humour et le championnat national de Karaoké, bientôt à Tabarka

        Après avoir discuté avec les responsables de l’ONTT et avec Mourad Mathari, le très médiatique organisateur d’événements, parmi lesquels les Festivals de Tabarka, nous avons voulu contacter un représentant des autorités locales, afin d’avoir plus d’informations sur ces manifestations qui ont bouleversé le paysage culturel tunisien en lui redonnant un coup de jeune, dont il avait sérieusement besoin. C’est ainsi que nous avons fait la connaissance du Docteur Jilani Daboussi, un maire hors pair, qu’on trouve plus souvent au cœur de Tabarka, que dans son bureau municipal. Que ce soit dans la rue, au volant de sa voiture particulière (il préfère ne pas prendre la voiture de service), parmi ses patients ou en accueillant ses concitoyens à la Mairie, le Docteur Daboussi surprend par son franc-parler, dont on avait, depuis longtemps, perdu l’habitude et par une attitude dénudée de toute officialité. Au cours du Festival du Jazz, il est même monté sur scène, sollicité par Al Jarreau, en personne. Mais le Docteur des montagnes ne se considère pas comme une star. Pour lui, la vedette, c’est Tabarka ; il n’en est que l’un des mécanos. Et pour comprendre que les paroles du Maire ne sont pas toujours des paroles en l’air, on n’a qu’à se promener dans Tabarka et voir les réalisations importantes qu’a connues la ville depuis quelques temps.

André ILIEV : Actuellement, Tabarka connaît un essor sur tous les plans. Comment cela a-t-il commencé ?

Jilani DABOUSSI : Historiquement, la région a connu pendant des décennies une économie de subsistance. De 56 à 62, elle vécut une économie de guerre. Par solidarité avec nos frères algériens. Elle fût de nouveau saignée à blanc dans les années 60 à cause d'une économie de type collectiviste. Dans les années 70, la mise en place d'une économie libérale laissa la région en rade. Dans les années 80, après un bref espoir, une économie de type navigation à vue reprît le dessus et la région retrouva vite sa léthargie. C'est au cours de la dernière décennie que Tabarka, petit village de pêcheurs, se transforma littéralement en station internationale. Ce survol rapide est historiquement indiscutable.

A.I. : A votre avis, quelles sont les réalisations les plus importantes dans cette ville ?

J.D. : Il faudrait une réponse de type catalogue. Ce serait fastidieux. D'autant que l'investissement, et tous les économistes vous le diront, n'est pas une fin en soi. La meilleure réalisation, outre l'infrastructure de base, réside, à mon sens, dans la transformation totale des mentalités. Now, Tabarka is a winner. (Décidément, la langue de bois, ce n’est vraiment pas sa tasse de thé.) Grâce à une révolution toute tranquille.

A.I. :  Au cours d'une conférence de presse, les responsables de l'ONTT ont annoncé la réalisation prochaine d'un théâtre de plein air. Pouvez-vous nous en dire pins ?

J.D. : C'est bien qu'il soit annoncé par l'ONTT Au départ, cela ressemblait à un bluff Tous les journaux et toutes les radios en avaient parlé. Source mystérieuse. Et puis, le ministère de la culture, magnanime et beau joueur, le programma pour le prochain plan. Aujourd'hui, on peut affirmer que le théâtre de Tabarka aura 5.000 places et qu'il ouvrira ses portes en juin 2003. Sitôt l'annonce officielle, le conseil municipal avait décidé de pousser son avantage et d'inclure dans le projet un complexe culturel. il sera érigé, au cours du même Xème plan, sur le même site de Larmel et comprendra une salle de conférences, un musée, une bibliothèque et des salles d'exposition. L'accord définitif de M. Abdelbaki Hermassi, qui est un homme de culture et de développement, est incessant. Toute la région a confiance.

A.I. : Pourquoi avez-vous choisi la culture de qualité comme fondement de votre programme ?

J.D. :Connaissez-vous un meilleur rempart contre l'intolérance ? L'autre jour, un ami de Bizerte m'a demandé si le grand-père de Bertrand Delanoë était enterré à Tabarka. Non. Et si j'ai pu m'en assurer, c'est parce que le cimetière catholique municipal, avec son carré israélite, est très bien entretenu. La culture, c'est la tolérance, le respect du droit à la différence et l'amour de l'autre. A Tabarka, comme partout dans le pays, nous sommes ouverts. Donc vaccinés contre toute forme d’extrémisme. Et fermement décidés à faire de la culture de qualité notre levier de développement.

A.I. : Quel rapport entre Bertrand Delanoë et Tabarka ?

J.D. : C'est anecdotique. Son grand père était capitaine du port de Tabarka. Son père, Auguste, et sa tante, Yolande, étaient écoliers à Tabarka. Ils furent les camarades de classe de notre doyenne, Mme Touret, née à Tabarka, qui vient de fêter ses quatre-vingt-onze ans et qui était présente au récital de Barbara Hendriks. On a même retrouvé les carnets de notes des Delanoë. Je ne vous en dirai pas davantage. Ce n'est pas à l'obscur maire de Tabarka de divulguer les secrets scolaires des parents du brillant maire de Paris. Il n y a pas photo.

A.I. : La presse nationale a longuement parlé des incidents qui ont eu lieu lors du concert de Barbara Hendriks. Pensez- vous que cela puisse porter un coup sérieux au Tabarka World Music Festival ?

J.D. : Sûrement pas. Vous savez, cette grande affaire de la world music a été conçue en juillet. Cinq semaines plus tard; l'office du tourisme a fait naître un beau bébé. Fragile, pas très solide certes mais ce n'est pas un monstre. Alors mettre en exergue quelques notes de mezoued portées pendant 4 minutes par le vent sur 3 km ou bien monter en épingle le malaise d'une spectatrice, c'est confondre l'essentiel et l'accessoire. L'artiste a tout de même eu droit à cinq rappels! Et son manager, qui sût, tout comme elle, relativiser, m'a raconté qu'à Lugano, une fanfare municipale a interrompu pendant une demi-heure le récital et qu'à New York, un mari trompé a vidé son chargeur sur l'amant de sa femme au beau milieu du concert! Vous comprendrez que la ville a été surprise voire scandalisée qu'on titre sur nos petites bricoles. La mairie a d'ailleurs immédiatement réagi et dés le lendemain, comme vous l'avez constaté, nous avons investi dans l'achat d'un canoun équipé pour éloigner le mauvais œil ... Soyons sérieux. Ou bien ces critiques sont de bonne foi et elles sont déplacées voire ridicules, ou bien elles traduisent une volonté de nuire et dans ce cas, cela voudrait dire que Tabarka fait des envieux ou des jaloux. Je préfère penser que celui qui aime bien châtie bien. Grâce à ces critiques, nous allons nous corriger et mieux évoluer. Tout le reste est pure polémique.

A.I. : Vous allez donc bientôt commencer à préparer les prochaines éditions du jazz et de la world music ?

J.D. : Dès le mois d'octobre. Ce sont les instructions du ministre du tourisme et du gouverneur de Jendouba. Le jazz, la world music mais également les éditions 2002 du festival international et de Coralis qui a besoin d'un second souffle. Sans compter que d'autres idées ont germé: la semaine internationale de l'humour avec Smain, Gad El Melah, Fellag, Boujenah..., le championnat national de Karaoké ...Le conseil municipal vient de dégager de nouvelles ressources pour cofinancer toutes ces manifestations. Grâce à la world music, Tabarka a engrangé des retombées économiques prodigieuses: hôtels de la région Tabarka-Aïn-Draham surbookés, restaurants bondés, taxis et commerces pris d'assaut ... Le conseil municipal va donc se battre pour multiplier ces opportunités en contribuant localement à leur financement.

