« In an age that produces such masters as the great Huyghenius and the incomparable Mr. Newton, with some others of that strain, it is ambition enough to be employed as an under-labourer in clearing grounds a little, and removing some of the rubbish that lies in the way of knowledge”
John Locke, The Epistle to the Reader, An Essay concerning Human Understanding
English version below
Alban Bouvier est philosophe de formation (agrégé de philosophie). Il a étudié à l’Université de Rennes I, Paris I (Panthéon-Sorbonne) et Paris IV (Paris-Sorbonne), tout en exerçant depuis la fin de ses études secondaires différentes activités professionnelles à des fins alimentaires. Il a enseigné la philosophie pendant plusieurs années dans divers lycées de province et de la région parisienne.
Il s’est orienté très tôt, dans l’esprit des Lumières, vers la philosophie des sciences sociales avec l’idée « lockéenne » que la réflexion philosophique peut être utile au développement des sciences. Il publie à la fois en philosophie et en sciences sociales.
Après sa thèse, soutenue en 1991, il est recruté en 1992 comme Maître de Conférences de philosophie des sciences sociales et sociologie au département de philosophie et sociologie de l'Université de Paris-Sorbonne. Cette thèse portait sur les procédures d’argumentation et de persuasion en philosophie et visait à élaborer une théorie desdites procédures à partir de deux études de cas : les Méditations Métaphysiques de Descartes et le Contrat Social de Rousseau. L’inspiration de cette recherche a été prise à la fois dans le Système de Logique de John Stuart Mill, notamment dans le livre consacré aux sophismes (Fallacies), et dans le Traité de sociologie générale de Vilfredo Pareto, lequel a pensé son entreprise sociologique, prolongement d’une œuvre magistrale en économie (cf. « l’optimum de Pareto »), comme un complément sociologique de l’entreprise psychologique de Mill. Frege et Russell ont dégagé la logique de ce qu’il y avait encore de psychologisme et de sociologisme chez Mill. Mais les questions de psychologie et de sociologie du raisonnement et de l’argumentation demeurent ; celles-ci ont été en partie redécouvertes par les psychologues, mais beaucoup moins par les sociologues. Cette tâche reste donc à accomplir.
Après son habilitation à diriger des recherches (1997), Alban Bouvier a été qualifié pour enseigner comme Professeur dans les deux disciplines (philosophie, sociologie) et il a effectivement constamment enseigné dans ces deux disciplines. Il a été nommé Directeur du Centre de Recherches Sociologiques de la Sorbonne (Paris IV) en 1998 puis Professeur à l’Université d’Aix-Marseille en 2003.
L’essentiel des recherches d’Alban Bouvier visent à construire des micro-modèles conceptuels permettant d’étudier les procédures d’argumentation et de persuasion discursive dans tous les domaines (philosophiques, scientifiques, moraux, politiques, juridiques, religieux, profanes, etc.) par des allers et retours permanents entre analyses conceptuelles et études de cas, en recherchant pas à pas un « équilibre réflexif » entre les unes et les autres. Le but est de construire une théorie cohérente, constituée de modèles de moyenne portée transversaux (c’est-à-dire pertinents d’un domaine à un autre), empiriquement bien éprouvés, cohérents entre eux mais indépendants les uns des autres autant qu’il est possible (ce que Robert Merton appelait des middle-range theories), plutôt que d’élaborer une théorie générale spéculative et conjecturale. Ce but ne peut être atteint que si l’on resitue minutieusement les débats argumentés pris pour objet d’études dans leurs contextes historiques particuliers, ce qui exige évidemment à chaque fois un investissement exigeant.
Autour de ce noyau de recherche, Alban Bouvier a publié dans différentes directions : en sociologie cognitive et sociologie épistémologique, conçues comme le versant plus positif d’une entreprise double, dont le second versant, plus normatif, relève de l’épistémologie sociale, et dont la théorie de l’argumentation constitue l’un des chapitres (comme Alvin Goldman l’a montré).
Une seconde direction autour du même noyau a orienté de nombreuses études consacrées à identifier et prolonger cette tradition de recherche méconnue en sciences sociales, celle de Mill et de Pareto, laquelle constitue une alternative aux deux grandes traditions, celle de Kant, prolongée notamment par Weber et Simmel et celle de Comte, prolongée par Durkheim et Mauss. La préoccupation majeure de ces publications est de contribuer à la clarification de l’idée de cumulativité dans les sciences, notamment les sciences sociales.