A.I. : Combien de manifestations comptez-vous organiser par an ?

J.D. : Si notre théâtre de 5.000 places avait été opérationnel, je vous aurais répondu précisément. En l'état actuel des choses, il semble réaliste de consolider avant d'espérer passer à une vitesse nettement supérieure. Il s'agit de monter en puissance parallèlement à l'augmentation du nombre de lits hôteliers. Notre parc va doubler dans moins d'un an. Idem par conséquent pour les manifestations culturelles. L 'objectif paraît raisonnable et à notre portée.

  Al Jarreau : " Tout ce que vous avez entendu ce soir, c'était George Duke et moi "

"Travailler avec Al est un défi quotidien. Il peut jouer, chanter et dire tout et à tout moment. Je n'exagérerai pas si je vous dis que c'est l'artiste le plus créatif que j'ai connu. " C'est ce que nous a dit Larry Williams, le pianiste d'Al Jarreau depuis 1978. Fasciné par son art, il n'a pas hésité à sacrifier sa place de leader de groupe, pourtant ayant quatre disques et la bénédiction du grand Queency Johnes à son actif, pour devenir un des musiciens accompagnant Al. C'est dire que, du haut de ses quarante années sur la scène, Al Jarreau a un charisme hors-paire, dû, peut-être, à l'aisance avec laquelle il passe d'un style à un autre, de la musique au théâtre - au début de sa carrière, juste après sa collaboration avec George Duke, il avait pris part à des shows télévisés new-yorkais aux côtés de Johnny Carson, Merv Griffin, David Frost, Bette Midler, Mike Douglas ou John Belushi - sans oublier son extraordinaire capacité de transformer sa voix en une large gamme d'instruments allant de la trompette à la batterie. Son " duel " avec le batteur, lors d'un passage à Montreux dans les années quatre-vingt, avait électrisé le public au point où l'on se croyait dans un concert de rock. Et l'émotion était au rendez-vous à Carthage, comme elle l'était également à Tabarka, la première aventure tunisienne d'Al. Même si le public - un peu trop guindé, il faut le dire - n'était pas venu pour se défouler dans la liesse. Mais Al Jarreau a plus d'un tour dans son sac pour agiter ceux qui, depuis les années soixante-dix, ont troqué jean et espadrilles pour un costard-cravate. Un savoir-faire hérité de son père, prédicateur dans une église, où le jeune Al a entendu sas premières notes qui, contrairement à ce que l'on pourrait croire, étaient très loin du gospel.

Al.Jarreau. : Mon père était prédicateur dans une église mais il n'a jamais chanté du gospel. C'était une église anglicane où l'on ne chantait que des hymnes. Par contre, en Amérique - à Chicago ou à Milwaukee, où il y a une grande communauté noire - il y a toujours une église où l'on chante le gospel à cinq minutes de chez vous. Je les entendais chanter ou répéter, alors que je passais dans le coin. C'est ainsi que j'ai entendu du gospel pour la première fois.

T.H. Qu'avez-vous appris de George Duke ?

A.J. : Beaucoup de ce que vous avez entendu ce soir. Je dirais surtout la sensibilité. Nous étions tous les deux très jeunes. George était plus jeune que moi mais il avait beaucoup plus d'expérience. J'ai mûri durant ces quelques trois ans et demi. C'était le meilleur trio avec lequel j'ai travaillé. Tout ce que vous avez entendu ce soir, c'était George Duke et moi.

T.H. : A propos, comment se sont passées le retrouvailles avec le public tunisien ?

A.J. : Super… Les gens étaient vraiment chauds. Seulement, je parlerai avec Mourad pour que, la prochaine fois, il s'arrange pour qu'il y ait moins d'écho dans la salle. Il faudra peut-être accrocher quelques spectateurs pour absorber le son. Mais non, je plaisante… il ne faut surtout pas me prendre au sérieux…

T.H. : Et la prochaine étape ?

A.J. : Je suis sur un projet de disque avec George Benson que j'espère concrétiser d'ici novembre. J'écrirai les paroles pour sa chanson " Breezing " et il reprendra quelques uns de mes morceaux. Bon, je ne pense pas que ce sera entièrement du jazz mais il y aura certainement quelques trucs jazzy.

T.H. : Avec qui rêvez-vous de chanter ?

A.J. : Mon Dieu, il y en a un tas… Concernant les guitaristes, j'aimerai travailler avec Earle Klugh avec qui je partage la passion pour la musique brésilienne. Quant aux batteurs, j'ai beaucoup aimé travailler avec Peter Earskin.

T.H. : Quelle est votre chanson française préférée ?

A.J. : J'en ai une et elle s'appelle " Seiz ". En fait, c'est moi qui l'ai écrite avec un gars super qui s'appelle Philippe Seiz. Et la chanson parle de ce qu'elle dit (jeu de mots : " What she says " NDRL) T.H. : Comment voyez-vous l'avenir du jazz ?

A.J. : A vrai dire, je m'en inquiète un peu. Dans le monde capitaliste moderne, tout se fait pour de l'argent et ce la peut freiner le développement de la bonne musique.

Billy Paul : " Missis Jones n'est pas ma femme "

Les couples romantiques qui étaient venus s'enlacer sur les airs de ses slows notoires ont été bien servis. De " Me and Missis Jones " à " Your song ", beaucoup étaient ceux qui ont versé une larme d'émotion, lors du second concert de Billy Paul en Tunisie, à Carthage cette fois-ci. Mais il n'y en avait pas que pour les fleurs bleues. Du jazz mais aussi de la soul et du gospel déchaîné à la manière de la prêche du révérend exalté incarné par James Brown dans les " Blues Brothers " ont mené les foules au bord de l'hystérie. C'est dire que ceux qui prennent Billy Paul pour une starlette ayant fait un tube ou deux, il y a une trentaine d'années, se trompent amèrement. Même s'il a démarré sa carrière mondiale dans les années soixante-dix en tant que chanteur de RNB, Billy Paul a bel et bien débuté dans les années cinquante où il fut découvert lors d'un radio-crochet, alors qu'il n'avait qu'onze ans. Depuis, il a travaillé avec des grosses pointures du jazz telles que Dinah Washington, Miles Davis et Roberta Flack, sans oublier Charlie Parker. Son premier disque " Ebony woman " sorti en 1959 - une vraie perle du jazz dont, malheureusement, peu se souviennent encore, aujourd'hui - a été réédité plusieurs fois, surtout après que le grand public ait découvert le talent de Billy avec ses deux succès interplanétaires " Me and Missis Jones " et " Thanks for saving my life ", sortis respectivement en 1972 et 1974. Depuis, il a enchaîné albums et tournées jusqu'en 1989, quand il annonce, à Londres, sa retraite du monde du spectacle. Pas pour longtemps, à en juger d'après ses multiples prestations dans les clubs américains et européens. Et ses deux spectacles tunisiens…

Tunis Hebdo : Comment avez-vous retrouvé la Tunisie ?

Billy Paul : J'adore la Tunisie. Vous savez, c'est drôle, les Tunisiens ont la musique dans la peau. En Amérique, on a beaucoup de musique et la quantité ne va pas souvent de pair avec la qualité. Or, en Tunisie, je n'ai écouté que de la bonne musique. Avec le Brésil, c'est le deuxième endroit où, ma femme et moi, nous voudrions passer nos vieux jours. Je suis un homme simple : j'aime écouter de la bonne musique et me promener au bord de la mer. J'ai fait beaucoup de choses dans ma vie, j'ai visité beaucoup d'endroits. Maintenant, j'aspire à une vie paisible et je sens que la Tunisie est l'endroit idéal pour vivre en paix et faire de la musique.

T.H. : … et la soirée ?

B.P. : J'ai adoré la sincérité et la simplicité des gens. Et il n'y a pas que la soirée… J'ai également donné des cours de chant à quelques étudiants, lors des master-classes. C'était très émouvant. J'étais touché par leur simplicité. Vous savez, j'ai fait mes débuts dans les blanchisseries des hôtels. Il m'est également arrivé de chanter devant des mendiants, des milliers de mendiants. Ca, c'était de vrais moments de bonheur.

T.H. : Est-ce la variété de votre public qui est à l'origine de celle de vos styles ?

B.P. : Je suis, avant tout, un chanteur de jazz. J'ai commencé ma carrière avec Charly Parker et John Coltrane. Il n'y a que l'album de " Me and Missis Jones " qui s'en écarte un peu mais tous mes albums précédents ont été placés sous le signe du jazz. Comme c'est devenu un tube, j'ai commencé à m'intéresser aussi à la RNB.

T.H. : Pouvez-vous nous raconter l'histoire de cette chanson-culte ? Qui est Missis Jones ?

B.P. : Bon, au risque de vous décevoir, je voudrais garder cette histoire pour moi. Tout ce que je peux vous dire c'est que Missis Jones n'est pas ma femme. En tout cas, elle a su se reconnaître.

T.H. : Que pensez-vous de la RNB aujourd'hui ? B.P. : Je ne sais pas ce qu'on appelle RNB aujourd'hui. En tout cas, il y a beaucoup d'instruments électroniques qui ne pourront jamais égaler les vrais. Je ne chanterai jamais accompagné par un batteur " moderne " car il ne joue pas de la vraie batterie. Moi, j'ai besoin d'attendre les battements des pales avant le morceau pour me mettre dans le rythme. Cliquez ici pour voir Billy Paul (Si vous n'arrivez pas à voir le clip, cliquez sur le lien avec le bouton droit et choisissez l'option "Enregistrez sous")

Paulo Cuelho : " Chaque être humain est responsable vis-à-vis de l'Histoire "

Pourquoi la seule star vivante de la littérature décide d'inclure la Tunisie dans son agenda ? Pas seulement pour les palmiers, l'esprit méditerranéen ou un cachet solide. Avant même d'avoir commencé à répondre aux questions des journalistes et de ses fans aux nombre pour le moins surprenant, Paulo Cuelho, le premier écrivain sud-américain à fouler le sol tunisien, a déclarer qu'il avait été séduit par… l'idée originale d'organiser une foire du livre. Evénement qui, selon lui, ne fait pas partie des traditions de nombreux pays. Et quand un tel éloge vient de quelqu'un avec une telle expérience, tant littéraire que personnelle, on ne peut que s'enorgueillir. Incompris par ses parents, au point de se faire interner par ces-derniers dans un asile psychiatrique, emprisonné, torturé, Paulo Cuelho est passé par toutes les épreuves dans la vie. Y compris par la vague " yé-yé " à laquelle il a contribué en tant que parolier du compositeur et interprète Raoul Seixas, sans oublier son engagement corps et âme dans le mouvement hippie. Et puis, il y eu ce voyage au camp de concentration de Dachau où tout a commencé…

Tunis-Hebdo : Que vous a apporté le mouvement hippie sur le plan littéraire ?

Paulo Cuelho : La vie, ce n'est pas seulement la littérature. Bien au contraire : la littérature ne peut être que le reflet de la vie que vous menez. Dans ce sens, le mouvement hippie m'a apporté beaucoup de choses dont le goût de voyager et la sensation que je ne suis pas seul, qu'il y a quelqu'un qui me comprend, même si cette personne ne parle pas ma langue. C'est durant mes années hippie que j'ai su que les idées que l'on peut avoir dans l'un des coins du monde peuvent être partagées par tous : l'idéal de l'amour, la tolérance etc.

T.H. : A un certain moment de votre vie, vous aviez été confronté à la torture. Pourtant, vous n'en faites pas le sujet principal de votre œuvre, comme l'aurait fait Pinter, par exemple.

P.C. : Vous savez, j'étais aussi dans un hôpital psychiatrique, expérience que j'ai relatée dans mon livre " Véronica décide de mourir ". C'était une preuve d'amour de la part de mes parents qui pensaient que j'étais fou. Concernant la torture, c'était quelque chose qui ne m'a riens apporté. C'était seulement une preuve de la haine humaine. Ceci dit, maintenant, je suis totalement engagé avec Amnesty International pour éviter que cela ne se répète. Non, je ne trouve rien dans la torture qui puisse m'inspirer.

T.H. : Dans vos livres, on trouve beaucoup de sagesse, comparable à celle des contes philosophiques du XVIIe siècle. Cependant, ce n'est pas la sagesse mais plutôt la folie humaine qui a fait que vous preniez la plume.

P.C. : Il faut se rendre à l'évidence : les faits historiques se répètent. Surtout cette idée que l'on peut contrôler tout, que l'on peut régner sur le monde. Quand j'étais à Dachau, j'ai vu cette phrase : " Plus jamais ! ". A ce moment-là je n'y a pas cru, car, dans les années quatre-vingt, la dictature ravageait l'Amérique du Sud. La torture, les disparitions, c'était le quotidien… Et là, je me suis rendu compte que chaque être humain est responsable vis-à-vis de l'Histoire. C'est ce qui m'a donné envie d'écrire.

T.H. : Actuellement, vous êtes la seule star parmi les écrivains. Est-ce grâce à votre expérience de parolier de tubes de rock ?

P.C. : C'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de stars dans la littérature. Il y a des personnages-stars comme Harry Potter, il y a des romans-stars comme " Da Vinci code " de Dan Brown mais souvent les gens oublient l'écrivain. Pourquoi ai-je du succès ? C'est difficile à dire. On a fait une recherche sur les marques et j'étais le seul écrivain considéré comme une marque, même si, l'année dernière, Dan Brown a vendu plus de livres que moi. Cela m'a beaucoup impressionné, même si je n'ai aucune envie d'être associé à des marques de voitures.

T.H. : N'y aura-t-il jamais un roman de Cuelho adapté pour le cinéma ?

P.C. : Je pense que le film se passe dans la tête du lecteur. Le livre, c'est l'imaginaire ; il touche un coin de l'âme qui, à mon sens, reste inaccessible pour le cinéma. Bien sûr, j'adore le cinéma, mais seulement quand les films sont faits à partir de scénarii faits pour le cinéma et je suis déçu à chaque fois que je vois un film basé sur un roman. Je quitte la salle sur le constat que le livre est nettement meilleur.