Une troisième direction consiste en travaux de philosophie des sciences sociales contemporaines. Bouvier a beaucoup publié sur les transformations du débat constamment reconduit depuis plus d’un siècle entre holisme et individualisme méthodologique (Pareto étant l’un des porteurs de cette attitude méthodologique, objet d’une multitude de contresens). Dans la même veine globale, Bouvier s’est beaucoup intéressé aussi à un autre problème, également constamment reconduit, celui de la spécificité des sciences de l’homme par rapport aux sciences de la nature. Son souci essentiel est de contribuer, avec d’autres, à montrer que la différence entre les uns et les autres types de disciplines n’est pas aussi grande que certains auteurs, notamment germaniques, ont pu le penser et que la distance va même s’amenuisant. Cet intérêt pour l’épistémologie comparée, nourri par le sentiment que l’observation régulière des autres disciplines a une valeur heuristique considérable, a conduit Alban Bouvier à participer successivement à des laboratoires disciplinaires différents au gré des circonstances : le Centre de Recherche Linguistique et Sémiologique de l’Université de Lyon II (de 1986 à 1991), le Groupe d’Etudes de l’Analyse Sociologique de l’Université de Paris Sorbonne (de 1992 à 2001), l’Institut Jean Nicod de l’Ecole Normale Supérieure de Paris (de 2001 à nos jours) et le Groupe de Recherche en Economie Quantitative de l’Université d’Aix-Marseille (de 2007 à nos jours). A. Bouvier a également enseigné dans ces diverses formations (philosophie, sociologie, économie et linguistique) à Paris IV, Aix-Marseille et à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris. Il a co-fondé le Cercle d’Etudes Parétiennes, dont il a été secrétaire. Il est co-fondateur du European for the Philosophy of the Social Sciences et a été membre du Comité d’Administration et du Bureau de la Société de Philosophie des Sciences. Il est membre de la Société de philosophie analytique (SOPHA) et a été membre de l’Association des sociologues de langue française et de la Société française de sociologie.
Une quatrième direction enfin vise à montrer comment la sociologie cognitive et la sociologie épistémologique peuvent s’intégrer aisément dans un style particulier de sociologie, celui de la sociologie analytique, qui vise à décomposer les mécanismes sociaux en leurs éléments, en adoptant en outre le même style exigeant de raisonnement promu par la philosophie analytique depuis Frege, Russell, Carnap ou Hempel. Les principes de cette sociologie analytique ont été largement posés par Jon Elster, pour ne mentionner que le plus connu d’une kyrielle de chercheurs originaux. Bouvier est, à ce titre, membre de l’International Network of Analytical Sociology.
Enfin des travaux d’histoire de la sociologie (Tocqueville, Mauss…) et d’histoire de la philosophie (Descartes, Rousseau…) extérieurs à ces axes essentiels constituent des sortes de « satellites » autour de ce noyau central, souvent dus à des sollicitations extérieures. Alban Bouvier a ainsi été membre du Cercle d’Etudes Cartésiennes de l’Université de Paris-Sorbonne.
Il achève actuellement deux ouvrages: 1) un ouvrage d'épistémologie comparée des sciences de la nature et des sciences de l'homme autour de quelques grands problèmes contemporains; 2) un traité de l'argumentation, qui reprend sur de nouvelles bases l'entreprise qui fut celle, il y a plus de soixante ans, de Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca, elle-même une reprise des Topiques, de la Rhétorique et des Réfutations sophistiques d'Aristote.
English version
Alban Bouvier was trained in philosophy at the University of Rennes I, Paris I (Panthéon-Sorbonne) and Paris IV (Paris-Sorbonne).
He turned early on, in the spirit of the Enlightenment, to the philosophy of social sciences with the "Lockean" idea that philosophical thinking can be useful for the development of science. He has published both in philosophy and in social sciences.