Entre " Dazed and Confused " et " Sidi Mansour ", Robert Plant enflamme Carthage

" Un mythe… un mythe… " C'est ce que répétait un homme aux cheveux grisonnants, esquissant un sourire médusé, qui n'en revenait pas d'avoir vu l'idole de sa jeunesse chanter ici, à Carthage, à quelques mètres de lui. Mais n'allez surtout pas croire que la soirée du 24 mars 2006 n'était réservée qu'aux ex-soixante-huitards. Un public majoritairement jeune, pogotant allègrement avait rempli l'espace en face de la scène, beaucoup plus habitué à voir des " grosses têtes " assis sur des chaises en plastique. C'est dire que depuis vingt-huit ans, la musique des Led Zeppelin continue à émouvoir le monde entier. Pourtant, il n'y avait pas que les morceaux des Zepps et quand Robert Plant et son nouveau groupe, The Strange Sensation en interprétait quelques uns, ils le faisaient à leur sauce, tel l'incontournable " Black dog " auquel ils avaient donné un aspect plus bluesy et plus solennel. Parmi les nouveautés : des titres de leur album " Freedom fries " et… " Sidi Mansour " pour lequel le groupe a eu, paraît-il, un coup de foudre au point de l'adopter en lui ajoutant des solos de guitare portant la griffe du virtuose Justin Adams que le public tunisien a découvert en 2003 à l'Etoile du Nord et qui n'a pas hésité de changer ses quelques guitares pour une derbouka bien tunisienne. Mais, malgré la performance remarquable de tous les musiciens du groupe, tous les regards étaient figés sur l'emblématique Robert Plant, l'un des premiers symboles de la recherche dans le rock britannique, qui a contribué, aux côtés de Jimmy Page, John Paul Jones et John Bonham - un ami de son groupe précédent appelé The Band of Joy - à ce que les mythiques Yardbirds renaissent de leurs cendres sous le nom de Led Zeppelin et deviennent les pionniers du hard rock.

T.H. : Tous les critiques s'accordent à dire que les Led Zeppelin ont été le premier groupe vraiment " hard ". Quand vous avez rejoint les musiciens de Yardbirds, étiez-vous conscients que vous alliez révolutionner la musique ?

R.P. : Non, pas du tout. D'ailleurs, je pense que, selon les critiques anglais, ce sont les Cream qui ont été les premiers à " durcir " le rock. Aux Etats-Unis aussi, il y avait beaucoup de groupes qui ont vu le jour après les Yardbirds et qui avaient une approche psychédélique de la pop, tout en ayant une sonorité riche. Ce qui nous a, peut-être, différencié des autres, c'est la recherche. En dehors du fait qu'il était un guitariste hors-pair, Jimmy était très ouvert à toutes les tendances musicales, beaucoup plus que la plupart des guitaristes des autres groupes. C'est ainsi qu'il a ouvert beaucoup de voies que nous n'avions qu'à prendre. C'est ainsi qu'ont vu le jour le premier et le second albums. Quant à Led Zeppelin III, il a vu la recherche s'affirmer définitivement dans notre style : en effet, la mythologie et le folk n'étaient pas les thèmes les plus abordés par les groupes de rock.

T.H. : Vous avez parlé des " écarts " de Jimmy Page par rapport à ce qui était considéré comme étant la " norme " du rock, mais n'y étiez-vous pas, vous aussi, pour quelque chose ? Après tout, vous avez admis, au cours d'interviews, vous être inspiré de Howlin' Wolf ou de Bob Dylan qui ne sont pas parmi les " durs " du rock.

R.P. : Je ne pense pas qu'ils soient très différents de ce que nous avons fait. L'essentiel est dans l'énergie, dans la puissance, dans la griffe. C'est aussi une question de rythme et d'arrangement.

T.H. : Qu'avez-vous appris de votre collaboration avec les ex-Yardbirds ?

R.P. : C'était un groupe qui expérimentait beaucoup à ses débuts. Ils étaient surtout inspirés par la musique de Chicago, telle qu'elle était au début des années cinquante. Ils avaient déjà l'expérience de musiques que j'ai découvertes bien après. Ils avaient aussi cette touche pop légère, très britannique, qu'ils avaient ajouté à un psychédélique.

T.H. : En parlant de pop, les Zeppelin ont également fait des tubes monumentaux tels que " Stairway to heaven ". Pouvez-vous nous en raconter l'histoire ?

R.P. : Je ne m'en souviens vraiment pas.

T.H. : Peut-être y planiez-vous ?

R.P. : J'étais chez des amis, dans un domaine ou les Genesis allaient souvent. Peut-être devriez-vous vous adresser à eux ? Tout ce dont je me rappelle, c'était qu'il y avait un chien noir. Vous savez, c'était il y a trente-quatre ans. Et puis, la vie ne s'arrête pas avec les Zepps. A quoi bon revenir sur le passé ? Ce que je peux vous dire, c'est qu'actuellement, une seconde vie a commencé pour moi.


Big Joe Turner : " Le blues est là pour rester "

Déjà familier avec le public des festivals tunisiens, Big Joe Turner n'en est pas à son premier succès tunisien. Ni à son succès, tout court. Même si son illustre prédécesseur hyponyme le devance quelque peu. Mais c'est tout à fait normal, quand on compte parmi les pionniers du blues. Quant à notre Big Joe, celui qui est toujours vivant, il a dû faire son bonhomme de chemin sans trop compter sur son nom, ni sur sa cousine, Tina. Et il a bien réussi. Et si l'on le confond avec l'autre, ce n'est pas seulement pour son talent.

Un musicien confirmé… dès ses 10 ans

En effet, les deux " grands " se sont croisés pendant une longue période. Comment cela est-il possible, vu leur différence d'âge, me demanderiez-vous. C'est simplement parce que Big Joe II a commencé à jouer dès l'âge de… 10 ans. Seulement, il n'était pas à la basse. Du moins, pas encore… " Je fais de la musique depuis cinquante-deux ans, nous a-t-il expliqué. Le choix de la guitare, je l'ai fait, il y a bien longtemps. J'ai fait de la guitare, du piano, le trombone. J'ai oublié par lequel j'ai commencé. En tout cas, pour la basse, c'était dans les années soixante. Je m'y suis mis, alors que j'étais à l'armée. A l'époque, le trombone était mon instrument principal. C'est à cette époque-là que les guitares montaient en flèche au détriment des instruments à vent. C'était l'époque de Jimmy Smith et de sa petite révolution dans le jazz. Alors, pour ne pas rester au chômage, j'ai dû changer d'instrument."

Hommage à B.B. King

Guitare, piano, trombone, sans oublier sa voix rauque… décidément, Joe a tout essayé, avant de devenir le bassiste attitré de B.B. King, pendant plus de dix ans. Expérience qui ne l'a pas empêché de tourner également avec Little Milton, Isaac Heyes, Albert King et Earle Hooker. On l'a même vu au cinéma, aux côtés d'un autre " king ", Elvis, dans " Good rocking tonight ". Cependant, s'il y a une expérience à l'avoir marqué à vie, c'est bien celle avec B.B. "Il incarnait pour nous l'image du père, où plutôt du grand-père, avec toute sa sagesse et tout son savoir, nous a confessé Big Joe. Je me rappelle l'avoir rencontré pour la première fois à Memphis, dans le Tennessee, dans un club où je jouais à l'époque et qui s'appelait " Club Paradise ". B.B. était dans le public ; il s'est levé et il est venu sur scène avec nous. C'était la première fois que j'ai joué avec lui, mais la première fois quand je l'ai vu sur scène remonte à mon enfance. En fait, ma mère l'adorait et, comme elle n'avait pas d'argent pour payer une baby-sitter, elle m'amenait aux concerts avec elle. " Comme quoi, le manque d'argent peut ne pas jouer que de mauvais tours dans la vie de quelqu'un. et c'est ainsi que le petit Joe est devenu le grand ambassadeur du blues - une musique qu'il promeut non seulement en tant que musicien, et chanteur de tubes comme " Something is going on ", " Beale's boogie " ou " Jackson on my mind " (que le public tunisien a pu apprécier sur scène et cd) mais aussi en tant qu'organisateur de festivals en France où il aime bien séjourner " Le blues ne changera jamais, nous a-t-il affirmé. Il est là pour rester. Nous, on s'en ira mais lui, il demeurera. "

Amine et Hamza : ce que vous auriez écouté le 30 juillet 2006

Le rendez-vous d'Amine et Hamza Mraihi avec leurs fans tunisiens n'aura pas eu lieu cette année, deuil national oblige. Programme perturbé, billets à rembourser… il n'y avait pas que cela à regretter. Car nos deux frères musicaux ont fait un long parcours. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts entre " A la mar ezaman ", plutôt traditionnel, sorti en 2002 et leur dernier cd, " Elle et Lui ", un vrai flot de notes et de rythmes, flirtant avec le jazz et le rock, mariant l'oriental à l'occidental avec l'adresse d'un Shankar. C'est à se demander jusqu'où vont-ils aller dans leurs expériences musicales.

Une musique orientale " au sens large "

" Notre musique est orientale dans le sens large du terme, nous a expliqué Hamza. Cela va de l'Inde au Maghreb. C'est donc une musique assez diversifiée mais ce qu'on a essayé d'y introduire beaucoup d'harmonisation. Même si, pour tous vous dire, la musique orientale n'a pas beaucoup d'harmonie puisqu'elle utilise les quarts de ton. On utilise également beaucoup d'autres instruments comme la guitare basse ou la batterie - des instruments qui n'ont pas forcément leur place dans la musique orientale. Ce qu'on essaye de faire, c'est d'introduire beaucoup de groove et de punch dans la musique arabe. " Mais détrompez-vous… Passionné de Dizzie Gillespie, John McLaughlin et Al Di Meola, Hamza tient à la particularité de son style et de son instrument : " Le kanoun a beaucoup de possibilités dans le jazz, même s'il n'y est pas habituellement utilisé, vu la tension des cordes. En ce sens, il est très différent de la guitare qui, elle, est faite pour les accords. Je suis en train de développer une technique pour jouer sur le kanoun tout ce qu'on peut jouer sur la guitare. Pourtant, je n'essaye pas de faire du jazz. Ce n'est pas ma vocation. Je veux faire ma musique qui est une musique orientale avec des influences du jazz. "

Un luth jazzy ?

Amine, lui aussi, s'est mis à la réforme de sa façon de jouer : " J'essaye d'introduire les accords, ce qui n'est pas évident dans la musique arabe. Cela nécessite une grande justesse car le luth n'a pas de frets. Au niveau modal, les accords son très différents de la musique arabe. Bien sûr, la musique arabe est très modale comme le jazz, mais les variations entre modes sont plus lentes que le jazz. Mais, avec ce que l'on fait, on est obligé de s'ouvrir vers le jazz car on travaille avec des musiciens de jazz essentiellement. " L'avenir ? Les vacances de nos deux étudiants en médecine seront laborieuses. Après une tournée européenne, c'est un projet avec un saxophoniste soprano classique helvétique qu'ils réaliseront. C'est dire qu'il faudra au moins une année pour les revoir sur la scène tunisienne.

Dianne Reeves : " Le jazz est mon passeport pour le monde "

Situé à mi-chemin entre le blues, le gospel, la soul et la musique africaine, le style de Dianne Reeves reste difficile à cerner. C'est peut-être la raison pour laquelle nombreux critiques l'ont traitée de " schizophrène ". Mais, en dépit des réticences de ceux qui aiment tout ranger dans des tiroirs, la cantatrice a vite atteint les sommets du jazz justement grâce à son extrême polyvalence. Et à son charme qui n'a pas laissé insensible le public tunisien, venu en masse au Festival du Jazz à Carthage pour l'applaudir pour la seconde fois. Même si Dianne Reeves est considérée actuellement comme l'une des icônes du jazz, il faut dire que la diva a mis longtemps, avant de trouver sa voie. Jazz, pop et musique africaine ont jalonné sa longue carrière qui a commencé au début des années soixante-dix, alors qu'elle était étudiante à l'Université du Colorado. Remarquée par Sergio Mendes et Harry Belafonte, Dianne est devenue la coqueluche des festivals pour arriver en tête d'affiche en 1994 - un privilège qu'elle a conserve jalousement depuis. Son succès lui a même ouvert les portes du cinéma. C'est à elle qu'a fait appel George Clooney pour son dernier film " Good night et good luck ", dénonçant le Maccarthysme et mettant au premier plan le rôle des journalistes dans la lutte contre la dictature, l'extrémisme et l'injustice. Sur ce point, Dianne Reeves s'est contentée de dire que le monde doit changer et qu'elle compte y apporter sa contribution en rapprochant les civilisations

Dianne Reeves : Je dis toujours que le jazz est mon passeport non seulement dans tous les types de musiques, mais aussi pour le monde. Je viens d'une famille de musiciens et mon oncle, qui avait une grande influence sur moi, m'a convaincue que c'était la voie que je devais prendre. C'est ainsi que, dans les années soixante et soixante-dix, j'ai commencé à écouter des musiciens de jazz qui donnaient des concerts un peu partout dans le monde. Au début, je m'étonnais de l'accueil que leur réservaient des publics de pays du monde entiers. Mais j'ai vite compris que la raison de ce succès était dans la musique même. En fait, le jazz est une langue complexe et universelle, mue par la volonté de communiquer des valeurs partagées par tous.

T.H. : Quelles sont ces valeurs ?

D.R. : Le jazz est une musique pour les jambes, pour l'esprit et pour le cœur et j'espère que la musique que je fais tient des trois. Ce que je chante est inspiré de mon propre vécu ; mes chansons sont imprégnées des sentiments que j'ai pu ressentir à un moment ou à un autre de ma vie. En chantant du jazz, je me sens moi-même. C'est une sensation indescriptible.

T.H. : Quelle impression avez-vous gardé de votre expérience avec Harry Belafonte ?

D.R. : Harry m'a ouvert les portes vers le succès international. Avec lui, nous avons parcouru le monde entier. En plus, on avait un répertoire ou figuraient beaucoup de chansons folk de pays différents, ce qui a rendu notre tournée très " sociable " et connoté politiquement. Il m'a donné l'opportunité de travaille avec des musiciens qui venaient de partout. C'était incroyable. C'est ce qui m'a permis de forger mon propre style.

T.H. : Pourquoi avez-vous dit " oui " à Clooney ?

D.R. : Oh, il m'a demandé et c'était difficile de refuser. Après tout… c'est George Clooney. Et, je tiens à préciser qu'en dehors de sa réputation d'acteur, il fait des films très intelligents, où l'on peut entendre des musiques différentes : du folk mais aussi de la country interprétée par les meilleurs musiciens de Nashville. C'est quelqu'un qui est passionné par la musique et quand il m'a demandé de chanter, je savais que ma musique n'allait pas être un fond mais qu'elle allait réellement faire partie du film. Cliquez ici pour voir chanter Dianne (Si vous n'arrivez pas à voir le clip, cliquez sur le lien avec le bouton droit et choisissez l'option "Enregistrez sous")

Blues Brothers : les Frères récidivent à Hammamet

C'était, sans doute, l'une des soirées les plus chaudes qu'Hammamet ait connue. Et comment pourrait-il en être autrement, quand une vraie légende avait déferlé sur les quais de la ville. Après le mythique thème de Peter Gunn, costards, lunettes et chapeaux-melons noirs, pas dansant endiablé… aucun doute : six ans après leur premier succès, les Blues Brothers font leur spectaculaire rentrée.