After his thesis, defended in 1991, he was recruited in 1992 as an Associate Professor in philosophy of social sciences and sociology at the Department of Philosophy and Sociology of the University of Paris-Sorbonne. This thesis dealt with the procedures of argumentation and persuasion in philosophy and aimed at elaborating a theory of these procedures from two case studies: Descartes' Metaphysical Meditations and Rousseau's Social Contract. The inspiration for this research was taken both from John Stuart Mill's System of Logic, especially in the book devoted to fallacies, and from Vilfredo Pareto's Mind and Society, which Pareto conceived as a sociological complement to Mill's psychological work. Frege and Russell cleared up the logic of what was still psychologism and sociologism in Mill. But the questions of psychology and sociology of reasoning and argumentation remained; these have been partly rediscovered by psychologists such as Richard E. Nisbett and Lee Ross, Human inference: Strategies and shortcomings of social judgement, and by the various theorists of paralogisms since notably Charles L. Hamblin, Fallacies.
Most of Alban Bouvier's research aims at building conceptual micro-models allowing the study of argumentation and discursive persuasion procedures in all domains (philosophical, scientific, moral, political, legal, religious, everyday, etc.) by constantly going back and forth between conceptual analyses and case studies, seeking step by step a "reflexive equilibrium" between the two. The goal is to modestly build a coherent theory made up of cross-cutting middle-range models (i.e. relevant from one domain to another), well-tested empirically, consistent with each other but independent of each other as much as possible (what Robert Merton called middle-range theories), rather than elaborating a speculative and conjectural general theory. This goal can only be achieved if one carefully places the debates taken as objects of study within their particular historical contexts, which obviously requires a demanding investment each time.
Around this core of research, Alban Bouvier has published in different directions: in cognitive sociology and epistemological sociology, conceived as the more positive side of a double undertaking, the second side of which, more normative, is social epistemology, and of which the theory of argumentation constitutes one of the chapters (as Alvin Goldman has shown).
A second direction around the same core has oriented numerous studies devoted to identifying and extending this little-known research tradition in the social sciences, that of Mill and Pareto, which constitutes an alternative to the two great traditions, that of Kant, extended notably by Weber and Simmel, and that of Comte, extended by Durkheim and Mauss. The main concern of these publications is to contribute to the clarification of the idea of cumulativity in the sciences, especially the social sciences.
A third direction consists in works of philosophy of contemporary social sciences. Bouvier has published extensively on the transformations of the debate that has been constantly renewed for more than a century between holism and methodological individualism (Pareto being one of the bearers of this methodological attitude, the object of a multitude of misunderstandings). In the same global vein, Bouvier was also very interested in another problem, also constantly renewed, that of the specificity of the human sciences in relation to the natural sciences. His main concern is to contribute, with others, to show that the difference between the two types of disciplines is not as great as some authors, especially Germanic ones, might have thought, and that the distance is even diminishing. This interest in comparative epistemology, nourished by the feeling that regular observation of other disciplines has considerable heuristic value, led Alban Bouvier to participate successively in different disciplinary laboratories as circumstances dictated (linguistic, sociology, economics, and cognitive sciences). A. Bouvier has also taught in these various courses (philosophy, sociology, economics and linguistics) at Paris IV, Aix-Marseille and at the Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales in Paris.
Finally, a fourth direction aims at showing how cognitive sociology and epistemological sociology can be easily integrated into a particular style of sociology, that of analytical sociology, which aims at breaking down social mechanisms into their components, adopting moreover the same demanding style of reasoning promoted by analytical philosophy since Frege, Russell, Carnap or Hempel. The principles of this analytical sociology have been largely laid down by Jon Elster, to mention only the best known of a host of original researchers. Bouvier is a member of the International Network of Analytical Sociology.
Finally, works on the history of sociology (Tocqueville, Mauss...) and the history of philosophy (Descartes, Rousseau...) outside these essential axes constitute various "satellites" around this central core, often due to external requests. Alban Bouvier was a member of the Cercle d'Etudes Cartésiennes of the University of Paris-Sorbonne.
Bouvier is currently completing two works : a book on the comparative philosophy of the natural and the social sciences, focusing on some major contemporary problems; a treatise on argumentation, which takes up on new bases the work that was undertaken, more than sixty years ago, by Chaïm Perelman and Lucie Olbrechts-Tyteca, which was itself a revival of Aristotle's Topics, Rhetoric and Sophistical Refutations.