Ah, ce bon vieux Rythm and Blues

De " Sweet home Chicago " à " Everybody needs somebody to love " en passant par " Flip, flop and fly " ou " Minnie the Moocher ", les amateurs des bons vieux standards du blues ont été largement servis. A commencer par une dame, les cheveux grisonnants, qui n'a pas arrêté de danser durant toute la soirée. De quoi faire honte aux plus jeunes qui lui ont emboîté le pas avec un léger retard, même s'ils se sont largement rattrapés par la suite. Et comment pouvaient-ils rester impassibles ? Face à eux, ils avaient une formation dont le son puissant n'avait d'égal que le jeu scénique des deux principaux protagonistes : les Blues Brothers en personne.
Ceux qui s'attendaient à voir le fameux duo Dan Aykroyd et John Belushi, sont restés sur leur faim : jamais ils ne pourront réaliser leur rêve et ce pour une raison bien naturelle : le petit bonhomme trapu dont la sortie d'une des prisons de l'Illinois marque le début du film légendaire n'est plus. Son décès en 1982 suite à une overdose a mis la Confrérie à une sérieuse épreuve. Mais la légende continua prouvant que, quand elle vient du fond du cœur, la musique peut vraiment conjurer la mort.

De la parodie à l'institution

Nous sommes en 1969. Paul Shaffer, l'animateur d'un programme télévisé " Saturday Night Live ", reçoit un coup de fil de Marshall Checker, directeur du célèbre label " Checkers records ", qui vient de découvrir un duo original dans l'un des clubs du sud de Chicago, comme il en existe de moins en moins. C'est ainsi que Dan Aykroyd et John Belushi, alias Jake et Elwood Blues, font leurs débuts à la télé déguisés en bourdons et interprétant le tube de Slim Harpo " I'm a king bee ", morceau rendu mondialement célèbre par les Stones. Et c'est ainsi que les Blues Brothers gravissent, petit à petit, les marches du succès, se transformant en une véritable institution.
Certes, depuis 1978, le groupe a beaucoup changé. Surtout, du côté des frères. Actuellement, Jake s'appelle Rob Paparozzi et Elwood - Jerry Fisher, Dan Aykroyd ne faisant que des tournées américaines. Mais il y en a aussi qui sont toujours là. Comme le trompettiste Alan Rubin, le guitariste Steve Cropper, qui a arrangé la plupart des titres, ou encore Lou Marini, le plongeur-saxophoniste qui, dans le film, chauffe le petit fast-food avec son mémorable solo dans la chanson " Think " interprétée par Aretha Franklin. Et, à propos de morceaux-phares, il en manquait deux, dans le spectacle du jeudi 20 juillet 2006 : " Rawhide ", le clin d'œil ironique à la country, interprété dans un bar par la bande, sous une pluie de bouteilles vides, et " Jailhouse rock ", le morceau final, interprété dans le décor approprié. Mais, rassurez-vous, ce n'est pas fini. Car les frères n'en ont pas fini avec la Tunisie. Du moins, c'est ce qu'ils ont promis… Cliquez ici pour voir les Blues Brothers (Si vous n'arrivez pas à voir le clip, cliquez sur le lien avec le bouton droit et choisissez l'option "Enregistrez sous")

 

Martha High : " James Brown était mon mentor "

C'est à elle que le sort avait confié la lourde tâche de se produire en première partie de Roy Ayers. Et elle a su merveilleusement bien relever le défi tout en faisant face a l'absence de Gwen Mc Rae, également prévue pour le spectacle du 21 juillet de Night in Tunisiana. Notons, pour la petite histoire, que l'interprète du tube "Rocking Chair" n'a pas pu venir pour cause de petits problèmes de santé. Forme et tenues éclatantes, musique sérieuse et dansante, Martha High a fait exulter un public encore sous le coup de la déception provoquée par l`absence de Gwen.

L'église baptiste pour ses débuts

Même si Martha High n'est pas vraiment connue par le grand public, son histoire n'en est pas moins riche. Cofondatrice du groupe Four Jewels, c'est avec James Brown, dont elle a été la choriste principale, qu'elle a connu le véritable succès. Une période de sa vie qui l'a marquée à jamais. " James Brown était plus qu'un frère ou un père pour moi, nous a-t-elle dit sans cacher son émotion. James Brown était mon mentor. Il m'a beaucoup appris sur la présence scénique et le showbiz, en général." Mais sa rencontre avec la musique remonte beaucoup plus antérieurement. "Mes parents faisaient partie de la chorale d'une église baptiste, nous a raconté Martha. Ils m'y ont emmenée dès mon plus jeune âge. C'est alors que j'ai décidé que mon avenir ne pouvait être que la musique." Et quelle musique. Gospel, soul, disco... Martha a plus d'un style dans son répertoire. Au point que l'on a du mal à déterminer son style. "C`est un mélange avec beaucoup d`ingrédients, nous a-t-elle expliqué. Mes racines sont dans le gospel mais le gospel provient de la soul, tout comme le funk ou le blues. En fait, tout provient des profondeurs de l`âme."

Fidèle au gospel

Or, malgré ce pot-pourri de styles, la musique préférée de Martha reste le gospel. Selon elle, rien n`est comparable à la sensation que l`on peut éprouver lorsque l`on chante du gospel. Profondément croyante, Martha nous a expliqué cette joie par le privilège de pouvoir rendre grâce à Dieu en chantant. Son expérience tunisienne ? Plus que satisfaisante... Et surtout remplie d`espoir. "Je sens que les Européens et les Tunisiens aiment beaucoup notre musique et en savent beaucoup plus que les Américains, a-t-elle admis non sans regret. J'espère que nos jeunes auront un jour autant de passion pour la musique de nos ancêtres", a-t-elle ajouté.

La surprise du duo Chekili - Mhedhbi

" On aime faire ce qui peut nous surprendre." C'est ainsi que Fawzi Chékili a expliqué sa présence pour le moins inattendue au Festival de la Musique Instrumentale, le samedi 11 février. En effet, il a dû remplacer au pied levé un artiste danois qui n'a pas pu se joindre à la fête. C'est pour cela qu'il devait exceptionnellement assurer les deux parties de la soirée. Et il n'était pas seul… A ses côtés, il avait Nizar Mhedhbi, un de ses plus valeureux disciples, qui avait choisi de partager l'une des passions du Maître : le jazz manouche.

Une musique au marteau et à la pompe

Même si le représentant le plus connu de ce genre de musique reste Django Reinhardt, la musique manouche existait bien entendu avant lui ; en effet, Django a apporté le côté jazz à la musique manouche. D'ailleurs les musiciens lui vouent un véritable culte, et cela se concrétise par un festival qui a lieu tous les ans à Samois-sur-Seine où l'on va même jouer sur la tombe de Django pour lui rendre hommage. Le jazz manouche se caractérise par l'emploi de la guitare sèche ou acoustique, du violon et de la contrebasse comme instruments principaux. On retrouve aussi fréquemment le washboard, le bandonéon. La rythmique est souvent accompagnée de roulades et autres figures de styles pour varier le rythme. De même la tenue du médiator n'est pas du tout la même que pour d'autres styles de musique. En effet, elle se fait le poignet " cassé ", pour pouvoir appliquer la technique dite " marteau " (accentuer l'intensité des notes), pour gagner en vitesse mais aussi afin de minimiser les contacts entre la main et la table de la guitare, de manière à ce que celle-ci puisse vibrer avec le minimum d'interférences extérieures. Sous l'influence de Django Reinhardt, les musiciens cherchent généralement à jouer de manière extrêmement rapide sur de longues périodes, et à prolonger l'un des temps, généralement le quatrième, en imitant ainsi une chanson de Sanseverino, " Michto la pompe ". Les autres influences sont à chercher du côté de la musique tzigane.

De Bonjovi au jazz

A priori, rien de tout cela ne pouvait intéresser le jeune Nizar, intéressé exclusivement par l'œuvre de Bonjovi, qui est venu un jour chez Fawzi pour prendre des cours de guitare. A l'époque, il ne voulait pas entendre parler d'autre chose. C'est la guitare sèche de Fawzi a été pour lui une révélation. " Je regardais les guitaristes professionnels et j'étais passionné par leur désir de perfection, nous a-t-il expliqué son coup de foudre. En effet, dans le rock, on arrive à un stade ou l'on doit aller au-delà de ses performances. D'où ma passion pour le jazz - une musique particulièrement ouverte. C'est ainsi que j'en suis tombé amoureux. " Un duo qui va durer " Quand on nous a dit qu'on devait jouer en acoustique, on a marché à fond, a déclaré Fawzi. " Et pourtant, le duo ne date pas d'hier. C'est depuis deux ans que Fawzi et Nizar se produisent dans les clubs tunisois. Actuellement, ils sont, tous les mercredis, au Résidence de Gammarth. C'est ce qui explique cette complicité particulière qui existe entre les deux artistes et qui se traduit par une extraordinaire confiance mutuelle leur faisant repousser souvent les limites de l'improvisation. Lotfi Mraihi, l'un des organisateurs de l'événement, s'est dit impressionné, et a déclaré qu'il penserait à un projet plus approfondi avec le duo. Même si elle n'a pas encore pris forme, l'idée d'un Cd commence déjà à germer dans l'esprit des musiciens. " Un disque ? Pourquoi pas, mais il nous faut ajouter quelques standards pour swinguer, pour " monter la sauce ", a tenu à préciser Fawzi Chekili. Déjà, dans le concert, quelques standards de Chic Corea et Steely Dan ont bien trouvé leur place. A en juger d'après les applaudissements du public. Cliquez ici pour écouter un medley de Faouzi Chekili (Si vous n'arrivez pas à l'écouter, cliquez avec le bouton droit et choisissez "Enregistrer sous")

Sofia : ville de traditions, modernité et tolérance

D'où la ville de Sofia, capitale de la Bulgarie, tient-elle son nom ? De la sagesse de ses habitants qui ont su préserver leur identité et leur tolérance en dépit des conflits environnants ? Probablement… Mais ce n'est pas la seule explication. La légende dit qu'une princesse byzantine nommée Sophia a pu guérir d'une maladie que l'on croyait incurable grâce aux vertus médicinales de l'eau minérale qui surgit au cœur même de la petite cité balkanique. En signe de reconnaissance, la princesse lui aurait offert son nom …

Un carrefour de civilisations

Depuis toujours, Sofia a été convoitée pour sa position stratégique dans les Balkans. Protégée telle une citadelle par trois montagnes dont Vitocha, sans nul doute la plus emblématique de la capitale bulgare, Sofia est liée qu reste du monde par trois cols, largement exploités depuis toujours pour le transit de marchandises de la mer Egée vers l'Europe Centrale. C'est l'une des raisons pour lesquelles la ville a été convoitée par toutes les puissances et à toutes les époques/ A commencer par les Romains qui en ont fait, en 29 un important centre administratif et financier, appelé Ulpia Serdica . Selon Ptolémée, la ville avait des remparts munis de donjons impressionnants. Ses thermes et son amphithéâtre connu sous le nom de " Bouleutherion " étaient si somptueux que l'empereur Constantin le Grand aurait surnommé la ville " la petite Rome " ou " ma Rome ". Malheureusement, l'invasion des Huns, la présence ottomane durant quelques cinq siècles et les bombardements des Alliés en 1943 et 1944 n'ont laissé que très peu de traces de la grandeur d'antan. C'est probablement l'une des raisons pour lesquelles les Sofiotes préservent jalousement les moindres traces du passé dans un Musée Historique National, l'un des mieux garnis dans la région. Ou, mieux encore, en intégrant les ruines à l'architecture de la ville. On en voit dans les passages souterrains, les stations du métro, dont l'achèvement a été retardé justement pour ne pas abîmer la partie centrale des thermes de Serdica, voire au cœur-même de la Présidence. Notons au passage que l'institution suprême du pays n'a jamais fermé ses portes pour laisser libre accès à ce petit temple des premiers chrétiens orthodoxes.

Un havre de paix

A propos de religions, rares sont les villes de l'Ancien continent à avoir fait preuve d'autant de tolérance. Durant toute son histoire. Véritable havre de paix au cœur des Balkans, Sofia en garde les traces jusqu'à nos jours. En plein centre, dans un périmètre de quelques centaines de mètres, vous trouverez une église, une mosquée et une synagogue qui n'ont jamais fermé leur portes, alors que, sous d'autres cieux, des communautés entières étaient sacrifiées devant le sinistre autel de la haine et l'intolérance. L'esprit pacifique, multiethnique et pacifique de Sofia a fait que, progressivement, la ville se soit transformé en un pôle culturel important de l'Europe de l'Est. Plusieurs dizaines de théâtres; bibliothèques et musées jalonnent la capitale bulgare. Sans parler du Palais National de la Culture construit au début des années quatre-vingt pour être le plus grand complexe culturel des Balkans et qui n'a pas été égalé depuis. Et comme on ne pet pas parler de bonne vie sans bonne chair, sachez que dans toutes les ruelles de Sofia, on trouve plus d'un restaurant et plus d'une oenothèque qui rendent hommage à Bacchus à travers des vins de tous les pays. Hélas, d'après ce que nous avons vu, la Tunisie n'y est pas représentée. Un manque à gagner…

 

Vues de Sofia et Boston

Boston : l'esprit de l'Amérique

Lorsque vous arrivez à Boston, le premier son que vous entendrez, à part celui des voix monotones et désuètes des douaniers de l'aéroport, c'est le chant des mouettes. C'est ici que s'arrête la ressemblance avec la petite péninsule indienne qui portait le nom de Shawmut jusqu'en 1630, l'année de l'arrivée d'un millier de Puritains qui ont fondé ce qui deviendra l'une des villes les plus importantes du Nouveau Monde.

Un lieu rempli d'histoire

Contrairement aux idées reçues, tout à Boston, capitale du Massachusetts, respire l'histoire. Une histoire de pas plus de quatre siècles, certes, mais bien mise en valeur. A commencer par la ligne rouge qui traverse toute la ville indiquant le Parcours de la Liberté (The Freedom Trail) qui vous mènera sur les pas de John Hancock, Paul Revere ou Samuel Adams- les pères-fondateurs des Etats-Unis dont le dernier a donné son nom à l'une des bières locales les plus appréciées. C'est ainsi que des endroits comme Old State House, ou Charlestown Navy Yard où est amarré The USS Constitution, le premier navire de guerre américain, sortiront de vos livres d'histoire pour devenir réalité. Notons au passage que The USS Constitution a fait une escale à La Goulette au début du XIXe siècle, alors qu'il était en route pour Tripoli. Vous serez agréablement surpris de trouver ce petit détail de l'histoire du prestigieux vaisseau dans le musée qui lui est consacré. Mais, avant de traverser la Charles River qui sépare Charlestown du centre ville (downtown), n'oubliez pas de passer par le quartier pittoresque de Beacon Hill, un vrai petit bout de l'Angleterre du XIXe siècle avec maisons en briques et petites impasses pavées, baignées dans la verdure des arbres séculaires. Les ruelles romantiques telles que Pinckney Street, Mount Vernon Street, décrite par l'écrivain Henry James comme " la seule rue respectable en Amérique ", feront le bonheur des amoureux. Sans oublier le square Louisburg, portant le nom de la forteresse française en Nouvelle Ecosse assiégée par les milices du Massachusetts en 1747, qui abrite un petit jardin et la maison de John Kerry, le candidat infortuné à la Présidence en 2004. Décidément, Boston porte bien la devise de son Etat : " The spirit of America " (L'esprit de l'Amérique).

Quand " modernité " rime avec " convivialité "

Une traversée en bac, pas plus longue que celle entre Radès et La Goulette et au prix d'un jeton pour le métro, suffit pour passer de Charlestown au centre ville ou l'ambiance est toute autre. A commencer par l'architecture … Même si les gratte-ciels qui transpercent le ciel bostonien sont plutôt rares, des édifices imposants en pierres, dont la tour de l'horloge (The Watch Tower), prennent la place des traditionnelles maisons en briques. Quelques stations de métro plus loin et vous voilà devant les tours Hancock et Prudential, les deux " vrais " gratte-ciels du coin, d'où vous aurez une vue imprenable de la ville. Mais il n'y pas que l'architecture pour indiquer que, du haut de ses quatre cents ans d'histoire, Boston est résolument tournée vers la modernité. Lieu de prédilection des " start-up ", la ville abrite également un nombre impressionnant d'universités dont le fameux Harvard et le MIT (Massachusetts Institute of Technologies) qui doit une partie de sa gloire au travaux du linguiste Noam Chomsky qui y travaille toujours. L'impressionnante bibliothèque municipale et le MFA (Museum of Fine Arts) ne peuvent que donner une soif inexorable d'apprendre, même aux têtes les plus dures. Mais, contrairement aux autres grandes villes américaines, la modernité n'a pas avancé au détriment de la convivialité. Pour les moments de détente, rien de tel qu'une petite promenade dans l'un des nombreux parcs verdoyants de la ville qui sont en pleine expansion. Le " Big Dig " - une série de travaux titanesques entamées il y a une dizaine d'années - vise à mettre sous terre les grands axes routiers qui traversent la ville et à les remplacer par des parcs. Et à propos de promenades, en dehors du réseau du métro dont le jeton (token) ne coûte qu'un dollar vingt-cinq, tous trajets confondus, vous pourrez faire un tour en bus des années trente appelé " trolley " ou carrément investir dans un " Duck tour " dans un drôle de véhicule-amphibie dont le nom a été inspiré par l'histoire de l'écrivain pour enfants McCluskey dont les personnages - une famille de canards - sont l'un des symboles de Boston. Leur popularité est devenue si grande que des statues en bronze à leur iffigye ont été érigées à l'entrée du Boston Public Garden. C'est dire qu'ils ont eu de la chance … Car beaucoup de leurs confrères finissent dans les restaurants de Chinatown, un quartier à peine un kilomètre plus loin, mais où vous sentirez les saveurs de l'autre bout du monde. Les différents visages de Boston ne peuvent être découvertes dans un article. Ni par une seule visite de quelques semaines, d'ailleurs. Pourtant, une phrase qu'un Bostonien très cosmopolite (rien à voir avec le " proper Bostonian ", descendant des colons puritains) m'avait dit avant mon départ peut résumer ce que l'on ressent une fois que l'on s'est trempé dans son ambiance placide et passionnée, traditionnelle et avant-gardiste : " Une fois que tu as mis les pieds ici, peu importe si tu décides de rester ou de partir, Boston sera à jamais ta deuxième ville natale. "


" Sideways " ou le chemin vers le bonheur

Quand on pense aux films américains, c'est généralement, des effets spéciaux, des personnages manichéens et le triomphe du bien sur le mal que l'on voit. Le tout, bien évidemment, réalisé au prix de grosses liasses de dollars qui sont censées se reproduire dans les caisses des salles de cinéma. Pourtant, il existe des réalisateurs qui travaillent " à l'européenne " de l'autre côté de l'Atlantique. Alexander Payne en fait partie. En 2004, après son premier film connu, " Monsieur Schmidt ", il a définitivement affirmé sa position de digne représentant d'une certaine idée du cinéma indépendant US, grâce au film " Sideways ", sorti en 2004 et ayant reçu cinq nominations majeures pour la cérémonie des Oscars. C'est peut-être la raison pour laquelle ce n'est pas le premier DVD que votre marchand vous tendra, si vous lui demandez un " bon film US " pour vous détendre le week-end. Même si l'histoire de Sideways est profondément humaine. Deux hommes face à la quarantaine Miles et Jack, deux amis que tout oppose sauf l'approchant inexorable de la quarantaine, décident de partir faire la route des vins en Californie. L'un est un écrivain raté et vient de divorcer ; l'autre, acteur de séries hollywoodiennes, connu surtout par la ménagère de moins de cinquante ans, est à une semaine de son mariage avec une riche héritière. De cave en cave, de bar en bar, ils vont savourer cette semaine charnière, où leur amitié sera mise à rude épreuve. A commencer par l'intrusion de deux amies, serveuses dans une cave.

Un parcours initiatique vers le bonheur

Tout comme dans, " Monsieur Schmidt ", son film précédent, Payne met en scène des personnages féminins, tant apparents que furtifs, pour mettre en scène la crise existentialiste de l'homme seul, assumant moins bien sa solitude que son équivalent féminin. Ainsi, dans " Sideways ", vous remarquerez que, dans des situations équivalentes, Maya et Stéphanie s'en sortent nettement mieux : l'une suit des cours à l'université en vue d'obtenir une promotion et l'autre, même si elle est une mère célibataire, a su garder de bons rapports avec sa mère - chose qui n'est pas évidente pour nos deux acolytes. Un autre procédé commun aux deux films c'est le " road movie ". Mais pas n'importe quel " road movie " puisque " Sideways " nous invite à suivre les pérégrinations des deux amis le long de la route des vins en Californie, un itinéraire peu fréquenté par le cinéma et qui apporte au film de Payne un ton requinqué et pas seulement à cause des incessantes dégustations des personnages qui ponctuent les moments les plus importants du film. Et les différents endroits aussi.. En effet, du début à la fin, nous assistons à une sorte de parcours initiatique de deux héros vers les retrouvailles du soi perdu. Et c'est là que vient la petite lueur optimiste qui manque à " Monsieur Schmidt ". Car à la fin, tout s'arrange. Mais je n'en vous dirai pas plus, sinon de voir l'histoire de ces deux vies qui pourraient être les nôtres.